CGV – CGU

Introduction

4001

« Aimer le droit, dans son obsession de protéger l’être. »1

4002 – Protéger : d’un besoin social à un impératif du droit. – Si la notion de protection revêt une dimension éminemment sociale, avec le souci et la recherche d’apporter le plus grand soin et la plus grande bienveillance aux plus vulnérables, mais aussi à leurs proches ainsi qu’aux droits essentiels attachés au logement, elle constitue également une revendication à dimension juridique. Comme aimait à le souligner Mazeaud, « plus encore que de justice, nous avons besoin de vivre en sécurité »2, la sécurité étant elle-même à la source de toute vie en collectivité en assurant notamment le développement de relations constitutives de toute vie sociale. Dès lors, le souci de protéger doit être regardé comme « le but final et ultime du droit »3 au point – souvent – de « se confondre avec la notion de droit elle-même »4. Protéger consiste donc en une notion fondamentale pour le bon fonctionnement de toute société ; facteur de stabilité pour la vie sociale en ce qu’elle apporte la quiétude dans les relations familiales et contractuelles, mais également en ce qu’elle conditionne l’exercice des droits des citoyens ainsi que le développement économique, elle constitue l’un des fondements de tout État de droit : en cela, elle est un impératif du droit.

4003 – Protéger par le droit. – Par l’accessibilité, la stabilité et la prévisibilité du droit – lesquelles forment les composantes de la sécurité juridique5 -, le droit répond à ce besoin de protéger les individus, à travers des situations sociales, juridiques et économiques plurielles : ainsi, par l’accessibilité au droit, les sujets de droit doivent tout d’abord être en mesure de connaître et comprendre le droit applicable pour leur permettre d’agir en toute connaissance de cause ; par ailleurs, le droit doit être respectueux des situations juridiques des individus qu’il ne doit pas déjouer ; enfin, un droit instable risque de ruiner l’attente des sujets de droit et leur confiance même dans le droit. Dès lors, et tout comme la sécurité juridique, le souci de protéger apparaît comme une notion composite d’éléments divers qui transcendent le cloisonnement des matières comme des branches du droit et « irrigue l’ensemble de notre droit »6.

4004 – Protéger les droits. – Si la notion de protéger est donc consubstantielle à la notion de droit – lato sensu -, ce dernier devra garantir « les droits » des individus, pris en tant qu’accords et manifestations de volonté destinés à produire des effets de droit, pour reprendre la définition des actes juridiques désormais posée à l’article 1100-1 du Code civil. Protéger les droits va donc tout d’abord consister à s’assurer que l’acte juridique conclu l’a été à la lumière d’un consentement éclairé – à l’abri des humeurs versatiles et de relations contractuelles et économiques déséquilibrées – pour permettre aux parties contractantes d’atteindre l’objectif qu’elles se sont assigné. De même, protéger les droits répond également au besoin de s’assurer du caractère incontestable de l’accord conclu et de sa force inébranlable. Partant, protéger les droits consistera également à veiller à l’opposabilité de cet accord de volonté à l’égard des tiers afin qu’il puisse être doté de sa pleine efficacité : en effet, pour pouvoir exercer son droit, encore faut-il que son titulaire puisse le prouver et que les tiers le reconnaissent pleinement. Enfin, protéger les droits imposera de veiller à la bonne exécution de la convention en garantissant notamment le créancier d’une obligation en cas d’inexécution de son débiteur.

4005 – Le formalisme comme mode d’accompagnement de la volonté des parties contractantes. – Dans cette quête de protection, une réponse a été portée dans notre droit à travers le développement du formalisme. Si nul ne nie qu’un acte juridique ne peut naître sans qu’une volonté ne soit préalablement manifestée, la réalisation d’un accord de volonté, d’un acte ou d’un contrat peut parfois être soumise à des exigences formelles. Bien souvent défini de manière négative, par opposition au consensualisme, le formalisme désigne alors une exigence de forme qui consiste à subordonner la validité d’un acte à l’accomplissement d’une ou de plusieurs formalités déterminées. Souvent présenté comme un modèle concurrent à la liberté contractuelle, le formalisme tend en réalité à servir la protection des parties contractantes, en ajoutant à la volonté plus qu’il ne la concurrence. En effet, si la souplesse contractuelle – indispensable à la fluidité des échanges et des relations – est une préoccupation majeure, elle ne doit pas pour autant remettre en question une aspiration tout aussi indispensable au bon fonctionnement de toute relation contractuelle : la protection de la partie dite « vulnérable », « non sachante », ou en position de faiblesse. Dès lors, et dans ce souci de protéger la liberté contractuelle – laquelle ne suppose pas une absence totale de forme, mais une liberté des formes7 -, le formalisme accompagne le cycle de vie de l’accord de volontés en prévoyant – çà et là – des règles de forme spécifiques pouvant conditionner sa validité, sa preuve ou son opposabilité. En imposant ainsi une solennité, la loi entend que l’auteur de l’acte, ou les contractants, prennent toute la mesure de leur engagement, qu’ils en mesurent la portée, la gravité ou encore l’étendue. C’est aujourd’hui ce souhait de protection qui conduit le législateur à placer le notaire au cœur des solennités.

