La curatelle

La curatelle

- Autonomie du curatélaire renforcée par rapport au tutélaire. - La curatelle, contrairement à la tutelle, est un régime d'assistance et non de représentation. Cela étant, l'étendue des pouvoirs conférés, d'une part, à la personne protégée et, d'autre part, à son mandataire varie en fonction de l'acte en cause, ce qui renvoie à la distinction déjà envisagée, en matière de tutelle, entre les actes d'administration et les actes de disposition, aujourd'hui définie par le décret du 22 décembre 2008.
En application de l'article 467, alinéa 1er du Code civil, « la personne en curatelle ne peut, sans l'assistance du curateur, faire aucun acte qui, en cas de tutelle, requerrait une autorisation du juge ou du conseil de famille ». En d'autres termes, cela signifie que les actes de disposition impliquent, par principe, l'assistance du curateur, sans qu'il soit utile de solliciter le juge pour obtenir une autorisation . Le curateur peut cependant refuser son assistance, auquel cas le majeur protégé peut saisir le juge afin d'obtenir une autorisation d'accomplir seul l'acte en question (C. civ., art. 469, al. 3). En revanche, le curatélaire peut accomplir seul les actes conservatoires et d'administration relatifs à son patrimoine (C. civ., art. 467 et, sur renvoi, C. civ., art. 504 et 505).
Par dérogation à ces règles de principe, le juge peut toutefois, à tout moment, « énumérer certains actes que la personne en curatelle a la capacité de faire seule ou, à l'inverse, ajouter d'autres actes à ceux pour lesquels l'assistance du curateur est exigée » (C. civ., art. 471 et ancien art. 511). Cette disposition permet de mieux adapter la règle de droit à la situation de fait, de tenir compte de l'état de santé du majeur protégé ou des nécessités particulières de la gestion des biens. Mais le juge doit veiller à rester dans un système d'assistance et à ne pas transformer la curatelle en régime de représentation.

À qui incombe la qualification des actes ?

Le décret du 22 décembre 2008 ne précise pas à qui, du curateur ou du curatélaire, incombe le travail de qualification des actes. Les textes se contentent de viser le « tuteur », si bien qu'ils semblent faire reposer, par mimétisme, le travail de qualification sur le curatélaire. Ce dernier pourrait ainsi décider, en fonction des circonstances de l'espèce, de conclure seul un acte pour lequel l'assistance du curateur est en principe requise. Une telle solution paraît, de toute évidence, contraire tout à la fois à un souci élémentaire de sécurité et à la mission d'assistance et de contrôle du curateur (C. civ., art. 440). En effet, celui-ci manquerait à ses devoirs s'il laissait la personne protégée conclure des actes manifestement contraires à ses intérêts et négligeait de l'assister pour la conclusion d'un acte de disposition, pour lequel son assistance est requise. Aussi le curateur ne peut-il se dispenser de contrôler, en amont de la passation de l'acte, la qualification de ce dernier retenue par le majeur en curatelle . Il reste évidemment l'hypothèse où le curateur ignore tout de la volonté du curatélaire de passer l'acte litigieux. Si celui-ci requiert l'intervention d'un notaire, nul doute que ce dernier doit se montrer vigilant, a fortiori lorsque la qualification de l'acte s'avère douteuse. Dans un tel cas, il doit prendre le soin de requérir, avant d'instrumenter, l'avis du curateur sur la qualification de l'acte, tout en restant libre, bien évidemment, quelle que soit la position adoptée par ce dernier, de passer ou non l'acte en question.
