Propos introductifs de Antoine BOUQUEMONT, Rapporteur général du 114e Congrès des notaires de France

Rapporteur général du 114e Congrès des notaires de France
Le thème conçu par notre président Emmanuel Clerget est universel. Quel que soit le lieu où nous vivons, l’activité que nous y exerçons, il nous concerne tous. Il véhicule au surplus des valeurs fondamentales telles que la protection de l’environnement, la multifonctionnalité et le partage des espaces. Cette dimension sociologique n’éclipse nullement les implications pratiques du sujet. Ainsi, tous horizons confondus, les notaires trouveront dans ce rapport des réponses concrètes aux interrogations de leurs clients. Quatre commissions se succèdent logiquement : l’agriculture, l’énergie, la ville et le financement.
I - Demain, l’agriculture
État des lieux
Après avoir dressé un état des lieux de l’agriculture française, mettant notamment en exergue la chute vertigineuse du nombre d’exploitations et la diminution de la surface agricole, Guillaume Lorisson et Rachel Dupuis-Bernard abordent le territoire agricole sous deux angles : son appropriation et son exploitation.
L’appropriation du territoire agricole
- L’aménagement du territoire agricole. - Les instruments permettant d’aménager et de développer de façon pérenne nos terres nourricières existent. L’aménagement foncier agricole et forestier fait à ce titre l’objet d’une attention particulière. Il permet en effet de mettre en valeur les exploitations, en réduisant notamment l’éloignement des terres du siège de l’exploitation. La prise en compte de l’environnement est un élément majeur de cet outil, favorisant le maintien des continuités écologiques et le développement de la biodiversité. Les échanges et cessions amiables d’immeubles ruraux contribuent également à cet objectif, en préservant nos paysages et la diversité des milieux agricoles. La mise en œuvre de ces procédures est parfois complexe, mais le notariat bénéficie aujourd’hui d’un ouvrage lui permettant d’en maîtriser les rouages.
- L’accroissement du territoire agricole. - L’accroissement de notre territoire agricole implique la conquête d’espaces délaissés. La promotion des terres incultes ou manifestement sous-exploitées, ainsi que l’appropriation des biens sans maître, répondent à cette nécessité. Néanmoins, la lourdeur des procédures mise en évidence dans le rapport est susceptible de décourager les meilleures volontés. Ainsi, nous appelons de nos vœux des mesures de simplification.
- La SAFER. - Lorsque l’on évoque les mutations en milieu rural, la SAFER entre immédiatement en scène. Disons-le sans ambages, nombre de notaires sont devenus méfiants à l’égard de cette institution, dont les missions relèvent pourtant de l’intérêt général. Celles-ci s’articulent aujourd’hui autour de quatre axes principaux (C. rur. pêche marit., art. L.141-1, I) :
- la protection des espaces agricoles ;
- la protection de l’environnement ;
- le développement durable des territoires ruraux ;
- et la transparence du marché foncier rural.
L’accroissement des missions de la SAFER au gré des réformes ne devrait pas émouvoir. Il s’agissait au fond de les adapter à l’évolution naturelle des notions d’agriculture et de territoire rural. En revanche, le statut et le financement des SAFER laissent perplexe. Il s’agit en effet de sociétés anonymes dont les ressources financières proviennent principalement des commissions dégagées à l’occasion de leurs actions foncières. Les subventions publiques ont en effet aujourd’hui totalement disparu. Le temps est peut-être venu de réfléchir à l’évolution de cet acteur incontournable.
- Le portage du foncier. - L’appropriation du territoire agricole est enfin appréhendée sous l’angle du portage du foncier. Du droit de préemption accordé au preneur en place aux nouvelles formes de portage collectif, il existe aujourd’hui une multitude d’outils permettant d’acquérir les terres, notamment grâce à des montages familiaux ou en recourant à des investisseurs extérieurs. Il existe néanmoins de nombreuses pistes d’amélioration. Certaines feront l’objet de propositions à Cannes.
L’exploitation du territoire agricole
- De nouveaux défis. - En ce début de 21e siècle, nos agriculteurs ont un cortège de défis à relever en matière d’exploitation : continuer à nourrir la population en quantité et qualité suffisantes et moyennant un prix accessible, procéder à la transition agroécologique, diversifier leurs activités pour accroître leurs revenus, créer de véritables entreprises pour les optimiser.
