Traditionnellement la mise en société de l'activité professionnelle est utilisée pour cloisonner celle-ci du reste du patrimoine de l'entrepreneur. Plus récemment le législateur a permis à ce dernier de créer sa propre structure pour limiter sa responsabilité.
Isoler l'activité professionnelle du patrimoine personnel
Isoler l'activité professionnelle du patrimoine personnel
La mise en place d'une entité
- Avant la loi du 11 juillet 1985
. - Il était indispensable de trouver un ou plusieurs associés pour constituer une société permettant d'isoler son activité professionnelle. À l'époque, le commerçant avait essentiellement le choix entre la société à responsabilité limitée (SARL) et la société anonyme (SA) pour ne pas engager l'ensemble de son patrimoine dans son activité. Le grand avantage de ces structures sociales est de limiter l'engagement des associés au titre des pertes sociales à concurrence de leur mise. Le créancier de la société n'a donc pas de recours sur les autres éléments du patrimoine, notamment sur le logement de l'associé.
Par la suite, d'autres types de sociétés sont venus limiter la responsabilité des associés dans le domaine des professions libérales, en permettant à ces professionnels d'exercer leur activité dans des sociétés commerciales spécifiques : les sociétés d'exercice libéral
. Ainsi a-t-on vu apparaître les dénominations de Selafa (société d'exercice libéral à forme anonyme), Selarl (société d'exercice libéral à responsabilité limitée), Selca (société d'exercice libéral en commandite) et Selas (société d'exercice libéral par actions simplifiée).
- L'entrepreneur individuel a également bénéficié de l'attention du législateur. - Avant la loi du 11 juillet 1985 précitée, il n'était pas rare que des prête-noms complaisants soient utilisés dans le seul but de créer une société
, permettant ainsi au commerçant de limiter sa responsabilité. Depuis cette loi, le commerçant individuel ou l'agriculteur peut créer une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) ou une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) sans risquer la nullité de la société pour fictivité si les associés ne sont que des potiches.
La loi du 31 décembre 1990 précitée
a également autorisé les professionnels libéraux à limiter leur responsabilité sociale (et non professionnelle, V. Nota ci-après) en constituant une société d'exercice libéral unipersonnelle sous forme d'une société à responsabilité limitée dénommée Selarlu ou Seleurl, ou d'une société par actions simplifiée dénommée Selasu ou Sasu.
Grâce à ces structures, l'ensemble des professions - y compris les professions médicales
- peuvent bénéficier de la protection reconnue depuis longtemps aux commerçants.
La création de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée par la loi du 15 juin 2010
est venue parachever l'édifice en permettant à l'ensemble des professionnels individuels (y compris les auto-entrepreneurs) d'affecter un patrimoine désigné au droit de gage des créanciers professionnels.
Nous ne reviendrons pas sur ce dispositif qui a déjà été étudié par un précédent congrès
, mais nous préciserons que compte tenu du peu de succès rencontré par ce dispositif, le législateur, par la loi « Pacte »
, a décidé d'alléger les formalités au point que : l'entrepreneur pourra recourir à ce dispositif à tout moment (C. com., art. L. 526-5-1), même en l'absence de biens affectés à son activité professionnelle (C. com., art. L. 526-8) ; il ne sera plus obligé de recourir à un expert pour les biens d'une valeur supérieure à 30 000 € qu'il souhaite affecter à ce patrimoine (même texte) ; et il pourra retirer un bien du patrimoine affecté (C. com., art. L. 526-6). S'agissant de l'affectation ou du retrait d'un bien immobilier, l'acte notarié publié au service de la publicité foncière compétent reste indispensable (C. com., art. L. 526-9).
Nota
La responsabilité sociale limitée de l'associé d'une société d'exercice libéral ne s'étend pas à sa responsabilité professionnelle. Les associés répondent des dettes sociales à hauteur de leur apport, mais restent indéfiniment responsables sur leurs biens propres des actes professionnels qu'ils accomplissent personnellement
.
Les limites de cette protection
Outre la responsabilité professionnelle, la responsabilité sociale des associés peut ne pas être limitée aux apports si la responsabilité du dirigeant de la société est recherchée à la suite d'une liquidation judiciaire. Il s'agit de l'action en comblement de passif prévue à l'article L. 651-2 du Code de commerce (§ I) et des mesures conservatoires sur les biens des dirigeants prévues à l'article L. 651-4 du même code (§ II).
