- Plan. - Parce que l'habilitation familiale est une mesure qui non seulement peut se révéler incapacitante, mais qui se révèle également protéiforme en pouvant présenter différents visages (Sous-section I), la question de sa publicité est particulièrement sensible (Sous-section II).
La mise en place de l'habilitation familiale
La mise en place de l'habilitation familiale
L'étendue de la mesure
- Habilitation représentation ou assistance ? - Outre la possibilité d'habiliter un proche à représenter la personne à protéger, l'article 494-1, alinéa 2 du Code civil permet désormais une habilitation « assistance » qui obéit, puisqu'il est fait renvoi exprès à l'article 467, aux règles gouvernant la curatelle. Par ailleurs, le juge peut toujours décider de mettre en place une habilitation spéciale ou générale.
Il faudra voir, avec le temps, quelle sera l'utilisation faite de l'habilitation « assistance ». Sans faire de pari sur l'avenir, on peut penser que le juge, qui doit statuer sur l'étendue de l'habilitation en s'assurant que le dispositif projeté est conforme aux intérêts patrimoniaux et, le cas échéant, personnels de la personne concernée (C. civ., art. 494-5), favorisera plutôt, par prudence, la représentation
.
Il pourra toujours panacher cette technique avec celle de l'assistance dans la même habilitation familiale, puisque rien dans les textes ne paraît interdire une telle combinaison. Dans les faits, il faudra cependant voir si les juges se montreront audacieux. Nous aurions tendance à penser, peut-être à tort, qu'ils préféreront la simplicité d'une seule technique plutôt que de s'adonner aux joies du sur-mesure.
C'est finalement dans ce texte, qui reste très souple dans la définition par le juge des pouvoirs de la personne habilitée, que l'on retrouve une logique proche de la mesure unique préconisée par le rapport Caron-Déglise : le juge doit définir l'étendue de l'habilitation et la nature de celle-ci - assistance ou représentation - en fonction des besoins de la personne visée par l'habilitation.
- Habilitation spéciale ou générale ? - L'article 494-6 du Code civil fait ici la distinction suivant que l'habilitation est spéciale ou générale.
L'habilitation spéciale est délivrée pour un ou plusieurs actes déterminés énumérés par le juge des tutelles dans le jugement d'ouverture de la mesure. Elle présente l'avantage de répondre, à l'image de la sauvegarde de justice, à un besoin ponctuel de protection.
« Si l'intérêt de la personne à protéger l'implique », l'habilitation peut aussi être générale (C. civ., art. 494-6, al. 5). Elle peut alors porter sur tous les actes (patrimoniaux et personnels) ou sur tous les actes patrimoniaux ou sur tous les actes personnels, dans le respect des articles 457-1 à 459-2 du Code civil. Un tel renvoi signifie que la personne protégée reste donc autonome dans le gouvernement de sa personne. À l'instar de la curatelle, l'habilitation familiale n'empêche pas le majeur protégé d'exercer son droit de vote et d'être éligible, ni de se marier, de divorcer ou de conclure un pacte civil de solidarité, par exemple.
L'habilitation « assistance » peut-elle être spéciale ?
L'option ouverte au juge de prévoir une habilitation spéciale ou générale, applicable depuis l'origine à l'habilitation « représentation », soulève des interrogations concernant l'habilitation « assistance ». Celle-ci est gouvernée, par principe, par les règles de la curatelle. Or, on sait que le seul panachage possible en curatelle réside dans la faculté offerte au juge de prévoir une curatelle renforcée (C. civ., art. 472). En dehors de cette hypothèse, l'assistance ne peut être que générale. Il reste à savoir si cette faculté, même limitée, est applicable à l'habilitation familiale. Autrement dit, les textes permettent-ils d'envisager une habilitation « assistance renforcée » avec perception des revenus et paiement des dépenses auprès des tiers par la personne habilitée ? Certes, l'absence de renvoi à l'article 472 du Code civil permet d'en douter. Cela étant, la large faculté offerte au juge de modeler l'intensité de l'habilitation familiale selon les besoins de la personne protégée milite pour une réponse positive.
