CGV – CGU

INTRODUCTION GENERALE

Hommage à nos prédécesseurs. En 2018, le 114e Congrès des Notaires de France1, réuni à Cannes, posait déjà une question centrale : quel logement pour demain. Avec prudence, sa troisième commission avertissait cependant : «Il existe tellement de scénarios susceptibles de modifier les équilibres instables des aires urbaines dans le temps que l’humilité est de rigueur dans ce travail de prospective ». Propos à la fois clairvoyants et prémonitoires. Deux ans seulement après leur publication, un virus invisible et redoutable reconfigurait en quelques mois le mode de vie de millions de citadins, propulsant une partie des habitants hors des grandes agglomérations, annihilant les distances par le développement ultra rapide d’un télétravail désormais mondialisé et suscitant les rêves plus ou moins fous d’un habitat différent, plus protecteur, plus rassurant.
Une prise de conscience massive s’est produite. Se loger, c’est bien sûr prendre soin de soi-même et de ses proches ; c’est indispensable, mais cela ne suffit pas. Plus que par le passé, chacun aspire désormais à donner un sens à sa vie et à vivre sa vie avec sens. Dans cette optique, il est tout aussi essentiel et vital d’habiter la planète en préservant ses équilibres, ses ressources et toutes ses espèces vivantes. Aussi, élargissant le propos de nos prédécesseurs, nous demanderons-nous d’abord : quel habitat pour demain ?
Pour tenter de répondre à cette question, l’on se représentera qu’à l’image des êtres vivants qu’il abrite, le logement doit, au cours de son cycle d’existence, traverser d’abord les épreuves de la naissance (enjeux et contraintes de la production de logements), puis celles de la croissance (développer et faciliter l’accès au logement). Et qu’en toute logique, comme les êtres résidant « à son bord », il lui faudra un jour se confronter à celles de la sénescence (assurer la pérennité du logement).
Il faut donc, tout d’abord, réfléchir au mode de gouvernance à mettre en place pour organiser, transformer, voire même créer une ville dans laquelle chacun puisse avoir accès à un habitat choisi et de qualité. Une ville où travailler, mais sans gaspiller trop d’énergie, de temps ni d’argent dans les transports. Une ville où créer du lien social en participant à des activités culturelles ou commerciales. Mais aussi une ville respectueuse de l’environnement et soucieuse de préserver la biodiversité.
Il faut ensuite se demander comment ouvrir au plus grand nombre la possibilité d’un logement correspondant à la fois à ses besoins et à ses moyens.
Et il faut, enfin, rechercher comment adapter ce logement dans le temps, afin qu’il demeure en rapport tant avec la situation personnelle de ses occupants qu’avec les évolutions sociétales et environnementales qui le contraignent.
Trois interrogations si fondamentales qu’elles ne peuvent laisser aucun juriste indifférent. Trois interrogations auxquelles les trois commissions du 119e Congrès des notaires de France ont donc tenté d’apporter des éléments de réponse, à la lumière, bien sûr, de deux années de recherche, mais aussi de la grande expérience des notaires au contact de tous les acteurs du domaine du logement.
Afin d’introduire ces travaux, il nous a semblé utile de développer, en trois titres introductifs, trois thématiques communes utiles à leur compréhension. D’une part, préciser la notion de logement (section I), d’autre part, tirer les leçons du passé en brossant un rapide historique du logement envisagé sous ses aspects juridiques (section II), enfin, de troisième part, récapituler les principaux défis sociétaux et environnementaux qui attendent les concepteurs de l’habitat de demain (section III).

Section I – Le logement, une impossible définition

Un constat s’impose : le besoin de se loger est un besoin universel ; la question du logement est donc une question essentielle qui relève nécessairement du Droit et dépasse le simple cadre des législations étatiques (Sous-section I). Mais ce besoin est satisfait très différemment en fonction du lieu où il s’exprime, et des moyens affectés à sa satisfaction. La même question appelle donc des réponses très diverses, non seulement au plan juridique, mais bien au-delà (Sous-section II).

Sous-section I – Une question essentielle, donc nécessairement juridique

A l’heure où ces lignes sont écrites, il y a dans le monde 7,8 milliards d’habitants. Ce chiffre, en constante augmentation, signifie à lui seul l’importance de la question du logement et justifie que le Droit s’y intéresse au plus haut niveau. La Déclaration universelle des droits de l’homme proclame ainsi que la dignité humaine est le fondement de la liberté, de la justice et de la de paix dans le monde. Or, le logement est indubitablement l’un des éléments constitutifs de cette dignité2. Il parait donc acquis que l’Habitat, qu’il soit constitué de béton, de bois, de tôles ou d’un ciel étoilé, est un droit dont tout homme doit pouvoir faire usage dans des conditions de décence et de paix.
 Néanmoins, la mise en œuvre de ce principe juridique se heurte à des obstacles économiques : tous les Etats ont à cœur de loger convenablement leur population, mais les politiques publiques n’ont pas et n’auront pas toutes les mêmes moyens pour faire face à la fois à la gestion du présent et aux enjeux des lendemains.

Sous-section II – Une grande diversité des réponses

On constate, en effet, une grande variété des solutions retenues pour répondre à la question du logement. Ainsi, tout oppose les métropoles surpeuplées aux zones rurales, trop souvent désertées3. Cette diversité se manifeste aux yeux de tous par l’extrême variété des modes d’habitat.
Une question survient alors inévitablement : qu’est-ce, au juste, qu’un logement ?
Il n’existe, ni en Droit, ni hors du champ juridique, aucune définition générale et uniforme du logement. Il convient donc d’envisager son appréhension distinctement hors du champ juridique (§ I) puis au-delà (§ II).

§ I – Le logement hors du champ juridique.

Economie politique. Le logement possède, tout d’abord, une dimension économique : le logement est un bien marchand ; il existe donc un marché du logement, sujet aux lois de l’offre et de la demande, et régulé, au besoin, par l’intervention des pouvoirs publics. La nature et l’intensité de cette intervention publique dépendent de la volonté politique, donnant naissance à ce qu’il est convenu d’appeler « les politiques du logement ». Mais cette dimension politique répond, elle-même, à des considérations d’ordre philosophique4, psychologique et social. L’aspect psychosociologique du logement fait, d’ailleurs, l’objet d’études approfondies5.
Psychosociologie. Au-delà de sa dimension économique, et des conceptions politiques qu’il peut susciter, le logement, tel qu’appréhendé par les psychologues et les sociologues, possède une fonction de protection et une fonction d’identification.
La fonction de protection. Si l’on excepte certains peuples nomades, le logement représente le lieu matériel de « fixation » de chaque être humain sur notre terre et tout au long de la vie, qu’il soit seul ou qu’il partage ce lieu en famille ou avec des proches. Toutefois cette référence à un élément matériel est trop restrictive car du logement se dégage une autre dimension : son aspect sécuritaire et protecteur, un lieu à soi, dans lequel on se sent bien, sans qu’il soit pour autant nécessaire d’en être propriétaire. Un lieu pour soi, parce qu’il établit des limites, une bulle en laquelle les autres ne peuvent pénétrer sans y être invités. Un refuge, un espace protégé où est sensé se construire une part essentielle du bonheur de vivre. Avoir un logement, c’est donc se protéger et protéger les siens contre les dangers ou les intrusions venant de l’extérieur. Le logement préserve les aspects les plus privés de la vie de l’individu et de ses proches, en sauvegardant leur intimité. C’est pourquoi le sociologue Gustave Nicolas Fischer définit le logement comme « un espace aménagé dans lequel se déroule la vie privée »6.
La fonction d’identification. Mais avoir un logement positionne aussi un individu dans la société. Le logement influe à la fois sur les rapports sociaux qui se nouent en son sein (en particulier quand il constitue le cadre de vie d’une famille) et sur ceux qui naissent et se déploient à l’extérieur du logis, ce qui permet au même auteur d’écrire :  « habiter un espace définit un rapport essentiel de l’être humain au territoire : c’est y établir un chez-soi… ; en revanche, ne pas avoir de chez-soi est l’image même du dénuement et du déracinement ». En d’autres termes : dis-moi où tu habites, je te dirai qui tu es.
Ainsi, le logement a vocation à s’ancrer tant dans la profondeur de la terre que dans celle des liens qui se tissent par lui et à travers lui. Il permet de créer et de voir s’épanouir du lien, des moments de joie, de bonheur, de tristesse ou de colère, toute la gamme des sentiments qui colorent l’espace d’une vie et qui convergent et se retrouvent en ce point central qui les relie. Sa fixité matérielle n’est pas immuable mais sa valeur fondatrice précède et suit l’habitant qui se déplace et qui retrouvera sous une autre forme, dans un autre lieu, la même sensation puissante et rassurante d’être « chez lui ».
Sans surprise, les dispositions juridiques applicables au logement reflètent les traits caractéristiques qui viennent d’être dégagés.