- La transition agroécologique. - La transition agroécologique est devenue une nécessité. Elle permet en effet d’assurer à la fois la protection des sols et la qualité des produits. Ainsi, la règlementation ICPE s’applique-t-elle à certaines activités agricoles. La protection de l’eau est également assurée grâce à une législation contraignante. Mais ce corpus législatif ne saurait suppléer la volonté des hommes. Les exploitants ont aujourd’hui l’obligation morale de s’engager chacun à leur rythme dans l’agriculture durable, en adoptant des méthodes culturales respectueuses de l’environnement. Les bailleurs ont également la possibilité d’accompagner cette évolution grâce au bail rural environnemental, dont les modalités
d’application sont détaillées dans le rapport.
- Les signes de qualité. - Concernant l’utilisation des nouvelles technologies et le développement de l’agronomie, les agriculteurs n’ont pas attendu nos suggestions. Leurs compétences forcent l’admiration. Elles permettent d’augmenter considérablement la qualité des produits. En revanche, la communication fait parfois défaut. Les pouvoirs publics seraient
bien inspirés de prendre le relais, afin de mettre en place des signes de qualité simples et lisibles par tous.
- La régulation des exploitations. - Si la transition agroécologique est un défi majeur, il convient également de rénover les règles régissant la régulation de l’exploitation agricole. Dans sa forme actuelle, le contrôle des structures n’est plus adapté aux enjeux. Un permis d’exploiter prenant notamment en compte la viabilité économique du projet, son impact environnemental et sa cohérence territoriale, pourrait opportunément le remplacer. Cette proposition vous sera présentée lors du Congrès.
- Le statut du fermage. - S’agissant ensuite du statut du fermage, la stabilité qu’il confère au preneur est essentielle. Elle lui permet en effet d’investir durablement dans son exploitation. Cependant, dans sa configuration actuelle, il profite principalement aux exploitations familiales, seules les cessions intrafamiliales étant autorisées. Or, les installations hors cadre familial montent en puissance. Le bail cessible n’ayant pas connu le succès escompté, il est indispensable d’assouplir les règles de cessibilité contenues dans le statut, sans pour autant porter atteinte à l’équilibre contractuel.
- Le développement de véritables entreprises agricoles. - Les outils permettant de développer de véritables entreprises agricoles existent, notamment en matière sociétaire. Le lecteur trouvera dans cet ouvrage les clés lui permettant de conseiller au mieux ses clients.
II - Demain, l’énergie
État de lieux
La forêt couvre environ un tiers du territoire métropolitain. Sa surface a doublé en deux siècles, notamment au détriment des terres agricoles. Paradoxalement, elle est sous-exploitée. Cette situation s’explique en partie par son morcellement. Pour demain, le principal défi à relever est l’optimisation de la gestion forestière. Au niveau mondial, le bois constitue en effet la première énergie renouvelable. Mais les forêts n’ont pas vocation à fournir la totalité de l’énergie nécessaire au fonctionnement d’un pays. Aussi, face à l’épuisement programmé des énergies fossiles et à la pollution qu’elles engendrent, il convient de développer les énergies renouvelables liées aux technologies modernes.
Antoine Gence et Éric Meiller travaillent sur deux thèmes inédits dans l’histoire de notre congrès. Concernant les énergies renouvelables, ils « défrichent » véritablement le droit positif, pour offrir au notariat un guide de travail, le premier du genre, permettant d’appréhender des matières aussi diverses que le droit de l’environnement ou le droit de l’énergie.
De la protection à l’exploitation de la forêt
– La multifonctionnalité de la forêt. – La forêt a trois fonctions essentielles : une fonction économique classique, liée à la production du bois ; une fonction écologique évidente, liée à l’absorption du carbone et à la préservation de la biodiversité ; et une fonction sociale, liée à l’accueil du public et aux loisirs. Il convient de préserver avec force ces finalités diverses, et ainsi notre patrimoine commun.
– Le droit de propriété forestier. – La concurrence des droits d’usage issus de l’Ancien droit porte parfois atteinte au caractère absolu du droit de propriété forestier. Citons pêle-mêle l’affouage, le marronnage, le droit de pâturage ou de pacage. Ces droits d’usage, détaillés dans le rapport, ont une nature juridique hybride, entre la servitude et l’usage. La
jurisprudence encore abondante démontre l’actualité immuable du sujet.
– L’usufruit des arbres. – Les articles du Code civil régissant l’usufruit sur les arbres n’ont pas été modifiés depuis 1804 (C. civ., art. 590 à 594). Or, les méthodes de sylviculture ont largement évolué. Les sapinières et les peupleraies étaient par exemple inconnues au 18 e siècle. Les charges liées à la forêt ont également augmenté. Pour pallier cette inadéquation, il existe des solutions contractuelles que le lecteur pourra apprécier dans le rapport. Néanmoins, une mise à jour législative s’impose. Elle sera débattue à Cannes.
