La lutte frontale entre urbanisation et fermage

La lutte frontale entre urbanisation et fermage

Le combat de l'urbanisation contre le maintien de la nature agricole des terres exploitées se cristallise dans le déséquilibre, en faveur du propriétaire, des droits du bailleur et du preneur liés par un bail soumis au statut du fermage (§ I). Un léger rééquilibrage s'effectue néanmoins par petits pas (§ II).

Le grand déséquilibre en faveur de l'urbanisation

– Avantage urbanisation. – Le combat mené par les surfaces agricoles et naturelles contre l'étalement urbain est une lutte à armes inégales (V. n° ). S'il était nécessaire d'en apporter la preuve, on la trouverait dans l'article L. 411-32 du Code rural et de la pêche maritime. Cet article prend l'exact contre-pied de la soi-disant indéfectible protection que la législation française est censée procurer à l'exploitant agricole bénéficiaire du statut du fermage. En décidant que « le propriétaire peut, à tout moment, résilier le bail sur des parcelles dont la destination agricole peut être changée et qui sont situées en zone urbaine en application d'un plan local d'urbanisme ou d'un document d'urbanisme en tenant lieu », la loi penche clairement dans le camp du bailleur. Près de 75 % de la surface agricole utile étant exploitée sous forme d'un bail rural, cet article est ainsi au cœur de l'artificialisation des sols agricoles.
La résiliation prenant effet par la loi un an après la notification faite par acte extrajudiciaire, le preneur a juste le temps d'effectuer les récoltes en cours et de prendre ses dispositions en vue d'une réinstallation. Une indemnité calculée comme en matière d'expropriation lui est due 1509630489259. Néanmoins, le bailleur est dispensé de toute indemnité si la résiliation pour urbanisation coïncide avec la fin du bail, à condition de délivrer un congé valant refus de renouvellement pour motif de changement de destination agricole du bien loué dix-huit mois avant la fin du bail 1509630941130.
Le déséquilibre est renforcé par l'absence de réintégration du preneur 1509631692105lorsque le bailleur ne respecte pas son engagement 1509744398540de changer la destination des terrains dans le délai de trois ans lui étant imparti pour le faire 1509633401890.
– Pas à un paradoxe près. – Alors que le législateur prétend sans vergogne défendre coûte que coûte ses agriculteurs contre l'envahissement de la ville et lutter d'arrache-pied contre l'étalement urbain, il accorde au bailleur un droit de résiliation unilatérale et extrajudiciaire. Cet article apparaît comme un paradoxe 1509628721857, voire une incongruité 1509628419495.
Et pourtant, l'agriculteur n'est pas victime d'un abandon soudain. Il souffre d'une situation ancienne 1510868167273, seule la lenteur des petits pas de rééquilibrage faits en sa direction étant critiquable.

Les petits pas de rééquilibrage

– Un léger rééquilibrage légal. – Le régime de résiliation du bail rural pour cause d'urbanisme n'est pas nouveau. Il a été institué par la loi d'orientation agricole du 30 décembre 1967 1509605705384, à une époque où l'impératif de la gestion économe des sols n'existait pas encore. À l'origine, l'article 844 1509629822733du Code rural était encore plus sévère que l'article L. 411-32 du Code rural et de la pêche maritime puisque le bailleur pouvait résilier le bail à tout moment, dès lors que le plan d'occupation des sols ne destinait plus le terrain à l'agriculture. La loi du 15 juillet 1975 a modifié l'article 830-1 par une limitation exclusive de son champ d'application aux zones urbaines définies par un POS. La règle actuelle est ainsi moins sévère qu'à sa création. La Cour de cassation en est le vigilant cerbère.
– Le cerbère jurisprudentiel. – Prise dans la frénésie de l'étalement urbain de la fin du siècle dernier, la jurisprudence aurait pu se laisser tenter d'inverser sa politique d'appréciation du classement, en profitant par exemple du passage du POS au PLU ou des changements de zonage pour privilégier le bailleur. Mais la Cour de cassation maintient son exigence originelle : seul le classement des parcelles en zone U, au sens de l'article R. 123-5 du Code de l'urbanisme, permet l'application des dispositions de l'article L. 411-32 du Code rural et de la pêche maritime 1509631371477. L'aptitude à urbaniser n'est pas suffisante 1509606948441.
– La difficulté de la pratique alternative. – À défaut d'un document d'urbanisme classant les terrains concernés en zone U, le deuxième alinéa de l'article L. 411-32 du Code rural et de la pêche maritime permet au bailleur d'exercer son droit de résiliation avec l'autorisation de l'autorité administrative 1509607298205. Mais cette procédure est longue et compliquée, constituant en pratique la meilleure protection du preneur. Elle nécessite la consultation préalable de la commission consultative départementale des baux ruraux (C. rur. pêche marit., art. D. 411-9-12-2).
Aucun délai n'est imposé au préfet pour répondre 1509607851518, mais son silence pendant plus de quatre mois vaut rejet de la demande (C. rur. pêche marit., art. R. 411-9-12). En pratique, les commissions consultatives départementales se réunissent rarement, tendant à rallonger les délais d'une procédure complexe et encourageant les mesures dilatoires.
– Des mesures dilatoires. – Très souvent, l'agriculteur demande l'annulation de l'acte de résiliation devant le juge judiciaire. Lorsque l'autorisation préfectorale est nécessaire, il a également la faculté d'attaquer la décision du préfet lui étant défavorable devant le tribunal administratif.
Le plus souvent, ces contestations sont menées de front, un référé-suspension étant en outre engagé pour faire échec à la résiliation immédiate du bail.
En pratique, ces mesures dilatoires, si elles ne sont que temporaires, sont très efficaces et « retardent parfois considérablement la satisfaction des besoins (...) en logements de la population » 1509632945256.
C'est d'autant plus vrai que le preneur ne peut pas être contraint de quitter les lieux avant l'expiration de l'année culturale en cours lors du paiement de l'indemnité pouvant lui être due 1510857672293(C. rur. pêche marit., art. L. 411-32, dernier al.). Ainsi, il a tout intérêt à contester toute offre amiable pour retarder son départ 1509743238459. Le bailleur, souvent tenté de demander la fixation de l'indemnité d'éviction en demande reconventionnelle à l'instance relative à la contestation de l'acte de résiliation, a bien meilleur intérêt à suivre la procédure proposée par l'article L. 411-32 du Code rural et de la pêche maritime et à agir en référé-expertise ou en référé-provision.