La protection du logement par le droit viager

La protection du logement par le droit viager

Le droit viager au logement a vocation à prendre le relais du droit temporaire à la fin de l'année qui suit le décès avec une fonction identique : assurer au conjoint survivant, de façon pérenne, un toit et le maintien de son cadre de vie. Ce droit ne bénéficie qu'à l'époux successible qui, comme pour le droit temporaire au logement, occupe effectivement le bien immobilier à titre de résidence principale au moment de l'ouverture de la succession. Seul ce logement est concerné par la loi ; sa définition est la même que celle retenue par l'article 763 du Code civil.
Contrairement à l'article 763 du Code civil, le droit viager issu de l'article 764 du même code n'est pas alloué au survivant en plus de ses droits. Il s'exerce concurremment avec ceux-ci.
Ce texte s'applique aux successions ouvertes à compter de la publication de la loi du 3 décembre 2001 au Journal officiel, soit le 4 décembre 2001, s'agissant des époux.

Le droit viager au logement : mise en œuvre

À la différence du droit temporaire annuel, le droit viager au logement est un droit réel de nature successorale.
- Droit réel. - Il doit être publié , par le notaire chargé du règlement de la succession, au service de la publicité foncière du lieu de la situation de l'immeuble. Le droit viager au logement s'exerce de façon différente si l'immeuble est détenu en propriété ou loué. Lorsque le logement est détenu en propriété, le conjoint peut prétendre à un droit d'habitation sur celui-ci et à un droit d'usage sur le mobilier le garnissant. Lorsqu'il est loué, le conjoint bénéficie uniquement d'un droit d'usage viager sur le mobilier. Dans cette dernière hypothèse, comme nous l'avons évoqué précédemment, le conjoint survivant bénéficie alors pour se maintenir dans les lieux des dispositions de l'article 1751 du Code civil ou, à défaut, des règles issues du droit commun des baux d'habitation (L. no 89-462, 6 juill. 1989, art. 14).
Compte tenu de la particularité du droit viager, il est de l'intérêt de toutes les parties qu'il soit dressé un état du logement et un inventaire des meubles le garnissant.
Le conjoint survivant n'a pas à fournir caution.
- Conditions d'exercice de ce droit. - Le logement qu'occupait à l'époque du décès le conjoint survivant à titre d'habitation principale, doit appartenir aux époux ou dépendre totalement de la succession. En ce cas, le droit viager ne s'applique pas si des tiers sont indivisaires . Le conjoint survivant ne bénéficie alors que du droit temporaire au logement d'un an par le versement d'une somme correspondant à une indemnité d'occupation tel que prévu à l'article 763 du Code civil. À tout le moins, il possède un droit viager d'usage sur le mobilier si celui-ci ne dépend pas d'une indivision.
- Lorsque le bien est la propriété d'une société civile immobilière, l'article 764 du Code civil n'a pas vocation à s'appliquer. La protection du conjoint est alors à rechercher dans le contrat qui liait les époux et la société propriétaire. Si un bail a été conclu entre la société civile immobilière et le couple, la protection issue des articles 763 et 1751 du Code civil aura vocation à jouer. Si la jouissance du bien résultait d'un prêt à usage (commodat), la jouissance se poursuivra suivant les clauses et conditions de la convention .
- Droit viager et option successorale. - Le législateur ne s'étant pas prononcé sur le fait de savoir si le conjoint survivant devait ou non avoir accepté la succession ab intestat pour pouvoir se prévaloir du droit viager prévu à l'article 764 du Code civil, la question reste posée et la doctrine divisée. Certains auteurs considèrent que ces droits viagers sont intimement liés à la vocation légale du conjoint survivant. Ainsi pour M. Vernières, « le droit viager s'analysant comme un droit de nature successorale, c'est en sa qualité d'héritier que le conjoint devrait pouvoir y prétendre, qualité qu'il perd s'il est indigne ou renonce à la succession » . Toutefois pour cet auteur, l'option pour bénéficier du droit viager s'exercera indépendamment de l'option successorale de droit commun. D'autres auteurs mettent en avant l'autonomie de ce droit viager qui participe d'une volonté affirmée de protection du logement et du cadre de vie de l'époux. Dès lors, le droit viager qui se rapproche d'une succession anomale doit faire l'objet d'une option indépendante . Si l'on retient cette seconde analyse, le conjoint survivant (même indigne) peut donc renoncer à la succession et exercer son droit viager au logement. Cette question n'a pas à ce jour été tranchée par la jurisprudence. Si le défunt a exhérédé son conjoint, ce dernier bénéficie tout de même des droits viagers sauf s'il en a été privé par testament authentique (C. civ., art. 764, al. 1).
