Le déclenchement du mandat de protection future

Le déclenchement du mandat de protection future

- Plan. - Nous allons successivement envisager les conditions (§ I), la procédure (§ II) et la publicité (§ III) liées au déclenchement du mandat de protection future.

Les conditions de déclenchement du mandat

- Altération des facultés personnelles du mandant. - Selon l'article 481 du Code civil, « le mandat prend effet lorsqu'il est établi que le mandant ne peut plus pourvoir seul à ses intérêts ». Pour s'assurer que cette condition est bien remplie, la loi exige la production au greffe du tribunal d'instance du mandat et d'un certificat médical « établissant que le mandant se trouve dans l'une des situations prévues à l'article 425 ». C'est dire que le déclenchement du mandat de protection future est subordonné, à l'instar des mesures de protection juridique des majeurs, à ce que le mandant soit « dans l'impossibilité de pourvoir seul à ses intérêts en raison d'une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l'expression de sa volonté ».
- Certificat médical. - L'altération des facultés personnelles du mandant doit faire l'objet, en vue du déclenchement du mandat, d'un constat médical, qui doit être effectué par un médecin agréé par le procureur de la République (C. civ., art. 425 et 431, sur renvoi de C. civ., art. 481, al. 2), lequel, pour aiguiser son « diagnostic », peut toujours solliciter l'avis du médecin traitant. Ce certificat doit dater de moins de deux mois lorsqu'il est présenté au greffe (C. civ., art. 1258, al. 2).
En revanche, la question subsiste sur le point de savoir si le certificat médical doit être ou non circonstancié. Les textes ne semblent pas l'exiger, ce qui s'explique aisément, selon certains auteurs, s'agissant d'une mesure conventionnelle « qui conduit à émousser les principes de nécessité et de proportionnalité des mesures de protection » . Nous aurions pourtant tendance à penser, au rebours, qu'en dépit, ou plutôt en raison de sa nature conventionnelle, le mandat de protection future doive être soumis à des conditions de déclenchement en tous points - et pas seulement pour partie - similaires à toute mesure de protection . Et effet, un certificat « circonstancié » contraint le médecin à mesurer précisément l'altération des facultés personnelles du patient et à vérifier concrètement quelles en sont les conséquences dans les actes de la vie civile, ce qui se justifie d'autant plus s'agissant du mandat de protection future que la mesure va prendre effet sans contrôle judiciaire.

