La tutelle

La tutelle

- Plan. - Après avoir décrit sommairement les règles de protection en matière de tutelle (A), nous allons nous intéresser à la déjudiciarisation opérée par la loi du 23 mars 2019 et sur ses incidences concernant la pratique notariale (B).

La description sommaire des règles de protection

- Plan. - Nous allons successivement aborder les règles relatives à la protection de la personne (I) puis celles consacrées à la protection du patrimoine (II).

Les règles relatives à la protection de la personne

- L'autonomie du tutélaire dans la sphère personnelle. - Par principe, la tutelle entraîne une incapacité totale du majeur protégé qui doit être représenté, par le tuteur, dans tous les actes de la vie civile.
La règle souffre d'importants tempéraments dans la sphère personnelle. En effet, les textes prévoient que, quel que soit le régime de protection, la personne protégée décide seule des actes relatifs à sa personne et est présumée avoir suffisamment d'autonomie pour le faire (C. civ., art. 459). Elle peut ainsi exercer ses libertés fondamentales d'aller et venir, de religion, d'opinion, d'association, mais aussi décider de ses loisirs, de ses déplacements, de suivre ou non des soins médicaux, de ses fréquentations comme de son lieu de vie . Il s'agit là d'une sphère d'autonomie irréductible, appartenant à chaque personne, qui échappe à toute représentation ou assistance. Conformément à cette logique, l'article 458 du Code civil énumère une liste non limitative des actes strictement personnels qui ne peuvent être accomplis que par la personne protégée elle-même .
Le principe d'autonomie personnelle de la personne protégée a été renforcé par la loi du 23 mars 2019. Nous nous contenterons d'évoquer trois illustrations de ce renforcement, relatives au droit de la famille, compte tenu de leur résonance sur la pratique notariale.
- L'autonomie du tutélaire qui se marie. - L'un des apports emblématiques de la loi du 23 mars 2019 a été de donner la faculté au majeur en tutelle ou en curatelle de se marier sans avoir à solliciter une autorisation judiciaire. Si le juge a été évincé « pour éviter les dérives possibles qu'on imagine » , il reste cependant au tutélaire l'obligation d'informer préalablement la personne chargée de la mesure de protection de son projet de mariage (C. civ., art. 460), afin que cette dernière puisse former opposition, le cas échéant .
Dans certains cas, notamment en présence d'un patrimoine important , il peut être opportun de faire précéder l'union d'un contrat de mariage destiné à protéger les intérêts du majeur concerné. En pareille occurrence, la loi prévoit classiquement que si le tutélaire entend passer une convention matrimoniale, il doit être assisté, dans le contrat, par son tuteur (C. civ., art. 1399, al. 1er). Il n'a donc nullement besoin du juge pour organiser les effets patrimoniaux de son mariage, en dépit des incidences redoutables qui peuvent en résulter.
Toutefois, et c'est une nouveauté de la loi du 23 mars 2019, le tuteur peut, par dérogation à la règle de l'assistance, saisir le juge pour être autorisé à conclure seul ladite convention matrimoniale « en vue de préserver les intérêts de la personne protégée » (C. civ., art. 1399, al. 3). Ce « dispositif de conclusion forcée du contrat de mariage de la personne protégée » suscite d'emblée quelques troubles car il nous paraît aller à l'encontre du mouvement général favorable à l'autonomie du majeur protégé . Surtout, il est fort à redouter que le futur époux du majeur protégé refuse de signer une telle convention qu'il pourra considérer comme une intrusion injustifiée dans son patrimoine. Or, en pareille hypothèse, l'autorisation du juge des tutelles ne permettra pas de passer outre le veto du conjoint. En somme, nul ne pourra empêcher les époux de se marier sous le régime légal. C'est pourquoi, en définitive, la solution préconisée paraît inadaptée. Elle paraît également inopportune, notamment pour le mandataire professionnel qui hésitera à perdre la confiance du majeur protégé et à s'engager dans un processus conflictuel qui dégénérera en changement d'organe de la mesure. Enfin, comme il a pu être justement souligné , le nouveau dispositif est au surplus illusoire au regard des délais ; peut-on espérer que, dans le laps de temps s'écoulant entre son information et la célébration du mariage, le tuteur ait le temps nécessaire pour saisir le juge et être autorisé à représenter le majeur protégé à la conclusion du contrat de mariage, sachant qu'en cas de difficultés, aucun sursis à cette célébration n'est prévu par la loi ?