- Autonomie du curatélaire renforcée par la loi du 23 mars 2019. - Les dispositions de la loi du 23 mars 2019 qui suppriment certaines autorisations préalables du juge des tutelles concernant des actes qui restent pourtant classés dans les actes de disposition selon le décret du 22 décembre 2008 ont des conséquences, dont il n'est pas certain qu'elles aient été anticipées, sur les pouvoirs des personnes en curatelle. Si elle est sans doute de nature à fluidifier la gestion du patrimoine de la personne en tutelle, la déjudiciarisation ne s'accompagne en effet d'aucun aménagement sous la curatelle. Or, parce que l'article 467 du Code civil définit l'étendue de la mission d'assistance du curateur par renvoi aux actes qui, en tutelle, requerraient l'autorisation du juge, la déjudiciarisation des actes conduit ainsi à les basculer dans la sphère de capacité du curatélaire. En d'autres termes, ce qui est déjudiciarisé pour le majeur en tutelle entraîne la pleine capacité pour le majeur en curatelle, lequel peut alors agir seul dans des situations similaires, sans l'assistance de son curateur, qu'il s'agisse d'une mesure de curatelle simple ou renforcée.
- Renforcement de l'autonomie personnelle du curatélaire. - La loi du 23 mars 2019 a renforcé l'autonomie du tutélaire s'agissant des actes personnels. Il va sans dire que ce souci de promouvoir les libertés individuelles bénéficie a fortiori au curatélaire, soumis par essence à un système de protection moins contraignant.
Il peut ainsi librement accéder aux différentes formes de conjugalité instituées. En effet, et en l'absence pourtant de toute pression de la part de la Cour européenne des droits de l'homme , la loi du 23 mars 2019 a fait disparaître toute nécessité d'autorisation à mariage pour le majeur en curatelle, comme pour le majeur en tutelle. Il est simplement prévu que le protecteur doit être informé du projet de mariage, ce dernier, à l'instar du tuteur, bénéficiant d'un droit d'opposition à mariage fondé sur l'article 173 du Code civil, c'est-à-dire comparable à celui, pourtant très contesté, des parents qui peuvent faire opposition pour tout motif, mais une seule fois et sans que le protecteur soit, quant à lui, à l'abri d'une condamnation à des dommages-intérêts en cas d'opposition abusive (C. civ., art. 179).
Le Pacs connaît le même allègement que le mariage. D'une part, s'agissant de sa conclusion, la personne en curatelle n'a pas à solliciter l'aval du juge et doit simplement être assistée de son curateur lors de la signature de la convention alors qu'aucune assistance n'est requise lors de la déclaration conjointe devant l'officier de l'état civil ou devant le notaire instrumentaire (C. civ., art. 461, al. 1er). D'autre part, concernant la dissolution du Pacs, le majeur peut rompre librement le Pacs par déclaration conjointe ou par décision unilatérale, l'assistance n'étant requise que pour la signification et les opérations de liquidation (C. civ., art. 461, al. 3 et 4).
Comme le tutélaire, le curatélaire peut désormais accepter seul le principe de la rupture du mariage dans le cadre d'un divorce accepté et devrait pouvoir accéder au divorce par consentement mutuel, tout au moins dans sa forme judiciaire, assisté de son curateur.
En cas de changement de régime matrimonial des parents d'un majeur protégé, on sait qu'en matière de tutelle, la loi prévoit que l'information relative à cette volonté est délivrée au « représentant » du tutélaire, lequel peut ensuite, le cas échéant, s'y opposer « seul » (C. civ., art. 1397, al. 2). Le texte ne vise pas la curatelle, sur lequel la réforme de 2019 a fait l'impasse. Il faut donc en déduire que le curatélaire reçoit seul l'information de la modification envisagée par ses parents et qu'il lui appartient d'exercer seul, avec le soutien de son curateur mais aussi du notaire, tenu de lui dispenser toute information utile à ce sujet (C. civ., art. 457-1), la faculté d'opposition, sauf aménagement judiciaire de la mesure.