§ II – Le logement appréhendé par les juristes

Le logement est un bien, et comme tel un objet juridique. Mais l’importance de ce bien, justifie, de la part du législateur, une attention toute singulière, tant dans l’intérêt général (A) que pour la préservation de nombre d’intérêts particuliers (B).
A/ Le logement et l’intérêt général
Ainsi qu’on le verra plus loin, ce sont les crises sanitaires (épidémies) qui, les premières, ont suscité l’intervention des pouvoirs publics en matière de logement. C’est pourquoi, aujourd’hui encore, le Code de la santé publique règlemente la salubrité des logements7 par l’édiction de normes que complètent les règlements sanitaires départementaux.
Plus récemment, le Code de l’urbanisme a intégré des règles impératives en faisant obligation aux collectivités locales, communes et intercommunalités, pourtant toutes-puissantes en matière d’urbanisme, de prendre en compte :

d’une part la situation locale du logement dans les dispositions des documents directeurs qu’elles élaborent8. A cet effet, il impose que soit établi un diagnostic préalable en la matière9.

d’autre part, les dispositions du programme local de l’habitat , lorsqu’il en a été élaboré un à l’échelon intercommunal. Ce document, cependant, n’est pas régi par le Code de l’urbanisme, mais par le Code de la construction et de l’habitation. Ce dernier, dont il n’est pas inutile de rappeler qu’il n’a été distingué du Code de l’urbanisme qu’en 197810, constitue le principal gisement de dispositions impératives applicables en matière de logement.

On y trouve, sans que cette liste soit exhaustive :

Les règles de construction11 des logements et celles applicables aux multiples équipements qui les complètent (réseaux, ascenseurs, stationnements, etc…) ;

Les règles d’évolution des logements (modification12, division13, changement d’usage14…) ;

Les règles environnementales15 et de sécurité16 (et notamment toutes celles applicables aux diagnostics préalables aux ventes ou locations, bien connues du notariat) ; les normes d’accessibilité17 ;

L’encadrement juridique des constructeurs18 et des contrats procurant un logement19 ;

Le cadre juridique du logement social et de son financement20, des aides au logement21 et de la  mise en œuvre du droit « opposable » au logement22.

Il mêle donc dispositions de droit public et de droit privé.
B/ Le logement et la protection des intérêts particuliers
Enceinte protectrice de l’intimité personnelle et familiale, le logement est concerné au premier chef par les dispositions, nationales et internationales, protectrices de la vie privée23. Sur leur fondement, toute intrusion non consentie dans un logement est répréhensible, alors même qu’en l’absence de tout préjudice le droit des obligations resterait impuissant à allouer à son occupant des dommages-intérêts24. Le droit civil veille à la protection du logement de la famille contre les actes de disposition de l’époux seul propriétaire25, et proclame l’obligation solidaire des époux ou des partenaires d’un Pacs relativement à toutes les dépenses qui le concernent26. Dans l’intérêt des enfants, il en autorise aussi, en cas de séparation d’un couple marié ou Pacsé, l’attribution provisoire à l’un des deux parents27. Il assure la conservation du logement de la personne protégée aussi longtemps que son retour à domicile reste possible28. Au décès d’un époux ou du partenaire d’un Pacs, il confère au survivant un droit annuel d’habitation sur l’ancienne résidence du couple29, le conjoint marié pouvant en outre, par imputation sur ses droits successoraux, bénéficier d’un droit analogue à titre viager30. De même le Code civil oblige le bailleur à délivrer au locataire d’une habitation principale un logement décent31 et institue la cotitularité du bail d’habitation du logement des époux ou des partenaires d’un Pacs32.
Le droit commercial quant a lui semble avoir achevé avec la loi dite « Macron » une évolution commencée en 2003 en direction de l’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur individuel33, aujourd’hui étendue à l’ensemble de son patrimoine personnel.
Le droit fiscal, pour sa part, comporte de multiples mesures éparses et évolutives que l’on peut, avec Mme Barré-Pépin34, regrouper autour de deux axes majeurs : un premier de dispositions dérogatoires au droit commun qui singularisent la fiscalité du logement35 ; et un autre groupe de dispositions incitatives à l’investissement en ce domaine36.
Le droit pénal, enfin, accompagne naturellement ces différentes dispositions, par exemple lorsqu’il fait un délit de la violation de domicile37, ou lorsqu’il déploie tout l’arsenal des mesures réprimant la fourniture de logements indignes ou indécents38.
A l’issue de cette brève présentation, on constate donc l’existence d’un corpus important de règles cohérentes applicables en matière de logement mais dont les sources sont multiples. Pour mieux le cerner, il est à présent nécessaire de voir comment ces règles ont pris naissance, en dressant un bref historique.

Section II – Le logement, une approche historique

C’est probablement dans les grottes des hommes préhistoriques que commence l’histoire du logement, pris en sa fonction primitive d’abri contre les rigueurs du climat et les bêtes féroces. Pour nous rapprocher de l’époque contemporaine, nous fûmes très surpris de découvrir, en commençant nos travaux, qu’un économiste de renom39 avait pu établir et analyser des statistiques sur le prix des logements à Paris depuis l’année… 1300 ! Pareilles études dépassant, de loin, le cadre de ce rapport, nous nous satisferons d’un simple résumé historique de la question depuis le milieu du XIXe siècle. Il s’agira, bien sûr, d’un historique essentiellement juridique.

Sous-section I – De l’industrialisation à la Grande Guerre : prémices des politiques du logement

Un monde qui se transforme. C’est à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe que le logement devient peu à peu une préoccupation politique et sociale. En France comme ailleurs, cette question est intimement liée à l’industrialisation du pays, qui provoque d’importants déplacements de populations en direction des nouveaux et nombreux sites industriels demandeurs en main d’œuvre.
Hors des villes. Certaines industries, telles que les mines, s’établissent loin des centres urbains. En ce cas, l’employeur n’a d’autre choix que celui de loger lui-même ses ouvriers, comme depuis le moyen-âge il appartenait au maître de loger son apprenti. Ainsi voit-on se développer des concentrations de logements accessoires aux contrats de travail, tels que les cités ouvrières, ou encore les corons du Nord et du Pas-de-Calais immortalisés par Emile Zola dans « Germinal » et par Pierre Bachelet dans sa chanson éponyme. Le salarié y trouve, d’ailleurs, avantage car les conditions financières sont généralement modestes et, surtout, constantes, le protégeant ainsi contre l’inflation des loyers qui sévit dans les villes. De plus, ce nouvel urbanisme intègre peu à peu les préoccupations sanitaires et sociales dont l’époque prend conscience : superficie minimale des pièces, séparation des chambres à coucher dédiées aux parents et aux enfants, ameublement approprié. On perçoit cependant que l’esprit n’est pas ici purement philanthropique : un ouvrier mal logé et qui dort mal est moins performant ! Offrir des conditions de logement décentes est une garantie ou, au moins, un moyen d’agir sur la santé des travailleurs et, partant, leur productivité.
Et, plus encore, dans les villes. Conçue elle aussi sur un modèle médiéval qui localisait en son enceinte l’artisanat et la fabrique, la ville se révèle bien vite inadaptée aux exigences combinées de l’industrialisation, de l’urbanisation et de la croissance démographique. L’industrialisation de la France s’accompagne d’un accroissement si important de la population urbaine que l’on y constate, dès le milieu du XIXe siècle, une situation caractéristique de ce qui, bien plus tard et par d’autres, sera nommé « crise du logement » : l’offre de logements devient insuffisante pour répondre à une demande toujours croissante, qui résulte de l’arrivée massive d’ouvriers venus travailler dans les industries en développement. Cette raréfaction du logement est la source d’une augmentation des loyers qui, elle-même, ne tarde pas à installer les conditions d’une promiscuité forcée au sein de locaux sous-dimensionnés et impropres à l’usage que l’on veut, tant bien que mal, leur faire remplir40. La littérature en témoigne, et voici Mimi, la jeune couturière tuberculeuse obligée de chercher un peu de lumière chez Rodolphe, son voisin, pour éclairer tant bien que mal l’obscure mansarde qui lui sert aussi d’atelier41 ; voici encore Gervaise, trouvant un ultime refuge dans le sinistre « trou sous l’escalier » de la maison de la rue de la Goutte-d’Or, qui bientôt scellera son tombeau42.