- Caractère supplétif du droit viager. - Le droit viager n'est pas d'ordre public, de sorte que le conjoint se trouve exposé au risque d'une exhérédation à la condition que celle-ci soit formulée dans un testament authentique qui requiert la présence de deux notaires ou d'un notaire assisté de deux témoins. Il convient d'interpréter strictement cette condition dont l'objet est de s'assurer que le testateur a eu pleine conscience de la portée de sa décision. Ce formalisme est exigé même en présence de dispositions à cause de mort antérieures à l'entrée en vigueur de la loi du 3 décembre 2001 qui a institué les droits temporaire et viager du conjoint sur son logement . Ce formalisme authentique doit certainement s'appliquer à toute disposition testamentaire qui aboutirait à supprimer de façon indirecte ou à restreindre l'application du droit viager. Ainsi un legs à un tiers portant sur le logement ne privera le conjoint survivant de son droit viager que si cette disposition figure de manière explicite dans un testament authentique. Certes, selon certains auteurs, un tel legs établi en la forme authentique vaudrait exhérédation implicite des droits viagers. Toutefois, la solution n'allant pas de soi dans la mesure où le legs du logement n'est pas incompatible avec l'exercice par le conjoint de son droit d'usage et d'habitation, il est prudent de recourir à une disposition explicite qui préviendra toute volonté contraire.
La forme authentique se révélera également indispensable si le testateur entend interdire à son conjoint toute mise en location de son logement alors que celui-ci n'est plus adapté à ses besoins ou encore s'il entend limiter dans le temps le droit d'usage et d'habitation.
Bien entendu, rien n'interdit à l'époux d'aménager de façon plus favorable le droit viager au logement aux termes d'un testament qui pourra être olographe, bien que le conseil d'un praticien soit le bienvenu pour s'assurer de l'efficacité des clauses testamentaires.
- Articulation du droit de retour des collatéraux privilégiés (C. civ., art. 757-3) avec le droit viager au logement. - Selon le ministère de la Justice, le droit de retour légal dont bénéficient les collatéraux privilégiés en présence d'un conjoint survivant, sur le logement reçu par le défunt par donation ou succession, ne ferait pas obstacle à l'exercice par l'époux de ses droits viagers d'habitation et d'usage . Si cette position est conforme à l'esprit de la loi qui entend protéger le conjoint survivant, elle conduit à s'interroger sur la nature du droit de retour des collatéraux privilégiés . Ce point n'a pas été tranché par la jurisprudence.
- Délai et formalisme de la demande du conjoint survivant. - Selon l'article 765-1 du Code civil, le conjoint successible a une année pour revendiquer le bénéfice à son profit du droit viager . Ce droit n'est pas applicable spontanément, il est nécessaire qu'il soit demandé par le conjoint. Cette manifestation de volonté n'est soumise à aucun formalisme. Dans un arrêt du 13 février 2019, la Cour de cassation rappelle que la manifestation de volonté peut être tacite. Elle considère que le conjoint survivant qui s'est maintenu dans les lieux et qui, d'une part, a fait valoir dans une assignation en partage judiciaire délivrée à son cohéritier dans les quatre mois du décès, son intention de conserver le logement et, d'autre part, a demandé au notaire d'établir un projet d'acte de notoriété confirmant cette volonté, a manifesté tacitement sa volonté de bénéficier du droit viager au logement. Ceci étant, il est toutefois recommandé au conjoint survivant de formuler sans ambiguïté sa demande par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par exploit d'huissier soit auprès des héritiers, soit auprès du notaire chargé du règlement de la succession, dans l'année suivant le décès.

