La fin du mandat décidée par le juge

La fin du mandat décidée par le juge

- Une révocation judiciaire. - D'autres événements sont susceptibles de mettre un terme au mandat de protection future mais une décision du juge des tutelles est alors nécessaire, ce qui rend la révocation facultative. Alors que l'activation du mandat de protection future fait l'objet d'un contrôle réduit à sa plus simple expression , duquel le juge est évincé, le souci de protection du mandant ouvre la voie, une fois le mandat mis en ?uvre, à un possible contrôle judiciaire a posteriori (C. civ., art. 483, 4o) .
Selon la loi, « tout intéressé » peut saisir le juge des tutelles d'une demande en révocation. La formule légale étant large, peuvent notamment saisir le juge des tutelles, le mandant, les membres de sa famille, des créanciers, ses proches, le(s) mandataire(s) ou encore le procureur de la République. Le notaire qui a reçu le mandat de protection future a aussi un intérêt à agir.
- L'absence d'altération médicalement constatée des facultés personnelles du mandant. - Le juge des tutelles a la possibilité de révoquer le mandat de protection future « lorsqu'il s'avère que les conditions prévues par l'article 425 » ne sont pas réunies. Ce texte détermine l'état de la personne qui est susceptible d'être soumise à une mesure de protection. Ces facultés doivent être altérées au point de l'empêcher de pourvoir seule à ses intérêts. Tout intéressé peut ainsi contester l'ouverture du mandat de protection future par une remise en cause du certificat médical attestant l'inaptitude. Cette cause de révocation semble faire double emploi avec l'article 484 du Code civil qui ouvre également à tout intéressé le droit de contester la mise en ?uvre du mandat de protection future . Dans les faits, l'hypothèse demeure marginale.
- L'atteinte aux intérêts du mandant. - Selon l'article 483, 4o du Code civil, le mandat peut être judiciairement révoqué lorsque son exécution « est de nature à porter atteinte aux intérêts du mandant ». L'esprit du texte, à la lecture des travaux préparatoires, est de confier au juge des tutelles le « pouvoir d'apprécier si l'exécution de la mesure conventionnelle assure effectivement la protection de la personne et des biens du mandant » . Cette disposition se situe dans la droite ligne de l'article 484 du Code civil, en se montrant toutefois plus exigeante dans ses conditions d'application, ce qui est cohérent, dans la mesure où il s'agit non pas ici de corriger un hiatus dans l'exécution du mandat pour permettre sa poursuite, mais, plus radicalement, d'y mettre fin.
Concrètement, le texte vise les situations dans lesquelles le mandataire se révèle inapte à exécuter le mandat de protection future, par négligence ou incompétence , ou dans lesquelles il se montre malveillant . Un arrêt récent de la Cour de cassation en fournit une intéressante illustration, en estimant justifiée la révocation judiciaire du mandat de protection future, dès lors que le mandataire avait manqué à son obligation de bonne gestion en produisant avec retard un inventaire lacunaire, en ne justifiant pas de l'utilisation des sommes prélevées sur les comptes du mandant et en omettant de procéder à la déclaration d'ISF de ce dernier . C'est ici rappeler, à bon escient, que l'obligation d'une saine gestion pesant sur le mandataire lui impose également de s'acquitter correctement des obligations fiscales du mandant. L'exécution seulement partielle du mandat ou son activation tardive par le mandataire, lorsqu'elle témoigne de sa négligence, peuvent également aboutir à la mise à l'écart du mandat . Des différends entre les mandataires, lorsqu'ils sont plusieurs, pourraient également être retenus.
La formule légale est conçue en termes suffisamment larges pour ouvrir au juge des tutelles une importante marge d'appréciation pour décider s'il y a lieu, ou non, de révoquer le mandat de protection future , mais aussi pour lui permettre d'intervenir de façon préventive, sans qu'il soit nécessaire que l'atteinte soit déjà réalisée. Il suffit que, par son (in)action, le comportement du mandataire constitue une menace pour les intérêts du mandant. Encore faut-il être susceptible de produire des indices tangibles au soutien d'une telle demande.