Conseil pratique

Le notaire est ici en première ligne pour veiller aux intérêts de la personne protégée, aux lieu et place du juge, par la confection d'un contrat de mariage qui doit être adapté à sa situation personnelle et patrimoniale, mais aussi à celle de son conjoint
. À vrai dire, cette posture n'est guère surprenante tant il est vrai qu'elle cible le C?ur des missions du notariat. Elle suppose néanmoins, comme le soulignait le rapport Caron-Déglise, « de mettre en place un mécanisme d'information préalable du protecteur afin qu'il puisse utilement exercer sa faculté d'opposition et envisager, avec la personne protégée, la mise en place d'un tel contrat de mariage »
. De toute évidence, le notaire a ici aussi tout son rôle à jouer. Il lui appartient de procéder à un audit de la situation patrimoniale de la personne protégée et de celle de son futur conjoint, sans que celui-ci conduise nécessairement à l'adoption d'un régime conventionnel, si un tel régime ne se justifie pas. Selon nous, cette obligation s'impose d'ailleurs, en toute hypothèse, et non pas uniquement en présence d'un patrimoine important. La protection de la personne vulnérable implique, en effet, non seulement de la préserver de la dilapidation de ses biens, mais aussi du risque de survenance d'un passif financier de son conjoint
. Enfin, d'une manière générale, le notaire doit bien sûr se monter attentif à d'éventuels indices qui témoigneraient de la volonté dudit conjoint de profiter de l'état de faiblesse de la personne protégée.

