CGV – CGU

Partie IV – L’exécution des contrats dans un contexte international
Titre 1 – L’exécution du contrat
Sous-titre 1 – La nécessaire constatation de la force exécutoire
Chapitre III – La confiance mutuelle, la force exécutoire européenne

4261 L’espace de liberté, de sécurité et de justice est issu directement du droit primaire323de l’Union européenne. Découle de ce principe une reconnaissance mutuelle324entre États membres des actes authentiques. Cette espace de circulation et d’exécution des actes varie en fonction des règlements applicables, c’est à dire de leur champ d’application. Le propos est ici limité à l’exécution des obligations contractuelles.

Trois textes peuvent s’appliquer en matière d’exécution des actes authentiques ; le règlement Bruxelles I bis325, le règlement portant création du titre exécutoire européen (TEE)326et la convention de Lugano du 30 octobre 2007. Il importe de connaître les champs d’application de chacun (Section I) avant de s’interroger sur les modalités de délivrance du titre exécutoire (Section II).

Section I – Les champs d’application

4262 Les trois champs d’application, spatial, temporel et matériel des textes susvisés sont-ils identiques ? La réponse à cette question permet de choisir le texte qui fonde la délivrance du titre exécutoire.

§ I – Le champ spatial

4263 Le champ territorial de ces textes crée un espace judiciaire européen de trente États par suite de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Aux vingt-sept États membres de l’Union s’ajoutent trois États de l’Association européenne de libre-échange327signataires de la convention de Lugano, exclusion faite du Liechtenstein. Un acte authentique qui doit s’exécuter dans l’un des États membres de l’Union peut se fonder sur le règlement Bruxelles I bis et le règlement « TEE ». Il faut noter que la convention de Bruxelles328demeure applicable dans les territoires des États membres qui entrent dans son champ d’application territorial et qui sont exclus du règlement en vertu de l’article 355 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne329. En France, ce sont la Nouvelle-Calédonie et ses dépendances, la Polynésie française, les Terres australes et antarctiques françaises, les îles Wallis-et-Futuna, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon330.

Un acte notarié dont le pays d’origine ou le pays d’exécution est la Suisse, l’Islande ou la Norvège se base sur la convention de Lugano.

§ II – Champ d’application spatial

4264 La date de l’acte authentique permet là encore de choisir le texte applicable. La délivrance d’un titre exécutoire européen est possible pour les actes signés depuis le 21 octobre 2005.

La convention de Lugano de 2007 s’est substituée à celle du 16 septembre 1988 en raison de l’adoption du règlement Bruxelles I. Elle s’applique pour les actes signés à compter du 1er janvier 2010.

Le passage du règlement Bruxelles I à Bruxelles I bis, qui s’applique aux actes signés à compter du 10 janvier 2015, pose un véritable problème. La procédure de délivrance du certificat constatant le caractère exécutoire de l’acte est plus lourde sous l’égide du règlement Bruxelles I.

§ III – Champ matériel

4265 Le champ matériel est à analyser sous l’angle des matières couvertes par les règlements (A), mais aussi concernant la nature des litiges en cause (B).

A/ Des matières couvertes presque identiques

4266 Les trois textes s’appliquent aux matières civiles et commerciales. Sont exclus du champ d’application de ces textes les actes régis par le droit public331. Le fait que l’une des parties au contrat soit une personne de droit public n’a pas d’incidence. C’est la nature de la relation contractuelle qui fonde l’action332. La soumission en tout ou partie au droit privé aux fins d’exécution est à ne pas négliger, voire à négocier lors de la conclusion du contrat.