§ I – Une France de taudis

Une situation alarmante. Naturellement, des difficultés d’ordre sanitaire ne manquent pas d’apparaître. Dès 1832, on voit se propager, à Paris, une épidémie de choléra meurtrière à la suite de laquelle l’Académie des sciences morales commande à l’économiste Louis François Benoiston de Chateauneuf et au médecin Louis René Villermé un rapport « sur l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie », que l’histoire retiendra sous le nom d’« enquête Villermé ». Ce dernier n’est pas un révolutionnaire, loin s’en faut43 ; ses constatations sont pourtant sans appel : « … la cherté des loyers ne permet pas à ceux des ouvriers en coton du département du Haut-Rhin, qui gagnent les plus faibles salaires ou qui ont les plus fortes charges, de se loger… Cela s’observe surtout à Mulhouse. Cette ville s’accroît très vite ; mais les manufactures se développant plus rapidement encore, elle ne peut recevoir tous ceux qu’attire sans cesse dans ses murs le besoin de travail. De là, la nécessité pour les plus pauvres, qui ne pourraient d’ailleurs payer les loyers au taux élevé où ils sont, d’aller se loger loin de la ville, à une lieue, une lieue et demie, ou même plus loin, et d’en faire par conséquent chaque jour deux ou trois, pour se rendre le matin à la manufacture, et rentrer le soir chez eux »44.
Les premiers bidonvilles. A la fin du XIXe siècle, cette explosion urbaine est particulièrement caractérisée à Paris. Après la défaite de 1870, les fortifications qui entouraient la capitale et une zone militaire « non aedificandi » qui s’étendait au-delà et servait aux essais de canons, sont délaissées. C’est une aubaine pour une partie de la population et particulièrement de la population ouvrière, qui s’y installe peu à peu, sans aucun titre d’occupation, mais sans rencontrer de réelle opposition. Ainsi naît « la zone », le plus grand bidonville de France, ce « grand camp de la misère qui, de partout, investit la ville illustre et magnifique »45 et qui persistera jusqu’aux années 50. D’après un recensement effectué en 1926, environ 42 000 personnes y vivaient (trois fois plus d’après le syndicat des zoniers).
Aux difficultés sanitaires viennent bientôt se superposer des problèmes de sécurité. Dans cette zone qualifiée déjà de « zone de non droit », s’activent des bandes de quartiers, les « bandes d’Apaches » qui font régner la terreur auprès des bourgeois. Elles portent des noms prosaïques : la bande des « Quatre Chemins d’Aubervilliers », les « monte-en-l’air l’air des Batignolles », les « loups de la Butte » ou les « cœurs d’acier » de Saint Ouen.
Les premiers marchands de sommeil. Enfin, la situation ainsi créée favorise la spéculation du plus bas étage. Les marchands de sommeil que notre réglementation tente de contrôler aujourd’hui, existaient déjà. A Paris s’instaure, dans des hôtels sordides, la pratique du « lit chaud » où les ouvriers faisant les trois-huit se succèdent dans le même lit. A Lille on peut dénombrer environ 1 500 auberges ou « chambrées » tenant lieu de dortoirs pour ouvriers.

§ II – Premières initiatives et premiers obstacles

La doctrine sociale du Second Empire. Les conceptions sociales prennent un premier essor sous le Second Empire, le prince-président Louis Napoléon Bonaparte étant partisan de l’extinction du paupérisme46. En 1849, il initie le projet d’une cité ouvrière propre à fournir à ses occupants, au-delà d’un simple hébergement, un véritable habitat. L’idée en sera amplifiée à l’occasion des expositions universelles de 1867 et 1889 à l’occasion desquelles seront présentées et primées des solutions au problème du « logement populaire ».
D’autres initiatives, mais toujours limitées. Au-delà, et fidèle à son objectif initial d’élimination de la pauvreté, Napoléon III prend sur sa « cassette » personnelle pour créer une « œuvre des loyers » et venir en aide aux ménages menacés d’expulsion. Néanmoins, il n’agit pas, ici, au nom de l’Etat. Pour franchir ce pas, en effet, plusieurs obstacles juridiques vont devoir être surmontés.
Les obstacles juridiques. En effet, l’idée d’une intervention des pouvoirs publics en faveur du logement se heurte à deux grands principes hérités de la Révolution française : la protection de la propriété privée48 et la liberté du commerce et de l’industrie. En vertu du premier, tout propriétaire est libre de louer tout bien quelconque lui appartenant, fût-ce une cave ou un grenier, dès lors que le contrat de bail a été librement négocié. En vertu du second, l’Etat doit s’abstenir de toute intervention susceptible de rompre l’égalité économique entre entreprises concurrentes49 et ne saurait, par suite, subventionner une entreprise privée, fût-ce en favorisant le logement de ses ouvriers.
Outre l’interdiction du travail des enfants dans les manufactures, l’enquête Villermé va tout de même produire un résultat juridique important : la loi du 13 avril 1850 relative aux logements insalubres, que viendra amplifier, dans la capitale, le décret-loi du 26 mars 1852 relatif aux rues de Paris. Le caractère novateur de la loi de 1850 a été souligné par l’historienne de l’urbanisme Jeanne Hugueney50, qui la qualifie de « première loi française d’urbanisme » s’agissant d’un texte supposé permettre, sur tout le territoire français, la restructuration des espaces urbains. Cependant, faute de mesures coercitives à l’égard des propriétaires, le texte demeurera largement sans suite en province. En revanche, à Paris, et grâce au décret-loi déjà cité, il deviendra le fondement de la réorganisation urbaine haussmannienne.

§ III – La révolution haussmanienne

Redessiner la ville. A l’aube du XIXe siècle, Paris ressemble à un labyrinthe dans lequel il est difficile de circuler51 Napoléon 1er a d’ailleurs tenté d’y porter remède en instaurant en 1807 la procédure de l’alignement, visant améliorer la circulation en créant des voies propres et saines. Mais sous le Second Empire, la situation n’a guère évolué. Napoléon III52 a pour ambition d’embellir et d’assainir la ville pour en faire une capitale moderne et attractive. Il confie cette mission au baron Haussmann, nommé Préfet de la Seine et chargé de ce que l’on ne nomme pas encore l’urbanisme.
Suite à l’annexion d’une douzaine de communes limitrophes contenues entre Paris intramuros et les fortifications de 184053, et de treize portions de villes54 la configuration de Paris est modifiée, le mur de fortification est abattu, la population augmente d’environ 350 000 habitants et sa superficie s’accroît de 40 %.
Une commission dite « des embellissements de Paris » est chargée de dresser le programme des travaux à mener est constituée en 1853 et composée majoritairement d’hommes politiques choisis par Napoléon III avait déjà posé les jalons de cette nécessaire transformation. Ses travaux dirigés par Henri Siméon serviront de base aux travaux du nouveau préfet qui mènera tambour battant la rénovation de Paris tout en s’entourant de nombreux experts et financeurs.
En dix-sept ans seulement, la capitale est, pratiquement, rebâtie. 37 500 immeubles y sont édifiés dans le respect de règles contraignantes55, mais en préservant une certaine liberté architecturale qui lui donne le visage incomparable qu’elle possède encore aujourd’hui. D’immenses percées, un style architectural uniforme mais respectueux d’une certaine diversité, des parcs et des bois, de grands axes rectilignes… Une véritable réflexion s’engage sur l’espace public, le paysage urbain. De nombreux monuments et gares sont rénovés, les réseaux d’égout et d’eau potable se développent.
Juridiquement, les travaux sont encadrés par l’Etat. Néanmoins, leur mise en œuvre est confiée à des entrepreneurs privés. Ils sont financés par l’emprunt. Les expropriations sont multiples (soit directement, soit par l’intermédiaire de sociétés concessionnaires de travaux) ainsi que les démolitions et reconstructions. Ainsi des plans d’aménagement sont élaborés, les rues nouvellement tracées viennent délimiter des ilots qui seront urbanisés par des investisseurs immobiliers, banquiers, négociants ou industriels56
Le casier sanitaire : naissance de la statistique du logement. Afin de recenser plus ou moins précisément le mal logement, certaines villes à la fin du XIXe siècle organisent la création d’un casier sanitaire, sur le modèle présenté au Congrès international d’hygiène et de démographie de Bruxelles en 1903. Il s’agit d’un registre répertoriant l’état de salubrité de tous les logements. Plusieurs villes l’adoptent, comme Le Havre, Saint Étienne, Nice, Amiens, Montluçon et Paris. Le principe général de fonctionnement de cet instrument est de réduire un logement au nombre de pièces réellement aptes à leur fonction normale : sont donc exclues toutes les pièces dont l’habitabilité ne peut être établie par les agents recenseurs. Les résultats de ces premières statistiques du logement sont édifiants : au début du XXe siècle, dans les villes de plus de 5.000 habitants, plus de 60 % des foyers vit encore dans une seule pièce. La grande guerre et ses destructions massives achèveront de noircir le tableau.

Sous-section II – De la grande guerre aux années 1980 : crises successives et avancées décisives

§ I – Nouvelles conceptions, nouvelle législation

Au lendemain de la première guerre mondiale, l’état des lieux de l’habitat en France est alarmant. De nombreuses villes ou quartiers ont été détruits. Non seulement le logement fait cruellement défaut, mais l’insalubrité gagne à nouveau du terrain. Ainsi que le constate Patrick Kamoun58. « En 1926, un parisien sur quatre vit dans une demi-pièce. 320 000 personnes vivent en garnis, soit 100 000 de plus qu’en 1912. Dans les villes de plus de 50 000 habitants, un tiers des ménages vit dans des espaces surpeuplés ou insuffisants. Les investisseurs privés se désengagent. Les prix s’envolent… et l’augmentation des taux d’intérêt pèse sur les emprunts. »
A nouveau, la nécessité d’une intervention publique se fait jour. Au départ assez timide, elle pose rapidement les bases d’une authentique politique sociale et urbaine ordonnée dans deux directions : d’une part, doter les pouvoirs publics d’outils efficaces en faveur de la production de logements, d’autre part, développer de nouvelles voies sociales d’accession au logement.
A/ De nouveaux outils pour la production de logements
Les loi Cornudet : apparition de la planification urbaine. A l’instigation du député Honoré Cornudet est votée le 14 mars 1919 une loi qui s’impose comme l’ancêtre des lois de planification urbaine en France. Elle oblige certaines communes59 à se doter d’un plan d’aménagement, d’embellissement et d’extension (PAAE). On note avec intérêt que les préoccupations esthétiques sont mise, par cet intitulé, au même plan que les normes urbanistiques. Quoique le terme n’y soit pas expressément employé, cette loi introduit un procédé de droit de l’urbanisme appelé à un grand avenir : le zonage. Sa répercussion économique immédiate est que le marché foncier perd sa notion d’unité pour devenir un marché différencié en fonction de ce qu’il est possible (ou non) de faire dans chaque zone déterminée.
Faute de sanctions, la première loi Cornudet n’a pas été appliquée dans une grande partie des communes des communes qu’elle aurait dû concerner. Mais elle inaugure une alliance destinée à un grand avenir : le contrôle simultané par les pouvoirs publics des questions d’hygiène, d’habitat décent, et de devenir des villes60.
Elle sera complétée par :

La deuxième loi Cornudet du 19 juillet 1924 qui soumet le lotissement (principale forme d’urbanisation à l’époque) à une autorisation préalable et à un régime juridique particulier permettant d’assurer la protection des acquéreurs de lots. En effet, la surdensification et le sous équipement d’un certain nombre d’opérations avaient eu pour effet de produire des lotissements qualifiés de « défectueux ». Les lotisseurs devront désormais créer des équipements collectifs avant de pouvoir commercialiser les parcelles.