La portée du droit viager au logement

- Modalités d'exercice du droit viager. - Les droits d'habitation et d'usage du conjoint s'exercent dans les conditions prévues aux articles 627, 631, 634 et 635 du Code civil. Dès lors, celui-ci doit exercer ses droits raisonnablement et devra assumer les réparations d'entretien et le paiement des contributions comme un usufruitier (ou au prorata s'il n'occupe qu'une partie du logement ou ne perçoit qu'une partie des fruits). Il ne lui est pas permis de céder son droit viager (C. civ., art. 631 et 634). Ce droit a vocation à s'éteindre au plus tard au décès de son titulaire. Il peut toutefois prendre fin du vivant de l'époux qui en est le bénéficiaire, notamment par l'effet d'une déchéance en cas d'abus de jouissance, par la perte du bien ou l'expropriation pour cause d'utilité publique. Le conjoint survivant bénéficie d'une indemnité versée par l'assurance en cas de dépréciation du bien lié à un risque couvert par une police. La même solution vaut en cas d'expropriation publique. Ce droit peut également faire l'objet d'une conversion en une rente ou un capital. Bien que l'article 631 du Code civil interdise à l'usager de louer, cette interdiction comporte une exception pour le conjoint.
- Conversion du droit viager. - Le conjoint et ses cohéritiers peuvent par convention convertir les droits d'habitation et d'usage en une rente viagère ou un capital (C. civ., art. 766). Cette conversion est soumise à un accord unanime des parties. La jurisprudence applique le barème de l'usufruit économique . En revanche, la doctrine préconise d'utiliser la référence au loyer que peut dégager l'immeuble. En cas de choix pour une rente viagère, le rédacteur sera avisé d'insérer une clause d'indexation, l'indice du coût de la construction étant un choix judicieux. Si le choix des parties se porte sur l'attribution d'un capital, il est prévu de retenir la valeur locative mensuelle du bien, de la traduire en valeur annuelle et d'appliquer le barème des compagnies d'assurance pour le calcul de la capitalisation d'une rente.
- Autorisation de consentir un bail sous certaines conditions. - Le droit viager est un droit « d'habitation bonifié » . C'est ainsi que l'époux survivant peut donner à bail l'immeuble (à un usage autre que commercial et rural) et en percevoir les loyers lorsque trois conditions précises sont remplies :
  • le constat d'une inadaptation du logement à ses besoins ;
  • la définition d'un nouvel hébergement plus adapté ;
  • l'insuffisance des ressources du conjoint pour y pourvoir.
Le législateur n'a prévu aucun contrôle du respect de ces conditions, ni aucune information à délivrer aux héritiers ou autorisation préalable à solliciter d'eux. Toutefois, il sera préférable qu'ils en aient connaissance pour prévenir tout conflit. N'oublions pas que le conjoint survivant peut se voir frappé d'une interdiction de louer ou d'une restriction de location par un testament authentique établi par le défunt. Dans cette hypothèse, le droit viager dégénère en un droit d'habitation de droit commun.
- Droit prévalant sur l'attribution préférentielle. - Les droits résultant de l'attribution préférentielle ne préjudicient pas aux droits viagers d'habitation et d'usage que le conjoint peut exercer en vertu de l'article 764 (C. civ., art. 831-3). Dès lors, l'héritier qui se verrait attribuer le logement à ce titre devrait respecter le droit d'habitation et d'usage du conjoint bénéficiaire des droits viagers.
- Évaluation, fiscalité et publicité foncière. - Fiscalement, le droit viager est évalué à 60 % (CGI, art. 762 bis) de la valeur de l'usufruit et est donc déduit de la part des autres héritiers. Pour la liquidation civile, il est bien évidemment préférable de retenir la valeur civile de l'usufruit civil . À l'image de tout droit réel immobilier, le droit viager au logement doit faire l'objet d'une publication au fichier immobilier. Il appartient donc d'établir un acte d'attestation immobilière constatant ce droit et de le publier au service de la publicité foncière.

L'imputation des droits d'habitation et des droits légaux du conjoint

- Ordre d'imputation. - L'article 765 du Code civil énonce l'ordre des imputations. Selon son alinéa 1er : « La valeur des droits d'habitation et d'usage s'impute sur la valeur des droits successoraux recueillis par le conjoint ». Les droits viagers sont traités comme une attribution prioritaire. Le législateur n'ayant pas été jusqu'à accorder au conjoint la gratuité de l'octroi de ces droits, ils ne s'ajoutent pas aux droits que le conjoint recueille au titre de la dévolution . En conséquence, le conjoint recevra sa part successorale amputée de la valeur de ce droit viager.
Le législateur a prévu une alternative :
  • si la valeur des droits d'habitation et d'usage est inférieure à la valeur des droits successoraux recueillis par le conjoint, celui-ci pourra percevoir le complément sur les biens existants. Il s'agit pour l'époux d'une simple faculté. Il peut choisir de ne pas solliciter ce complément ;
  • si cette valeur est supérieure, le conjoint « n'est pas tenu de récompenser la succession à hauteur de cet excédent », ce qui lui est particulièrement favorable.
En présence d'une libéralité consentie par le défunt de son vivant à son conjoint, se pose un problème lié à l'ordre d'imputation de celle-ci. Aux termes de l'article 758-6 du Code civil, cette libéralité doit s'imputer elle aussi sur les droits légaux du conjoint. Est-ce donc cette libéralité ou le droit viager profitant au conjoint qui doit s'imputer en premier ? Certains auteurs donnent la primauté au droit viager eu égard à la faveur particulière qu'a entendu lui réserver le législateur . D'autres auteurs sont d'un avis inverse par application des règles classiques d'imputation.
Notons que les droits viagers se trouvent naturellement compris dans l'usufruit universel dont bénéficie le conjoint survivant par l'effet de la loi ou la volonté du prémourant. Il n'y a pas ici d'utilité à pratiquer une imputation. Il en est de même quand le conjoint recueille la pleine propriété de la succession. L'évaluation des droits légaux aux fins d'imputation n'a dès lors d'intérêt que lorsque l'époux survivant a vocation à recevoir dans la succession une quote-part en pleine propriété ou en usufruit.