CGV – CGU

Partie II – Protéger ses proches par la transmission
Titre 1 – Protéger ses proches selon la loi
Sous-titre 1 – La protection légale et supplétive des proches
Chapitre I – La protection des proches par la dévolution légale

2168 – Dévolution légale : mode de désignation des proches à protéger. – La dévolution légale est la détermination par la loi de ceux qui recueillent la succession270. Elle s’oppose à la dévolution volontaire qui est la désignation par le de cujus de ses propres successeurs. La dévolution légale assure une fonction supplétive de désignation des héritiers d’une personne qui, de son vivant, n’aurait pas institué un ou plusieurs successeurs. Envisageons successivement ce qu’est véritablement la dévolution légale (Section I) et ses fondements (Section II).

Section I – La dévolution légale : la détermination des proches à protéger

2169 – Nécessité d’un lien légalement reconnu. – La dévolution légale, en ce qu’elle désigne des héritiers appelés à une succession, est nécessairement fondée sur un lien de famille juridiquement établi271. Ce lien sera soit un lien de parenté que l’on peut qualifier de « lien du sang »272, soit un lien d’alliance résultant d’un mariage avec le de cujus. La parenté peut être en ligne directe (entre parents et enfants) ou en ligne indirecte ou collatérale lorsqu’il s’agit du lien entre frères et sœurs. La ligne directe peut être ascendante si elle va vers les parents ou grands-parents ou descendante si elle s’oriente vers les enfants et les petits-enfants. Pour conférer une vocation légale, le lien de sang doit être légalement établi en ce sens qu’il doit être basé sur une filiation juridiquement reconnue. Le mode d’établissement de cette filiation est indifférent pour conférer une vocation légale (reconnaissance, présomption légale, possession d’état, adoption, etc.). De la même manière, peu importe la nature de la filiation : légitime, naturelle, adoptive ou adultérine (C. civ., art. 733). La dévolution légale apporte donc une protection patrimoniale à tous sans considération du passé individuel et sans discrimination273. Ce lien du sang, qui à lui seul peut conférer un droit héréditaire, est en principe immuable à la différence du lien conjugal qu’est le mariage. Aussi le conjoint survivant perd-il sa vocation légale si, au jour du décès, le mariage a été dissous par un jugement de divorce (C. civ., art. 732)274. Le conjoint séparé de corps conserve sa vocation successorale s’il n’y a pas renoncé dans la convention de séparation de corps par consentement mutuel (C. civ., art. 301)275.

2170 – Indissociabilité entre dévolution légale et justification familiale de l’héritage. – Traditionnellement on justifie le principe d’une succession privée (qui s’oppose à la succession publique, qui veut que tous les biens d’un mort reviennent à l’État) par l’idée que le patrimoine reste un outil de l’unité familiale. Certains biens d’ailleurs, comme les résidences principale ou secondaire de la famille, sont un élément fondamental de cette unité en ce qu’ils sont soit le lieu où toute la famille vit, soit celui où elle se retrouve. Ils sont un cadre de vie où l’affection familiale s’entretient, se développe et parfois se détériore. La dévolution légale des successions est la manifestation patrimoniale et économique des liens entre les générations. Elle est à la fois entraide et solidarité au sein de la famille. Elle est aussi le moyen de pérenniser la propriété et la bonne utilisation économique des biens familiaux. Par le droit à l’héritage et la dévolution légale, c’est la protection des familles et de leurs proches qui est garantie. Encore faut-il que la loi définisse les proches qui bénéficient de cette transmission protectrice276.

2171 – Nécessité d’un classement : une hiérarchie entre les proches. – La détermination des proches du défunt amenés à recueillir, après son décès, son patrimoine nécessite un classement légal. La loi, dès lors qu’elle admet le principe de succession privée, se doit de déterminer ceux qui, dans la famille du défunt, vont hériter. Des choix sont à opérer. Le Code civil, issu à la fois du droit coutumier dans lequel la succession était exclusivement légale et du droit testamentaire, va donc définir les proches habiles à hériter en privilégiant les parents les plus proches du défunt. Cette hiérarchie entre les parents part de l’idée que les biens doivent être dirigés en premier lieu vers les générations les plus jeunes et en ligne directe. Les héritiers sont donc classés par ordre. Ce classement par ordre résulte de l’article 734 du Code civil. Les parents sont donc appelés à la succession selon le classement suivant :

premier ordre : l’ordre des descendants (les enfants et leurs propres enfants) ;

deuxième ordre : l’ordre des père et mère ainsi que des frères et sœurs et des enfants de ces derniers (collatéraux privilégiés) ;

troisième ordre : les ascendants autres que les père et mère (ascendants ordinaires) ;

quatrième ordre : les collatéraux autres que les frères et sœurs et les descendants de ces derniers (collatéraux ordinaires).