- Conséquences de la révocation judiciaire. - L'article 485 du Code civil autorise le juge qui met fin au mandat à « ouvrir une mesure de protection juridique dans les conditions et selon les modalités prévues aux sections 1 à 4 du présent chapitre ». Cette faculté est pleinement compréhensible tant on conçoit malaisément, en pratique, que le juge puisse révoquer le mandat sans se préoccuper d'ouvrir immédiatement une procédure de mise sous protection judiciaire et sans prendre les mesures urgentes que requièrent les intérêts du mandant. Toutefois, parce qu'il s'agit ici de « renforcer le régime de protection de l'intéressé », le juge doit être saisi « d'une requête en ce sens satisfaisant aux articles 430 et 431 » (C. civ., art. 442, al. 4). C'est dire que la saisine d'office du juge des tutelles demeure ici écartée, ce qui peut constituer, dans certaines hypothèses, « une faille majeure du dispositif » . Dès lors, ne devrait-on pas exiger du demandeur en révocation du mandat de solliciter automatiquement l'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle, et de respecter les formes pour ce faire, aux fins d'éviter que la personne vulnérable ne se retrouve sans protection organisée ?
À l'expiration du mandat et dans les cinq ans qui suivent, le mandataire doit, quelle que soit la forme du mandat, tenir « à la disposition de la personne qui est amenée à poursuivre la gestion, de la personne protégée si elle a recouvré ses facultés ou de ses héritiers l'inventaire des biens et les actualisations auxquelles il a donné lieu ainsi que les cinq derniers comptes de gestion et les pièces nécessaires pour continuer celle-ci ou assurer la liquidation de la succession de la personne protégée » (C. civ., art. 487).
- Alternatives à la révocation judiciaire. - Saisi aux fins de révocation, le juge ne se trouve pas dans l'obligation de détruire systématiquement le mandat de protection future. En réalité, la loi lui offre plusieurs alternatives.
D'une part, il peut placer le mandant sous sauvegarde de justice et suspendre les effets du mandat de protection future (C. civ., art. 483, dernier al.). Cette suspension est destinée à lui permettre de prendre connaissance du mandat de protection future et aussi de vérifier ses conditions d'exécution. Au vu de ces éléments, le juge sera ensuite libre d'ordonner ou non la mainlevée de la sauvegarde de justice et donc de redonner ou non effet au mandat.
D'autre part, « lorsque la mise en ?uvre du mandat ne permet pas, en raison de son champ d'application, de protéger suffisamment les intérêts personnels ou patrimoniaux » du mandant, le juge peut décider de maintenir le mandat tout en prononçant l'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle, à titre complémentaire (C. civ., art. 485, al. 2). En pareil cas, il fait cohabiter deux régimes, un régime légal et un régime conventionnel. Concrètement, les pouvoirs du curateur ou du tuteur sont alors amputés des pouvoirs accordés au mandataire, à la lecture du contrat. Il s'agit clairement ici de venir au secours d'un mandat trop étriqué et non de sanctionner l'incurie du mandataire. Le texte prévoit que le juge peut du reste confier la charge de la curatelle ou de la tutelle à ce dernier. Mieux encore, si cela est suffisant pour préserver les intérêts du mandant, il peut se contenter d'autoriser le mandataire « à accomplir un ou plusieurs actes déterminés non couverts par le mandat ». Enfin, il peut aussi autoriser un mandataire ad hoc à accomplir lesdits actes, si une évolution de la situation, pas nécessairement prévisible lors de la rédaction du mandat, a fait apparaître un conflit d'intérêts entre le mandataire et le mandant. Le panel des solutions est très large, étant ici souligné que si ces autorisations ponctuelles sont de nature à combler les lacunes dans la protection du mandant, le placement du mandant sous curatelle ou tutelle doit à l'évidence être évité. D'une manière plus générale, c'est toujours le maintien du mandat qui doit être privilégié. Le principe de subsidiarité le commande . Quelle que soit l'option choisie, le texte précise que : « Le mandataire de protection future et les personnes désignées par le juge sont indépendants et ne sont pas responsables l'un envers l'autre ; ils s'informent toutefois des décisions qu'ils prennent » (C. civ., art. 485, al. 3).

La désignation d'un mandataire

On peut certainement regretter que, dans le silence du mandat, la faculté de désigner un mandataire ad hoc ne soit, en l'état, offerte au juge qu'aux cas d'extension du mandat (C. civ., art. 485, al. 2). Ainsi entendu, le mandataire ad hoc ne peut intervenir qu'en complément et non en remplacement du mandataire, ce qui est trop réducteur. Les textes devraient prévoir, d'une manière générale, à l'instar de l'article 455 du Code civil s'agissant de la curatelle et de la tutelle, que le juge dispose de la possibilité, en cas d'opposition d'intérêts avérée entre le mandant et le mandataire, de pourvoir à la désignation d'un mandataire ad hoc. Il s'agit là d'une préconisation du rapport Caron-Déglise , qui nous paraît totalement justifiée.
