Le Code civil contient des dispositions particulières pour la répartition des coupes entre l'usufruitier et le nu-propriétaire. L'article 592 confère le droit à l'usufruitier d'employer les chablis. Des obligations de remplacement sont prévues pour les arbres de pépinières (C. civ., art. 590, al. 2) et les arbres fruitiers mourants (C. civ., art. 594). Pour le reste, il n'existe pas de dispositions spéciales. Ainsi, il convient d'appliquer les articles 600 à 616 du Code civil. Certaines charges incombent à l'usufruitier (§ I) ; d'autres lui échappent sans nécessairement relever des obligations du nu-propriétaire (§ II).
Les charges de la forêt
Les charges de la forêt
Rapport du 114e Congrès des notaires de France - Dernière date de mise à jour le 31 janvier 2018
Les charges incombant à l'usufruitier
– L'état du bois lors de l'entrée en jouissance. – L'usufruitier est tenu de faire dresser un état du territoire forestier lors de l'ouverture de l'usufruit (C. civ., art. 600). Cette obligation est rarement respectée. À défaut, le nu-propriétaire a la faculté de prouver par tous moyens la consistance du bois, notamment à l'aide du plan simple de gestion et des photographies aériennes disponibles à l'IGN ou sur internet
1495833143003. L'état des bois se révèle parfois précieux, notamment si le nu-propriétaire considère que l'usufruitier a surexploité.
– L'entretien. – L'usufruitier est également tenu aux réparations d'entretien (C. civ., art. 605, al. 1). Le maintien en état des chemins, les élagages d'arbres au bord des voies de circulation lui incombent. En cas de sinistre lié au mauvais entretien d'un chemin ou des sous-bois ou à une chute de branches, sa responsabilité est susceptible d'être recherchée
1497720698724. Les indemnités relatives aux dégâts causés par le gibier lui incombent également.
Ainsi convient-il que l'usufruitier souscrive une police d'assurance en responsabilité civile.
– Les éclaircies. – L'obligation d'entretien se retrouve pour les coupes d'éclaircies. Dans un bois de pins, l'usufruitier doit réaliser les éclaircies, constituant non seulement l'exercice de son droit de jouissance, mais également l'accomplissement de son obligation d'entretien
1495543203436. Étant tenu des réparations d'entretien, l'usufruitier est en droit d'employer à cet effet les arbres arrachés ou brisés par accident (C. civ., art. 592). Néanmoins, il ne peut abattre des arbres de haute futaie qu'après en avoir fait constater la nécessité par le nu-propriétaire. À défaut, il peut être condamné à indemniser le nu-propriétaire, même s'il s'agit de réaliser de grosses réparations
1495542860606. La distinction entre coupe d'éclaircie et coupe de haute futaie est ténue et source de désaccord entre usufruitier et nu-propriétaire. Il convient de se référer au plan simple de gestion prévoyant la programmation des coupes ou, à défaut, aux usages forestiers locaux.
– La garde du territoire forestier. – La garde du territoire forestier incombe à l'usufruitier. Il ne doit pas se désintéresser du bois, au risque d'engager sa responsabilité en cas d'usurpation ou de dommages causés par des tiers (C. civ., art. 614).
– Le reboisement. – L'usufruitier est tenu de reboiser s'il procède à une coupe rase, en vertu de son obligation de conservation de la substance du bois. Les droits du nu-propriétaire sont ainsi sauvegardés
1495543729797. Cette obligation est limitée à la coupe rase en sapinière ou en futaie mise en coupes réglées. Nul besoin de reboisement en futaie jardinée ou dans un taillis. Si la futaie n'est pas mise en coupes réglées, le reboisement n'incombe pas à l'usufruitier, dans la mesure où il ne perçoit pas le produit de la coupe.
