CGV – CGU

Partie II – Le formalisme lié à l’efficacité de l’acte juridique
Titre 1 – Le formalisme d’information dans la vente immobilière
Sous-titre 1 – Le formalisme d’information appliqué à la personne du contractant
Chapitre II – La protection par l’accroissement de l’obligation d’information du vendeur

4288 Nous traiterons ici de l’introduction dans le Code civil de la notion d’obligation précontractuelle d’information, d’une part (Section I), et de la notion d’imprévision, d’autre part (Section II).

Section I – La consécration légale de l’obligation précontractuelle d’information

4289 Il y a cinquante ans, en droit des contrats, il appartenait à chaque contractant de s’informer lui-même sur la portée de ses engagements ; l’acquéreur se devait d’être curieux. Au fil du temps, une multitude de textes visant à assurer la protection de l’acquéreur d’un bien immobilier se sont accumulés, imposant au vendeur diverses obligations spéciales d’information. Aujourd’hui, au contraire, le vendeur même non professionnel doit informer l’acquéreur même professionnel sur la chose achetée570.

La réforme du droit des contrats est venue insérer au sein du Code civil une obligation (le texte parle de « devoir ») générale et précontractuelle d’information depuis fort longtemps consacrée par des lois spéciales et par la jurisprudence.

4290 – Le principe posé par la réforme l’ordonnance du 10 février 2016. – La réforme du droit des contrats a été opérée par l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 et la loi de ratification no 2018-287 du 20 avril 2018. Cette réforme est venue consacrer l’obligation précontractuelle d’information au travers de l’article 1112-1 nouveau du Code civil : « Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ».

Cette obligation est bilatérale, elle concerne autant le vendeur (débiteur de l’obligation) que l’acquéreur (créancier de l’obligation).

4291 – Une information connue et déterminante. – Il faut d’abord que l’une des parties connaisse une information. Le projet de réforme parlait de « devoir de connaissance », mais cette précision a été supprimée. Cette suppression n’empêchera pas les juges de continuer, d’une part, à considérer qu’une obligation d’information suppose en amont une obligation de se renseigner et, d’autre part, d’appliquer la règle classique selon laquelle l’ignorance illégitime d’une information peut être assimilée à sa connaissance.

De même, seules les informations « déterminantes », c’est-à-dire celles qui ont un « lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties » doivent être révélées. Leur champ d’application est très large et concerne les caractéristiques tant juridiques que matérielles de la chose vendue. Elles peuvent relever du défaut de délivrance conforme, de la garantie d’éviction, ou de la garantie des vices cachés. De plus, le qualificatif « déterminant » ne doit pas être compris dans le seul sens des vices du consentement, c’est-à-dire une information qui a déterminé l’autre à contracter, ou sans laquelle l’autre n’aurait pas contracté. La sanction n’est pas uniquement l’annulation du contrat, mais aussi l’allocation de dommages et intérêts. Or cette dernière sanction est possible dès lors que l’ignorance de l’information a causé un dommage au créancier, et non pas seulement si elle l’a conduit à conclure un contrat qu’il n’aurait sinon pas conclu571.

4292 – L’exclusion de la valeur de la prestation. – L’alinéa 2 de l’article 1112-1 nouveau du Code civil précise que le devoir d’information « ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation ». Le Rapport au Président de la République énonce que : « Afin de ne pas susciter une insécurité juridique et de répondre aux inquiétudes des entreprises, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de prestation, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation »572. Cette disposition vient consacrer la célèbre jurisprudence Baltus en matière d’œuvre d’art du 3 mai 2000. Dans cet arrêt, la Cour de cassation avait jugé que l’acheteur n’avait pas à informer le vendeur de ce que le prix était dérisoire par rapport à la valeur réelle des photographies vendues573. La Cour de cassation a, par la suite, énoncé de manière plus générale que « l’acquéreur, même professionnel, n’est pas tenu d’une obligation d’information au profit du vendeur sur la valeur du bien acquis »574.