Un décret-loi du 25 juillet 1935 qui rend possible l’établissement de projets régionaux d’urbanisme.

B/ Logement social et accession sociale à la propriété
La loi Siegfried : les HBM. Jules Siegfried (1837-1922), entrepreneur et député, est unanimement considéré comme le père de l’habitat social en en France. Loi du 30 novembre 1894 à laquelle son nom reste attaché, crée les « Comités des Habitations à Bon Marché » (HBM) qui, dans chaque département, ont pour mission «d’encourager la construction de maisons salubres et à bon marché, soit par des particuliers ou des sociétés, en vue de les louer ou de les vendre selon différentes modalités à des personnes n’étant propriétaires d’aucune maison et notamment à des ouvriers ou employés vivant principalement de leur travail ou de leur salaires, pour leur usage personnel ». Surtout, cette loi dote les HBM d’un outil de financement jusqu’alors inédit : un prêt consenti à des conditions préférentielles par la Caisse des Dépôts et Consignations et les Caisses d’Epargne. Le coût de construction étant ainsi réduit, l’organisme propriétaire peut ainsi pratiquer un loyer inférieur à celui du marché libre. Environ trois mille HBM seront construits entre 1895 et 1903 par une centaine de comités.
La loi Strauss : un premier pas vers l’implication des collectivités locales. En avril 1903, un autre projet de loi déposé par le député Paul Strauss (1852-1942), donne la possibilité aux communes et aux départements de venir en aide aux HBM en leur apportant des terrains et en les aidant financièrement par la mise en place de prêts et la souscription d’obligations et d’actions. Les HBM deviendront bientôt les HLM : le logement social vient de naître. Sa promotion ne repose cependant pas exclusivement sur la location, et n’est pas dénuée d’une arrière-pensée politique. Siegfried lui-même ne craint pas de l’affirmer : « celui qui possède ne veut pas abattre l’ordre existant ».
La loi Bonnevay : un texte fondateur du logement social. Cependant, progressivement émerge l’idée que l’Etat et les collectivités locales doivent prendre en main la question du logement pour faire face aux carences d’une initiative privée qui demeure insuffisante. Laurent Bonnevay, député du Rhône veut « prévoir l’institution d’un organisme public des habitations à bon marché, autonome et indépendant, perpétuel et désintéressé, qui remplirait l’office de constructeur et de gérant ». La loi qui portera son nom va être adopté à l’unanimité le 23 décembre 1912 et permettra de créer par décret en Conseil d’Etat, à la demande des communes, des syndicats de communes ou des département, des Offices publics d’habitations à bon marché (OPHBM). Le premier office est créé à la Rochelle en 1913 et Bonnevay lui-même crée en 1920 l’Office départemental d’HBM du Rhône en 1920, dont il sera le président pendant 37 ans jusqu’à son décès.
La loi Ribot : le crédit immobilier aux particuliers. Néanmoins, en ce début du XXe siècle, le prêt immobilier aux particuliers n’est pas courant, et moins encore au profit d’emprunteurs à revenus modestes. C’est pour remédier à ce problème de financement que la loi du 10 avril 1908, promue par Alexandre Ribot, prévoit la création d’un nouvel opérateur : les sociétés régionales de crédit immobilier, qui pour obtenir des prêts de l’Etat, devront se constituer sous la forme anonyme avec un capital minimum de 200.000 francs
La loi Loucheur : une intervention volontariste de l’Etat en direction de l’accession au logement pavillonnaire. A l’initiative du ministre du Travail et de la prévoyance Louis Loucheur est promulguée le 13 juillet 1928 une loi « établissant un programme de construction d’habitations à bon marché et de logements en vue de remédier à la crise de l’habitation ». Elle entend favoriser l’accès à la propriété et prévoit la réalisation et le financement sur 5 ans de 200 000 logements HBM et 60 000 logements à loyers moyen. Elle prévoit l’intervention financière de l’Etat pour favoriser un habitat populaire résolument conçu comme individuel et pavillonnaire. Il devient possible d’emprunter à un taux très faibles les sommes nécessaires à l’acquisition d’un terrain et à la construction d’un pavillon avec une liberté de choix des matériaux, des plans et de l’entrepreneur. Le suivi du chantier est seulement supervisé par un architecte d’Etat.
Couverture du numéro hors-série de « Maisons pour tous »
Couverture du numéro hors-série de « Maisons pour tous » du 1er octobre 1929 présentant des modèles de maisons conçues par des architectes.
Néanmoins, le dispositif n’est pas reconduit à l’issue de cinq années d’application, et ces facilités d’accession à la propriété sont supprimées en 1935, l’Union de la propriété bâtie ayant obtenu la suppression de ces crédits à la construction et l’abrogation des mesures de blocage des loyers. Dès lors, à la veille de la seconde guerre mondiale, la pénurie de logements en France est dramatique ; le Front Populaire ne parviendra pas à y remédier, et les destructions du second conflit achèveront d’installer en France une considérable crise du logement.

§ II – Reconstruction et urbanisation

La fin des conflits mondiaux confronte les pouvoirs publics à un véritable défi. Une population qui s’est fortement accrue après-guerre (le baby-boom des démographes) ne voit son salut que dans l’exode rural, et afflue dans des villes encore en cours de reconstruction. La situation devient rapidement catastrophique : logements surpeuplés, encore insalubres pour environ 10 % d’entre-eux, dépourvus de baignoires et de douche pour 90 % de la population, de water-closet privatif pour 80 % et d’eau courante pour près de 50 % !
Dans ce contexte, les solutions proposées par les architectes et les urbanistes seront mises en œuvre, mais incomplètement, en sorte que cette crise du logement d’après-guerre porte déjà  en elle les germes de celles qui suivront.
A/ L’inspiration
Une source d’inspiration : la Charte d’Athènes. En 1931 se tient à Athènes le quatrième Congrès international d’architecture moderne. Sept principes d’un urbanisme dit « fonctionnaliste » sont adoptés sous la forme d’un manifeste passé à la postérité sous le nom de « Charte d’Athènes ». Se voulant une réflexion critique sur l’état des villes et sur leurs fonctions essentielles, le texte définit quatre fonctions à la ville : « Habiter, travailler, se recréer, circuler ». Elle pose les bases d’un nouvel urbanisme. Les logements doivent être ensoleillés, dans des constructions hautes et espacées les unes des autres pour permettre de libérer le sol en faveur de larges surfaces vertes61. Les rues doivent être différenciées selon leurs utilisation : rue d’habitation, rue de promenade, rue de transit, voies maitresses…  Elle repose donc largement sur le concept de zonage, promis comme on le sait à un grand avenir. Novatrice, la Charte fera l’objet, par la suite, de beaucoup de critiques,  étant rendue responsable des échecs urbains les plus importants de l’après-guerre62.
Un inspirateur : Le Corbusier. Célèbre architecte franco-suisse, Charles Edouard Jeanneret-Gris (1887-1965), plus connu sous le pseudonyme « Le Corbusier », inaugure en 1952 « La Cité radieuse » également connue sous le nom « L’unité d’habitation de Marseille » ou plus familièrement « Maison du fada ». Edifiée entre 1947 et 1952, Le Corbusier conçoit cet ensemble d’habitations comme un véritable village vertical, avec une rue commerçante, une école, un gymnase et des terrasses pour les habitants puissent admirer la mer. Cette barre de 337 appartements construite sur pilotis représente l’aboutissement de nombreuses recherches sur le logement, une nouvelle manière « d’habiter » sensée apporter aux habitants bonheur et bien-être (comme l’indique le nom choisi de Cité Radieuse)
Après le cinquantième anniversaire de son décès, dix-sept de ses œuvres ont été classées au patrimoine mondial de l’Humanité, dont dix situées en France.
Les concepts développés par Le Corbusier, et mis en œuvre dans ses Cités Radieuses, sont d’une étonnante actualité. La qualité des logements y est constamment mise en avant (eau courante et chauffage central, appartements toujours traversants, lumière naturelle maximale, isolation phonique parfaite, pièces modulables pour ne citer que quelques exemples). Le respect de l’environnement n’est pas en reste, le bâtiment étant édifié sur piliers, ce qui préserve une surface maximale de sol nature. Enfin, le concept même de « Cité » se traduit par la coexistence, dans le même immeuble, des commerces, des activités et des services nécessaires au quotidien des habitants.
B/ L’immédiat après-guerre : reconstruire la  France
L’aménagement du territoire en tant qu’idée politique. L’idée se fait jour qu’il est nécessaire de planifier la construction de logements et que l’Etat doit en être le garant, anticiper la demande et orienter les flux en coordonnant les différents acteurs de la construction. Cette pensée aménagiste qui souhaite faire de la France une unité homogène et cohérente est souvent associée à la présidence du général De Gaulle (1958 – 1969), celle de la croissance du « miracle français » ou celle des « Trente Glorieuses ».
Dès le début des années 50, Eugène Claudius-Petit, ministre de la Reconstruction et de l’urbanisme, présente un plan national d’aménagement du territoire qui vise permettre une transformation matérielle harmonieuse et équilibrée de l’espace territorial français avec une égale répartition des habitants et des investissements publics, dans la constante préoccupation de créer de meilleures conditions d’habitat, de travail, de plus grande facilités de loisir et de culture, non à des fins strictement économiques, mais pour assurer à chacun bien-être et épanouissement63. Sa politique ne sera pas exactement suivie mais ce plan représente la première vraie appropriation politique de l’aménagement du territoire. Le logement en dépend étroitement ; le droit public comme le droit privé vont être aménagés en sa faveur.
I/ L’évolution du droit public
Un urbanisme  dirigé et centralisé. La loi numéro 324 du 15 juin 194364 crée une administration spécifique en charge de l’urbanisme et permet à l’Etat de disposer d’instruments efficaces pour un encadrement réel de l’urbanisation. Est affirmé, en premier lieu, le rôle prépondérant de l’Etat dans l’élaboration et l’exécution des plans d’aménagement (anciens plans d’aménagement, d’embellissement et d’extension). Deux niveaux de plans seront ainsi créés :

