L'acquisition de sa résidence principale par l'entremise d'une structure

L'acquisition de sa résidence principale par l'entremise d'une structure

Certains clients sont tentés de constituer une société pour y louer des actifs immobiliers, pensant ainsi à la poursuite des créanciers. Nous devons leur rappeler l'illusoire protection d'une structure sociale (Sous-section I). Depuis 2007, la fiducie a fait son apparition dans notre droit positif, son utilisation pourrait connaître un intérêt dans le cadre d'une protection (Sous-section II).

L'illusoire protection d'une structure sociale

Détenir son logement par l'intermédiaire d'une société civile est relativement fréquent, mais peut-on posséder son logement par l'intermédiaire d'une société de forme commerciale ?

La société civile

- Un outil adapté. - Au regard de la protection du logement, la société civile peut être un outil efficace vis-à-vis des créanciers au point qu'un précédent congrès l'a très justement qualifié d'insaisissabilité de fait . En effet, par sa personnalité distincte de celle de ses associés, la société a un patrimoine propre qui échappe au droit de poursuite des créanciers des associés. Ces derniers peuvent uniquement saisir les parts sociales de leur débiteur, lesquelles trouvent peu d'attractivité en cas de mise aux enchères.
Le 110e Congrès des notaires de France avait également rappelé qu'il est possible d'accentuer le caractère peu attractif des parts sociales en prévoyant dans les statuts une révocation du gérant à l'unanimité, par des clauses appropriées : « droit de vote multiple, droit de révocation et de veto des dirigeants, clauses d'agrément de l'adjudicataire ». Le même congrès envisageait la souscription croisée en usufruit et nue-propriété, voire la combinaison avec une clause de tontine, et nous renvoyons les lecteurs à ces travaux.
Un outil à utiliser avec discernement. La constitution d'une société civile n'est pas suffisante pour dissuader un éventuel créancier d'appréhender les biens qui y sont logés. Le risque de fictivité de la société n'est pas à écarter si la société ne tient aucun registre, ne possède aucune comptabilité et ne détient pas de compte bancaire . Toutefois, la jurisprudence n'est pas toujours très exigeante pour écarter la notion de fictivité. Une société n'ayant tenu aucune comptabilité ni assemblée depuis sa création n'est pas déclarée fictive dès lors qu'elle a été régulièrement constituée, que son objet a été réalisé et que le gérant s'est acquitté de ses taxes .
L'existence de liens familiaux entre les associés, spécialement lorsqu'il s'agit de mineurs peut faire douter du sérieux de la société . Pourtant la Cour de cassation a refusé de déclarer fictive pour défaut d'affectio societatis une société civile immobilière constituée entre des époux et un tiers pour l'achat d'une villa, alors que la femme et l'ami n'avaient libéré leurs apports qu'avec un chèque du mari . Il est vrai qu'il s'agissait alors de s'opposer à la demande du mari et non de répondre à une demande d'un créancier de l'un des associés.
Les créanciers disposent également de l'action paulienne. Ainsi la Cour de cassation a approuvé une cour d'appel d'avoir caractérisé la fraude et déclaré inopposable au créancier l'apport de biens à une société civile dont les statuts contenaient une clause d'accroissement .
Enfin, on rappellera que la Cour de cassation a écarté l'application des dispositions de l'article 215 du Code civil lorsque le logement de la famille est détenu par une société civile .
L'article 1860 du Code civil prévoit que la déconfiture de l'un des associés entraîne le remboursement des droits sociaux de l'associé, lequel perd alors la qualité d'associé. Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 4 janvier 1978, il n'est plus mis fin d'une manière automatique à la société ; celle-ci continue d'exister (à moins que les associés ne décident de sa dissolution), mais elle doit rembourser les droits sociaux de l'intéressé.
Cette disposition est d'ordre public et impérative. La perte de la qualité d'associé n'est pas laissée à la discrétion de la société. « Il doit en conséquence être procédé à l'expertise prévue par l'article 1843-4 du Code civil pour déterminer la valeur des droits sociaux » .