– Les sociétés forestières. – Les personnes morales détiennent en propriété un quart des forêts privées de plus d’un hectare. Pour l’essentiel, il s’agit des groupements forestiers, dont le succès ne faiblit pas depuis leur création en 1954. Ces structures sont des sociétés civiles régies par des règles singulières. Elles constituent une solution heureuse, notamment pour lutter contre le morcellement de la forêt. Par ailleurs, depuis 2001, afin de mobiliser des capitaux en faveur de la forêt, les épargnants ont la possibilité de souscrire au capital de sociétés d’épargne forestière. Certains freins sont néanmoins à lever afin que ce placement connaisse l’engouement qu’il mérite.
- Les droits de priorité forestiers. – Afin de lutter contre le morcellement de la forêt, le législateur a créé une multitude de droits de priorité depuis 2010. Ce maquis fait l’objet d’une étude détaillée dans le rapport. Mais nous ne pouvions pas passer à côté d’une proposition de réforme, dont nous débattrons lors du Congrès.
- L’aménagement foncier et les biens sans maître en forêt. – Toujours animé par la volonté de réparer les dommages engendrés par le morcellement de la forêt française, le législateur a étendu les procédures d’aménagement foncier et d’appropriation des biens sans maître au territoire forestier. Les spécificités concernant les bois et forêts sont traitées par cette commission, tandis que des renvois sont opérés vers la première commission s’agissant des règles générales, communes avec le territoire agricole.
- Le défrichement et le boisement. – Le défrichement consiste cumulativement à détruire volontairement l’état boisé d’un terrain et à supprimer sa destination forestière. Sauf exemptions, le défrichement fait l’objet d’une procédure d’autorisation contraignante. En outre, toute autorisation de défrichement comporte une ou plusieurs mesures destinées à compenser les atteintes portées à la forêt. Mais le boisement est également contrôlé, afin de favoriser une répartition optimale des territoires entre l’agriculture, les espaces naturels, la forêt et les espaces habités en milieu rural. Cette législation participe pleinement au maintien d’un équilibre entre nos divers territoires.
- La protection du territoire forestier. – La forêt bénéfice de nombreux dispositifs de protection, en raison notamment de sa fonction environnementale. Un territoire peut ainsi être classé en forêt de protection, en espace boisé classé, ou encore être protégé au titre des espaces naturels sensibles. La biodiversité forestière est également protégée grâce aux zones Natura 2000, aux réserves naturelles et aux arrêtés préfectoraux de protection des biotopes. Enfin, les risques d’incendie, les forêts de montagne et les dunes du littoral font l’objet de dispositions singulières.
- La gestion durable des forêts privées. – En matière de gestion durable de la forêt privée, le plan simple de gestion est l’outil le plus utilisé. La majorité des forêts relevant de l’obligation de souscription d’un PSG en disposent. Ainsi, les bois et forêts d’une surface supérieure ou égale à vingt-cinq hectares (3) sont souvent exploités de façon efficiente. L’arbre ne doit cependant pas cacher la forêt : de nombreuses petites parcelles sont inexploitées, engendrant un sur-stockage de bois sur pied néfaste pour la qualité des bois et pour l’environnement.
- L’exploitation groupée de la forêt. – Les outils favorisant le regroupement de la forêt et sa gestion durable sont évidemment nécessaires. Mais ils sont insuffisants pour accélérer rapidement la mobilisation du stock de bois sur pied, permettant de répondre aux enjeux de demain. Aussi, il convient d’encourager le regroupement de la gestion. Des organismes tels que les associations syndicales de gestion forestière existent déjà, mais il faut aller plus loin, plus vite. Une proposition en ce sens sera présentée à Cannes.
Les énergies renouvelables liées aux technologies modernes
– La transition énergétique. – Les énergies renouvelables reposent sur des ressources a priori inépuisables : l’eau, le vent, le soleil, etc. Deux inconvénients ont longtemps freiné leur développement :
- leur coût, mais les progrès industriels tendent désormais à les rendre compétitives face aux énergies traditionnelles ;
- et leur intermittence. Cette difficulté demeure, mais sera réglée lorsque les différentes énergies renouvelables se compenseront entre elles.
La France est en retard par rapport à ses voisins européens. Chez nous, les énergies renouvelables couvrent environ 18 % de l’énergie consommée, alors que l’Espagne approche les 40 %, l’Allemagne et l’Italie les 35 %. Au niveau mondial, 25 % de l’électricité est renouvelable.
