CGV – CGU

Partie II – Les modes de détention immobilière à l’international
Titre unique – Le choix du mode de détention immobilière à l’international
Sous-titre 2 – La propriété immobilière au moyen d’une société française ou étrangère
Chapitre I – Les contraintes statutaires de la détention immobilière via une société

4177 En cas d’acquisition immobilière par le biais d’une société de droit étranger, le notaire doit se montrer prudent et effectuer quelques vérifications particulières (Section I). Si les acquéreurs étrangers optent pour une société de droit français, il convient de ne pas négliger le devoir d’information au sujet de la vie d’une société civile en France (Section II).

Section I – Les contrôles formels en cas d’acquisition au moyen d’une société de droit étranger

4178 En cas d’acquisition par l’intermédiaire d’une société étrangère, le notaire doit effectuer des contrôles formels spécifiques afin d’assurer la sécurité juridique de l’acte de vente200.

Si toutes les sociétés de personnes valablement constituées dans leur pays d’origine sont reconnues en France depuis longtemps, ce n’est que depuis la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 que toutes les sociétés de capitaux établies dans un autre État le sont également201. Ainsi, si une société a été valablement créée dans un État étranger et qu’elle y est dotée de la personnalité morale, elle est automatiquement reconnue en France. Nulle transcription sur un registre commercial français n’est nécessaire pour qu’elle puisse exercer une activité en France. Il est à noter que le trust anglo-saxon n’a pas de personnalité morale selon le droit français ; il est donc impossible pour un trust de droit anglais d’acquérir un bien immobilier en France. Il en est de même des sociétés civiles allemandes et italiennes qui ne sont pas non plus dotées de la personnalité morale et ne peuvent donc pas se porter acquéreurs de biens et droits immobiliers situés en France.

Avant de signer des actes en faisant comparaître une société étrangère, le notaire doit donc s’assurer que cette société a été valablement constituée en demandant un extrait du registre du commerce et des sociétés de l’État d’origine. Si ce document est établi dans une langue qu’il ne maîtrise pas, il doit en demander une traduction qui sera éventuellement revêtue de l’apostille, selon les conventions existant avec l’autre État.

Ensuite, le praticien doit vérifier que la société de droit étranger a une réelle capacité de jouissance et d’exercice. Le critère de rattachement pour déterminer cette capacité est celui de la loi de la nationalité, qui est celle du siège social réel, c’est-à-dire le lieu où est exercée la direction effective de la société. Une société étrangère ne peut avoir en France de capacité plus large que dans son État de création, si cet État connaît « le principe de spécialité statutaire »202. Pour rechercher quelle est la capacité d’exercice de la société, le notaire doit obtenir une copie des statuts de la société, qui seront traduits si le notaire n’est pas en mesure de les comprendre. Si aucune convention ne dispense des formalités de légalisation ou d’apostille, celle-ci sera requise. Il ne faut pas omettre de contrôler que l’objet de la société comprend notamment le droit d’acquérir, d’administrer, de louer des biens immobiliers.

4179 Dès lors qu’il sait que la société a été valablement constituée et qu’elle a la capacité d’acquérir un bien immobilier, le notaire doit rechercher qui a la qualité pour la représenter. À défaut de précision dans les statuts qui lui sont présentés, il demande une copie de la délibération qui a nommé la personne ayant le pouvoir d’agir au nom de la société, que ce soit un gérant, un président, ou un simple délégataire de la signature. Il faut bien vérifier que cette personne a réellement le pouvoir de signer un acte d’acquisition immobilière pour le compte de la société. Pour cela, une étude approfondie des statuts et des délibérations ne doit pas être négligée. Il est également important de vérifier le certificat d’immatriculation de la société, qui peut comporter des précisions en la matière. Selon la première directive européenne du droit des sociétés du 9 mars 1968203, qui a repris la théorie allemande de la Prokura204, les limitations statutaires des pouvoirs du gérant d’une société sont inopposables aux tiers. En revanche, les limitations légales sont opposables aux tiers. Dès lors, le notaire doit se renseigner sur le contenu de la lex societatis. En cas de doute, il est fortement conseillé d’obtenir un certificat de coutume (ou legal opinion ou affidavit) d’un juriste étranger spécialisé en la matière. Selon M. Menjucq205, il appartient à l’officier ministériel de vérifier strictement « l’identité, la capacité et les pouvoirs des cocontractants, sous peine d’engager sa responsabilité ».

Afin de vérifier l’identité de la personne morale acquéreur d’un bien immobilier en France, selon l’article 6, alinéa 1er du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, le notaire doit contrôler le certificat d’immatriculation de la société, qui doit comporter la dénomination, la forme juridique, le siège social et le numéro d’immatriculation s’il y en a un, les prénom(s), nom(s) et domicile du ou des représentant(s) de la société. S’il n’existe pas de certificat d’immatriculation ou d’extrait de registre du commerce et des sociétés dans le pays du siège social, il peut être établi un certificat d’identité de la société par une autorité administrative de cet État ou par un agent diplomatique ou consulaire représentant la République française dans ce pays. Il devra être traduit en langue française s’il est rédigé en langue étrangère : la traduction doit être effectuée par un traducteur assermenté ou par l’autorité consulaire apte à certifier la traduction.