4293 – L’ignorance légitime et le lien de confiance. – L’obligation précontractuelle d’information n’existe que si l’ignorance de l’autre partie est légitime. L’ignorance légitime fait appel à la notion d’obligation de se renseigner pour le créancier de l’information. Cette obligation renvoie à une information facilement accessible ou connue de tous, et à moindre coût. Dès lors, si le créancier de l’information est conscient de l’importance d’une information et peut se renseigner, il est tenu de le faire. À l’inverse, si le débiteur de l’information lui fournit une information fausse mais qu’il peut légitimement croire vraie, sa confiance sera protégée et on ne lui reprochera pas de ne pas l’avoir vérifiée575. Le lien de confiance vise quant à lui certains contrats, notamment les contrats entre sachants et non-sachants, mais pas uniquement le non-professionnel face au professionnel mais également les contrats entre professionnels qui n’ont pas la même spécialité.

Pour l’essentiel, la réforme du droit des contrats est venue consacrer le droit jurisprudentiel antérieur. Ainsi avait-il été jugé que l’obligation de renseignement ne devait porter que sur les informations utiles au contractant, c’est-à-dire les faits pertinents576 ; elle devait être exacte, ce qui obligeait à s’informer577, à condition que le fait pût être découvert par le débiteur de l’information578.

Enfin, l’alinéa 5 de l’article 1112-1 nouveau du Code civil précise que : « Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir ». Le texte est d’ordre public et ne peut être écarté par une clause lors des pourparlers.

4294 – Charge de la preuve. – L’alinéa 4 de l’article 1112-1 du Code civil prévoit qu’« il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie ». La Cour de cassation précise que c’est au professionnel de prouver qu’il avait informé son client579. Fondée sur l’ancien article 1315, cette jurisprudence s’applique à tous les débiteurs d’une obligation particulière d’information. La preuve de l’existence de cette obligation incombe à la victime, celle de son exécution est à la charge du débiteur. L’article 1112-1, alinéa 4 consacre cette répartition de la charge de la preuve. Cette preuve, qui est celle d’un fait, peut être faite par tous moyens. La responsabilité du débiteur de l’information ou du conseil n’est engagée, conformément au droit commun, que si le créancier démontre l’existence d’un préjudice.

4295 – Sanction. – Ainsi le vendeur doit aujourd’hui dire tout ce qu’il sait où faire rechercher quelquefois certaines informations sur ce qu’il ne sait pas, et toute réticence à délivrer une information qu’il connaît est susceptible de caractériser le dol du vendeur. Cette obligation de délivrance d’une information connue constitue la traduction en droit de l’exigence de la transparence du vendeur, qui trouve sa source dans l’exigence de bonne foi, ou l’absence de comportement dolosif. D’ailleurs le principe de bonne foi a été renforcé par la réforme en introduisant à l’article 1104 du Code civil la notion de bonne foi dans la négociation, la conclusion et l’exécution des contrats alors que l’article 1134, alinéa 3 ancien se bornait à l’exécution de bonne foi.

Le nouvel article 1112-1 du Code civil prévoit, dans son alinéa 6, que : « Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants ». Le nouvel article 1137, alinéa 2 reconnaît quant à lui la réticence dolosive comme l’une des formes du dol et affirme que : « Constitue un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie ».

La sanction de la violation de cette obligation d’information n’est donc pas unique : elle consiste, d’une part, en la responsabilité civile de celui qui était tenu d’informer, c’est-à-dire de réparer les conséquences du défaut d’information, souvent la perte d’une chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses, et ce par l’allocation de dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité délictuelle et, d’autre part, la nullité du contrat si le défaut d’information a causé un vice du consentement : erreur sur une qualité essentielle ou dol par réticence si l’omission avait été intentionnelle.

4296 – Rôle du notaire. – L’obligation d’information est inhérente au rôle du notaire. Elle renvoie à la notion de devoir de conseil. Ce devoir peut se définir comme étant l’obligation pour le notaire d’informer les parties signataires afin de les aider à contracter en connaissance des problèmes de tous ordres qui peuvent surgir à l’occasion de l’opération projetée. Le formalisme de l’acte authentique oblige à délivrer une multitude d’informations. Le nouvel article 1112-1 du Code civil ne fait que renforcer cette obligation qui incombe au notaire580.

L’analyse de la jurisprudence révèle que les tribunaux sanctionnent sévèrement le manquement à l’obligation d’information suffisante du notaire, nonobstant les conseils déjà donnés par un autre professionnel, notamment un établissement de crédit581. Le notaire pourra être jugé complice du défaut d’information dû par le cocontractant. Ainsi, par exemple, la Cour de cassation a-t-elle récemment jugé que la faute intentionnelle du client vendeur ne dispense pas le notaire de son devoir d’information. Il commet une faute en s’abstenant de renseigner l’acquéreur sur l’existence d’un arrêté de catastrophe naturelle582. Le seul tempérament à cette obligation d’information est, dans une certaine mesure, l’obligation au secret professionnel583.