En revanche, la loi ne confère aucune autonomie au majeur en curatelle s'il entend lui-même passer une convention matrimoniale, puisqu'en pareil cas il doit être assisté, dans le contrat, par son curateur (C. civ., art. 1399, al. 1er). Pire encore, il est soumis, à l'instar du tutélaire, à la disposition très controversée qui vise à permettre au curateur de saisir le juge pour être autorisé à conclure seul une convention matrimoniale, en vue de préserver les intérêts de la personne protégée . Les critiques adressées à cette faculté en matière de tutelle trouvent, pour une identité de motifs, à s'appliquer à la curatelle. À notre sens, elles s'y trouvent même renforcées dans la mesure où cette disposition aboutit à conférer un pouvoir de représentation, inédit et exorbitant, au curateur.
- Renforcement de l'autonomie patrimoniale du curatélaire. - Le renforcement de l'autonomie conférée au curatélaire dans la sphère personnelle se retrouve dans la sphère patrimoniale.
Ainsi la personne en curatelle peut notamment signer seule un partage amiable, sans que la soumission de l'état liquidatif à l'approbation du juge ne soit ici requise. On perçoit immédiatement les dangers d'une telle autonomie, s'agissant de questions techniques, qui peuvent avoir des conséquences financières importantes pour le curatélaire. C'est dire que la sauvegarde des intérêts de ce dernier repose ici sur le seul notaire, alors qu'elle fait l'objet d'un double contrôle - notarial et judiciaire - sous la tutelle. Encore faut-il que le notaire intervienne dans le cadre des opérations de liquidation-partage, ce qui n'est nullement une obligation en l'absence de biens soumis à publicité foncière. On peut donc ici craindre que le majeur protégé agisse seul, sans l'assistance non seulement de son curateur, mais aussi d'un notaire ou d'un avocat, aux prises avec un copartageant qui tente de le manipuler ou de lui imposer sa volonté. C'est pourquoi, dans un souci de protection du majeur vulnérable, il conviendrait du dupliquer à la curatelle les solutions prévues en matière de tutelle . Il en résulterait que le curatélaire pourrait, par principe, agir seul dans le cadre des opérations de liquidation-partage, sauf à soumettre l'état liquidatif à l'approbation du juge et, en cas de conflit d'intérêts avec son curateur, à recourir au juge pour autoriser le partage.
Il est également aujourd'hui possible à la personne en curatelle, sans assistance, d'accepter purement et simplement une succession bénéficiaire, ce qui suppose toutefois, on le sait , d'obtenir au préalable une attestation notariale témoignant précisément que « l'actif dépasse manifestement le passif ». Le renvoi de l'article 467 du Code civil soulève ici une difficulté d'interprétation. La déjudiciarisation de principe de cette branche de l'option héréditaire pourrait exposer le curatélaire au danger de prendre tacitement la qualité d'héritier acceptant, notamment via la délivrance d'un legs. Pareil accroissement de la capacité du curatélaire risque de s'accompagner d'une multiplication des demandes d'élargissement de la curatelle ou de représentation ponctuelle afin d'éviter la mise en péril de ses intérêts patrimoniaux (C. civ., art. 471 et 469, al. 2) .
Enfin, il est possible à une personne bénéficiant d'une curatelle de conclure seule un contrat d'obsèques, mais aussi d'ouvrir seule un compte dans sa banque habituelle, de placer de l'argent sur « un compte », ou de signer des conventions de gestion des valeurs mobilières et des instruments financiers sans l'intervention de son curateur. Ces dispositions réduisent singulièrement la protection des biens des personnes en curatelle, et notamment en curatelle renforcée. La gestion de leurs revenus restera ainsi soumise au contrôle du curateur, alors qu'elles pourront ouvrir un compte titres dans leur banque habituelle pour y placer les sommes issues d'une succession bénéficiaire, sans que ni le curateur ni le juge n'en soient informés, avec tous les risques de prise de décision non conforme à leur intérêt que cela emporte. Il restera l'article 465 du Code civil qui permet de réduire ou de rescinder les actes en question. Mais on sait que la mise en ?uvre de ce texte nécessite une action judiciaire, ce qui conduit à traiter de manière contentieuse des actes auparavant contrôlés et protégés. Un palliatif consisterait à soumettre spécifiquement, dans les jugements prononçant la mesure de protection, les actes en question à l'assistance du curateur en application de l'article 471 du Code civil .