Le projet d’aménagement intercommunal (qui deviendra en 1959 plan directeur d’urbanisme intercommunal) concernant un groupement de communes ;

Le projet d’aménagement communal (qui deviendra plan en 1959) et qui est obligatoire pour toutes les communes qui étaient déjà soumises aux plans prévus par les lois de 1919 et 1924.

L’Etat statue également sur les demandes d’autorisation et en particulier sur le permis de construire, qui devient l’autorisation unique permettant de vérifier le respect des différentes règles auxquelles le constructeur est soumis.
Se trouve enfin posé un principe essentiel, selon lequel les dispositions d’urbanisme qui viendraient à restreindre le droit d’utilisation du sol n’ouvrent droit à aucune indemnité (quand elles ne transforment pas l’état antérieur des lieux).
En complément, la loi foncière du 6 août 1953 viendra autoriser les collectivités à exproprier des terrains, les doter d’un équipement collectif, puis à les revendre à un constructeur.
Voici jetées les bases d’un urbanisme dirigé et, surtout, centralisé.
Une volonté d’amélioration de l’habitat existant. Un Fonds national d’Amélioration de l’Habitat est mis en place en 1945 pour remédier au mauvais état et à l’inconfort du parc de logements existants. Il est alimenté par un prélèvement de 5% sur les loyers des logements soumis aux dispositions de la loi de 1948 et donne en contrepartie, des subventions et prêts aux propriétaires, bailleurs privés, qui réalisent des travaux d’amélioration de leurs logements. Le Crédit Foncier de France assure la gestion de ce Fonds. Il sera remplacé en 1971 par l’Agence Nationale de l’habitat (ANAH).
II/ L’évolution du droit privé
a) La loi du 28 juin 1938 sur la copropriété

Cette loi donne un cadre juridique à la copropriété des immeubles bâtis, qui jusqu’alors ne relevait que d’un seul article du Code civil (l’ancien art. 664 régissant la « propriété par étages »), texte d’application supplétive appelant de nombreux aménagements contractuels dans la rédaction desquels s’illustrait la pratique notariale. Elle repose sur quatre éléments principaux : une charte commune appelé « règlement de copropriété » ; un organe délibérant et souverain, le syndicat des copropriétaires, doté de la personnalité morale ; un syndic, agent officiel du syndicat, chargé d’exercer en permanence le rôle du pouvoir exécutif de la copropriété et investi d’un pouvoir d’initiative relativement limité ; des garanties mobilières et immobilières conférées au syndicat en matière de paiement des charges communes.
La loi de 1938 n’ose cependant pas ce que celle du 10 juillet 1965 parviendra à imposer comme le droit commun. Le dispositif qu’elle inaugure demeure supplétif et surtout l’unanimité est de principe pour toutes les décisions importantes.
b) La loi du 1er septembre 1948 sur la location des logements

Principe. Conscients de la nécessité d’encadrer les loyers et d’assurer une certaine stabilité aux locataires en limitant les possibilités de reprises des logements par les propriétaires, la loi du 1er septembre 1948, d’ordre public, classe les logements en différentes catégories, selon les critères de construction, de confort et d’équipement. Le loyer est impérativement déterminé en fonction de la surface du logement, pondérée par de nombreux critères ; l’opération relève de la compétence quasi-exclusive d’un huissier (aujourd’hui commissaire de justice). Applicable aux logements construits avant le 1er septembre 1948 et situés dans certaines communes de plus de 10 000 habitants ou limitrophes, elle permet au locataire de bénéficier d’un loyer peu élevé et d’un droit au maintien dans les lieux en fin de bail. L’unique moyen de s’en affranchir, pour le propriétaire, est de procéder à des travaux de mise aux normes. Elle crée également l’allocation logement.
Critique. Ce texte, appelé à une disparition progressive aujourd’hui presque achevée, a fait l’objet de nombreuses critiques, la principale étant qu’en privant les propriétaires de toute rentabilité locative il faisait obstacle au financement des travaux d’amélioration auxquels on avait cru les inciter, et même à l’entretien le plus élémentaire des immeubles, contribuant finalement au mal logement des locataires que l’on entendait protéger. Il n’en demeure pas moins que la loi de 1948 a, longtemps, permis de se loger à une part non négligeable de la population qui, sans cela, se fût retrouvée à la charge de la collectivité.
Or, cette dernière n’aurait probablement pas disposé des moyens suffisants pour y faire face, d’autant moins que de nouvelles crises, liées à la décolonisation, se profilaient déjà (rapatriés puis travailleurs immigrés).
C/ Les Trente Glorieuses : des cités d’urgence aux cités dortoirs
L’appel de l’Abbé Pierre et l’insurrection de la bonté. Le 1er février 1954, lors d’un hiver particulièrement rigoureux, l’abbé Pierre lance un appel pathétique sur les ondes et dans les journaux : « Mes amis, au secours ! Une femme vient de mourir gelée, cette nuit, à 3 heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée… ». L’appel fait suite à une série de drames survenus depuis le début de la même année, l’Abbé essayant d’amener l’opinion publique à comprendre que les sans-abri ne sont ni des voleurs ni des paresseux, mais des travailleurs dans l’incapacité de se procurer un logement où dormir et se réchauffer lorsqu’ils sortent de l’usine. Ce message bouleverse la France et suscite un mouvement d’entraide d’une ampleur inédite : « l’insurrection de la bonté ». Il va conduire le gouvernement à intensifier ses efforts pour produire très rapidement des logements sommaires : les cités d’urgence. Elles seront construites partout en France, représentant plus de 12 000 logements dans 220 villes.
Mais le provisoire ne peut devenir définitif : un tournant s’opère à la fin des années 1950. Les cités d’urgence se dégradant rapidement, un plan triennal de construction de logements dits « normalisés » est lancé. Il s’agit à présent de produire des logements pérennes. Une abondante succession de textes réglementaires met en place l’arsenal juridique correspondant.
Le Règlement National d’Urbanisme. Le dispositif, pourtant pertinent, qu’avait mis au point la loi du 15 juin 194365, est impropre à faire face à la rapidité de la croissance urbaine.  Pour remédier à l’insuffisance et à l’inadaptation des règles locales, un décret no 55-1164 du 29 août 1955 institue un règlement national d’urbanisme (RNU) qui met en place des prescriptions minimales applicables à la totalité du territoire. Il permet à l’administration de contrôler les constructions dans les communes dépourvues de projet d’aménagement. Ces règles (modifiées au fil des années) s’appliquent encore de nos jours dans les communes sans PLU, et pour certaines – d’ordre public – sur la totalité du territoire.
Les plans d’urbanisme. Le décret no 58-1463 du 31 décembre 1958 substitue aux projets d’aménagement issus de la loi de 1943 deux plans d’urbanisme visant à assurer tout à la fois une vision prospective et prévisionnelle à grande échelle sur le long terme, et le droit du sol sur un espace relativement réduit sur une période beaucoup plus courte :

Le plan d’urbanisme directeur, qui fixe le cadre général de l’aménagement,

Et le plan d’urbanisme de détails, qui complète le précédent dans certaines secteurs ou quartiers.