- L'autonomie du tutélaire qui divorce. - Classiquement, si la personne protégée pouvait divorcer pour altération définitive du lien conjugal ou pour faute , elle ne pouvait emprunter la voie d'un divorce d'accord, qu'il s'agisse du divorce par consentement mutuel ou du divorce accepté, dans la mesure où ces derniers supposent une volonté libre et éclairée des époux qui, par définition, semblait lui faire défaut.
Rompant avec cette solution de principe, la loi du 23 mars 2019 a ouvert la faculté pour la personne protégée d'accepter seule le principe de la rupture du mariage (C. civ., art. 249). La possibilité d'un divorce consensuel est donc désormais ouverte pour les personnes protégées. Son interdiction absolue était fortement critiquée, notamment par le rapport du Défenseur des droits au regard des dispositions de la Convention internationale des droits des personnes handicapées. Le législateur a néanmoins maintenu l'interdiction du divorce par consentement mutuel, très certainement afin de s'assurer que la liquidation des droits patrimoniaux des personnes protégées reste sous le contrôle d'un magistrat.
Et pourtant, si l'obstacle lié à l'incompatibilité, qui - pour tout dire - nous semblait rédhibitoire, entre l'exigence d'une volonté éclairée inhérente à un divorce par essence consensuelle et l'existence d'une mesure de protection juridique est levé, pourquoi contraindre la personne protégée à emprunter la voie d'un divorce contentieux ? À vrai dire, si l'on estime que la personne protégée peut librement exprimer sa volonté sur le principe du divorce, peu importe la forme de divorce envisagée, qu'il s'agisse d'un divorce accepté ou d'un divorce par consentement mutuel. Certes, dans le premier cas, c'est au juge qu'il appartient de statuer sur les conséquences du divorce là où, dans le second, celles-ci reposent exclusivement sur l'accord des époux. C'est pourquoi il ne saurait être envisagé de permettre au tutélaire d'user du divorce par consentement mutuel, tout au moins dans sa forme extrajudiciaire. En revanche, ne pourrait-on pas imaginer d'ouvrir cette faculté, en la limitant expressément au divorce par consentement mutuel, dans sa forme judiciaire, aujourd'hui réservé à la seule hypothèse où l'enfant mineur des époux demande à être entendu par le juge (C. civ., art. 229-2, 1o, et 230 combinés ? Le majeur protégé y retrouverait, avec profit, la figure tutélaire du juge, en l'occurrence le juge aux affaires familiales et non le juge des tutelles, qui apprécierait non seulement l'équité de la convention, mais également l'efficience de sa volonté.
Bien évidemment, l'autonomie du majeur protégé ne saurait être totale. Si ce dernier doit pouvoir consentir librement à son divorce, comme il peut désormais le faire quant à son mariage, le premier n'étant pas moins personnel que le second, des conséquences néfastes sont toujours à redouter. Il s'agit donc d'élever une digue pour préserver ses intérêts pécuniaires et patrimoniaux. La difficulté tient ici au fait que, dans cette forme de divorce, l'accord des époux est non seulement dual, en ce qu'il porte tout à la fois sur la rupture du mariage et sur ses effets, mais aussi indivisible, l'un n'allant pas sans l'autre. Selon nous, les règles prévues pour la signature d'un pacte civil de solidarité (C. civ., art. 462), qui opèrent une distinction entre la signature de la convention (qui nécessite une assistance) et la déclaration conjointe (pour laquelle le tutélaire peur agir seul), pourraient servir de modèle. On pourrait ainsi imaginer que la volonté de divorcer par consentement mutuel appartienne à la personne protégée, tandis que l'assistance de son tuteur serait obligatoire dans le cadre de l'élaboration et de la signature de la convention, eu égard aux conséquences pécuniaires et patrimoniales qui en résultent . La protection du tutélaire se trouverait au surplus renforcée par la présence d'un avocat à ses côtés et, le cas échéant, d'un notaire si les époux sont propriétaires de biens soumis à publicité foncière.
En tout état de cause, si l'on devait demain admettre la possibilité pour le majeur protégé d'emprunter la voie d'un divorce par consentement mutuel, et en dépit de l'intervention du juge, il appartiendra aux acteurs de la protection (mandataire familial ou professionnel) et du divorce (avocat, notaire) d'apprécier l'aptitude du majeur à signer la convention ainsi que les éventuels abus dont il pourrait être la proie. En cas de doute, il sera plus sage de s'orienter vers un divorce contentieux. C'est du reste, en l'état du droit positif, un passage obligé.
- L'autonomie du tutélaire qui se pacse. - En matière de pacte civil de solidarité, l'autonomie a aussi fait son chemin. Le contraire eut été paradoxal.
S'agissant de la conclusion du Pacs, la personne en tutelle n'a pas à solliciter l'aval du juge et doit simplement être assistée de son tuteur lors de la signature de la convention par laquelle elle conclut un tel pacte alors qu'aucune assistance ni représentation ne sont requises lors de la déclaration conjointe devant l'officier de l'état civil ou devant le notaire instrumentaire (C. civ., art. 462, al. 1er).
Concernant la dissolution du Pacs, le majeur peut le rompre librement par déclaration conjointe ou par décision unilatérale, la représentation n'étant requise que pour la signification et les opérations de liquidation (C. civ., art. 462, al. 3 et 6).