- Le juge et le mandat de protection future. - Comparé à ceux qui sont classiquement les siens en matière de protection des personnes, les pouvoirs du juge, s'agissant du mandat de protection future, sont très particuliers, en ce qu'il est appelé à intervenir sur une situation déjà organisée par contrat, en quelque sorte à titre subsidiaire, et surtout à titre éventuel. En dehors des autorisations classiques concernant les actes les plus dangereux, qui lui valent, à titre exceptionnel, de devoir intervenir au C?ur de l'exécution, le juge doit seulement s'inviter dans les circonstances de crise, lorsque le mandat a été mal écrit ou qu'il est mal exécuté. Sa palette d'intervention est alors étendue : il peut compléter le mandat (adjonction d'une curatelle ou d'une tutelle), étendre les pouvoirs du mandataire, ponctuellement (en autorisant le mandataire à accomplir certains actes non prévus) ou plus largement (le mandataire devient curateur ou tuteur), suspendre le mandat après ouverture d'une sauvegarde de justice ou, en ultime recours, y mettre fin et décider de lui substituer une mesure de protection juridique. Mais, aussi large que soit l'éventail des solutions dont il dispose, il n'est amené à en faire usage qu'à la condition d'avoir été saisi en ultimum remedium et avec le souci de respecter, dans la mesure du possible, ce que le mandant avait prévu au moment où il disposait pleinement de ses capacités. « Un mandat qui suffit à assurer les intérêts de son mandant est un acte réussi, alors qu'un mandat nécessitant l'intervention du juge est un mandat sauvé » . En ce sens, le mandat de protection future est le fruit d'un savant dosage entre une contractualisation contrôlée et une judiciarisation circonscrite.
Au-delà, et parce qu'il s'agit ici d'assurer la protection juridique d'une personne vulnérable, la présence du juge, au même titre que celle du notaire du reste, témoigne de la volonté des pouvoirs publics de conserver un regard attentif sur ce mécanisme contractuel, privilégiant par nature l'autonomie de la volonté et la liberté de l'individu. Une présence certes discrète mais efficace, et surtout complémentaire et résiduelle de celle du notaire. Celui-ci est souvent l'initiateur du mandat, toujours le garant de son écriture, puis de son exécution. Dans cette phase idyllique, le juge est quasiment absent, mais il réapparaît aussitôt dès que des dysfonctionnements apparaissent et viennent troubler l'ordre social. « Au notaire, le bon huilage du mandat de protection future. Au juge, la salvatrice réparation des désordres » . Au final, la protection du majeur vulnérable est assurée, car l'État est présent partout, dans la prévention et dans la sanction, au cas où?
- Conclusion sur le mandat de protection future. - Toute la vulnérabilité ne se résoudra pas dans le mandat de protection future, c'est-à-dire à la fois dans son anticipation et dans la seule expression d'une volonté individuelle. Mais « cette attention accordée à la personne, à sa volonté, à son consentement est une valeur inestimable qui doit se déployer chaque fois qu'il est possible » . Pour ce faire, le mandat de protection future doit définitivement revêtir les galons d'une véritable mesure de protection, en dépit de la coloration contractuelle de la forme juridique qui l'enveloppe. Atteindre cet objectif suppose des évolutions, des avancées, parfois perturbantes, toujours indispensables. Elles ont trait, tout d'abord, au dessaisissement du mandant, conforme à l'objet du mandat, qui est une technique de représentation, et source de sécurité juridique pour les tiers. Il conviendrait, ensuite, d'admettre l'élargissement du mandat de protection future à l'assistance, ce qui permettrait, selon la volonté du mandant, de couvrir la « zone grise ». Il s'agirait, enfin, de conférer, par principe, les pouvoirs les plus étendus, y compris sur le logement familial, au mandataire, choisi en raison de la confiance placée en lui.
