CGV – CGU

Partie II – Le traitement de la vulnérabilité
Titre 2 – Le traitement de la vulnérabilité des majeurs
Sous-titre 2 – La protection du majeur reconnu vulnérable en fait
Chapitre I – La vulnérabilité de fait saisie par la loi

1539 – Une protection a posteriori. – Sur le plan des principes, le Code civil présume que toute personne physique majeure est saine d’esprit et, partant, capable de contracter. Mais « l’insanité et l’incapacité juridiques peuvent être disjointes et désarticulées »687. Elles le sont en pratique, car le droit a, par définition, un temps de retard sur le fait, qu’il tente de rattraper, en mettant en œuvre des solutions de repli, destinées à déployer leurs effets rétrospectivement. Ainsi, pour protéger le vulnérable de fait, la loi civile s’efforce d’effacer tout acte qui a pu lui porter atteinte (Section I), tandis que la loi pénale agit pour sanctionner le tiers qui a exploité sa faiblesse (Section II).

Section I – Les actions de droit civil

1540 – Les incapacités à recevoir à titre gratuit. – Les personnes vulnérables qui ne font l’objet d’aucune mesure de protection juridique peuvent consentir un acte juridique, à titre onéreux comme à titre gratuit, même si leur compétence a disparu. Partant, le double risque de prendre des décisions préjudiciables pour elles-mêmes ou d’être conduites par des tiers à prendre des dispositions qui n’expriment pas leur volonté propre est palpable.

C’est pourquoi le législateur, bien qu’il ne soit pas question de priver une personne dotée de sa capacité de la faculté de disposer de ses biens, a cependant multiplié les précautions s’agissant des libéralités entre vifs ou à cause de mort. Parce que les libéralités constituent par nature des actes qui procurent un avantage au gratifié sans que le gratifiant attende de contrepartie (C. civ., art. 1107, al. 2), il faut admettre qu’elles sont en elles-mêmes constitutives d’un risque de captation, a fortiori lorsque les facultés personnelles du gratifiant sont altérées. C’est précisément pour lutter contre ce risque spécifique que les textes de droit civil empêchent depuis fort longtemps, et sauf exceptions (C. civ., art. 909, al. 3), certaines personnes de recevoir des dispositions entre vifs ou testamentaires. Il s’agit classiquement des « membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt » (C. civ., art. 909, al. 1er). Il en est de même des « mandataires judiciaires à la protection des majeurs et [d]es personnes morales au nom desquelles ils exercent leurs fonctions » ou encore « des ministres du culte » (C. civ., art. 909, al. 2 et 4). Avec l’augmentation du nombre d’auxiliaires de vie et d’aides-ménagères, liée à la politique du maintien à domicile des personnes dépendantes, les risques d’abus d’influence et de captation d’héritage du fait de ces aidants sont devenus particulièrement sensibles, au point que la loi du 25 décembre 2015 a étendu la liste des personnes frappées d’une incapacité à recevoir à titre gratuit à celles qui interviennent au domicile d’une personne dépendante, au titre d’une prise en charge sociale ou médico-sociale. La loi vise ainsi « les personnes physiques propriétaires, gestionnaires, administrateurs ou employés d’un établissement ou service soumis à autorisation ou à déclaration (…), ainsi que les bénévoles ou les volontaires qui agissent en leur sein ou y exercent une responsabilité » (C. action soc. et fam., art. L. 116-4, al. 1er).