Conclusion

L’introduction dans le Code civil de cette obligation précontractuelle d’information, même si elle ne fait que consacrer le droit jurisprudentiel antérieur et vise à protéger les contractants, vient fragiliser, à notre sens, la sécurité juridique des transactions, et accroît la responsabilité des notaires, son champ d’application étant par nature très large et non susceptible d’une appréciation objective, favorisant ainsi les contentieux devant les tribunaux.

Dès lors, il incombe aux notaires, juges de l’amiable, la lourde tâche, d’une part, de faire prendre conscience au vendeur de l’importance de son obligation d’information et, d’autre part de le guider, en tant que professionnels, dans l’exécution complète de son obligation.

Il sera donc utilement conseillé de reproduire dans les actes le texte de l’article 1112-1, alinéa 1er du Code civil ou de rappeler au vendeur son obligation précontractuelle d’information et à l’acquéreur son obligation de renseignement, de rédiger des clauses simples et compréhensibles notamment pour le vendeur non professionnel, et de porter une attention toute particulière à la collecte des informations auprès du vendeur lors de la constitution du dossier de vente. À ce titre, les « questionnaires vendeurs » développés par le Conseil supérieur du notariat sont de précieux outils à ne pas négliger.

En parallèle de cette généralisation de l’obligation d’information, le législateur a souhaité, dans un but de justice contractuelle, introduire dans le Code civil la notion d’imprévision dans les contrats. Nous verrons que cette notion d’imprévision vient atténuer la force obligatoire du contrat et semble d’application délicate dans la vente immobilière.

Section II – L’introduction de la notion d’imprévision dans les contrats : une révolution potentielle pour la vente immobilière

4297 – Un concept nouveau introduit en droit français des contrats. – Le Code civil de 1804 ne traitait pas de l’imprévision. Le principe de la force obligatoire était proclamé par l’article 1134, alinéa 1er du Code civil, selon lequel : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». Seule la volonté peut défaire ce qu’elle a fait : selon l’article 1134, alinéa 2 du Code civil les conventions ne pouvaient être révoquées que par le seul consentement mutuel. Le refus de la Cour de cassation, avec la célèbre décision Canal de Craponne584, d’accorder au juge un quelconque pouvoir de réviser les conditions d’exécution du contrat en cas de bouleversement des circonstances économiques (crise, dévaluation, guerre), autrement dit le rejet de la fameuse théorie de l’imprévision, témoigne de la volonté judiciaire de faire respecter la loi des parties coûte que coûte et de son attachement à la force obligatoire du contrat585. S’en sont suivis de vastes débats et de nombreux écrits sur le sujet jusqu’à la réforme du droit des contrats consacré par l’ordonnance du 10 février 2016.

L’article 1134 du Code civil est supprimé et remplacé par l’article 1193 selon lequel : « Les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise » et l’article 1195 nouveau du Code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016 introduit en droit français la notion d’imprévision. Le Rapport au Président de la République présente le nouvel article 1195 du Code civil comme l’une des principales innovations de l’ordonnance du 10 janvier 2016. Le Rapport est à ce titre éclairant : « La France est l’un des derniers pays d’Europe à ne pas connaître la théorie de l’imprévision comme cause modératrice de la force obligatoire du contrat. Cette consécration, inspirée du droit comparé et des projets d’harmonisation européens, permet de lutter contre les déséquilibres contractuels majeurs qui surviennent en cours d’exécution, conformément à l’objectif de justice contractuelle poursuivi par l’ordonnance ».

4298 – Définition. – L’imprévision désigne habituellement les situations où un contrat, dont l’exécution est échelonnée dans le temps, subit un profond déséquilibre à la suite d’un changement imprévisible des circonstances ayant présidé à sa conclusion, ce qui rend son exécution beaucoup plus onéreuse.

4299 – Contenu du texte. – Voici ce qu’énonce le nouvel article 1195 du Code civil : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant ». Le texte se contente d’indiquer qu’une partie « peut » demander à son cocontractant, lorsque les conditions sont réunies, la renégociation du contrat. L’article 1195 ajoute que les parties continuent à exécuter leurs obligations durant la phase de renégociation, ce qui leur ôte toute pression et protège leur liberté de ne plus continuer à négocier. Est ainsi préservée la force obligatoire du contrat.

