L'agriculture engendre des pollutions ordinaires ayant un impact environnemental marginal
1487454235279. Mais il existe des pollutions spécifiques affectant le milieu naturel en général, et le sol en particulier. Il s'agit des pollutions azotées (§ I) et des pollutions liées à l'usage de produits phytosanitaires (§ II). La responsabilité environnementale en découlant mérite une attention particulière (§ III).
Les sources de pollutions agricoles
Les sources de pollutions agricoles
Les pollutions azotées
Les pollutions azotées résultent principalement de l'utilisation des déchets d'élevage. A priori, cette intégration dans le cycle de production semble vertueuse. En pratique, elle soulève de nombreuses difficultés. En effet, l'origine du problème (A) et la législation en vigueur (B) créent en quelque sorte un « droit à polluer » (C).
Les inconvénients liés à l'utilisation intensive des effluents d'élevage
– La fertilisation des terres agricoles. – La fertilisation des terres agricoles consiste à fournir au sol les éléments nutritifs nécessaires à la croissance des plantations. L'un des principaux éléments nutritifs est l'azote. On le retrouve dans les effluents d'élevage (fumiers, lisiers, etc.) et certains engrais industriels. Leur utilisation est une source de pollution si elle est mal maîtrisée. Il s'agit des phénomènes de nitrification
1487670010024et d'eutrophisation
1487670128210. Ces risques majeurs rendent nécessaire la maîtrise du processus de fertilisation.
– L'épandage des effluents d'élevage. – L'épandage des effluents d'élevage est une méthode de fertilisation des terres peu coûteuse
1487670970110. Elle évite au surplus les coûts liés à l'évacuation des déchets. Ce recyclage permettant de maîtriser un cycle biologique plus large dans de bonnes conditions économiques est a priori vertueux. Toutefois, en zone d'élevage intensif
1487672547127, le traitement des déchets par un épandage systématique l'emporte parfois sur les vertus liées à ce procédé
1487671790748. En effet, les phénomènes de nitrification et d'eutrophisation sont constatés dans les eaux à proximité des secteurs d'épandage non maîtrisés
1496439196699.
La législation applicable
– Les objectifs de la réglementation. – La réglementation, renforcée par le droit communautaire
1487673812654, vise à réduire le risque de pollution lors des travaux d'élimination des déchets, en obligeant les agriculteurs à disposer de surfaces d'épandage suffisantes ou à recourir à des techniques industrielles d'épuration comme la méthanisation. Les programmes d'actions en la matière visent à définir les zones vulnérables, à maîtriser la fertilisation azotée, à adapter la gestion des terres agricoles et à respecter le calendrier d'épandage (C. env., art. R. 211-80 et s.). Ils fixent la quantité maximale d'azote pouvant être épandue annuellement, ne pouvant excéder 170 kg par hectare de surface agricole utile, déduction faite des surfaces d'interdiction d'épandage. Ils définissent également les capacités de stockage des effluents d'élevage.
– Une législation adaptée aux différentes zones. – La législation diffère en fonction de la zone concernée :
- les zones d'excédent structurel présentent une forte concentration d'élevages. Elles se trouvent ainsi en situation d'excédent de production d'azote par rapport aux possibilités d'épandage. Elles nécessitent des mesures renforcées telles que la fixation de l'étendue maximale des surfaces d'épandage par exploitation, l'obligation de traitement ou de transfert des effluents excédentaires, ou encore l'interdiction d'augmenter la quantité d'azote produite. Dans certaines zones, des programmes de résorption des excédents sont prescrits 1487798118313 ;
- les zones d'actions complémentaires sont situées dans les bassins versants en amont des prises d'eau destinée à la consommation humaine et dont les taux de nitrates excédent les exigences de qualité (C. env., art. R. 211-83). Elles bénéficient de mesures complémentaires telles que l'obligation de couverture du sol pendant les périodes à risques de lessivage, le maintien d'un couvert végétal en bordure des cours d'eau et la limitation du retournement des prairies ;
- les zones d'érosion (C. rur. pêche marit., art. R. 114-2), les zones humides d'intérêt environnemental particulier (C. env., art. L. 211-3, II, 4 °) 1487800062177et les aires d'alimentation des captages d'eau potable (C. env., art. L. 211-3, II, 5°) 1487800609589. Ces trois zones bénéficient de programmes d'actions contenant des mesures variées visant à la réduction des pollutions azotées. Il s'agit notamment de favoriser la couverture végétale du sol, le travail du sol, la gestion des intrants, la diversification des cultures ou la restauration des éléments paysagers (haies, fossés, plans d'eau).