L'action en comblement de passif
Initialement créée par une loi du 16 novembre 1940
dans un souci de sévérité à l'égard des dirigeants de société anonyme, étendue aux gérants de SARL ainsi qu'aux associés ayant effectivement participé à la gestion par le décret du 9 août 1953
, l'action en comblement de passif a été généralisée, par la loi du 13 juillet 1967
, à tous les dirigeants de personnes morales ayant un objet économique ou poursuivant en droit ou en fait un but lucratif. Enfin, elle a été étendue au dirigeant de l'EIRL par l'ordonnance du 9 décembre 2010
.
L'action en comblement de passif figure, depuis la loi du 26 juillet 2005
, à l'article L. 651-2 du Code de commerce, lequel prévoit que : « Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion ».
La notion de faute de gestion a fait l'objet de nombreux débats et le Sénat, lors de la discussion de la loi de 1985, avait vainement proposé de ne retenir qu'une faute grave de gestion pour justifier une condamnation à combler l'insuffisance d'actif. Compte tenu de l'absence de définition légale, il faut s'en tenir à des illustrations jurisprudentielles où l'on peut relever, sans que cette liste soit limitative : le retard dans la déclaration de cessation des paiements, les irrégularités comptables, la sous-capitalisation de la société, le non-respect des obligations spécifiques à la profession, voire l'incompétence manifeste
.
Les craintes des sénateurs étaient fondées puisque la jurisprudence avait tendance à relever des fautes de gestion au seul regard de la comptabilité de l'entreprise et que l'absence de lien de causalité entre la faute et l'insuffisance d'actif était difficile à démontrer pour le dirigeant poursuivi. Aussi la loi du 9 décembre 2016
a-t-elle complété le premier alinéa de l'article L. 651-2 du Code de commerce, en ajoutant : « Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée ».
Cette action pour insuffisance d'actif n'est pas réservée au liquidateur, puisque le ministère public et également la majorité des créanciers nommés contrôleurs peuvent saisir le tribunal qui a prononcé la liquidation judiciaire pour l'intenter contre les dirigeants
.
L'article L. 651-2 du Code de commerce prévoit que l'action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire, mais l'ancienneté des faits reprochés importe peu pour l'appréciation du délai de prescription
de même que le retrait du dirigeant n'a pas d'incidence sur la prescription. Ce dernier peut être condamné alors qu'il est retiré de la société depuis plus de trois ans
.
Le risque pour un dirigeant d'une entreprise à responsabilité limitée de voir son patrimoine personnel et notamment son logement saisi par ses créanciers professionnels n'est donc pas illusoire ; d'autant qu'il est rare que le liquidateur qui initialise une telle action devant le tribunal puisse se voir reprocher un abus de droit. En effet, la défense de l'intérêt collectif des créanciers fait partie de sa mission et les tribunaux ont tendance à considérer que la mise en œuvre de cette action ne peut être regardée comme abusive (ce qui n'est pas forcément le cas de la part des créanciers nommés contrôleurs).
Les mesures conservatoires sur les biens des dirigeants sociaux (C. com., art. L. 651-4)
Pour éviter que les dirigeants n'organisent leur insolvabilité lorsqu'ils voient se profiler une action en responsabilité pour insuffisance d'actif, l'article L. 651-4, alinéa 2 du Code de commerce prévoit la possibilité pour le président du tribunal d'ordonner toute mesure conservatoire utile sur les biens des dirigeants ou de leurs représentants permanents.
Cette mesure peut être décidée d'office par le président du tribunal ou à la suite d'une demande présentée sous forme de requête par le liquidateur, le ministère public, « ou encore sans doute par la majorité des contrôleurs en cas de carence du liquidateur. L'article L. 651-4 du Code de commerce renvoie en effet aux personnes mentionnées à l'article L. 651-3 énonçant celles ayant qualité pour agir en responsabilité pour insuffisance d'actif »
.
Le président peut ordonner un inventaire du patrimoine du dirigeant, l'apposition de scellés pour éviter un déménagement, un séquestre ou une consignation s'il estime que la créance est fondée en son principe et que les circonstances sont susceptibles d'en menacer le recouvrement
.
Le tribunal peut également autoriser une saisie conservatoire sur les biens du dirigeant ainsi que l'a décidé la cour d'appel d'Orléans le 26 juillet 2012
. La Cour de cassation avait précédemment rappelé, dans un arrêt publié au bulletin, qu'une ordonnance fixant une saisie conservatoire n'est pas contraire aux dispositions de l'article 1er du Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
.
Compte tenu de ces textes et de cette jurisprudence, un dirigeant peut avoir intérêt à souscrire une déclaration d'insaisissabilité notariée, ainsi que nous allons maintenant l'étudier.