La procédure de déclenchement du mandat

- Formalités au greffe. - La loi a organisé un véritable cérémonial concernant le déclenchement du mandat.
Le mandataire doit se présenter en personne au greffe du tribunal d'instance dans le ressort duquel réside le mandant, accompagné de ce dernier, sauf si le certificat médical indique que ce déplacement est incompatible avec son état de santé (CPC, art. 1258, al. 1er) .
Le mandataire doit alors produire plusieurs pièces justificatives prévues à l'article 1258 du Code de procédure civile : l'original du contrat ou sa copie authentique, le certificat médical, une pièce d'identité du mandant et du mandataire ainsi qu'un justificatif de résidence du mandant. Le mandant qui n'a pas comparu devant le greffier est informé par le mandataire de la prise d'effet du mandat par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (C. civ., art. 481 et CPC, art. 1258-4).
- Contrôle formel. - Le greffier doit vérifier que les conditions suivantes sont remplies : capacité des parties au contrat, stipulation expresse des modalités de contrôle de l'activité du mandataire, contreseing de l'avocat lorsque ce dernier a établi le mandat, contreseing du curateur quand le mandant est sous curatelle, justification du mandataire, personne morale, sur la liste des mandataires judiciaires à la protection des majeurs (CPC, art. 1258-2).
Cette énumération des éléments devant être vérifiés révèle qu'il ne s'agit que d'un contrôle formel ; le greffier n'est pas habilité à examiner les conditions de fond. Ainsi par exemple, s'il estime que le mandat n'est pas suffisamment explicite, il ne pourra pas pour autant le refuser ; il pourra seulement éventuellement le signaler au juge des tutelles ou au procureur de la République. Il n'a pas davantage à vérifier la validité du mandat, notamment quant à la capacité du mandant et du mandataire lors de la formation du contrat ainsi qu'à l'aptitude du mandataire à l'exercice des charges tutélaires.
Si toutes les conditions sont remplies, le greffier paraphe chaque page, appose son visa sur le mandat et le restitue au mandataire avec les pièces produites (C. civ., art. 481, al. 2, et CPC, art. 1258-3, al. 1er).
Si le greffier estime, au contraire, que toutes les conditions ne sont pas remplies, il n'appose pas son visa et le mandataire peut saisir le juge qui doit se prononcer sans délai. La décision rendue est insusceptible d'appel (CPC, art. 1258-3). Si le juge estime que les conditions sont remplies, le greffier doit alors mettre en ?uvre le mandat, en apposant son visa sur celui-ci.
Enfin, cette mise en ?uvre du mandat de protection future peut être contestée par tout intéressé (C. civ., art. 484).
- Conservation et enregistrement. - Aucune copie du mandat de protection future n'est conservée par le greffe, pas plus qu'un enregistrement de l'acte n'est effectué par ce dernier, ce qui, à l'évidence, est de nature « à fragiliser considérablement le fonctionnement du mandat » .
En l'état, afin d'assurer une parfaite conservation des pièces et de préserver la preuve de toute cette procédure, il peut être conseillé au mandataire de déposer au rang des minutes d'un notaire le certificat médical et la copie authentique visée par le greffier. Le notaire peut alors délivrer une copie authentique de cet acte de dépôt, laquelle pourra être remise au mandataire, afin qu'il en justifie à qui de droit.
- La procédure de déclenchement confiée au notaire. - Au regard de l'importance de la procédure de déclenchement du mandat de protection future, pour les parties comme pour les tiers, on pourrait songer à aller plus loin. La solution consisterait alors à confier au notaire le contrôle formel, aujourd'hui dévolu au greffier, ce qui permettrait de soulager ces derniers d'une charge dont ils se passeraient bien volontiers, en même temps que ce choix donnerait une réelle cohérence à un processus qui se veut déjudiciarisé.
Le notaire recevrait le mandataire et rédigerait un acte valant prise d'effet du mandat de protection future, constatant le dépôt des pièces qui lui seraient remises, et assurant tout à la fois l'enregistrement du déclenchement du mandat et la conservation de l'acte. Le plus souvent, et ce serait la solution à favoriser, le notaire dépositaire sera celui qui a reçu le mandat d'origine. De nombreux avantages militent en ce sens. Le notaire rédacteur du mandat de protection future a une parfaite connaissance à la fois des parties - notamment de la personne à protéger, dont il aura pris de soin de connaître les aspirations et de déceler les appréhensions - et du contrat, qu'il a largement contribué à rédiger, et qu'il a parfois complété et amendé au gré du temps, pour assurer son adaptation constante à la situation du mandant. La présence du même notaire, tant au moment de la signature du mandat que de son déclenchement, permettrait ainsi d'assurer un suivi personnalisé du contrat, particulièrement rassurant pour le mandant.
Rien n'exclut toutefois, bien évidemment, que le dépôt se fasse dans un autre office notarial, car il ne s'agit ici que d'assurer la preuve de la mise en ?uvre du mandat et sa conservation. Du reste, en l'état, la perspective avantageuse de retrouver le notaire rédacteur du mandat au moment de son activation est exclue, quoi qu'il en soit, si ce dernier a été rédigé sous seing privé.

La publicité du déclenchement du mandat

- Une publicité indispensable. - La mise en ?uvre du mandat constitue une étape décisive. Au moment de sa rédaction, le mandat n'est rien d'autre qu'une ?uvre créatrice, prévoyante mais peut-être inutile : le mandat peut ne jamais s'exécuter. Lorsque les facultés intellectuelles du mandant viennent à être altérées, il s'agit d'engager le mandat, qui va alors déployer tous ses effets. L'?uvre purement intellectuelle laisse la place à une organisation de vie extrêmement concrète. C'est pourquoi, si la publicité des mandats signés est nécessaire, celle des mandats mis en ?uvre est fondamentale. À défaut de publicité, comment le juge des tutelles et le procureur de la République peuvent-ils concrètement exercer leur mission de surveillance générale des mesures de protection mises en place dans leur ressort (C. civ., art. 416) ? Comment, une nouvelle fois, faire respecter le principe de subsidiarité de l'article 428 du Code civil et empêcher le juge d'ouvrir à l'aveugle une mesure de protection judiciaire qui déjouerait les prévisions, pourtant à privilégier, du mandant. Il en va également de la sécurité des tiers, qui peuvent être conduits à traiter avec un mandant qui a continué à agir, au mépris du mandat dont la prise d'effet a été enregistrée et au mépris du mandataire lui-même qui ne peut le canaliser, ce qui est concevable dans un contexte d'inaptitude. Eu égard à la fragilité des actes conclus par le mandant lorsqu'il contrevient ainsi aux obligations qu'il avait prises, on perçoit combien l'absence d'information au profit des tiers ne peut être que préjudiciable.
La mise en place concrète d'un registre spécial destiné à assurer la publicité du mandat de protection future, tant au moment de sa signature que de son déclenchement, est prévue (C. civ., art. 477-1), mais demeure attendue . Et, au besoin, qu'il nous soit permis de rappeler ici que l'on pourrait songer à ce que cette publicité soit confiée au notariat qui a toute l'expertise et le savoir-faire nécessaires en ce domaine.