– Pour l'habitation en général. – En France, vingt millions de logements représentant 60 % du parc ont été construits avant 1974, date de la première réglementation thermique. Lors de leur construction, il n'existait pas de cadre réglementaire de performance énergétique. Ainsi, leur rénovation constitue un enjeu majeur
1509625660957. Avec l'adoption de la loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV)
1509544444673, la France aspire à la rénovation de 500 000 logements par an
1509553063656, dont les bâtiments privés résidentiels les plus énergivores d'ici 2025
1509552965918. L'objectif est de disposer d'un parc de logements rénovés selon la norme bâtiment basse consommation en 2050 (C. énergie, art. L. 100-4, 7°).
Si les immeubles sociaux et collectifs sont gérés par des professionnels conscients des enjeux, les propriétaires de logements individuels sont parfois plus difficiles à mobiliser
1509615389070. Pourtant, les logements anciens peu performants subissent une dépréciation de valeur, pouvant à terme entraîner un abandon des quartiers éloignés du centre-ville. Restent alors les incitations fiscales (V. nos
et s.). À défaut, viendront les obligations
1512320108684.
C'est le cas des travaux d'isolation thermiques obligatoires à l'occasion de la réfection de la toiture ou du ravalement de la façade (V. n° )
1509806874912, mais également lors de l'aménagement d'un local en vue de le rendre habitable, par exemple un garage (CCH, art. R. 131-28-11).
– Pour l'habitation destinée à la location. – Les bailleurs ont l'obligation de rénover leurs logements pour répondre à de nouveaux critères de décence. Ainsi, depuis le 1er janvier 2018, les bailleurs sont tenus de remettre au locataire un logement décent répondant notamment à un critère de performance énergétique minimale
1512320145095. Les qualités minimales du logement énergétiquement décent sont précisées par décret
1509614321002. Il s'agit d'éléments intrinsèques à sa conception, indépendants du mode d'occupation du logement et du coût de l'énergie
1509614511037.
– Pour le tertiaire. – La loi Grenelle 2
1509626110135a prévu des obligations d'amélioration de la performance énergétique des bâtiments existants à usage tertiaire (V. n° ).
La loi prévoit que dans le cas des locaux pris à bail, les bailleurs et preneurs définissent et mettent en œuvre un plan d'action permettant d'atteindre les objectifs de réduction des consommations énergétiques (CCH, art. R. 131-44). Ils ne peuvent pas contrevenir aux dispositions impératives de la loi Pinel
1509901592535, interdisant notamment de répercuter au locataire les dépenses relatives aux grosses réparations mentionnées à l'article 606 du Code civil (C. com., art. R. 145-35, 1°).
La naissance d'un droit à polluer en agriculture ?
– Les droits d'épandage. – Les droits d'épandage forment des « quasi-quotas » de production, résultant de l'obligation de traiter les excédents. Sur le plan économique, il s'agit d'une solution avantageuse. Néanmoins, elle crée un marché des surfaces d'épandage, en particulier dans les zones d'excédent structurel. Le traitement des effluents d'élevage constitue aujourd'hui un « droit à produire ». Cette solution affranchit également les agriculteurs de leur responsabilité environnementale à ce titre. Ainsi, une bonne idée écologique finit-elle par créer des déséquilibres, la charge de lutter contre la pollution ne pesant pas sur les pollueurs réels
1488140726363.
L'exemple de la filière porcine
Un rapport de 2008 pointe du doigt les zones d'excédent structurel de la filière porcine
1487879840874. Il relève une logique de « quasi-quotas » résultant du rachat et du déplacement des capacités de production permettant de traiter les effluents. Ces transferts sont financés par les producteurs actuels, souvent plus respectueux de l'environnement. Ils conduisent à un effet de rente pour les anciens producteurs. Ainsi, le principe pollueur-payeur est dévoyé.
Les intrants chimiques
La chimie a largement accompagné le développement de l'agriculture moderne. Néanmoins, elle suscite aujourd'hui des interrogations légitimes (A). Pour faire aux problèmes actuels, une législation volontariste est mise en place (B).