1541 – Un régime spécifique à deux têtes. – Au-delà de cette mesure de prévention, préconisée en application du principe de précaution, plusieurs dispositions ont vocation après coup à corriger les effets préjudiciables des actes accomplis par la personne vulnérable de fait. Ainsi, bien évidemment, lesdits actes demeurent toujours susceptibles d’être annulés, en invoquant, conformément au droit commun, les vices du consentement (C. civ., art. 1130). Mais on sait qu’il faut une bien grande maladresse de la part du cocontractant pour laisser des traces d’un vice, constitutif de dol ou de violence, sachant que celle-ci ne se limite pas à des contraintes physiques, mais peut prendre aussi la forme de pressions psychologiques, souvent insidieuses, et donc difficiles à démontrer. Aussi les textes de droit civil prévoient-ils deux actions spécifiques destinées à protéger plus efficacement la personne vulnérable : l’une est générale et sanctionne les actes passés par une personne insane (Sous-section I), l’autre est spéciale et appréhende les actes conclus par l’insane dans les deux ans précédant la publicité du jugement qui ouvre une mesure de protection judiciaire (Sous-section II), étant ici souligné que ces deux textes ne sont pas exclusifs l’un de l’autre, si bien qu’ils peuvent être invoqués, le cas échéant, de manière concurrente ou cumulative688.

Sous-section I – L’action fondée sur l’insanité d’esprit

1542 – Nullité relative. – Le Code civil présume que toute personne physique majeure est saine d’esprit et, partant, capable de contracter. Aux fins de protéger la personne vulnérable, il frappe toutefois de nullité relative l’acte juridique effectué par un contractant atteint d’un trouble mental au moment de sa conclusion689. L’action en nullité pour insanité d’esprit, régie par les articles 414-1 et suivants du Code civil, a ainsi notamment pour objet de protéger a posteriori, c’est-à-dire après la passation de l’acte juridique, la personne vulnérable qui n’est pas encore ou qui ne sera jamais placée sous un régime de protection juridique. Nous allons successivement traiter des conditions (§ I) puis de l’exercice de cette action en nullité (§ II).

§ I – Les conditions de l’action

1543 – L’existence d’un trouble mental. – L’article 414-1 du Code civil énonce le principe suivant selon lequel : « Pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit » et que tout acte passé au rebours par une personne insane encourt la nullité pour autant que soit rapportée la preuve « d’un trouble mental au moment de l’acte »690.

Le trouble mental dont il s’agit peut se définir comme une faiblesse physique, psychique ou psychologique de nature à empêcher une personne d’exprimer une volonté consciente. Peu importe l’origine du trouble : il peut tout aussi bien s’agir d’un excès que d’une maladie. Ainsi l’insanité d’esprit comprend toutes les variétés d’affections mentales par l’effet desquelles la faculté de discernement de l’auteur de l’acte a été altérée. Cela étant, l’état dépressif, la vieillesse ou les infirmités physiques ne sauraient révéler systématiquement une insanité d’esprit. Il convient en sus de démontrer qu’ils ont empêché l’auteur de l’acte d’exprimer une volonté consciente691. De manière générale, la jurisprudence est du reste relativement stricte, afin d’éviter que l’action ne serve de voie de rétractation à tous ceux pouvant invoquer, à un titre ou un autre, une défaillance. C’est pourquoi le trouble mental doit être suffisamment grave pour priver complètement le majeur de sa faculté de discerner le sens et la portée de l’acte querellé. La jurisprudence donne de nombreux exemples de cette notion : l’absorption excessive d’alcool, de drogue ou de médicaments, certaines maladies comme des troubles psychiatriques graves entraînant des dépenses inconsidérées, l’infirmité et l’affaiblissement dû à l’âge, le moment de folie, un état de déficience intellectuelle, etc.