– Le poids des différentes énergies renouvelables en France. - L’hydroélectricité constitue la deuxième source d’électricité en France après le nucléaire. Elle représente près de 13 % de la production. L’éolien représente 25 % de la puissance électrique renouvelable installée en France. Les installations solaires ont une production variable selon les saisons. Elles couvrent environ 0,5 % de la consommation nationale d’électricité pendant le mois de décembre, et près de 3,5 % en août. Les bioénergies couvrent 1,5 % de l’électricité consommée en France. Ce résultat est obtenu aux deux tiers par la méthanisation, et le surplus par la biomasse. Enfin, la géothermie demeure un phénomène marginal en France.
– La mise en place d’une énergie renouvelable. – Sur le plan juridique, les énergies renouvelables relèvent de matières diverses : le droit de l’énergie, le droit de l’urbanisme et le droit de l’environnement. Le Code de l’énergie contient une multitude de règles relatives aux autorisations nécessaires pour produire de l’énergie. Mais il existe également des législations spécifiques à chaque énergie. Le droit de l’urbanisme régit notamment l’implantation et la construction des installations. Enfin, le droit de l’environnement commande de prendre en compte les impacts négatifs sur l’environnement engendrés par l’installation d’une énergie renouvelable. Toutes les énergies renouvelables disposent à ce titre de règles
spécifiques.
– Les impératifs du voisinage. – Le trouble anormal de voisinage est une notion utilisée dans le cadre du contentieux suite à l’installation d’une énergie renouvelable. Elle est souvent invoquée en cas d’échec d’un recours contre une autorisation administrative. Certains de nos concitoyens sont en effet favorables aux énergies renouvelables, mais uniquement lorsqu’elles sont installées loin de chez eux...
– L’exploitation d’une énergie renouvelable. – L’exploitation d’une énergie renouvelable suppose en premier lieu de maîtriser le foncier, support de l’installation. Outre l’acquisition, les techniques contractuelles usuelles à ce titre sont le bail à construction et le bail emphytéotique. Le droit réel de jouissance spéciale offre néanmoins des perspectives nouvelles. Il convient ensuite d’édifier l’ouvrage, dont la qualification meuble ou immeuble emporte des conséquences importantes. Enfin, la source d’énergie doit être contrôlée, ce qui nécessite parfois une autorisation.
– Le sort de la production. – L’énergie produite est vendue ou autoconsommée. Jusqu’alors, le faible coût de l’électricité conjugué aux mécanismes publics de soutien rendait la revente de l’électricité produite plus rentable. Mais l’augmentation des tarifs de l’électricité traditionnelle, la baisse corrélative du prix de rachat de l’énergie produite et des coûts d’installation des unités de production augmentent considérablement l’intérêt de l’autoconsommation. Le choix varie également en fonction de l’identité de l’exploitant : particulier, professionnel ou agriculteur.
– L’arrêt de l’exploitation. – La fin de l’exploitation d’une énergie renouvelable est un sujet majeur, insuffisamment appréhendé par notre législation. Afin d’éviter que nos paysages soient défigurés par des champs d’éoliennes en friche dans trente ans, nous vous proposerons à Cannes la mise en place d’une solution pérenne.
III - Demain, la ville
État des lieux
Depuis 2007, la population mondiale compte plus de citadins que de ruraux. Ce phénomène irréversible s’accentue quotidiennement. Les scientifiques prédisent en effet que près de 80 % de la population mondiale vivra en zone urbaine en 2050. Ces pourcentages se rapportant à une population mondiale elle-même en constante augmentation, les défis à relever en matière de logement, d’infrastructures et de protection de l’environnement sont immenses. Sur ces questions, la France n’est pas différente du reste du monde.
– L’analyse des villes existantes. – Christophe Sardot et Antoine Teitgen mettent en exergue la coexistence de deux catégories de cités sur notre territoire : les villes compactes et les villes étendues. Les solutions permettant d’accompagner l’évolution des unes et des autres diffèrent. En revanche, pour être attractive, chaque cité devra à l’avenir satisfaire aux besoins individuels de ses habitants : logement, nourriture, soins, emploi, numérique, etc., sans sacrifier les nécessités collectives : protection de l’environnement, lutte contre l’artificialisation des sols, mixité sociale, multifonctionnalité des espaces, etc.
Les villes compactes
– La densification des villes compactes. – Le besoin de loger davantage d’individus dans un espace contraint nécessite d’optimiser l’utilisation des ressources foncières, en densifiant raisonnablement les espaces constructibles. Ces ressources proviennent à la fois du foncier non bâti et du foncier bâti. Le rapport analyse avec précision les difficultés liées à la densification, résultant principalement de la complexité et du manque d’efficacité des règles d’urbanisme. Par exemple, le traitement des recours abusifs contre les permis est déficient. Une proposition d’amélioration du dispositif sera débattue à Cannes.