Les interrogations liées à l'utilisation de la chimie en agriculture
– Les intrants chimiques. – Les intrants chimiques regroupent l'ensemble des produits biocides, phytosanitaires et phytopharmaceutiques, permettant d'améliorer le rendement des cultures. Leur utilisation s'est généralisée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, accompagnant la spécialisation des cultures. Les intrants sont devenus les piliers de l'agriculture intensive, modèle dominant aujourd'hui. Or, ce modèle crée un cercle vicieux. Le manque de rotation des cultures et l'absence de cultures intermédiaires appauvrissent le sol. Pour compenser, les produits chimiques sont utilisés en quantité toujours plus importante. Mais le rendement économique n'est plus toujours au rendez-vous
1488719582675. En effet, le coût des intrants pèse sur la rentabilité des exploitations. Plus grave encore, l'impact écologique de ces produits est très négatif. La pollution des terres agricoles a des répercussions importantes sur les espèces animales et végétales
1488144033422.
Une législation volontariste
– Le plan Écophyto. – Le plan Écophyto est le nom donné à l'ensemble des mesures mises en place pour lutter contre les conséquences de l'utilisation des intrants chimiques. Jugé insuffisant, il est considéré comme une base de travail utile pour l'avenir
1496440522695. Il s'appuie sur différents outils juridiques :
- le contrôle administratif de mise sur le marché et d'utilisation des produits phytosanitaires (C. rur. pêche marit., art. L. 253-1) 1488641175558 ;
- l'édiction de mesures de précautions, telles que l'interdiction de l'épandage aérien (C. rur. pêche marit., art. L. 253-8) ;
- la définition de zones d'interdiction ou restriction d'usage, notamment à proximité des cours d'écoles, terrains de jeux, hôpitaux, maison de retraite, etc. (C. rur. pêche marit., art. L. 253-7-1) ;
- la création d'un certificat administratif individuel dénommé « certi-phyto », permettant d'attester des compétences suffisantes pour une utilisation sécurisée et réduite des différents produits (C. rur. pêche marit., art. L. 254-3) ;
- le développement de synergies avec les mesures agroenvironnementales (MAE) et les groupements d'intérêt écologique et environnemental (GIEE) ;
- l'encouragement de nouvelles pratiques agroécologiques, telles que le renouvellement des agroéquipements, l'usage des nouvelles technologies de biocontrôle et l'expérimentation par le réseau Dephy.
Le réseau Dephy
Le réseau Dephy est un réseau de fermes ayant vocation à développer, mutualiser et diffuser les expériences réussies de pratiques culturales réduisant fortement l'usage des produits phytosanitaires.
L'objectif premier est de mettre en œuvre de façon concrète des pratiques agroécologiques tout en conservant de bons rendements. Ensuite, ces bonnes pratiques sont diffusées, l'objectif étant de faire bénéficier 30 000 exploitations des retours d'expérience.
Ce projet applique les principes du management participatif : des agriculteurs s'en emparent eux-mêmes et le portent ensuite auprès d'autres exploitants. Les conseils ne viennent pas du législateur (en verticalité), mais des agriculteurs (en horizontalité). Ils sont ainsi plus à même d'être entendus et appliqués.
La recherche d'une responsabilité
La responsabilité environnementale est sensiblement différente de la responsabilité civile de droit commun. Pour assurer son efficacité, elle est à la fois beaucoup plus collective et objective
1488105996809La mise en cause de la responsabilité environnementale des agriculteurs est faible (A). Elle est en partie compensée par celle de l'État (B).
La responsabilité limitée des agriculteurs
– La nature diffuse des pollutions agricoles. – L'une des principales caractéristiques des pollutions agricoles est leur caractère diffus
1487949129142, rendant pratiquement impossible l'établissement d'un lien de causalité entre le responsable et le dommage. Ainsi, il n'est pas aisé d'engager la responsabilité d'un exploitant en particulier, sauf en cas de pollution ponctuelle identifiable
1488101876342.
La loi entérine cette situation. Les dommages causés à l'environnement par une pollution diffuse sont expressément exclus du régime de la responsabilité environnementale (C. env., art. L. 160-1 et s.), sauf si un lien de causalité précis est établi (C. env., art. L. 161-2). Ainsi, l'exploitant agricole n'est pas totalement exonéré de responsabilité environnementale. Néanmoins, sa responsabilité est très compliquée à mettre en œuvre, la faute étant généralement difficile à caractériser.