Les règles relatives à la protection des biens

- Pouvoir de représentation du tuteur dans la sphère patrimoniale. - S'agissant de la protection des biens, l'article 496, alinéa 1er du Code civil dispose, et conformément à la pétition de principe, que : « Le tuteur représente la personne protégée dans les actes nécessaires à la gestion de son patrimoine ».
Il en résulte que, sauf en ce qui concerne les actes de la vie courante, en application de la maxime De minimis non curat praetor (C. civ., art. 473, al. 1er) ou en cas de permission du juge, en vertu de son pouvoir d'individualisation de la mesure (C. civ., art. 473, al. 2), c'est toujours le tuteur qui agit en lieu et place de la personne protégée, dans la sphère patrimoniale. Reste à savoir s'il dispose alors d'une complète liberté d'agir ou s'il doit, au rebours, requérir une autorisation pour ce faire.
- Distinction entre actes d'administration et actes de disposition . - S'agissant de la gestion du patrimoine du tutélaire, les articles 467, 504 et 505 du Code civil obligent à opérer une distinction claire entre les actes d'administration et les actes de disposition. En effet, il résulte d'une application combinée de ces textes que l'étendue des pouvoirs du tuteur varie en fonction de l'acte en cause. Ainsi, si le tuteur peut faire seul les actes d'administration, il doit solliciter une autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille lorsque celui-ci a été constitué pour les actes de disposition. Aussi importe-t-il de savoir exactement la qualification que revêt tel ou tel acte. Sur ce point, l'article 496 du Code civil précise, dans un premier temps, que les actes d'administration sont « relatifs à la gestion courante du patrimoine », tandis que les actes de disposition sont ceux qui « engagent celui-ci [le patrimoine] de manière durable et substantielle ». Si elles présentent tous les signes d'une parfaite orthodoxie juridique, ces définitions sont, à elles seules, impuissantes pour éradiquer les difficultés de qualification qui peuvent se poser en pratique. C'est pourquoi le législateur renvoie, dans un second temps, pour la qualification de chaque opération, à une liste d'actes fixée par décret (C. civ., art. 496, al. 3).
- Définition des actes de gestion. - La liste des actes de gestion de gestion du patrimoine de la personne protégée est fournie par le décret du 22 décembre 2008 . Ce texte affine d'abord une définition des actes de chaque catégorie. Ainsi constituent des actes d'administration « les actes d'exploitation ou de mise en valeur du patrimoine de la personne protégée dénués de risque anormal » (art. 1er), alors que les actes de disposition regroupent « les actes qui engagent le patrimoine de la personne protégée, pour le présent ou l'avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire » (art. 2). On constate que la distinction entre ces deux types d'actes repose, selon le décret, sur un critère essentiellement économique tenant compte de l'ensemble des répercussions, directes ou indirectes de l'acte sur le patrimoine de la personne protégée.
Le décret du 22 décembre 2008 comporte ensuite deux annexes dans lesquelles sont classifiés les actes de gestion les plus courants, en distinguant soigneusement ceux qui peuvent être regardés comme des actes d'administration et ceux qui peuvent être qualifiés d'actes de disposition. Cette liste est double : la première est objective et impérative et donne des qualifications non susceptibles d'être modifiées, tandis que la seconde est subjective et supplétive en ce qu'elle prévoit des qualifications susceptibles de changer au gré des circonstances d'espèce. Ces circonstances sont liées à la gravité de l'acte ou à son innocuité pour la personne protégée ou son patrimoine, mais aussi à l'impact de l'opération sur le mode de vie de la personne protégée . Il s'agit, par ces distinctions subtiles, de moduler les règles de capacité et de pouvoir en fonction de l'importance de l'acte par rapport au patrimoine de la personne protégée. L'impact d'un même acte n'ayant pas la même répercussion d'un patrimoine à l'autre, sa qualification doit varier en fonction de chaque situation.