Après avoir vérifié que l’identité de la société est correcte, le notaire doit s’assurer qu’elle a réellement la capacité d’acquérir un bien immobilier. Il lui faut donc obtenir une copie du certificat d’immatriculation et des statuts constitutifs. Il contrôle également que le représentant de la société a été valablement habilité à signer l’acte de vente. Si les statuts exigent une délibération de l’assemblée générale des associés pour autoriser le représentant de la société à signer l’acte de vente, il doit la demander.

Il est conseillé au notaire d’obtenir un affidavit d’un juriste étranger lui confirmant l’existence de la société, que celle-ci a la personnalité juridique, qu’elle n’est pas soumise à une procédure de redressement ou liquidation judiciaire, qu’elle a le droit de vendre ou acquérir un bien immobilier, que la décision d’acquérir ou de vendre a été valablement prise, et que le représentant de la société a le pouvoir de la représenter et de l’engager vis-à-vis des tiers.

Si le certificat d’identité de la société émane d’une autorité étrangère puisque le siège social est établi à l’étranger, il est soumis à la formalité de la légalisation ou de l’apostille ou dispensé de cette formalité, en fonction de l’existence ou non d’une convention liant la France avec le pays d’origine applicable en la matière.

Bien que la société ait son siège social à l’étranger, le notaire doit conseiller aux associés de vérifier avec un juriste compétent dans ce pays si l’acquisition du bien immobilier en France doit être déclarée au registre du commerce de cet État ou si le capital doit être considéré comme augmenté ou non suite à l’achat en France. Il existe en effet des pays où la société subira une taxation accrue en raison de son investissement en France.

Sur ces sujets, on rappellera d’une façon générale l’utilité d’avoir recours à une legal opinion établie par un juriste local (V. supra, n° a2288).

Section II – Les informations spécifiques en cas d’acquisition au moyen d’une société de droit français par des acquéreurs étrangers

4180 En cas d’option pour une acquisition par une SCI ou d’apport immobilier à une société civile familiale, le notaire doit conseiller à ses clients de réaliser une véritable gestion. Ils doivent veiller à assurer un caractère réel à la SCI pour qu’elle ne soit pas considérée comme fictive au sens des articles L. 621-2, alinéa 2 et L. 631-7 du Code de commerce.

Cela se concrétise notamment par l’ouverture d’un compte bancaire au nom de la SCI. Les banques sont parfois réticentes à l’idée d’ouvrir des comptes bancaires lorsque les associés sont de nationalité étrangère et tout particulièrement s’ils sont originaires d’un État figurant sur la liste des pays jugés « non coopératifs »206. Selon l’article L. 312-1 du Code monétaire et financier207, il existe une obligation d’ouvrir un compte bancaire à toute personne physique ou morale établie en France. En cas de difficulté, les associés peuvent contacter la Banque de France, qui désignera un établissement bancaire pour l’ouverture d’un compte courant.

Afin de compléter le caractère réel de la société, les associés devront tenir une comptabilité. Ils peuvent l’établir eux-mêmes ou consulter un expert-comptable.

Enfin, ils devront réunir l’assemblée générale des associés chaque année. Même si ceux-ci sont répartis dans plusieurs pays, il est important de les réunir physiquement ou au moins au moyen de procurations données pour l’assemblée générale. Cette réunion permet de faire approuver les comptes sociaux, la gestion du gérant, et corrobore l’existence d’une véritable vie sociale.

Lorsqu’il oriente les acquéreurs étrangers vers l’acquisition au moyen d’une société, qu’elle soit de droit français ou non, le notaire ne doit pas omettre de les renseigner sur les conséquences fiscales de cet engagement.


200) V. supra, nos a2286 et s.
201) L. n° 2007-1787, 20 déc. 2007, art. 27.
202) S. Chalas-Kudelko, Mutations immobilières et personnes morales étrangères, Defrénois, 2 nov. 2018, n° 43, p. 31.
203) Dir. 68/151/CEE, 9 mars 1968.
204) En droit allemand, la Prokura permet de déléguer des pouvoirs au Prokurist au sein d’une société. Celui-ci a le pouvoir de représenter la société et, en principe, selon l’article 50 du HGB (Code de commerce allemand), la réduction de ses pouvoirs en interne par contrat n’est pas opposable aux tiers. Les actes qu’il accomplit engagent la société à l’égard des tiers. La société peut seulement obtenir des dommages et intérêts du Prokurist s’il outrepasse ses pouvoirs.
205) M. Menjucq, Droit international européen des sociétés, LGDJ, 4e éd. 2016, nos 18 et s.
206) V. infra, n° a4285.
207) C. monét. fin., art. L. 312-1 : « I. – A droit à l’ouverture d’un compte de dépôt dans l’établissement de crédit de son choix, sous réserve d’être dépourvu d’un tel compte en France : 1° Toute personne physique ou morale domiciliée en France ; 2° Toute personne physique résidant légalement sur le territoire d’un autre État membre de l’Union européenne n’agissant pas pour des besoins professionnels ainsi que toute personne physique de nationalité française résidant hors de France ».
Aller au contenu principal