- Conclusion sur la tutelle et la curatelle. - La volonté d'alléger les autorisations préalables du juge des tutelles est louable mais ouvre la porte à de multiples interprétations et ses conséquences sur la curatelle n'ont manifestement pas été pensées. Il en ressort une impression de charivari : avec la déjudiciarisation, le tuteur peut « assister » (Pacs), le curateur peut « représenter » (contrat de mariage) et la qualification de certains actes de disposition ne correspond plus au régime qui, par principe, est censé être le leur, le tuteur pouvant les accomplir sans autorisation judiciaire et le curatélaire pouvant agir seul. Mieux encore, cette déjudiciarisation jette le trouble sur les dispositions de l'article 467 du Code civil : alors que les actes de la curatelle y sont définis par renvoi aux règles de la tutelle, on constate que certains actes que le tuteur peut accomplir sans autorisation mériteraient certainement une assistance plutôt qu'une autonomie (gestion des valeurs mobilières et des instruments financiers), quand ce n'est pas une autorisation du juge (approbation de l'état liquidatif). Dans un souci, d'une part, de promouvoir l'autonomie de la personne protégée et, d'autre part, d'assurer une gradation et une individualisation des mesures, le législateur a rendu de plus en plus floues les frontières entre curatelle et tutelle. Ce constat donne évidemment du poids à la proposition formulée par le rapport Caron-Déglise visant à modifier l'architecture de la protection des majeurs protégés pour créer « une mesure judiciaire unique, gérée par un juge des tutelles rénové, recentré sur sa mission de garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux et d'arbitre en cas de conflit en cours de mesure » . L'instauration d'une telle mesure permettrait « de simplifier le dispositif et d'individualiser effectivement la mesure (pouvoir d'assistance ou de représentation selon les actes), qui tiendrait compte des directives anticipées (mandats de protection future ou procurations) et dont la publicité serait assurée par le répertoire civil national pour assurer la sécurité des tiers » .
En attendant cette évolution possible, on peut constater que la déjudiciarisation sans cesse croissante du droit des personnes vulnérables engendre des risques, dont le législateur serait bien inspiré de tenir compte dans l'hypothèse vraisemblable où il entendrait accentuer encore le phénomène dans les années à venir.
Tout d'abord, comme toute déjudiciarisation, celle émanant de la loi du 23 mars 2019 peut aboutir à multiplier le contentieux, ce qui conduirait à une « rejudiciarisation, sur le terrain de la contestation des actes et de la responsabilité des acteurs de la protection » , notamment celle du notaire, dont le devoir de vigilance se trouve naturellement renforcé avec la mise en retrait du juge.
Ensuite, cette déjudiciarisation aboutit à renforcer l'autonomie de la personne protégée. Faut-il souligner, au risque de heurter, que s'il est louable de considérer la personne vulnérable comme un agent autonome et de respecter, dans la mesure du possible, sa volonté, il n'en reste pas moins que l'autonomie n'est pas toujours le gage d'une protection efficace, bien au contraire. C'est dire que la protection d'une personne vulnérable nécessite parfois qu'elle soit assistée, voire représentée sous peine de la voir s'exposer à des risques inacceptables, la conduisant à se mettre en danger et/ou à compromettre ses intérêts ou sa sécurité.
Enfin, s'agissant précisément de la tutelle, la déjudiciarisation conduit à conférer une autonomie accrue au tuteur. Alors certes ce dernier agit toujours sous la surveillance générale continue du juge et du procureur de la République, mais on peut légitimement craindre que celle-ci ne devienne bien théorique, avec le risque corrélatif de dérives non diagnostiquées, ce qui interroge au regard de l'objectif de protection. Le constat est d'autant plus inquiétant que le législateur ne s'est pas contenté de déjudiciariser certains actes. Il a également étendu le retrait du juge dans le cadre du contrôle de l'activité tutélaire.