- Les actes conservatoires. - À l'instar des actes d'administration, le tuteur a le pouvoir d'accomplir « seul les actes conservatoires » (C. civ., art. 504, al. 1er) . Ce type d'acte, contrairement aux actes d'administration et de disposition, n'est pas défini par le Code civil. Cette lacune de la loi a été comblée par le décret du 22 décembre 2008, lequel définit les actes conservatoires comme ceux « qui permettent de sauvegarder le patrimoine ou de soustraire un bien à un péril imminent ou à une dépréciation inévitable sans compromettre aucune prérogative du propriétaire ».
Partant, on peut distinguer parmi ces actes, par essence préventifs et nécessaires, ceux qui sont « naturellement conservatoires », dont la finalité première consiste dans la sauvegarde des intérêts patrimoniaux (par ex., l'inventaire et l'état descriptif, la nomination d'un séquestre, la déclaration de sinistre auprès d'un assureur, l'opposition à partage, etc.) et ceux qui sont « occasionnellement conservatoires » en ce qu'ils permettent, dans leur contexte, de parer un risque de disparition ou de dépréciation d'un bien (par ex., la vente d'un bien périssable, le paiement d'une dette afin d'éviter une saisie, des actes interruptifs ou suspensifs d'une prescription, etc.) .
- Les actes pour lesquels le tuteur peut s'adjoindre le concours de tiers. - L'article 452 du Code civil autorise le tuteur, par dérogation au principe de personnalité des charges tutélaires, à s'adjoindre sous sa propre responsabilité le concours d'un tiers majeur ne faisant pas l'objet d'une mesure de protection juridique, pour l'accomplissement de certains actes. Ces derniers sont listés par le décret du 22 décembre 2008. Il s'agit, d'une part, des actes conservatoires et, d'autre part, « des actes d'administration énumérés dans la colonne 1 des tableaux constituant les annexes 1 et 2 du présent décret, sous réserve qu'ils n'emportent ni paiement ni encaissement de sommes d'argent par ou pour la personne protégée » .
- Pouvoir de qualification du tuteur. - Le critère permettant de déterminer si une autorisation judiciaire doit être exigée par le tuteur pour accomplir tel acte déterminé dépend donc de la distinction entre les actes de conservation ou d'administration et les actes de disposition, opérée à l'aune de la liste fournie par le décret du 22 décembre 2008. C'est au tuteur qu'il appartient de décider si l'acte d'administration peut être considéré comme un acte de disposition selon les circonstances de l'espèce, ou inversement. De la même façon, c'est à lui d'estimer si un acte est conservatoire ou non. Bien évidemment, en contrepartie de ce pouvoir de qualification, le tuteur engage sa responsabilité. Il n'empêche qu'un tel pouvoir suscite une insécurité juridique, tant pour les tiers, notamment les cocontractants traitant avec le tuteur, que pour les praticiens, en particulier les notaires rédacteurs d'actes. Faut-il rappeler, en effet, que si le tuteur a accompli seul un acte qui ne pouvait l'être qu'avec l'autorisation du juge, sur la foi d'une qualification erronée, « l'acte est nul de plein droit sans qu'il soit nécessaire de justifier d'un préjudice » (C. civ., art. 465, al. 1er, 4o).
- Les actes interdits au tuteur. - Certains actes sont interdits au tuteur, même avec une autorisation judiciaire (C. civ., art. 509, al. 1er). Cette prohibition concerne, d'une part, les actes dangereux pour la personne protégée en ce qu'ils emportent une aliénation gratuite de ses biens ou de ses droits. Sont notamment visées, à ce titre, la remise de dette, la renonciation anticipée à l'action en réduction, ou encore la mainlevée d'hypothèque ou de sûreté sans paiement. L'interdiction vise, d'autre part, les actes susceptibles de faire naître un conflit d'intérêts entre la personne protégée et son tuteur. On peut notamment citer, à cet égard, l'exercice du commerce ou d'une profession libérale au nom de la personne protégée, l'acquisition des biens de la personne protégée ou leur prise à bail, mais aussi les transferts dans un patrimoine fiduciaire des biens ou des droits de la personne protégée.