Le second alinéa de l’article 1195 du code s’intéresse aux suites de cette nouvelle discussion entre les parties : « En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation ». Le juge reçoit la mission d’adapter le contrat, mais à condition que les deux parties s’entendent sur ce point. Ensuite, ce n’est qu’à défaut d’accord dans un délai raisonnable qu’une partie pourra unilatéralement saisir le juge en vue de procéder à la « révision » du contrat ou d’y mettre fin à la date et aux conditions qu’il fixe. On constate que le juge ne peut intervenir qu’en cas de désaccord persistant entre les parties. La révision judiciaire est donc envisagée comme une sanction de l’absence de dialogue et de manière subsidiaire. Elle ne joue qu’en cas d’échec contractuel. Il découle de l’analyse de ce texte que les rédacteurs de l’ordonnance n’ont pas instauré une véritable obligation de renégocier, mais un simple droit à la renégociation en cas de changement de circonstances. Il permet néanmoins l’intrusion du juge dans l’équilibre contractuel.

4300 – Des circonstances imprévisibles et une exécution rendue excessivement onéreuse. – Les circonstances imprévisibles sont des circonstances exceptionnelles, qui ne nécessitent pas un bouleversement mais un simple changement de circonstances, lesquelles peuvent être progressives, pas forcément brutales, et s’analysent en des changements qui doivent provenir de causes extérieures au contractant concerné, comme par exemple des changements de la législation environnementale ou fiscale entraînant une flambée des coûts d’approvisionnement ou de fabrication, une guerre ou un cataclysme provoquant une montée inattendue du prix des matières premières, une crise boursière ou bancaire avec toutes ses conséquences économiques, la sortie d’un pays contractant de la zone euro…

Le terme « excessivement onéreuse » signifie clairement qu’un coût supplémentaire ou une perte de bénéfice ne saurait suffire. Le terme employé est d’interprétation difficile pour le juge, il reviendra aux parties de s’accorder dans le contrat initial du seuil de déclenchement de l’imprévision.

4301 – Distinction avec la lésion et la force majeure. – La lésion est un déséquilibre entre les prestations existant lors de la conclusion du contrat. La lésion ne sera prise en compte que dans des cas exceptionnels où le déséquilibre apparaît inacceptable (lésion de plus des sept douzièmes du vendeur d’immeuble, lésion de plus du quart dans le partage), ou bien quand il résulte d’une situation de faiblesse d’un contractant, inapte à apprécier la valeur des prestations (lésion subie par un incapable majeur ou mineur, lésion provoquée par un abus de dépendance). L’imprévision n’apparaît pour sa part que postérieurement à la conclusion du contrat, ce qui n’est pas le cas de la lésion586.

L’imprévision doit également être distinguée de la force majeure. Dans les deux cas, la perturbation affectant le contrat provient d’un changement de circonstances postérieur à sa conclusion et ce changement était imprévisible au moment de la conclusion du contrat. Mais il n’y a force majeure que si les circonstances nouvelles ont rendu impossible l’exécution du contrat : l’événement imprévisible et irrésistible doit échapper au contrôle de son débiteur et empêcher l’exécution, temporairement ou définitivement (C. civ., art. 1218), ce qui distingue force majeure et imprévision ; si la force majeure est établie, la résolution contractuelle qui s’ensuit lorsque l’inexécution est définitive opère de plein droit ; l’exécution du contrat est en revanche suspendue lorsque l’empêchement n’est que temporaire587.

L’imprévision n’empêche pas l’exécution du contrat et ouvre un droit à la renégociation.

4302 – Caractère supplétif. – Les rédacteurs de l’ordonnance du 10 février 2016 n’ont pas souhaité conférer, à la différence du principe de bonne foi ou de l’obligation d’information, un caractère d’ordre public aux dispositions sur l’imprévision. Ce texte revêt donc un caractère supplétif et les parties pourront convenir à l’avance de l’écarter pour choisir de supporter les conséquences de la survenue de telles circonstances qui viendraient bouleverser l’économie du contrat, par l’intermédiaire d’une acceptation qui peut être expresse ou résulter de la nature du contrat.

Dans le silence des parties, il faudra considérer que le risque d’imprévision n’a pas été accepté par l’une d’entre elles.