Ces deux nouveaux plans n’étant pas toujours adaptés à certaines particularités locales, l’administration se réserve d’accorder des dérogations. Ils seront complétés en 1962 par des « plans sommaires » applicables dans les petites communes.
Le PADOG – Les métropoles d’équilibre. Le même décret du 31 décembre 1958 prescrit l’élaboration d’un Plan d’Aménagement et d’Organisation Générale de la région parisienne (PADOG). Ce Plan est validé par décret le 6 août 1960. Il a pour objectif de stabiliser le nombre d’habitants, décentraliser les emplois et loger la population dans des meilleures conditions, mais aussi de résorber les quartiers insalubres ou mal construits (Belleville, Italie, Front de Seine). Il vise aussi à restructurer la banlieue sans l’accroître en créant quatre noyaux urbains principaux avec notamment à l’Ouest, La Défense, au Sud, Villacoublay et le Bourget, Sarcelles au Nord Est et un autre autour de l’autoroute de l’Est, et neuf « Grands Ensembles constituant des noyaux urbains secondaires pour « colmater les derniers vides de l’agglomération »66(La Défense, Montesson, Vélizy). Il prétend enfin désengorger Paris en créant un nouveau plan routier comportant plus de 1 000 kilomètres de voies nouvelles.
D’autres grandes métropoles dites « d’équilibre » (Lyon, Lille…) feront bientôt l’objet d’un plan identique.
La ZUP – Les grands ensembles. Programmée, dès 1953, par le plan Courant67, et d’abord expérimentale puis régie par le décret no 58-1464 du 31 décembre 1958, la construction de grands ensembles immobiliers va jouer un rôle décisif dans la résorption de l’habitat insalubre (bidonvilles et lotissements défectueux). De nouvelles modalités techniques de la construction de masse de logements sont précisées et prévues sur une période de cinq ans par la loi cadre du 7 août 1957, qui programme une moyenne de 300 000 habitations par an. Instrument essentiel de l’urbanisme opérationnel, visant à concentrer l’effort d’urbanisation sur un périmètre où il est jugé particulièrement nécessaire, la ZUP se définit comme une zone délimitée par arrêté du ministre de la construction dans laquelle est autorisée la construction d’au moins cinq cents logements et de tous leurs équipements annexes. Ces programmes de construction pouvaient alors être réalisés au moyen de la procédure d’expropriation ou de préemption. Il s’en construit beaucoup68 (ZUP nord de Blois regroupant environ un tiers de la population de la ville soit 20 000 habitants ; Grand Ensemble » des Lochères à Sarcelles, environ 40 000 habitants ; Les Ulis dans l’Essonne, Grand Ensemble construit dans les communes d’Orsay et de Bures sur Yvette, érigé en commune nouvelle en 1977 ZUP des Minguettes à Vénissieux).
Les outils de la prospective foncière : le droit de préemption urbain et la ZAD. Pour réserver le foncier nécessaire à la réalisation de telles opérations d’urbanisme tout en évitant éviter la flambée des prix à l’annonce de ces projets, une loi no 62-848 du 26 juillet 196269 renforce le  droit de préemption dans périmètre des ZUP et autorise la création de Zones d’aménagement différé (ZAD).
Jusqu’au début des années 1970 ces grands ensembles accueillent surtout des familles et également classes moyennes qui finiront par les quitter progressivement à mesure de l’augmentation de l’offre d’autres logements dans les centres-villes rénovés et surtout de petits pavillons en périphérie.

§ III – Les années de production de masse – 1965 – 1975

Une pause dans la crise. La politique volontariste des années 60 porte ses fruits. Vers la fin des années 1970, une immense majorité de la population française accède à un logement décent et l’on peut considérer que les crises du logement appartiennent au passé : à la construction des Grands ensembles, et la résorption des bidonvilles s’est ajouté un programme de rénovation des centres villes dans lesquels il n’existe pratiquement plus de taudis.
La loi d’orientation foncière du 30 décembre 1967. La loi no 67-1253 du 30 décembre 1967 (85 articles) vient couronner l’évolution amorcée à marche forcée par les textes règlementaires des années 50 et prépare l’aménagement du territoire de la décennie suivante. Elle est demeurée le texte de référence en matière d’aménagement et d’urbanisme jusqu’à la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain. S’agissant d’une loi d’orientation, son propos est vaste : donner un cadre réfléchi à l’urbanisation ; organiser les actions publiques et privées concourant au développement des villes en ménageant un équilibre entre les besoins collectifs et les satisfactions individuelles ; assurer l’ordre et la justice de la croissance urbaine, notamment en facilitant et en clarifiant le financement des équipements à la charge des collectivités publiques.
La loi d’orientation foncière introduit la notion de « schéma » et crée les principaux instruments de l’aménagement du territoire : Plan d’occupation des sols (POS)70, Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU)71, taxe locale d’équipement (TLE), coefficient d’occupation des sols (COS) et Zone d’aménagement concerté (ZAC)72 remplaçant les zones à urbaniser en priorité. Elle crée les agences d’urbanisme et tend à donner un cadre global à l’aménagement du territoire en ouvrant notamment la conception des plans aux collectivités locales via le principe de « l’élaboration conjointe » des schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme et des plans d’occupation des sols.
Les lois de 1965 et 1967. Au coté de la loi d’orientation foncière, instrument de droit public, deux textes fondamentaux viennent adapter le droit privé à l’urbanisation galopante : la loi no 65-557du 10 juillet 1965 fixe les règles applicables à la copropriété des immeubles bâtis ; la loi no 67-3 du 3 janvier 1967 organise la vente d’immeubles à construire. Il n’est pas superflu de rappeler que ces textes furent portés par une pratique notariale réfléchie et argumentée, entre autres, lors du Congrès de 196573.

§ IV – Bilan des Trente Glorieuses : une expansion essentiellement périurbaine.

Un bilan positif… sur le plan numérique seulement. Sur le solide fondement mis au point par les textes des années 60, et face à l’accroissement de la population, le nombre de logements va pratiquement doubler entre 1970 et 201974. Le point commun de cette importante expansion est son éloignement croissant par rapport aux villes existantes, autrement dit son caractère périurbain.
L’avenir incertain des grands ensembles. Assez rapidement, on perçoit les limites de la solution « grands ensembles ». D’un point de vue quantitatif, elle met effectivement fin à la crise du logement. Mais en termes qualitatifs, la nécessaire rapidité de réalisation et les restrictions budgétaires ont trop souvent conduit à ne retenir qu’un seul des éléments du concept de « Cité » : la construction en tours et en barres. Adieu mixité fonctionnelle, confort et qualité des logements, isolation phonique et thermique. Bientôt, ces hauts lieu de la promiscuité forcée vont être délaissés par leurs premiers occupants pour ne plus accueillir qu’une population que seule la nécessité économique contraint à y résider.
La France des pavillons. Porteuse d’un idéal (la maison individuelle avec jardin) la production de type pavillonnaire connait un développement spectaculaire entre 1965 et 1977. Cette expansion se produit non seulement au détriment des grands ensemble comme on vient de le souligner, mais également au détriment des centres-villes anciens, dont la rénovation tarde. Il en résulte un développement considérable de la périphérie des centres urbains existants, avec un éloignement toujours croissant que compensera, un temps seulement, la démocratisation de l’automobile.
Un logement dépendant de l’automobile. Construits pour la plupart loin des villes, les grands ensemble comme les lotissements pavillonnaires achèvent l’ère du « tout-voiture », à laquelle le premier choc pétrolier s’apprête à mettre fin brutalement.

Section III – Les défis d’un nouveau siècle

Le XXe siècle se conclue par une nouvelle prise de conscience des défis sociétaux et environnementaux qui, dès l’an 2000, deviendront de plus en plus évidents et prégnants.