La déjudiciarisation renforcée des règles de protection

- Déjudiciarisation de certains actes de gestion patrimoniale. - Certaines autorisations préalables du juge qui étaient nécessaires pour permettre au tuteur d'accomplir seul des actes de gestion relatifs au patrimoine du tutélaire, parce qu'elles n'apportaient « aucune plus-value en termes de protection du majeur voire même, retard[ai]ent parfois des actes nécessaires » , ont été supprimées par loi du 23 mars 2019.
Cette déjudiciarisation touche notamment la gestion des comptes bancaires. Classiquement, l'article 427 du Code civil organisait la protection des comptes bancaires en exigeant une autorisation préalable du juge des tutelles pour toute ouverture, modification ou clôture de compte ouvert au nom de la personne protégée. La finalité de cette autorisation préalable était double : mettre fin à la pratique des comptes pivots, en exigeant que les fonds soient déposés exclusivement sur des comptes ouverts au nom de la personne protégée, et éviter que la mise en place d'une mesure de protection conduise systématiquement à la clôture des comptes habituels de la personne protégée pour être rouverts auprès des établissements partenaires des mandataires judiciaires à la protection de la personne. Désormais, le juge n'a plus à être saisi pour une modification de compte, l'article 427 du Code civil limitant la nécessité d'une autorisation du juge des tutelles aux ouvertures de comptes dans un établissement bancaire autre que le ou les établissements habituels de la personne protégée et aux clôtures des comptes ou livrets ouverts avant le prononcé de la mesure de protection au nom de la personne protégée. Cette modification a ainsi pour finalité d'éviter la multiplication des ordonnances rendues par le juge et des notifications relevant du greffe qui s'ensuivent, pour des décisions qui ne portent pas atteinte aux habitudes de la personne protégée. Ainsi, par exemple, l'ouverture d'un livret A dans l'établissement habituel d'un majeur protégé est une décision qui ne nécessite plus l'autorisation préalable du juge des tutelles .
Dans la foulée, la loi a supprimé la soumission, pour les personnes dont la mesure est prise en charge par un préposé d'établissement, de la gestion des comptes aux règles de la comptabilité publique, qui était souvent jugée inappropriée .
L'assouplissement de la protection des comptes de la personne protégée a trouvé son prolongement sur le terrain des conventions d'obsèques et de la gestion des valeurs mobilières et instruments financiers de la personne protégée. Désormais, le tuteur peut conclure seul de tels contrats (C. civ., art. 500, al. 3 ; C. assur., art. L. 132-3, al. 1er et L. 132-4-1, al. 2 ; C. mut., art. L. 223-5, al. 1er). La loi confie, par ailleurs, au tuteur le soin d'inclure, dans les frais de gestion, la rémunération des administrateurs particuliers dont il sollicite le concours sans qu'il soit besoin d'en demander l'autorisation au juge (C. civ., art. 500, al. 2).
D'autres actes déjudiciarisés se trouvent au C?ur de la pratique notariale et méritent de ce fait une attention toute particulière dans le cadre du présent rapport.

Conseil pratique

Les notaires doivent se montrer particulièrement attentifs à cette faculté octroyée au tuteur, car elle lui permet, notamment en cas de vente d'un immeuble appartenant à un majeur protégé, le placement du prix sur un compte « ouvert à son seul nom et mentionnant la mesure de tutelle » (C. civ., art. 498). En revanche, il en va différemment lorsqu'il est question de verser le prix de vente revenant au tutélaire sur un contrat d'assurance-vie ou sur un compte titres, car ces opérations financières s'analysent comme un emploi ou un remploi, qui demeurent encadrés par le conseil de famille ou, à défaut, le juge (C. civ., art. 501)
.