Les matières exclues sont visées par les trois textes et sont presque similaires. Le règlement Bruxelles I bis écarte expressément de son champ d’application les régimes patrimoniaux. Le règlement sur le titre exécutoire européen et la convention de Lugano ne font pas référence à cette exclusion. L’entrée en vigueur du règlement sur les partenariats enregistrés333va régler la question pour toutes les relations entre personnes ayant conclu leur partenariat à compter du 29 janvier 2019. La question se pose de la délivrance d’un titre exécutoire européen pour les relations entre partenaires dont la convention est antérieure. La Cour de justice de l’Union européenne est chargée de l’interprétation des règlements. Aurait-elle la possibilité d’exclure le titre exécutoire européen du champ des régimes patrimoniaux ? Le principe de confiance mutuelle fonde la possibilité de délivrer un titre exécutoire européen. Le contrat de partenariat authentique n’est pas obligatoirement connu dans tous les États membres. Ce contrat inclut une relation de vie commune. Le législateur européen, lors de la révision du règlement Bruxelles I, a évoqué l’idée de supprimer le règlement « TEE ». Le règlement Bruxelles I bis a anticipé la négociation du règlement « Partenariats enregistrés » en l’excluant de son champ d’application. Il apparaît ainsi cohérent d’exclure du champ d’application du règlement « TEE » les régimes patrimoniaux.

B/ Un champ matériel des litiges différent

4267 Il existe des différences entre le règlement Bruxelles I bis et le règlement « TEE » quant à la nature de la créance et au caractère international de la situation.

Le règlement « TEE » ne porte que sur les créances incontestées alors que l’acte authentique soumis au règlement Bruxelles I bis peut porter sur l’exécution de toute obligation. La notion de créance incontestée est d’interprétation autonome et indépendante des procédures civiles des États membres334. La créance est réputée incontestée si le débiteur l’a expressément reconnue dans un acte authentique335. L’acte notarié porte donc indication d’une créance, laquelle est définie comme « un droit à une somme d’argent déterminée qui est devenue exigible ou dont la date d’échéance a été indiquée… [dans] l’acte authentique »336. La rédaction de l’acte notarié est importante afin que l’obligation contractuelle à la charge du débiteur puisse être qualifiée de créance.

Le litige n’a pas à être initialement international. L’acte notarié qui contient l’existence d’une créance peut-être sans élément d’extranéité initiale. Le litige purement interne à la France n’interdit nullement la possibilité de délivrer un titre exécutoire européen, dès lors que celui-ci est nécessaire pour que s’exécute l’obligation sur des biens situés au sein de l’Union européenne337.

Les champs d’application des textes sont assez proches. Le choix de la procédure pour obtenir un titre exécutoire hors du pays d’origine peut se faire en fonction des modalités de délivrance du titre.

Section II – Les modalités de délivrance du titre exécutoire

4268 L’adoption du règlement Bruxelles I bis a modifié la procédure en matière de délivrance du titre exécutoire portant sur un acte authentique. Il est aujourd’hui reconnu le caractère exécutoire à l’acte sans aucune formalité dans le pays d’exécution. « Les actes authentiques qui sont exécutoires dans l’État membre d’origine sont exécutoires dans les autres États membres, sans qu’une déclaration constatant la force exécutoire ne soit nécessaire »338. L’acte doit être authentique selon la définition donnée par le règlement. Ce qui ne pose pas de véritable question pour l’acte notarié français.

Le seul formalisme imposé relève de l’article 60 du règlement Bruxelles I bis : « L’autorité compétente (…) de l’État membre d’origine délivre, à la demande de toute partie intéressée, le certificat qu’elle établit en utilisant le formulaire figurant à l’annexe II ».

Quelle autorité est compétente pour délivrer ce certificat ? Dans sa rédaction initiale339, l’article 509-3 du Code de procédure civile donnait compétence au président de la chambre des notaires340. Aujourd’hui, l’article 509-3 dispose : « Par dérogation aux articles 509-1 et 509-2, sont présentées au président de la chambre des notaires (…) les requêtes aux fins de certification, de reconnaissance ou de constatation de la force exécutoire, sur le territoire de la République, des actes authentiques notariés étrangers »341.