4303 – Champ d’application. – Le champ d’application de l’article 1195 du Code civil est extrêmement large, le texte ne procédant à aucune exclusion de principe. Il s’applique donc à tous les types de contrats, sauf les opérations sur titres et contrats financiers, expressément exclus par la loi de ratification.

4304 – Une application pratique à la vente d’immeubles. – Le contrat de vente immobilière est donc, en théorie, concerné par la notion d’imprévision. Mais qu’en est-il en pratique ? La vente immobilière n’est pas un contrat à exécution successive et le transfert de propriété qui en découle s’accommode mal avec cette notion d’imprévision. Néanmoins, ses effets peuvent s’étaler dans le temps. On peut dès lors imaginer des cas où un événement postérieur à la conclusion du contrat crée un déséquilibre au détriment de l’acquéreur.

Par exemple, un particulier vend à un autre particulier un terrain constructible suivant le plan local d’urbanisme en vigueur au moment de la conclusion du contrat. Celui-ci prévoit de retarder le transfert de propriété à la réitération des consentements par acte authentique. Entre-temps, en raison de fortes intempéries ayant modifié la configuration des sols, le terrain devient inondable, ce qui pourrait entraîner son inconstructibilité. Le prix prévu sera nécessairement excessif par rapport à la valeur du terrain. L’acquéreur pourra alors invoquer l’imprévision, si toutes les conditions de celles-ci sont remplies. C’est sans doute là qu’apparaît l’éventuelle difficulté pour mettre en œuvre le mécanisme de l’imprévision588.

Tout d’abord, le notaire se doit d’expliquer le texte de l’article 1195 du Code civil lors de l’avant-contrat afin d’assurer une bonne compréhension à ses clients de la notion d’imprévision. Nos propos ci-avant développés aideront utilement le praticien dans ses explications.

Ensuite, il sera utile de relater le texte de l’article dans l’avant-contrat et l’acte de vente. Si aucune clause relative à la notion d’imprévision ne figure à l’acte, ou si y figure seulement le texte de l’article, les parties seront considérées comme n’ayant pas accepté le risque d’imprévision en cas de problème postérieur à la vente. Dans ce cas, la renégociation du contrat sera donc possible.

Enfin, il est donc conseillé d’insérer une clause à l’avant-contrat et à la vente permettant d’écarter le mécanisme de la renégociation du contrat. Le choix des mots est important car, contrairement aux termes généralement utilisés dans le contrat de vente immobilière, on ne « renonce pas à l’imprévision », l’imprévision étant la circonstance, mais on renonce à la renégociation du contrat en acceptant expressément l’imprévision.

4305 – Autres applications intéressant la pratique notariale. – En dehors du contrat de vente immobilière, le texte de loi ne procédant à aucune exclusion, il conviendra d’être vigilant, à notre sens, dans la rédaction des contrats de vente à exécution successive, naturellement susceptibles d’être affectés par un changement des circonstances en cours d’exécution. Le problème se pose notamment avec une certaine acuité pour les contrats de vente d’immeuble à construire, les ventes en l’état futur d’achèvement, les ventes à terme, les contrats de prêt, les baux et les ventes en rente viagère, l’imprévision étant un phénomène atteignant par essence ce type de contrats.

Certaines solutions ont été apportées par la pratique et/ou le droit positif. La question est de savoir si elles laissent une place à l’application de l’article 1195 du Code civil.

Ainsi, en matière notamment de vente moyennant le versement d’une rente viagère, les parties stipulent généralement une clause d’indexation et la loi no 49-420 du 25 mars 1949 prévoit la majoration légale des arrérages de rente ainsi que la possibilité de leur révision judiciaire. Dans ce cas, les mécanismes de révision étant prévus par la loi, il nous semble logique de ne pas laisser place à la renégociation du contrat589.

En matière de vente en l’état futur d’achèvement ou vente à terme, là encore le législateur a prévu la possibilité de réviser le prix par le biais d’une indexation. Les conditions sont posées aux articles L. 261-11 et suivants du Code de la construction et de l’habitation. Cette possibilité est d’ailleurs d’ordre public dans le secteur protégé. Dès lors, l’article 1195 du Code civil est-il applicable face à cette législation ? Tout dépend, de l’interprétation donnée à l’article L. 261-11-1. Si l’on vise la révision, on exclut l’application de l’article 1195 du Code civil, mais si l’on vise seulement l’indice, le texte ne ferme pas la voie à un autre mode de révision. Pour autant, retenir cette interprétation et donc admettre l’application de l’article 1195 du Code civil risque de rendre illusoire cette protection si ce texte est invoqué par le vendeur. Mais l’argument ne tient plus si le contractant lésé par l’imprévision est l’acquéreur. Il pourrait avoir intérêt à invoquer les dispositions de l’article 1995 du Code civil. Le lui refuser ne serait donc pas le protéger.