- Le partage amiable. - La déjudiciarisation voulue par le législateur a atteint le partage amiable, alors même que cette opération est classée dans les actes de disposition par le décret du 22 décembre 2008. C'est du reste la raison qui justifie que l'article 507 du Code civil prévoyait, dans sa version antérieure, que le partage amiable à l'égard du majeur en tutelle devait être autorisé par le conseil de famille ou le juge des tutelles qui désignait, si nécessaire, un notaire pour y procéder. Désormais, l'autorisation du conseil de famille ou du juge n'est plus requise (C. civ., art. 507, al. 1er a contrario). Il peut y être désormais recouru par le tuteur, sans autorisation judiciaire. Pour autant, la déjudiciarisation reste ici doublement cantonnée.
D'une part, le juge n'est écarté qu'en l'absence d'opposition d'intérêts entre la personne vulnérable et son représentant. En présence d'une telle opposition, il doit autoriser le partage. Mais encore faut-il que le conflit d'intérêts soit porté à sa connaissance, ce qui soulève en creux la question de sa sanction. Le texte n'impose pas la désignation d'un tuteur ad hoc. Si l'acte est notarié, ce qui est obligatoire en présence de biens soumis à publicité foncière (C. civ., art. 835, al. 2), à tout le moins pour espérer une opposabilité aux tiers , il appartient au notaire de soulever le conflit d'intérêts soit en sensibilisant le tuteur qui devra se retourner vers le juge ou le conseil de famille s'il a été constitué en vue de la nomination d'un tuteur ad hoc (C. civ., art. 455, al. 1er), soit en saisissant le procureur de la République à cette fin (C. civ., art. 455, al. 2).
D'autre part, l'état liquidatif, préalable nécessaire à tout partage , demeure subordonné à l'approbation du juge. Cette dernière devra donc être sollicitée, comme par le passé, avant la signature du partage. À notre sens, cette dissociation entre la liquidation (soumise à l'approbation judiciaire) et le partage (libre sauf si opposition d'intérêts entre la personne protégée et le tuteur) apparaît quelque peu superficielle. Soit l'état liquidatif - ce qui est le cas le plus fréquent - prend la forme d'un projet de « liquidation-partage » comportant des propositions d'attributions, de sorte que soumettre l'un au contrôle du juge aboutit implicitement à y assujettir l'autre ; soit l'état liquidatif se contente de fixer les droits des parties, et l'on voit difficilement alors pourquoi les opérations de compte (liquidation) seraient soumises à contrôle et non la répartition des biens (partage) qui s'en suivra, laquelle pourrait pourtant aboutir à des attributions préjudiciables à la personne protégée, en dépit de ses droits « mathématiques » dans l'indivision, approuvés par le juge . Dans le premier cas, la déjudiciarisation est un leurre ; dans le second, elle est source de danger pour le tutélaire. En tout état de cause, compte tenu du lien irréductible qui les lie, nous comprenons difficilement la dissociation opérée par la loi entre l'état liquidatif et le partage : soit ils doivent être approuvés globalement par le juge, soit ils doivent tous deux en être dispensés.
Des raisons militent indubitablement en faveur de la première thèse. Il convient en effet d'avoir à l'esprit que le partage n'a parfois d'amiable que le nom et qu'il requiert souvent, quoi qu'il en soit, des compétences techniques qui échappent en général - sans que l'on puisse leur en faire le reproche - aux tuteurs, auxquels il est difficile de demander de maîtriser le mécanisme de la dette de valeur ou les subtilités de calcul relatives aux récompenses, aux créances entre époux ou aux comptes d'indivision. Bien évidemment, le tuteur peut se faire assister du notaire de son choix, mais ce n'est nullement une obligation dans cette phase. En somme, une méconnaissance des intérêts de la personne protégée est toujours à craindre. Il n'empêche que préconiser un retour vers une judiciarisation globale du process reviendrait clairement à nager à contre-courant de l'évolution actuelle. Au rebours, il faut très certainement se résoudre à voir la déjudiciarisation toucher prochainement l'état liquidatif, qui n'aura plus à être soumis au juge pour approbation. Les notaires doivent se préparer à cette évolution prévisible, qui aura le mérite d'uniformiser les règles de la protection des majeurs avec celles des mineurs sous administration légale (C. civ., art. 387-1) . Il s'agira alors pour le notaire appelé à intervenir dans cette phase, aux côtés de la personne protégée, d'être vigilant et de ne pas hésiter, en cas de doute sur l'équilibre de l'accord envisagé, à orienter son client vers le partage judiciaire.