Le fait de viser uniquement les actes étrangers est contraire au principe posé par le règlement Bruxelles I bis, car seule l’autorité de l’État d’origine est visée. Qu’en est-il de l’acte notarié dressé par un notaire français à exécuter dans un autre État de l’Union ? À la lecture des textes, peu cohérents, seul le président de la compagnie dont dépend le notaire peut délivrer le certificat de l’article 60 du règlement Bruxelles I bis.

Il y a là une grande différence avec le règlement « TEE ». L’article 25 dispose que l’acte « est, sur demande, adressé à l’autorité désignée par l’État membre d’origine, certifié en tant que titre exécutoire européen en utilisant le formulaire type figurant à l’annexe III ». Le Code de procédure civile donne compétence au notaire rédacteur de l’acte pour délivrer le certificat de titre exécutoire européen342.

Si l’on s’en tient à la rédaction de l’article 509-3 du Code de procédure civile, préférence doit être donnée à la délivrance du titre exécutoire européen, ce qui n’est pas cohérent avec l’esprit du règlement Bruxelles I bis.

L’acte n’a pas à être traduit, seule la traduction du certificat peut être demandée343.

Une fois l’acte notarié reconnu comme exécutoire, sa mise en exécution doit être envisagée.


323) TFUE, art. 67-1 : « 1. L’Union constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice dans le respect des droits fondamentaux et des différents systèmes et traditions juridiques des États membres ».
324) TFUE, art. 67-4 : « 4. L’Union facilite l’accès à la justice, notamment par le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ».
325) Règl. (UE) n° 1215/2012, 12 déc. 2012, lequel refond le règlement dit « Bruxelles I ».
326) PE et Cons. CE, règl. (CE) n° 805/2004, 21 avr. 2004, portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées.
327) L’AELE comprend aujourd’hui quatre États : la Suisse, l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein.
328) Du 27 septembre 1968.
329) PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 1215/2012, 12 déc. 2012, art. 68, al. 1er.
330) C. Gentili : JCl. Encyclopédie des Huissiers de Justice, V° Compétence des juridictions civiles, Fasc. 50, Compétence internationale dans l’Union européenne.
331) Pour une présentation un peu plus complète, V. supra, commission 1, n° a1188.
332) B. Audit et L. d’Avout, Droit international privé, LGDJ, 8e éd. 2018, p. 504, n° 610.
333) Règl. (UE) n° 2016/1104, 24 juin 2016, V. supra, commission 3.
334) CJUE, 16 juin 2016, aff. C-511/14, Pebros Servizi : JDI 4 oct. 2017, chron. 11, obs. Quéguiner.
335) Règl. n° 805/2004, 21 avr. 2004, art. 3, § 1 d).
336) Règl. n° 805/2004, 21 avr. 2004, art. 4.
337) F. Cornette, Comment obtenir un titre exécutoire européen : Europe juin 2016, n° 6, prat. 2.
338) Règl. Bruxelles I bis, art. 58.
339) Antérieure au décret du 26 décembre 2014.
340) « Par dérogation aux articles 509-1 et 509-2, les requêtes aux fins de certification, de reconnaissance ou de constatation de la force exécutoire des actes authentiques notariés, en application des règlements précités des 12 décembre 2012 et 18 décembre 2008, ainsi que de la convention précitée du 30 octobre 2007, sont présentées au président de la chambre des notaires ou, en cas d’absence ou d’empêchement, à son suppléant désigné parmi les membres de la chambre. »

341) « En application : (…)

– du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. »

342) « Par dérogation à l’article 509-1 sont présentées au notaire ou à la personne morale titulaire de l’office notarial conservant la minute de l’acte reçu les requêtes aux fins de certification des actes authentiques notariés en vue de leur acceptation et de leur exécution à l’étranger en application :

– du règlement (CE) n° 805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées. »

343) H. Péroz : JCl. Europe Traité, Fasc. 2810, Titre exécutoire européen, n° 84.
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