– L’urbanisme de projet. – Il n’existe pas de définition précise de l’urbanisme de projet. Cette notion devrait selon nous, permettre un assouplissement ponctuel des règles contenues dans un PLU. Une vision plus extensive encore, consisterait à permettre la mise en place d’une procédure simplifiée et rapide de modification des règles d’urbanisme locales incompatibles avec un projet d’intérêt général. L’exemple du Grand Paris, certes atypique, prouve néanmoins que les pouvoirs publics sont capables de déplacer des gratte-ciel lorsqu’ils estiment que le jeu en vaut la chandelle...
– La densification du foncier bâti. – Les immeubles bâtis constituent une source de réserves foncières importante. Toute construction laisse en effet de la place à ses confins, situés en dessous, au-dessus et aux pourtours. Les restructurations d’immeubles vieillissants ou délaissés permettent également d’en densifier l’occupation. Toutes ces opérations sont en général coûteuses et soulèvent d’innombrables difficultés juridiques. Le lecteur en prendra la mesure dans le rapport. Elles sont pourtant indispensables dans le cadre d’un développement harmonieux de la ville de demain. Ainsi, nous appelons de nos vœux des mesures de simplification applicables immédiatement.
– La mixité sociale. – La politique sociale de la ville est faite d’échecs successifs, justifiant que sans cesse sur le métier l’ouvrage soit remis. Le dernier outil en date est le bail réel solidaire, reposant sur la dissociation du sol et du bâti. Les modalités de ce contrat sont détaillées dans le rapport, afin que le notariat s’en empare et apporte ainsi sa pierre à
l’édifice de la mixité sociale.
– La multifonctionnalité de l’immeuble. – La multifonctionnalité est un enjeu majeur pour la ville de demain. À l’échelle d’un quartier, elle se traduit par l’addition d’immeubles hébergeant chacun une activité différente. Dans un immeuble, il s’agit de permettre l’utilisation multiple d’un même local dans le temps. Le développement de la multifonctionnalité soulève son lot de contraintes juridiques, notamment au regard des règles régissant la copropriété. À ce titre, les clauses de destination figurant dans les règlements de copropriété constituent souvent un frein. Leur modification implique en effet l’adhésion unanime des copropriétaires. La promotion de la multifonctionnalité invite aujourd’hui à réfléchir à un
adoucissement de cette règle. La libéralisation de la volumétrie constitue également une solution dans l’air du temps.
– Le partage de l’occupation de l’immeuble. – Le partage de l’occupation de l’immeuble se manifeste de deux façons : conjointement ou alternativement. La première hypothèse recouvre des situations aussi diverses que la colocation, la sous-location partielle, la mise à disposition d’une partie de sa résidence principale, l’hébergement intergénérationnel contreservices ou encore les tiers-lieux de travail. L’occupation alternative vise principalement la location touristique temporaire et l’occupation partagée des places de stationnement. Ces phénomènes en plein essor méritent une attention particulière, justifiant des développements dans le rapport.
– Les villes vertueuses. – Cette notion un peu floue recouvre en pratique de nombreuses acceptions. Ainsi, la smart city est un mode de développement durable des villes basé sur le numérique, et permettant d’optimiser la gestion des déchets, de l’électricité, de l’eau, des transports et du stationnement. Les villes durables s’appuient sur la sobriété énergétique et les immeubles évolutifs. Enfin, l’objectif principal des villes vertes est la végétalisation. La somme de toutes ces villes ne doit-elle pas être celle de demain ?
– L’agriculture urbaine. - L’agriculture urbaine n’est plus un phénomène isolé, réservé à quelques privilégiés. En effet, pas une semaine ne passe sans qu’un nouveau projet ne voie le jour. Au-delà des vertus de ce nouveau mode cultural, il convient de répondre aux interrogations juridiques qu’il suscite. En particulier, l’application systématique du statut du fermage à l’agriculture intra-muros laisse perplexe. Son développement nécessite en effet plus de souplesse. Un plaidoyer pour l’autonomie contractuelle sera présenté à Cannes.
Les villes étendues
– La lutte contre l’étalement urbain. – La lutte contre l’étalement urbain est une question existentielle. Il y a encore peu de temps, la consommation de terres agricoles pour construire de nouveaux logements, commerces et infrastructures diverses, semblait être la solution universelle, plus ou moins acceptée par tous. Mais la prise de conscience collective a fait son chemin. Nombre de zones doivent aujourd’hui être sanctuarisées, notamment grâce au développement des PAEN. Et même si elle n’est pas systématiquement condamnable, notamment lorsqu’elle n’est qu’une adaptation proportionnée à la croissance démographique, la consommation d’espaces agricoles et naturels doit être maîtrisée. Il convient à ce titre de combattre le mitage dans les zones urbaines. L’excellente démarche BIMBY va dans ce sens. Mais là encore, des freins sont à lever, notamment celui de la question de la caducité des cahiers des charges des lotissements.