4006 – L’authenticité : le formalisme aux solennités les plus abouties. – Si, dans les pays de common law, les parties contractantes font confiance au juge pour assurer la protection de la conclusion, de l’équilibre et de l’exécution de leur accord de volonté, tel n’est pas le cas dans les pays de droit continental ou, bien souvent, le recours à l’institution judiciaire est vécu comme un constat d’échec. La réponse apportée dans ces pays de culture romano-germanique réside dans le recours à l’authenticité, et à la forme suprême des solennités : l’acte authentique. Cet acte, dressé par une autorité publique, garantit l’expression libre et éclairée des volontés, écarte l’imprévisibilité des situations futures, garantit la preuve indiscutable des engagements pris, et assure la conservation des conventions tout en permettant l’exécution sans jugement préalable du débiteur défaillant qui tente d’échapper à la prévision du contrat. L’authenticité incarne donc la protection et la sécurité juridiques, et les réformes successives n’y changent rien « tant les liens entre le notariat et ce droit dont l’origine se mêle à la genèse du vieux continent sont consubstantiels »8. Acte instrumentaire à nul autre pareil, l’acte authentique tend ainsi à assurer et favoriser le développement de relations familiales, patrimoniales et plus largement contractuelles pérennes, mâtinées de confiance et de certitude. L’acte authentique revêt donc une dimension sociale considérable, tout en répondant à un formalisme rigoureux, contrepartie du statut d’officier public du notaire, détenteur d’une parcelle de l’autorité de l’État et tenu à des devoirs importants (Partie I).

4007 – Développement d’un formalisme conditionnant l’efficacité des droits. – Il est pour autant à relever que, ces dernières années, un formalisme d’information et d’opposition s’est développé dans cette dynamique de recherche de protection des droits des contractants, rajoutant au traditionnel formalisme de l’acte authentique. Le droit de la consommation en est certainement un domaine topique. Ainsi, dans certains contrats, des délais de réflexion et/ou de rétractation, des mentions obligatoires – parfois manuscrites – sont imposés afin de renforcer la vocation informative, voire explicative que peut déjà avoir le formalisme lié à la nature de l’acte authentique. Dès lors, outre le formalisme ayant pour vocation de promouvoir la protection contractuelle des parties à l’acte en imposant une forme spécifique d’acte instrumentaire, il conviendra de relever l’émergence d’un formalisme complémentaire – dont on peut redouter les frais, la surabondance et parfois l’efficacité – venant conditionner l’efficience de l’acte (Partie II).


1) H. Lécuyer, Devoirs de rentrée d’un juriste : Defrénois 2019, no 35, p. 1.
2) H. Mazeaud, Travaux de l’Association Henri Capitant, 1945, t. 1, La lésion dans les contrats, Dalloz, 1946, p. 198.
3) H. Battifol, La philosophie du droit, PUF, coll. « Que sais-je ? », 10e éd. 997, p. 86.
4) S. Calmes, Du principe de protection de la confiance légitime en droit allemand, communautaire et français, Dalloz, coll. « Nouvelle bibl. de thèses », vol. 1, 2001, no 64, p. 156.
5) V. 111e Congrès des notaires de France, Strasbourg, 2016, La sécurité juridique : un défi authentique, 1re commission, p. 39, no 1053, par Th. Gruel et C. Farenc.
6) A. Cristau, L’exigence de sécurité juridique : D. 002, p. 2814.
7) Y. Jeanclos, Formalisme et consensualisme : la sempiternelle querelle du droit des contrats, in Hommages à G. Boulvert, Nice, éd. Université de Nice, 1987, p. 333 et s.
8) J.-F. Sagaut, Avant-propos : JCP N 15 janv. 2016, no 2, dossier « Le notaire en 2016 », p. 1006.
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