Bien évidemment, il ne s'agit pas de verser dans l'angélisme. Parce que les risques de négligence, d'incompétence et de malveillance ne sont jamais à exclure, il faudra souvent garder un ?il attentif sur le mandataire. À cette fin, le mandat doit inclure un certain nombre de verrous ou de précautions, en étoffant, dans la mesure du possible, le cercle des personnes susceptibles, le moment venu, d'exercer une mission de protection de la personne ou des biens du mandant. Dans cette optique, il peut être judicieux pour le mandant de prévoir l'intervention d'un subrogé mandataire, doté d'un pouvoir de contrôle pour certains actes les plus importants, et le législateur devrait faciliter la désignation généralisée d'un mandataire ad hoc. Face à la difficulté parfois constatée de puiser dans l'environnement familial ou amical, il peut être conseillé de recourir à un mandataire professionnel, qui pourra contribuer, grâce à sa compétence et à son objectivité, à la bonne exécution du contrat.
Surtout, il conviendrait à notre sens de renforcer le rôle du notariat. Au regard des enjeux d'un tel acte, il conviendrait d'assumer davantage encore la priorité donnée à la forme notariée du mandat de protection future, puis de proposer que les formalités de déclenchement du mandat relèvent de la compétence du notaire (et non plus du greffier, simple enregistreur), lequel pourrait ainsi assurer la conservation des actes et la publicité - indispensable dans l'optique de son développement - du mandat. Le notaire, si possible le même, rédigerait l'acte, l'amenderait le cas échéant au gré des vicissitudes de la vie du mandant, contrôlerait son déclenchement puis in fine veillerait à la juste application de sa tâche par le mandataire. La boucle serait ainsi bouclée. Parce que le mandat de protection future a vocation à être mis en ?uvre à un moment où celui qui a voulu la mesure n'est plus apte à pourvoir seul à ses intérêts et qu'il ne peut donc plus maîtriser ce qu'il a voulu, ce contrat, davantage que beaucoup d'autres, suppose pour le mandant de s'en remettre à un professionnel de confiance, qui assurera un suivi personnalisé de son mandat et veillera, de manière rassurante, au respect de sa volonté. C'est un rôle qui sied naturellement au notaire, car il permet à la fois de s'intéresser à la personne et de préserver son patrimoine, deux préoccupations traditionnellement au C?ur de son métier.
Ceci dit, nous ne sommes pas dupe et connaissons les réticences de la profession notariale à l'égard du mandat de protection future, principalement parce que « la mission de contrôle des comptes par le notaire peut sembler lourde, mal rémunérée par le tarif et source de responsabilité » , mais aussi, il ne faut pas se leurrer, parce que l'écriture du mandat est un art difficile. Et pour cause ! Il s'agit de rédiger un contrat sur mesure dont l'objet consiste à conjecturer un futur que l'on ignore, subordonné lui-même à un événement incertain, la perte de capacité du mandant. Si toutes les mauvaises écritures du mandat peuvent être sauvées quand le mandat ne vient jamais à s'appliquer, « elles seront au contraire regrettées si le mandat vient à être mis en ?uvre, car elles seront susceptibles de revisiter le rôle du notaire et sa responsabilité dans l'élaboration de ce mandat » . En réalité, on peut constater que le mandat n'est pas si complexe à gérer en présence d'un patrimoine « classique ». Et, si l'ampleur du patrimoine le justifie, le notaire peut demander l'assistance d'un professionnel du chiffre pour le contrôle annuel des comptes. Enfin, en cas de conflit familial ou de difficultés, le recours au juge est toujours possible, permettant au notaire de se dégager du mandat litigieux. Certes, il ne faut pas s'en cacher, la motivation des troupes passera inévitablement par un niveau de rémunération plus conforme à la compétence et aux diligences qu'il requiert, sans jamais asphyxier la personne protégée, l'émolument notarial étant lié au niveau de ressources de ce dernier. Enfin, on sait que le notaire est un officier public, représentant l'État mais contrôlé par lui, engageant une responsabilité professionnelle lourdement sanctionnée dans le cadre de son devoir de conseil qui majore encore sa fonction. Il reste seulement à espérer que les juges, le moment venu, veilleront à ce que la responsabilité des acteurs de ce mandat, principalement mandataire(s) et notaire, soit une responsabilité partagée et non pas à sens unique.
La question de la dépendance, enjeu pour notre société, est un sujet de préoccupation central pour nos concitoyens. Aujourd'hui, avec le mandat de protection future, le notaire dispose d'une réponse efficace et adaptée, dont il doit davantage s'emparer et ne pas hésiter à faire la promotion auprès de ses clients, dont on sait qu'ils ont d'indéniables réticences et des difficultés à anticiper.