La responsabilité étendue de l'État
Sur le plan juridique, l'État est le principal responsable des pollutions agricoles, notamment des pollutions liées aux nitrates. La jurisprudence se fonde sur le manquement des pouvoirs publics en matière de prévention des pollutions agricoles. Les premières condamnations en la matière sont venues des juridictions européennes (I). Elles ont ouvert la voie à des décisions similaires en droit interne (II).
La responsabilité de l'État à l'échelle européenne
– Les manquements dans la transposition de la directive « Nitrates ». – La France a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour de justice de l'Union européenne en raison d'une insuffisance des actions menées pour permettre la lutte contre la concentration des nitrates. La jurisprudence européenne sanctionne en effet l'État français depuis le début des années 2000 sur la base d'une mauvaise transposition de la directive « Nitrates »
1488726668029dans la législation française
1495807601064.
Un arrêt du 4 septembre 2014 mérite une attention particulière
1491510989322. Il constate en effet de nombreux manquements à la directive « Nitrates » en raison notamment :
- de périodes d'interdiction d'épandage trop courtes ;
- de programmes d'actions en matière de stockage des effluents insuffisants ;
- d'une réglementation ne garantissant ni le calcul des quantités à épandre en vue d'une fertilisation équilibrée, ni la limite des 170 kg d'azote par hectare et par an ;
- de l'absence d'interdiction d'épandage sur sols gelés ou enneigés ;
- de la définition imprécise des conditions d'épandage sur des sols en forte pente.
Pour justifier du non-respect de la directive, la France s'appuie principalement sur des débats techniques ou scientifiques
1496492596179.
La France n'est pas le seul « mauvais élève » en Europe
Il ne s'agit pas d'excuser la France en la comparant à ses voisins, mais de mesurer l'ampleur du problème en Europe. En effet, plusieurs États ont fait l'objet de condamnations sur des fondements similaires à ceux ayant motivé celles de la France, et, à titre d'exemple :
- l'Italie : CJCE, 8 nov. 2001, aff. C-127/99 : la directive « Nitrates » n'est pas respectée sur le territoire italien en raison de l'absence d'un programme de surveillance des zones vulnérables aux nitrates ;
- l'Allemagne : CJCE, 14 mars 2002, aff. C-161/00 : l'absence d'un code de bonnes pratiques agricoles en Allemagne entraîne parfois un épandage de quantités d'azote supérieures à celles autorisées par la directive ;
- l'Irlande : CJCE, 11 mars 2004, aff. C-396/01 : l'absence d'identification des zones vulnérables aux nitrates constitue une infraction à la directive « Nitrates ».
À l'échelle nationale
– Les manquements dans la prévention des pollutions. – Les arrêts rendus en droit communautaire ont permis de fonder une jurisprudence en droit interne. L'affaire la plus célèbre a été rendue sur la pollution du littoral breton par les « marées vertes » ou les « algues vertes ».
Les juges de première instance avaient relevé l'inefficacité de l'État dans la lutte contre la pollution des eaux superficielles par laxisme dans la délivrance des autorisations d'exploitation relevant de la législation ICPE
1488995494329. En outre, la possibilité d'invoquer un préjudice écologique a été reconnue aux associations agréées pour la protection de l'environnement
1488995787243.
À bien y réfléchir, cette responsabilité glissant des agriculteurs vers l'État est cohérente. Le territoire est un bien commun dont il est le garant. Sa protection résulte d'une organisation globale basée sur des mesures de prévention, l'objectif étant surtout de ne pas avoir à réparer les dommages en évitant leur survenance. L'eau est également un bien commun qu'il convient de protéger.
La consécration du préjudice écologique dans le Code civil
La loi « Biodiversité » du 8 août 2016
1496479310412 a inscrit le préjudice écologique dans le Code civil. Il consiste en une « atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement » (C. civ., art. 1247). L'adaptation du droit commun de la responsabilité était nécessaire pour tenir compte des spécificités de ce préjudice, à la fois objectif et collectif. Le droit à agir et le délai de prescription sont très largement étendus. Le principe de la réparation en nature du préjudice est également posé
1496491312890.