- La redynamisation des centres des villes moyennes. – À l’exception des métropoles, le taux de vacance des locaux commerciaux dans les dix dernières années est en constante augmentation dans les centres-villes. Le rapport évoque de nombreuses pistes afin de sortir de ce cercle vicieux : contrôler le développement des zones périphériques, favoriser le tourisme, rénover les bâtiments remarquables, faciliter le stationnement, mobiliser davantage les acteurs locaux, etc. Au vrai, prises une à une, ces solutions sont insuffisantes. Une vision d’ensemble s’impose, car aucune demi-mesure ne sera efficace.
– La revitalisation des zones rurales. – Certains territoires ruraux sont en déclin. Des zones de « l’hyper-ruralité » sont même au bord de l’effondrement. Malgré l’amour que la France porte à la campagne et à ses habitants, les moyens consacrés ne sont pas à la hauteur des défis à relever. L’apport du numérique est une première étape indispensable à la
sauvegarde de ces espaces délaissés.
– Les villes de montagne et du littoral. – La troisième commission achève son tour de France en évoquant les spécificités des villes de montagne et du littoral. Comment rendre un meilleur hommage à la ville qui nous accueillera du 27 au 30 mai prochain ?
IV - Demain, le financement
État des lieux
Christophe Le Guyader et Marie-Lore Treffot étudient les aspects fiscaux et financiers des sujets évoqués dans les trois premières commissions. Une vision d’ensemble s’impose. Depuis des décennies, les politiques publiques façonnent en effet notre territoire. Ainsi, un développement harmonieux implique une cohérence de ces politiques. Or, cette exigence
fait souvent défaut, qu’il s’agisse des règles régissant l’agriculture, la sylviculture, les nouvelles énergies ou la ville.
Du patrimoine agricole à l’exploitation sylvicole
– La fiscalité des mutations à titre onéreux en agriculture. – Il existe de nombreux régimes de faveur en matière de mutations à titre onéreux en agriculture. Sous certaines conditions, le preneur bénéficie d’un taux réduit de 0,70 % lorsqu’il acquiert les terres qu’il prend à bail. Toujours sous certaines conditions, les échanges d’immeubles ruraux bénéficient d’une exonération des droits d’enregistrement, à l’exception des soultes soumises au tarif prévu pour les ventes d’immeubles. Enfin, les cessions réalisées par la SAFER sont dispensées de toute perception au profit du Trésor. Les objectifs poursuivis par le législateur sont divers : favoriser l’acquisition des terres par les agriculteurs qui les cultivent, faciliter la restructuration du foncier et donner aux SAFER les moyens de mettre en œuvre leurs missions.
– La fiscalité des mutations à titre gratuit en agriculture. – Les transmissions à titre gratuit bénéficient également de régimes fiscaux de faveur. Outre la loi Dutreil, applicable aux entreprises ayant une activité agricole, les droits de mutation à titre gratuit pour les biens donnés à bail rural à long terme sont partiellement exonérés sous certaines conditions, à hauteur de 75 % de leur valeur jusqu’à 101 897 O et 50 % au-delà. La transmission de parts de GFA bénéficie d’une exonération partielle similaire, soumise au respect de conditions propres.
– L’inscription des terres au bilan. – L’exploitant individuel a la faculté d’inscrire ses terres au bilan de son exploitation ou de les conserver dans son patrimoine privé. Cette option engendre des conséquences importantes en matière d’imposition des plus-values de cession. Le Code général des impôts instaure en effet plusieurs régimes d’exonération. Hormis le cas particulier des terrains à bâtir, il est en général plus avantageux de ne pas opter pour la conservation des terres dans le patrimoine privé de l’exploitant.
- L’imposition des bénéfices agricoles. - Le droit commun de l’imposition des bénéfices agricoles est constitué par le micro-BA et le régime réel, simplifié ou normal. Les exploitants dépendent de l’un ou de l’autre en fonction de seuils de recettes. Par ailleurs, les exploitants au réel bénéficient de dispositifs spécifiques, justifiés par la variabilité du revenu, soumis à des cycles plus prononcés que le reste de l’économie et à des aléas climatiques. Ainsi, les régimes de moyenne triennale et d’étalement des revenus exceptionnels permettent de lisser les revenus, tandis que les régimes de déduction incitent à l’investissement et à l’épargne. Ces dispositifs complexes font l’objet de développements détaillés dans le rapport. Une
proposition de simplification sera présentée à Cannes.