Sous-section I – Les défis sociétaux

Financement et décentralisation. A l’égard du logement, plusieurs réformes importantes vont marquer la fin du XXe siècle : d’une part, celle opérée dans son financement par la loi no 77-1 du 3 janvier 1977, qui substitue les aides à la personne aux précédentes aides à la pierre, devenues trop coûteuses dans le contexte de réduction budgétaire inhérent aux chocs pétroliers ; d’autre part, après l’arrivée de la gauche au pouvoir, en mai 1981, l’ensemble des lois de décentralisation qui, au premier chef, intéressent toutes les décisions prises en matière d’urbanisme et plus spécialement la délivrance des permis de construire, désormais du ressort des maires dans les communes dotées d’un plan d’occupation des sols.
Si désormais chaque maire est maître chez lui, il apparaîtra bien vite que le logement, et surtout le logement des plus démunis, peut en souffrir. L’Etat sent qu’il convient de reprendre la main, et le fera dans la loi SRU, avec l’obligation financièrement sanctionnée de réserver dans chaque commune un certain quota de logements sociaux, qui sera étudiée dans les développements qui vont suivre.
La naissance « aux forceps » de la politique de la ville. A l’été 1981, une révolte urbaine sans précédent en France éclate en région lyonnaise. C’est « l’été chaud des Minguettes », qui gagne vite plusieurs des grands ensembles de l’est Lyonnais et met fin à l’état de grâce d’un gouvernement de gauche porté au pouvoir depuis seulement deux mois, et qui va rapidement prendre toute la mesure de l’ampleur du problème : concentrant tous les inconvénients de la vie urbaine sans en offrir aucun des avantages, les « quartiers défavorisés » sont en train de devenir d’authentiques zones de non droit.
En réponse, un concept nouveau va être développé : la politique de la ville. Elle est ainsi définie par l’INSEE sur son site internet : « une politique de cohésion urbaine et de solidarité, nationale et locale, envers les quartiers défavorisés et leurs habitants. Elle se déploie sur des territoires infra-urbains appelés « quartiers prioritaires de la politique de la ville », caractérisés par un écart de développement économique et social important avec le reste des agglomérations dans lesquelles ils sont situés.
La politique de la ville repose, dans un premier temps, sur un nouveau zonage : la zone urbaine sensible (ZUS) et un nouveau contrat conclu entre l’Etat et les collectivités locales concernées : le contrat urbain de cohésion sociale (CUCS). Plus tard, une loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine75 viendra déterminer les critères d’identification de ces quartiers.
La loi Quilliot, une évolution majeure. Si l’on excepte la loi de 1948, toujours présentée comme un texte de circonstances (la reconstruction au lendemain des conflits mondiaux), le bail d’un logement n’était jusqu’en 1982 régi que par le Code civil, que venaient compléter diverses dispositions éparses. La loi dite Quilliot du 22 juin 1982 les regroupe pour la première fois en un seul statut du bail d’habitation et procède à un rééquilibrage du rapport locatif en faveur du locataire. Des termes mêmes du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, ce texte institue le droit à l’habitat comme co-fondement du rapport locatif, au côté du droit de propriété76.
De la proclamation à la consécration du droit au logement. Selon Crocq, le droit au logement est celui de disposer d’un local à usage d’habitation qui soit conforme au respect de la dignité humaine77. L’étude d’un droit aussi important devrait donc occuper une place de choix dans le rapport d’un Congrès consacré au logement. Il convient cependant de ne pas perdre de vue que ce Congrès est celui des notaires de France. Or, si intéressante que soit l’étude du droit au logement, sa mise en œuvre échappe à toute intervention notariale. La question a, de plus, déjà été traitée par le 112e Congrès des notaires de France78. Pour ces deux raisons, nous avons choisi de n’en faire qu’une présentation résumée et très synthétique. Nous prions nos lecteurs de n’y voir en aucun cas un quelconque jugement de valeur à l’égard des promoteurs ou des bénéficiaires de ce droit, dont il est bon de rappeler le caractère essentiel pour les plus défavorisés d’entre-nous.
D’abord fondé sur diverses sources supra-nationales (pour n’en citer qu’une, la Charte sociale européenne ratifiée par la France en 1973), dénommé « droit à l’habitat » par la loi Quilliot avant que ne se fixe la terminologie actuelle, le droit au logement a d’abord été conçu (par le Conseil constitutionnel) comme une obligation de moyens. En ce sens, il appartient aux pouvoirs publics de mettre en place les politiques adéquates pour procurer à chacun un logement correspondant à ses besoins. Un tournant décisif a été pris avec la loi du 5 mars 2007 relative au droit au logement opposable (DALO). Désormais, tout citoyen dont le droit au logement a été bafoué peut se pourvoir en justice après un préliminaire administratif de conciliation assuré par les commissions départementales de médiation. Lorsque la commission juge le demandeur prioritaire pour l’attribution d’un logement social, et après qu’un certain délai se soit écoulé sans qu’un logement correspondant à sa situation lui soit proposé, le tribunal administratif peut être saisi aux fins d’établir la carence de l’administration. En ce cas, le tribunal peut ordonner le logement ou le relogement du demandeur, et condamner l’État sous astreinte lorsqu’aucun logement ne peut être proposé à une personne de bonne foi, menacée d’expulsion.
Persistance et aggravation du sans-abrisme et du mal-logement. Nonobstant ces mesures fortes, en France, 3,6 millions de personnes sont soit privées de domicile personnel (895 000 personnes), soit vivent dans des conditions très difficiles (privation de confort ou surpeuplement) (2 880 000 personnes), soit sont en situation d’occupation précaire (hôtel, caravanes…) selon le dernier rapport de la Fondation Abbé-Pierre.
Le problème est d’une telle ampleur qu’en 2019, l’ONU identifiait en France, au visa de l’article 20-25 de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (droit à un logement convenable), une violation des droits au logement, considérant que « dans un pays ayant connu un tel développement, le sans-abrisme et les morts de la rue sont inacceptables ».
Quant au mal-logement, il désigne, toujours selon la Fondation Abbé Pierre, soit le logement des personnes défavorisées soit dans des logements techniquement inadaptés à leur usage ou à leur occupation, y compris les habitats insalubres, précaires ou de fortune ; soit le logement dans de telles conditions juridiques que l’occupant n’est pas maître de la durée de leur hébergement (personnes sans domicile, personnes accueillies chez des proches ou des tiers) ; il peut enfin désigner les conditions de vie difficiles qui résultent de l’insalubrité, du manque de confort d’hiver ou d’été, ou encore de la suroccupation. On voit que cette notion composite n’est pas simple à cerner.

Sous-section II – Les défis environnementaux

Avec l’arrivée du XXIe siècle, et l’observation par chacun des premiers effets du réchauffement climatique engendré par l’activité humaine, la protection de l’environnement fait l’objet d’une prise de conscience croissante. A plusieurs reprises, le lecteur en trouvera la trace dans les développements qui vont suivre. En voici les principales thématiques79 :

Aller de l’aménagement du territoire au ménagement du territoire

On ne peut plus construire la ville en contradiction avec les enjeux planétaires. Il faut concilier cadre de vie de qualité, préservation des ressources et des milieux vivants. Tandis que les friches et les bâtiments vacants se multiplient, on voit encore des terres agricoles disparaître au profit de lotissements. Or, l’existant recèle de nombreuses ressources. Pour certains auteurs, 80 % de la ville de demain se construira sur la ville d’aujourd’hui.

Mettre un terme à l’étalement urbain

En France, on artificialise chaque année entre 20 et 30 mille hectares (4 à 5 stades de foot toutes les heures), avec pour conséquences la raréfaction des terres agricoles qui à terme peut poser un problème de sécurité alimentaire, l’assèchement des zones humides, la destruction pure et simple de certains milieux naturels.

Décarboner la production de logements

La construction est l’activité qui consomme le plus de ressources minérales et produit le plus de déchets : par rapport à une réhabilitation, construire un immeuble nécessite 70 fois plus de matériaux et produit 5 fois plus d’émission de gaz à effet de serre. D’une part, cela consomme les matériaux utilisés, d’autre part, une énorme quantité d’énergie doit être utilisée pour les mettre en œuvre, de troisième part, cela expose le secteur à la moindre pénurie. La construction et la vie des bâtiments génèrent des émissions massives de gaz à effet de serre. De plus, l’étalement urbain fait la part belle aux mobilités carbonées, à l’heure même où les évènements climatiques autrefois exceptionnels deviennent réguliers. Cela met la ville même en danger : exposition aux inondations fluviales ou marines, ruissellement, incendies, etc… Cela génère aussi une crise sociale dans les pays les plus pauvres, et accentue généralement toutes les inégalités : les plus riches sont ceux qui peuvent le mieux se protéger.