– Les impôts et charges fiscales. – « L'usufruitier est tenu, pendant sa jouissance, de toutes les charges annuelles de l'héritage, telles que les contributions et autres qui dans l'usage sont censées charges des fruits. » (C. civ., art. 608). L'usufruitier est tenu au paiement de la taxe foncière (CGI, art. 1400, II). Sur le même fondement, si la propriété forestière dépend d'une association syndicale autorisée, la contribution est prise en charge par l'usufruitier
1506773237529. Il est généralement redevable de l'impôt sur la fortune immobilière (CGI, art. 968 G). Il est possible de mettre conventionnellement à la charge du nu-propriétaire le paiement de la taxe foncière, sans que cela soit opposable à l'administration. L'impôt sur le revenu peut être réparti entre l'usufruitier et le nu-propriétaire, la répartition du revenu cadastral devant néanmoins être constante
1495836975382.
Les autres charges
– Les grosses réparations. – L'usufruitier n'est pas tenu aux grosses réparations prévues aux articles 605 et 606 du Code civil. Elles incombent au nu-propriétaire, celui-ci n'étant néanmoins tenu à aucune obligation positive à ce titre
1506760771136. Lorsque l'usufruitier procède aux gros travaux, sa succession a droit au remboursement de la plus-value. À ce titre, la succession de l'usufruitier ayant reconstitué un vignoble détruit par le phylloxéra a droit au paiement par le nu-propriétaire de la plus-value constatée lors de la cessation de l'usufruit
1495545224021.
– La tempête ou l'incendie. – « Ni le propriétaire, ni l'usufruitier, ne sont tenus de rebâtir ce qui est tombé de vétusté, ou ce qui a été détruit par cas fortuit » (C. civ., art. 607). En conséquence, après un incendie ou une tempête, ni l'usufruitier ni le nu-propriétaire n'est obligé de reboiser. L'effort financier de reboisement n'est pas toujours couvert par le prix de vente des chablis s'ils existent. L'assurance des peuplements forestiers contre ces risques se développe. Fransylva
1495901177111l'encourage auprès de ses adhérents. Le coût de cette assurance est en principe supporté par celui qui perçoit les revenus forestiers. Ainsi, en présence de futaies mises en coupes réglées ou de taillis, l'usufruitier supporte la prime d'assurances. En l'absence de coupes réglées, l'assurance incombe au nu-propriétaire, dès lors qu'il a vocation aux produits de la forêt.
– Le plan simple de gestion. – La présentation d'un plan simple de gestion est réalisée conjointement par l'usufruitier et le nu-propriétaire (C. for., art. R. 312-18). Les centres régionaux de la propriété forestière (CRPF) ne demandent toutefois pas de convention de répartition des produits et charges entre nu-propriétaire et usufruitier.
– Le défrichement. – Le défrichement consiste cumulativement à détruire volontairement l'état boisé d'un terrain et à supprimer sa destination forestière (C. for., art. L. 341-1)
1509529081525. En raison de la gravité de cette opération, il est certain que l'usufruitier ne peut seul la réaliser, la substance de la chose se trouvant atteinte. Inversement, le nu-propriétaire doit respecter les droits de l'usufruitier aux taillis, aux futaies mises en coupes réglées, aux fruits périodiques, à la chasse, etc. Ainsi, la demande de défrichement est sollicitée conjointement par l'usufruitier et le nu-propriétaire
1509529457703.
– Analyse : une rédaction désuète et obsolète. – La teneur des articles 590 à 594 du Code civil est inchangée depuis 1804. Or, les méthodes de sylviculture ont beaucoup évolué depuis la fin du 18e siècle. À l'époque, le propriétaire forestier procédait à des coupes d'arbres pour le bois de chauffe et pour la construction. Les arbres de futaie étaient généralement considérés comme un capital et le revenu de la forêt était plutôt constitué par les produits du taillis. Le plus souvent, le propriétaire laissait la forêt se repeupler par régénération naturelle. Les sapinières et les peupleraies étaient inconnues. Aujourd'hui, les coupes et les plantations sont programmées, généralement dans des documents de gestion durable. Le reboisement suppose un investissement important, avec un suivi et des travaux forestiers étalés dans le temps.