- La PAC, horizon 2020. - Les aides de la PAC se décomposent en deux piliers.
Le premier pilier concerne le soutien à la production. Il incarne la solidarité européenne envers le secteur agricole. Le second pilier concerne l’environnement, l’aménagement du territoire et la cohésion sociale. L’originalité de la PAC actuelle tient à l’existence de paiements connexes aux droits à paiement de base, conditionnant pour partie l’octroi des aides découplées à l’accomplissement de pratiques environnementales vertueuses. Ces nouvelles conditions entraînent un verdissement du premier pilier. Les frontières entre les deux piliers deviennent ainsi de plus en plus poreuses. Une attention particulière est portée au régime des droits à paiement de base dans le rapport, dont le transfert intéresse particulièrement le notariat.
- L’acquisition de la forêt. - Les transmissions à titre onéreux de parcelles boisées sont imposées sous le régime de droit commun des mutations à titre onéreux d’immeubles. En effet, tant que les arbres ne sont pas abattus, les coupes de bois taillis et de futaies sont des immeubles par nature, taxables à ce titre (C. civ., art. 521). En revanche, les bois sur pied sont des meubles dont la vente échappe à la taxe de publicité foncière. Pour favoriser le regroupement de la propriété, les cessions de parts de groupements forestiers sont enregistrées au droit fixe de 125 O, quel que soit le montant du prix de cession. Les mutations à titre gratuit de bois et forêt bénéficient également d’un régime fiscal de faveur, communément dénommé régime « Monichon ». L’exonération partielle est de 75 %, sans limitation de montant. Elle profite tant aux parcelles de bois et forêts qu’aux parts de groupements forestiers. Pour en bénéficier, il convient de remplir certaines conditions. En particulier, un engagement de gestion durable doit être souscrit et respecté.
- La propriété de la forêt. - Les propriétaires de parcelles en nature de bois et forêts et de parts de groupements forestiers sont exonérés d’impôt sur la fortune immobilière à concurrence des trois quarts de leur valeur (CGI, art. 976). Cette exonération est subordonnée aux mêmes conditions que celles relatives aux exonérations partielles de droits de mutation à titre gratuit, notamment l’engagement d’appliquer une garantie de gestion durable. En matière de taxe foncière, de nombreuses exonérations profitent aux bois et forêts. Par ailleurs, les impôts directs d’un montant inférieur à 12 O par article de rôle ne sont jamais mis en recouvrement (CGI, art. 1657, 2). Or, en pratique, la taxe foncière sur les parcelles boisées est modique pour les petites surfaces. Ainsi, de nombreuses parcelles de bois et forêts échappent à cet impôt. Une fiscalisation inciterait peut-être certains propriétaires à les céder, ce qui favoriserait leur regroupement et, in fine, leur exploitation.
- La cession de la forêt. – Les plus-values engendrées par la cession de bois et forêts ou de parts de sociétés forestières relèvent soit du régime des plus-values immobilières des particuliers, soit du régime des plus-values professionnelles. Un abattement spécifique représentatif du forfait forestier d’un montant de 10 O par année de détention et par hectare cédé s’applique sous certaines conditions. L’ensemble de ces dispositifs est détaillé dans le rapport.
- L’imposition des revenus forestiers. - Un système d’imposition singulier s’applique généralement aux revenus forestiers, compte tenu des années nécessaires à leur perception et à leur importance lorsqu’ils surviennent : il s’agit du régime du forfait forestier. Ce dispositif est particulièrement adapté au cycle long de la forêt.
- Les dispositifs d’encouragement à l’investissement en forêt. - Plusieurs dispositifs de réductions et de crédits d’impôt profitent aux personnes physiques réalisant des opérations forestières. Ces dispositifs sont connus sous les dénominations « DEFI acquisition », « DEFI assurance », « DEFI travaux » ou encore « DEFI contrat de gestion ». Ils concourent tous à une meilleure gestion de la forêt.
- La fiscalité de la vente d’énergie renouvelable. - Les bénéfices issus de la vente d’énergie renouvelable sont imposés à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des BIC ou à l’impôt sur les sociétés. Le régime des « micro-BIC » est applicable aux entreprises réalisant un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 170 000 O hors taxes. Ainsi, en pratique, de nombreux contribuables en bénéficient.
- Une fiscalité allégée pour certains microprojets. - Les propriétaires individuels et les copropriétaires dans un immeuble collectif ont la faculté de produire de l’électricité grâce à l’installation de panneaux solaires ou d’éoliennes domestiques. Dans ce cadre, ils bénéficient d’une fiscalité particulière. Par exemple, sous certaines conditions relativement souples, les personnes physiques qui vendent de l’électricité produite uniquement par des panneaux photovoltaïques sont exonérées d’impôt sur le revenu.