En conclusion, dans ces types de contrats, il est fortement conseillé de s’interroger sur l’exclusion ou non de la possibilité de renégocier le contrat.

Après avoir traité du formalisme d’information applicable à la personne du contractant, nous analyserons le formalisme d’information appliqué aux biens vendus, formalisme de plus en plus lourd au regard du développement des lois dites « spéciales d’information ».


570) P. Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel-Munck, Droit des obligations, LGDJ, 10e éd. 2018.
571) M. Fabre-Magnan, Le devoir d’information dans les contrats : essai de tableau général après la réforme : JCP G 2016, act. 706.
572) M. Mekki, Réforme des contrats et des obligations. L’obligation précontractuelle d’information : JCP N 28 oct. 2016, no 43-44, act. 1155.
573) Cass. 1re civ., 3 mai 2000, no 98-11.381 : JurisData no 2000-001683.
574) Cass. 3e civ., 17 janv. 2007, no 06-10.442 : JurisData no 2007-037041.
575) Modèle de J. Lafond : JCP N 23 sept. 2016, no 38, 1729 : Immatriculation des syndicats de copropriétaires : le rôle du notaire, préc.
576) M. Fabre-Magnan, op. cit., nos 169 et s. ; par ex. : Cass. 1re civ., 14 mai 1991 : Bull. civ. 1991, I, no 147 ; RTD civ. 1992, 84, obs J. Mestre.
577) Par ex. : Cass. 2e civ., 19 juin 1996 : Bull. civ. 1996, II, no 161 ; D. 1996, inf. rap. 187 ; JCP G 1996, IV, 1880 : « Celui qui a accepté de donner des renseignements a lui-même l’obligation de s’informer pour informer en connaissance de cause (…) ; le fait de donner une information inexacte est constitutif de faute ».
578) Sur la portée des revirements de jurisprudence : Cass. 1re civ., 7 mars 2006 : Bull. civ. 2006, I, no 136 ; JCP N 2006, I, 166, obs. Ph. Stoffel-Munck ; D. 2006, 2894, note F. Marmoz : le notaire et l’agent immobilier engagent leur responsabilité, du seul fait qu’une évolution jurisprudentielle, achevée après leur intervention, était apparue avant ; il leur appartenait de tenir compte des « incertitudes de la jurisprudence ». S. Becqué-Ickowicz : Defrénois 2003, art. 37710, p. 521.
579) Responsabilité du notaire : Cass. 1re civ., 3 févr. 1998 : Bull. civ. 1998, I, no 44 ; Defrénois 1998, art. 36815, no 71, obs. J.-L. Aubert ; RTD civ. 1999, 84, obs. J. Mestre.
580) J.-Y. Camoz : JCP N 23 mars 2018, no 12, no 1136.
581) Cass. 1re civ., 16 nov. 2016, no 15-22.340 : Defrénois 2017, p. 707, chron. J.-F. Sagaut et M. Latina.
582) Cass. 1re civ., 11 janv. 2017, no 15-22.776 : JCP N 2017, 1191, Ph. Pierre.
583) Cass. 1re civ., 22 sept. 2016, no 15-22.784 : Defrénois 2017, p. 703, chron. J.-F. Sagaud et M. Latina.
584) Cass. civ., 6 mars 1876 : D. 1876, 1, p. 193, note Giboulot ; S. 1876, 1, p. 161 ; GAJ civ. 2008, no 165.
585) JCl. Notarial Répertoire, Fasc. 11, par Y. Picod.
586) JCl. Notarial Répertoire, Fasc. 11, par Y. Picod, préc.
587) JCl. Notarial Répertoire, Fasc. 11, par Y. Picod, préc.
588) H. Périnet-Marquet, Droit des contrats : le changement c’est pour demain : Constr.-Urb. avr. 2015, repère 4.
589) A.-S. Courdier-Cuisinier, Les évolutions relatives aux effets du contrat, in Actes du colloque « La réforme du droit des obligations : quelles évolutions pour la vente immobilière ? » : Ann. loyers juill.-août 2016, no 07-08.
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