La répartition des obligations relatives à la forêt soulève également des difficultés. Qui doit prendre en charge les travaux d'amélioration ? L'augmentation de la fréquence des tempêtes avec les chablis s'en suivant rend indispensable une réflexion sur la prise en charge des reboisements.
La critique des textes est ancienne
1494914061924et constante
1506764429394.
Cette inadéquation avec la réalité de l'exploitation forestière est encore accrue par l'allongement de la durée de la vie et, corrélativement, celui des usufruits.
Pour gommer ces inconvénients, le propriétaire forestier a la faculté d'apporter ses bois et forêts en société. Le démembrement de propriété portant sur les parts sociales est en effet plus simple à mettre en œuvre. Surtout, la gestion des bois et forêts est facilitée par la structure de gérance et les dispositions statutaires
1506779007415.
Plus généralement, il est indispensable de moderniser les droits et obligations de l'usufruitier de bois et forêts.
Les solutions contractuelles
En cas de mutation entre vifs (donation, vente) de la nue-propriété ou de l'usufruit, il est souhaitable de fixer par écrit les rapports entre usufruitier et nu-propriétaire pour la gestion de la forêt. La convention doit porter, en fonction des situations, sur tout ou partie des points suivants :
En présence d'un expert forestier ou de tout autre professionnel en charge de la gestion du territoire, il est recommandé de l'interroger sur les usages locaux avant de fixer le contenu de la convention.
En cas de legs d'un droit démembré, le testament en fixe utilement les conditions d'exercice.
– Conclusion : vers une refonte des textes à deux niveaux. – Une actualisation des articles 590 à 594 du Code civil s'impose pour tenir compte de l'évolution de la sylviculture et répondre aux difficultés soulevées par leur rédaction actuelle. Les rédacteurs du Code civil avaient synthétisé les coutumes de l'Ancien droit en essayant d'en retenir le meilleur. La démarche doit aujourd'hui s'inscrire dans le renouvellement, tout en conservant la partie vivante de cet héritage. Les nouveaux textes resteront également supplétifs de volonté. Ils devront prévoir la possibilité de partager le prix de vente d'une coupe s'apparentant à un capital ou la remise des fonds à l'usufruitier au titre d'un quasi-usufruit.
La diversité des situations invite néanmoins à la prudence. Les particularités régionales, notamment le climat, les sols, les essences d'arbres et les pratiques sylvicoles ont un effet direct sur la gestion des forêts. Par ailleurs, la généralisation des plans simples de gestion entraîne une contractualisation de la gestion forestière. En 2015, plus de 83 % des propriétés privées de plus de vingt-cinq hectares disposaient d'un plan simple de gestion agréé
1506780049724. Or, les plans simples de gestion sont établis conformément au schéma régional de gestion sylvicole (C. for., art. R. 312-5).
Il semble opportun d'établir des règlements régionaux d'usufruit forestier annexés aux schémas régionaux de gestion sylvicole. Ces règlements répondraient beaucoup plus finement aux enjeux du démembrement de propriété sur les territoires forestiers concernés. En présentant un plan simple de gestion à l'approbation du CRPF, les propriétaires seraient réputés vouloir se soumettre au règlement régional d'usufruit forestier, sauf volonté contraire exprimée dans le plan ou dans toute autre convention postérieure.
Ainsi, l'usufruit sur les arbres serait défini à deux niveaux : par le Code civil et le Code forestier, et, dans le cas de bois et forêts soumis à PSG, par des règlements régionaux d'usufruit forestier, le tout sauf convention contraire. L'article 636 du Code civil disposant que : « L'usage des bois et forêts est réglé par des lois particulières » pourrait alors être modifié pour devenir : « L'usufruit et l'usage des bois et forêts sont réglés par des lois particulières ».
Le démembrement de la propriété résulte le plus souvent d'une donation ou du décès du propriétaire, susceptibles également de créer une indivision.