- L’agriculteur producteur d’énergie renouvelable. – Les agriculteurs sont des acteurs incontournables de la production d’énergie renouvelable. Les espaces dont ils disposent leur permettent en effet d’implanter aisément des panneaux solaires et des éoliennes. Ils bénéficient à ce titre d’une fiscalité spécifique. L’article 75 du Code général des impôts permet en effet aux exploitants de rattacher aux bénéfices agricoles les produits des activités accessoires, commerciales et non commerciales, réalisés sur l’exploitation, sous réserve de respecter certains seuils. Les agriculteurs producteurs de biomasse bénéficient également d’un régime spécifique.
- Le soutien des pouvoirs publics. - Malgré les progrès technologiques, le développement des énergies renouvelables nécessite encore un soutien financier. Ce soutien résulte de la garantie de vendre l’électricité moyennant un prix assurant un équilibre avec l’investissement réalisé, notamment grâce aux contrats d’achat. D’autres dispositifs complétant ces aides sont également détaillés dans le rapport.
- Les aides favorisant la rénovation énergétique. – Le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) et les subventions versées par l’ANAH sont les principaux dispositifs favorisant la rénovation énergétique. Malheureusement, il s’agit plus de saupoudrage ponctuel que d’aides à la rénovation globale des logements. Pour rendre les dispositifs efficients, nous pourrions nous inspirer de l’Allemagne, où le montant des aides est corrélé avec le gain énergétique procuré par les travaux.
- La nécessité de construire de nouveaux immeubles. – L’édification de nouveaux immeubles implique l’utilisation de nouveaux espaces constructibles, provenant notamment des terrains à bâtir et de la surélévation des bâtiments existants. Or, la fiscalité actuelle des terrains à bâtir n’incite pas à leur libération. En effet, la taxe foncière sur les propriétés non bâtie est en général modérée, alors que les impositions en cas de vente sont souvent très élevées (4). Concernant les droits de surélévation des bâtiments existants, une exonération temporaire des plus-values incite en revanche à leur cession.
- Le soutien à l’investissement immobilier locatif. – Le soutien à l’investissement immobilier locatif se traduit par des réductions ou des crédits d’impôt sur le revenu. Il s’agit des dispositifs « Duflot-Pinel », « Censi-Bouvard » et « Girardin », dont les modalités sont détaillées dans le rapport. Ils permettent de soutenir le secteur locatif intermédiaire, l’hébergement des personnes âgées, des étudiants et des touristes, et le logement dans les départements d’outre-mer.
- La compensation des atteintes aux milieux naturels. - La démographie actuelle engendre des besoins croissants en logements et en infrastructures diverses. Même si elle est essentielle, la densification des espaces déjà urbanisés n’est pas suffisante. Or, l’artificialisation de nouveaux espaces porte nécessairement atteinte à l’environnement. La loi sur la protection de la nature du 10 juillet 1976 a intégré pour la première fois le respect de préoccupations environnementales dans les procédures d’autorisation de travaux ou d’aménagements. À ce titre, la demande d’autorisation doit comprendre les mesures envisagées permettant d’éviter les atteintes à l’environnement, à défaut, de les réduire au maximum et, enfin, de compenser les conséquences dommageables pour l’environnement. Il s’agit du triptyque « éviter, réduire, compenser ». L’évitement et la réduction ne sont pas toujours possibles ou malheureusement insuffisamment appréhendés par le maître d’ouvrage. Ainsi, la compensation censée intervenir en ultime ressort est fréquente en pratique. Plusieurs législations ont repris ce principe. Certaines pour limiter les atteintes environnementales à des sites ou des espèces spécifiques, d’autres pour lutter contre la raréfaction des terres servant de support à des activités vitales telles que l’agriculture. Il existe ainsi plusieurs formes de compensation, classées en deux catégories : la compensation écologique, propre à la biodiversité, et les compensations sectorielles, relatives à l’agriculture et à la forêt. Ce sujet passionnant, qui aurait pu être traité par chaque commission, fera l’objet d’une proposition à Cannes.
Il m’est impossible de clore cet avant-propos sans remercier un homme extraordinaire qui nous accompagne à travers les chemins de traverse depuis deux ans : Monsieur le Professeur Hubert Bosse-Platière. Je me souviens d’une de nos premières rencontres au cours de laquelle il m’a remémoré cette citation d’Antoine de Saint-Exupéry qui sied si bien à notre congrès : « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants. ».