La publicité de la mesure
- L'existence de la mesure. - Si la fonction première de la publicité est de rendre opposable la mesure de protection erga omnes, elle sert aussi à la connaissance effective par les professionnels concernés des effets de la mesure. Cette connaissance joue également en faveur de la personne protégée, ainsi assurée, dans un souci de protection, de la diffusion de la mesure dont elle fait l'objet. Or, toutes les habilitations familiales ne donnent pas lieu à publicité.
Seule est soumise à cette formalité, à l'instar d'une tutelle ou d'une curatelle, l'habilitation familiale générale (C. civ., art. 494-6, al. 8). Un extrait de la décision est transmis par tout moyen au greffe du tribunal de grande instance dans le ressort duquel est née la personne faisant l'objet de l'habilitation familiale, aux fins de conservation au répertoire civil et de publicité en marge de l'acte de naissance (CPC, art. 1233).
Lorsqu'elle est spéciale, l'habilitation familiale ne fait l'objet d'aucune publicité. L'absence de publicité de la mesure est un facteur d'insécurité juridique, maintes fois dénoncé
, car la personne protégée perd alors la capacité d'exercer les droits confiés à la personne habilitée (C. civ., art. 494-8, al. 1er). Or, les actes qu'elle effectue au mépris de cette incapacité d'exercice sont entachés d'une nullité de plein droit « sans qu'il soit nécessaire de justifier d'un préjudice » (C. civ., art. 494-9, al. 1er), à moins que le contractant de la personne protégée établisse l'utilité de l'acte pour celle-ci ou le profit qu'elle en a retiré (C. civ., art. 1150 et 1151). La sanction est du reste la même dans le cas d'un acte conclu par la personne habilitée qui n'entre pas dans le champ d'application de l'habilitation (C. civ., art. 494-9, al. 5). À défaut de toute publicité, le notaire n'aura pas toujours les moyens d'être informé et il aura tout intérêt, en cas de doute sur la capacité du contractant, à interroger le greffe du tribunal d'instance pour savoir si le juge n'a pas ordonné une habilitation spéciale en vue de passer l'acte concerné. C'est ici un des défauts majeurs du mécanisme, qui oblige le praticien à la prudence.
- Le périmètre de la mesure. - Une fois la mesure connue, encore faut-il savoir quelles en sont les modalités. La loi permet au juge de mettre en ?uvre une mesure individualisée, à plusieurs degrés, plus adaptée, ce qui est intéressant pour la personne protégée mais dangereux pour le professionnel, et notamment pour le notaire appelé à passer un acte avec une partie qui fait l'objet d'une habilitation familiale. Comment connaître l'étendue de la mesure ? La publicité de la mesure, toujours défaillante s'agissant de l'habilitation spéciale, sera-t-elle aménagée en conséquence ? En l'état, la solution consiste pour le notaire à obtenir obligatoirement copie de l'ordonnance du juge, en espérant que celle-ci soit claire. À cet égard, le rapport Caron-Déglise constatait que les mandataires judiciaires à la protection des majeurs et les familles se plaignaient de ce que les jugements étaient souvent peu motivés, les juges utilisant des trames préétablies. À l'évidence, les décisions judiciaires doivent être précises sur le contenu de l'habilitation familiale et indiquer expressément dans quels cas l'habilitation est générale ou spéciale, et pour quels actes la personne habilitée sera amenée à assister ou à représenter la personne protégée. À défaut, dans les faits, les professionnels se trouvent souvent contraints d'adapter le niveau de la mesure en fonction du cadre d'assistance ou de représentation fixé par le juge, avec tous les problèmes de responsabilité, de sécurité juridique et de validité de l'acte induits.