La société commerciale

Ce type de détention est à manier avec précaution pour des raisons qui tiennent à la fois du droit fiscal et du droit des sociétés.
Le droit fiscal prévoit au II de l'article 15 du Code général des impôts que les revenus des logements dont le propriétaire se réserve la jouissance ne sont pas soumis à l'impôt sur le revenu. Or les sociétés commerciales relèvent en principe de l'impôt sur les sociétés, et à ce titre la mise à disposition du logement aux associés ainsi que le faible montant du loyer constituent des avantages en nature qui entrent dans les recettes de la société.
Le droit des sociétés n'est pas adapté à la détention du logement puisque, même si l'objet de la société est civil, celle-ci doit tenir une comptabilité régulière avec l'obligation d'établir des comptes annuels (bilan, compte de résultat et une annexe), ce qui représente un coût pouvant être important.
De plus, l'utilisation de l'actif de la société dans l'intérêt personnel du dirigeant est constitutive d'un abus de bien social puni d'un emprisonnement de cinq ans et de 375 000 € d'amende .

La société ayant son siège à l'étranger

L'actualité récente nous a rappelé l'intérêt d'une domiciliation à l'étranger d'une société pour dissimuler à ses créanciers et à l'administration fiscale une partie de son patrimoine .
La domiciliation à l'étranger du siège de la société détentrice du logement n'est pas en soi illicite, mais tout notaire chargé d'instrumenter pour le compte d'un client qui effectue l'acquisition de son logement en France par l'intermédiaire d'une société ayant son siège à l'étranger a une obligation de vigilance qui peut aller jusqu'à une obligation de déclaration de soupçon au procureur de la République par l'intermédiaire de la cellule Tracfin .
Le 115e Congrès des notaires de France , spécialement sa quatrième commission, s'est penché sur cette question au regard des vérifications à opérer par le notaire chargé de recevoir une acquisition ou une vente d'un bien immobilier détenu par une société de droit étranger et nous renvoyons à ces travaux sur ce point .
Néanmoins, nous rappelons le conseil de nos confrères « d'obtenir un affidavit d'un juriste étranger confirmant l'existence de la société, que celle-ci a la personnalité juridique, qu'elle n'est pas soumise à une procédure de redressement ou liquidation judiciaire, qu'elle a le droit de vendre ou acquérir un bien immobilier, que la décision d'acquérir ou de vendre a été valablement prise, et que le représentant de la société a le pouvoir de la représenter et de l'engager vis-à-vis des tiers ».

L'absence d'intérêt de la fiducie

Le contrat de fiducie, qui figure aux articles 2021 à 2030 du Code civil depuis la loi du 19 février 2007 , et spécialement la fiducie-gestion, est un moyen intéressant pour protéger son patrimoine personnel de ses créanciers .
En effet, cette institution permet de transférer la propriété du logement au fiduciaire tout en conservant l'usage et la jouissance de ce bien. Mais le coût de cet acte, constitué par la publication du transfert de propriété au service de la publicité foncière et par les honoraires du fiduciaire, ne peut rivaliser avec une simple déclaration d'insaisissabilité.
Par ailleurs, la fiducie ne fait pas obstacle à l'appréhension du logement par le liquidateur si le constituant fait l'objet d'une procédure collective. Le droit des procédures collectives permet au liquidateur d'agir :
  • soit au titre de la période suspecte en application de l'article L. 632-1, 9o du Code de commerce ;
  • soit au titre de la résiliation de plein droit de la fiducie, si le constituant est le seul bénéficiaire de celle-ci, en application de l'article L. 641-12-1 du Code de commerce .
Enfin, nous rappellerons que le contrat de fiducie doit être publié au Fichier national des fiducies , déclaré au service des impôts du siège du fiduciaire (Direction des impôts des non-résidents s'il est domicilié à l'étranger) et que cette entité est assujettie à la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles qu'elle possède .