- L'acceptation pure et simple de la succession. - La déjudiciarisation atteint une autre opération classée dans les actes de disposition par le décret du 22 décembre 2008 : l'acceptation pure et simple de la succession au nom du majeur en tutelle. Celle-ci ne requiert plus aujourd'hui l'autorisation préalable du conseil de famille ou du juge dès lors qu'il est démontré par une attestation du notaire chargé du règlement de la succession que l'actif dépasse manifestement le passif (C. civ., art. 507-1). C'est donc le notaire qui se trouve substitué au juge pour délivrer, sous sa responsabilité, le sésame au protecteur. À l'évidence, dans les faits, la prudence impose qu'il ne délivre pas trop précipitamment ladite attestation, laquelle suppose connu l'ensemble des dettes grevant la succession, ce qui peut parfois prendre du temps. Pour les successions non réglées par un notaire ou dans le cas où il n'est pas envisageable de produire une attestation selon laquelle la succession est manifestement bénéficiaire, l'autorisation préalable du conseil de famille ou du juge reste requise.
Cette proposition, que le Conseil supérieur du notariat a formulée notamment en 2014 dans le « Livre blanc des simplifications du droit », a pour avantage d'accélérer le règlement de la succession. C'est donc une mesure tout à fait opportune. Cependant il conviendrait, pour plus de cohérence, que le dispositif portant sur l'administration légale des biens de l'enfant soit également modifié (C. civ., art. 387-1) . Il est en effet difficilement compréhensible que les formalités d'acceptation pure et simple de la succession soient simplifiées en cas de tutelle et non en cas d'administration légale.
On peut également se demander si cette déjudiciarisation ne devrait pas être étendue, dans un souci de cohérence, à l'acceptation pure et simple d'un legs universel ou à titre universel. En effet, la différence de traitement avec l'acceptation pure et simple de la succession est malaisée à comprendre. Certes, le legs peut être assorti d'une charge, mais tout comme la succession ab intestat peut être déficitaire. À notre sens, la solution éprouvée pour l'une peut être dupliquée pour l'autre. Autrement dit, il pourrait être confié au notaire le soin d'apprécier la charge éventuelle et d'attester de la « viabilité » du legs, comme il atteste aujourd'hui de celle d'une succession, pourtant susceptible d'être grevée de dettes.
Dans la foulée, on pourrait également songer à étendre la déjudiciarisation à la révocation de la renonciation à une succession ou à un legs universel ou à legs à titre universel (C. civ., art. 807), dans la mesure où une telle révocation aboutit à une acceptation pure et simple de la succession, qui ne nécessite plus l'autorisation préalable du juge. En la forme, et par principe, la révocation expresse de la renonciation donne lieu à une déclaration suivant des modalités identiques à celles applicables à la renonciation elle-même (CPC, art. 1340), ce qui postule qu'elle doive être adressée ou déposée par l'héritier ou le notaire au greffe du tribunal de grande instance (CPC, art. 1339), lequel inscrit la déclaration dans un registre tenu à cet effet et en adresse ou délivre récépissé au déclarant ou au notaire. En l'occurrence, ce formalisme ne saurait dispenser le tuteur de se munir en outre d'une attestation du notaire chargé du règlement de la succession, visant à témoigner que l'actif dépasse manifestement le passif ou, à défaut, de l'autorisation préalable du conseil de famille ou du juge.