1) Cannes, 2018, « Demain le territoire ».
2) Le bon sens populaire rejoint d’ailleurs le juriste à ce propos : dire de quelqu’un qu’il est « à la rue » n’a rien de flatteur !.
3) On ne connaît pas les mêmes problématiques de logement à Rocamadour, village médiéval du Lot, 623 habitants pour 49 km2, qu’à Dubaï (E.A.U), 3.100.000 habitants pour 35 km2, où la tour Burj Khalifa, plus haut gratte-ciel du monde (828 m) est à ce jour encore en cours d’aménagement.
4) V. G. Bachelard, La poétique de l’espace, P.U.F, 1958.
5) Y. Fijalkow, Sociologie du logement, La Découverte, coll. Repères, 2011.
6) G.N. Fisher, Psychologie sociale de l’environnement, Dunod, 2011.
7) C. santé publ., art. L. 1331-1 à L. 1331-24.
8) C. urb., art. L. 121-1 et L. 123-1-5.
9) C. urb., art. L 123-1-2.
10) D. no 78-621 et 78-622 du 31 mai 1978.
11) CCH, art. L. 111-1 et s.
12) CCH, art. L. 163-1 et s.
13) CCH, art. L. 126-16 ets.
14) CCH, art. L. 631-7.
15) CCH, art. L. 132-1 et s.
16) CCH, art. L. 131-1 et s. ; art. L. 134-1 et s.
17) CCH, art. L. 161-1 et s.
18) CCH, art. L. 200-1 et s.
19) On pense, bien sûr, aux ventes d’immeuble à construire de logements visées aux art L. 261-1 et s. définissant le secteur dit « protégé » du logement. Mais le CCH régit également les contrats de construction de maisons individuelles (art. L. 231 et s.) et différents baux (L. 251-1 et s.).
20) CCH, art. L. 411 et s.
21) CCH, art. L. 811-1 et s.
22) CCCH, art. L. 300-1 et s.
23) C. civ., art. 9 et conv. EDH 4 nov. 1950, art. 8.
24) Ainsi sont condamnés, même en l’absence de préjudice quantifiable : le propriétaire qui, sans le consentement de son locataire, a organisé une visite par des tiers quelques jours après la signature du bail, peu important le fait que le logement était alors encore vide de meubles et inoccupé ; et de même les ouvriers qui, pour justifier de difficultés à procéder à des travaux, ont cru bon de photographier sans le consentement de son occupant, l’intérieur d’un logement en grand désordre, et de transmettre ces photographies au bailleur.
25) C. civ., art. 215 al. 3.
26) C. civ., art. 220 et 515-4.
27) C. civ., art. 372-2-9-1.
28) C. civ., art. 426.
29) C. civ., art. 763.
30) C. civ., art. 764.
31) C. civ., art. 1719.
32) C. civ., art. 1751.
33) C. com., art. L-526-1.
34) M. Barré-Pépin, la protection du logement en droit privé, Litec, 2009, no 45.
35) On pense, par exemple, à l’exonération de la plus-value lors de la vente de la résidence principale (CGI, art. 150 U II 1°).
36) Tels les régimes successifs d’aide à l’investissement locatif mis en place depuis 1984 par les lois Méhaignerie, Quilès, Périssol, Besson, de Robien, Borloo, Scellier, Duflot, Pinel.
37) C. pén., art. 226-4 C.
38) C. pén., art. 225-14 relatif au délit d’hébergement indigne, 225.-19 prévoyant la confiscation des biens du marchand de sommeil, 225-26 ouvrant la possibilité de lui interdire l’achat de nouveaux logements (disposition bien connue des notaires) mais aussi, indirectement, L. 223-1 (délit de risque causé à autrui), L. 223-7 (délit d’omission de combattre un sinistre, L. 223-6 (délit de non assistance à personne en danger).
39) Il s’agit de J. Friggit, dont les travaux seront évoqués par la deuxième Commission.
40) Les auteurs de la loi Solidarité Renouvellement urbain – SRU – en quête de critères des critères du « logement décent » auraient été bien en peine devant l’ampleur de cette situation !.
41) H. Murger, 1851, Scènes de la vie de bohème (et les opéras éponymes de Puccini et Leoncavallo).
42) E. Zola, 1876, L’Assommoir.
43) Villermé va procéder à son enquête selon une méthode novatrice, ne se limitant pas aux conditions de travail des ouvriers, mais associant à son étude leurs conditions de vie, au premier rang desquelles figurent leur régime alimentaire et leur logement. Il est à ce titre souvent considéré comme le père de la sociologie. Emile Zola, que l’on accuse souvent bien à tort d’avoir « noirci le tableau », s’inspirera pour plusieurs de ses romans des descriptions de Villermé, observateur minutieux des caves aveugles et des greniers glacials où les ouvriers « mangent, couchent et même travaillent », ou encore des lits où reposent ensemble « des individus des deux sexes, d’âges très différents, la plupart sans chemise et d’une saleté repoussante » et dans lesquels s’entassent père, mère, vieillards, enfants et adultes, l’auteur ajoutant pudiquement « je m’arrête : le lecteur achèvera le tableau, mais je le préviens que, s’il tient à l’avoir fidèle, son imagination ne doit reculer devant aucun des mystères dégoutants qui s’accomplissent sur ces couches impures, au sein de l’obscurité et de l’ivresse » !.
44) Une lieue représente environ 4,82 kilomètres.
45) Selon les termes de G. Duhamel dans Vue de la Terre promise, (Chronique des Pasquier, tome 3), Mercure de France, 1394. Dans le Voyage au bout de la nuit, L. F. Céline est, à son habitude, plus cru et plus violent en évoquant « un espèce de village qui n’arrive jamais à se dégager de la boue, coincé dans les ordures et bordé de sentiers où les petites filles trop éveillées et morveuses, le long des palissades, fuient l’école pour attraper, d’un satyre à l’autre, vingt sous, des frites et la blennorragie ».
46) De l’extinction du paupérisme, Louis-Napoléon Bonaparte, 1ère ed., Pagnerre, 1844.
47) Garderie pour enfants.
48) DDHC, art. 17.
49) L. 2 et 17 mars 1791 dite « d’Allarde ».
50) J. Hugueney, « Un centenaire oublié. La première loi française d’urbanisme, le 13 avr. 1850 », La vie urbaine, no 58, 1950, p. 241-249.
51) Rappelons que Napoléon, souhaitant des voies rectilignes a fait voter la loi du 16 sept. 1807 prescrivant à toutes les communes de plus de 2 000 habitants d’adopter un plan d’alignement.
52) Charles Louis Napoléon Bonaparte dit Louis-Napoléon Bonaparte, né le 20 avr. 1808 et mort le 9 janv. 1873. Il est l’un des fils de Louis Bonaparte lui-même 3e frère de Napoléon 1er.
53) Notamment Auteuil, Passy, Montmartre, La Vilette et Bercy.
54) Notamment Ternes, Saint-Ouen, Pantin.
55) Les règles mises en place imposent, dans la même rue, une hauteur semblable pour ne former qu’un seul ensemble architectural. Cette hauteur doit être proportionnelle à la largeur de la rue et ne pas excéder six étages. La façade est construite en pierre de taille.
56) Non sans quelques spéculations, délits d’initiés et prévarications qui fourniront à Zola le thème de son roman « La curée » (1871).
57) Nous nous permettons de reprendre ici une expression souvent employée par les sociologues.
59) Les communes de plus de 10.000 habitants, les communes à croissance rapide de plus de 5 000 habitants, les communes du département de la Seine (Paris et sa banlieue), les stations balnéaires ainsi que les villes sinistrées par la première guerre mondiale.
60) Selon les termes de M. Ghorayeb, « La loi Cornudet, un urbanisme hygiéniste et social », Droit et Ville, 2019/2 (N° 88), p. 43-58. DOI : 10.3917/dv.088.0043. URL : https://www.cairn.info/revue-droit-et-ville-2019-2-page-43.htm. A ce dernier titre, l’on retrouvera bien l’esprit de la loi Cornudet à différentes étapes de la planification : en zone bombardée, les plans de reconstruction et d’aménagement ; à partir de 1940, le Plan d’urbanisme directeur ; à partir de 1958, le Schéma directeur d’aménagement urbain (SDAU) ; à partir des années 1960, le Plans d’occupation des sols (POS) ; puis au début de notre siècle, le plan local d’urbanisme (PLU), le Plan d’aménagement et de développement durable (PADD), le schéma de cohérence territoriale (SCOT).
61) Où l’on peut voir que le concept de limitation de l’artificialisation nette des sols n’est pas une préoccupation nouvelle, même si la motivation des auteurs de la Charte était différente de celles des promoteurs de l’objectif ZAN.
62) L’honnêteté commande cependant de relever que ces échecs résultent dans la plupart des cas d’une application incomplète  des principes que les auteurs de la Charte d’Athènes concevaient, au contraire, comme un tout indivisible. En 1994, la Charte d’Aalborg formulera des principes tout à fait différents de mixité sociale et fonctionnelle prenant en compte le développement durable.
63) Communication en conseil des ministres en 1950.
64) Journal Officiel du 24 juin 1945, p. 1715.
65) Qui visait comme on l’a vu, à élaborer des projets d’aménagement très précis sur deux échelles différentes, communale et inter-communale.
66) Massy Antony – Créteil – Alfortville Maisons Alfort – Vitry – Stains Saint Denis Pierrefitte – Agenteuil – Fontenay sous Bois – Aulnay Sevran Bures – Orsay.
67) En 1953, Pierre Courant succède à Eugène Claudius-Petit au Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme et fait adopter plusieurs mesures avec comme objectif la construction de 240 000 logements par an.
68) Selon R. Brunet, Nouveaux territoires, nouveaux noms de la France, Hermann Editeurs/2021, page 167.
69) JO du 27 juill. 1962, p. 7411.
70) POS : document opposable aux tiers réalisé en général à l’échelle de la commune et déterminant les possibilités de construire sur un terrain, constituant le socle de base de l’instruction des demandes de permis. Le territoire était découpé en des zones fonctionnelles affectées de coefficients d’occupation de sols.
71) SDAU : document d’urbanisme à l’échelle supra-communale précisant les grandes orientations stratégiques d’un territoire à moyen ou long terme. Sa vocation était de coordonner les programmes locaux d’urbanisme avec la politique d’aménagement du territoire, sans imposer de conformité stricte.
72) ZAC : opération d’aménagement d’initiative publique sur un périmètre urbain déterminé devant faciliter la concertation entre les acteurs publics et privés.
73) Clermont-Ferrand, 1965, Les procédés d’accession à la propriété dans la construction moderne.
74) Pour la France métropolitaine : 19 millions en 1970 contre 36,6 millions en 2019 – Source : INSEE.
75) Et deux décrets d’applications : Décret du 3 juill. 2014 relatif à la liste nationale des quartiers prioritaires de la politique de la ville et à ses modalités particulières de détermination dans les départements métropolitains, et Décret du 22 décembre 2014 relatif aux modalités de détermination des quartiers prioritaires de la politique de la ville particulières aux départements d’outre-mer, à Saint-Martin et à la Polynésie française.
76) V. le site internet CNLE (cnle.gouv.fr).
77) P. Crocq, Le droit au logement , in R. Cabrillac, M.-A. Frison-Roche, T. Revet, Libertés et droits fondamentaux : Dalloz, coll. CRFPA, 7e éd., 2001, p. 762.
78) La propriété immobilière, entre liberté et contraintes, Nantes, 2016, titre préliminaire « Le (droit au) logement.
79) Nous empruntons ici des termes et un ordre présentés par C. Leconte et S. Grisot dans leur ouvrage « Réparons la Ville », éd. Apogée, 2021.
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