La présence d’un seul représentant dans un ordre exclut tous les membres des ordres suivants. Au sein de chacun des ordres, en cas de pluralité c’est la proximité qui l’emporte : celui qui a le degré le plus proche avec le défunt prime les autres (C. civ., art. 744, al. 1), et à égalité de degré il est procédé à un partage par tête (C. civ., art. 744, al. 2).

À ces ordres, tous basés sur un lien de sang avec le de cujus, il y a lieu d’ajouter un ordre contenant une personne unique : l’époux ou l’épouse survivant qui vient s’intercaler entre ces ordres ou entre membres d’un même ordre. Plus les liens entre le de cujus et ses héritiers définis sont éloignés, plus les droits légaux du conjoint seront importants, voire même les évinceront totalement.

Ces règles dévolutives contiennent quelques correcteurs permettant de maintenir une certaine justice dans l’héritage. Ce sera le cas de la représentation successorale (C. civ., art. 751 et s.)277 qui maintiendra l’égalité entre les souches en cas de décès des descendants ou des collatéraux privilégiés, et également de la fente qui permet, dans les lignes ascendantes, de répartir la succession par moitié entre la ligne paternelle et la ligne maternelle.

Section II – Les fondements de la dévolution légale

2172 Cette hiérarchie entre les proches créée par la dévolution légale est fondée sur plusieurs idées, chacune primordiale lorsqu’il s’agit d’aborder la protection des proches.

2173 – Une solidarité entre générations. – Devoir de famille : selon ce fondement, la transmission de l’héritage est le reflet d’une obligation de solidarité familiale, une sorte de devoir alimentaire post mortem existant au sein de la cellule familiale. À ce fondement, on peut adjoindre l’idée que la dévolution légale permet de conserver les biens au sein d’une même famille. Ces fondements, essentiels dans la transmission successorale des coutumes barbares qui a fortement influencé nos règles civiles, sont en très net repli depuis les dernières grandes réformes des successions. En effet, la limitation au sixième degré et l’entrée en force du conjoint survivant dans le cercle des héritiers légaux ont fait perdre de sa puissance à ce fondement. À cela on peut ajouter que les biens, et plus particulièrement les biens immobiliers, sont de moins en moins attachés à une famille qui elle aussi n’est pas aussi stable que par le passé. La famille évolue dans ses contours et dans les liens de fait qui l’unissent, la famille-foyer a remplacé la famille-souche.

2174 – Volonté présumée du de cujus. – « La dévolution légale n’est qu’un reflet, expression des intentions probables du défunt »278. L’idée de ce fondement se rattache aux successions volontaires en considérant que la dévolution légale ne serait que la volonté supplétive du défunt. Le fait que le de cujus n’ait pas pris de dispositions testamentaires pour écarter cette dévolution légale lui conférerait une forme d’adhésion. Cette théorie, relativement ancienne, nous semble quelque peu fictive et nous préférons celle exposée ci-dessous.

2175 – Affection présumée du de cujus. – Ce dernier fondement de la dévolution légale semble davantage en phase avec notre société actuelle. En effet, la loi définit des proches qui sont censés prendre la place la plus importante dans le cœur du de cujus. La Loi, la Société et sans doute la Morale considèrent que l’on aime davantage ses enfants et son conjoint que ses frères et sœurs, ses parents, ses cousins. Elle part sans doute également de l’idée que c’est avec les enfants et le conjoint que le de cujus a le plus partagé sa vie, nouant ainsi de nombreux liens d’affection.

2176 – Brève conclusion sur la dévolution légale. – En quelque sorte, cette dévolution légale définit les proches que l’on est censé aimer et vouloir protéger. La réserve héréditaire, quant à elle, définit les proches que l’on doit protéger à défaut d’être obligé de les aimer.


270) F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Les successions. Les libéralités, Dalloz, 4e éd. 2013, no 41.
271) F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Les successions. Les libéralités, op. cit., no 87.
272) M. Grimaldi, Droit des successions, LexisNexis, 7e éd. 2017, no 117.
273) Ce qui n’a pas toujours été le cas. L’enfant adultérin, jadis, voyait ses droits successoraux réduits de moitié dans la succession de son auteur adultère.
274) M. Grimaldi, Droit des successions, op. cit., nos 178 et s.
275) Ibid., no 179.
276) Sur la justification familiale de l’héritage, cf. M. Grimaldi, Droit des successions, op. cit., nos 30 et s. – F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Les successions. Les libéralités, op. cit., no 6. – P. Malaurie et C. Brenner, Droit des successions et des libéralités, LGDJ, 8e éd. 2018, nos 26 et s.
277) Sur la représentation : M. Grimaldi, Droit des successions, op. cit., nos 150 et s. – P. Malaurie et C. Brenner, Droit des successions et des libéralités, op. cit., nos 76 et s. – F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Les successions. Les libéralités, op. cit., nos 102 et s. – C. Pérès et C. Vernières, Droit des successions, PUF, 2018, nos 184 et s.
278) M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. IV, LGDJ, 1928, par J. Maury et H. Vialleton, no 3. – M. Grimaldi, Droit des successions, op. cit., no 65.
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