Peu importe la durée du trouble mental : il peut s’agir d’une longue maladie ou d’un état passager, pourvu qu’il existe au moment précis où l’acte litigieux est passé692. Ainsi, par exemple, en matière de vente immobilière, il est nécessaire de vérifier l’existence du trouble mental allégué non seulement au stade de l’avant-contrat, mais également au stade de l’acte authentique réitératif693. Il en résulte que, même lorsqu’il est établi qu’une personne se trouvait dans un état habituel d’altération de ses facultés mentales, il appartient à celui qui conteste la validité d’un acte de prouver qu’au moment précis de la confection de l’acte, son auteur souffrait d’un trouble affectant ses facultés mentales694. Dans ces conditions, la proximité d’un suicide survenu quatre jours après l’acte argué de nullité ne suffit pas à établir le trouble mental affectant l’auteur de cet acte au moment de sa signature695. De même, l’ouverture d’une mesure de protection judiciaire ne permet-elle pas, à elle seule, de présumer le trouble mental. En revanche, la condamnation pénale du bénéficiaire de l’acte pour abus de faiblesse sur la personne de son auteur caractérise l’insanité d’esprit au sens de l’article 414-1 du Code civil696. Reposant sur la règle de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, la solution vaut lorsque le trouble mental de la victime, au moment de l’acte, a été constaté par le juge pénal pour la caractérisation de l’infraction.

1544 – Les actes susceptibles d’annulation. – Le champ d’expression de l’action en nullité pour insanité d’esprit est très large. Les actes juridiques susceptibles d’être annulés sur le fondement de l’article 414-1 du Code civil peuvent indifféremment présenter un caractère extrapatrimonial (la reconnaissance d’un enfant, par exemple) ou patrimonial (vente, location, transaction, etc.).

S’agissant de ces derniers, il peut d’agir d’actes conclus à titre onéreux ou à titre gratuit. Une particularité tient toutefois au fait que, concernant les libéralités, le principe de sanité d’esprit est énoncé spécialement à l’article 901 du Code civil, disposant que : « Pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence ». Sans surprise, tant on sait qu’ils aiguisent les appétits de captation, on constate du reste que le contentieux est abondant concernant les demandes d’annulation pour insanité d’esprit relatives aux donations et aux testaments. Sont également susceptibles d’être annulés aussi bien des contrats, étant ici rappelé que les dispositions de l’article 414-1 ont été expressément reprises à l’article 1129, que des actes unilatéraux, tels qu’une mainlevée hypothécaire697 ou une quittance de loyer, par exemple698.

Par ailleurs, il convient de noter, nous y reviendrons699, que l’action en nullité pour insanité d’esprit ne se limite pas à frapper les actes d’une personne qui n’est pas placée sous un régime de protection, mais qu’elle peut également appréhender, de manière plus large, les actes accomplis par un majeur qui fait l’objet d’un régime de protection ou dont le mandat de protection future a été activé.

Insanité d’esprit et testament authentique

La rigueur jurisprudentielle ne suffit pas toujours à écarter les risques d’annulation et la tentation peut être grande pour l’insane de vouloir s’entourer de toutes les précautions afin de s’assurer de la pérennité de l’acte qu’il souhaite conclure. Dans cette optique, la personne qui entend consentir un legs doit naturellement privilégier le recours à la forme authentique pour rédiger son testament. Lorsque ce dernier comporte une mention s’appuyant sur les constatations personnelles du notaire instrumentaire, celle-ci vaut jusqu’à inscription de faux, ce qui confère une indéniable sécurité au legs consenti700. Cela étant, le plus souvent, l’acte notarié se contente de relater une déclaration du testateur aux termes de laquelle ce dernier précise qu’il est sain d’esprit et qu’il comprend le sens et la portée de son acte. Or, si cette déclaration constitue sans nul doute un indice contraire au trouble mental, il n’en reste pas moins que jurisprudence considère « lorsque le testament ne fait que relater les déclarations du testateur », qu’il est toujours possible, sans recourir à la voie de l’inscription de faux, de prouver, « en dépit des énonciations du testament authentique, que le testateur n’était pas sain d’esprit »701. En ce sens, et même si l’acte est indubitablement plus sûr qu’un testament olographe, il faut admettre que le recours au testament authentique ne constitue pas un obstacle rédhibitoire à d’éventuelles actions en nullité pour insanité d’esprit intentées par les héritiers.

§ II – L’exercice de l’action

1545 – Plan. – Il convient de distinguer selon que l’action en nullité pour insanité d’esprit est intentée du vivant de l’auteur de l’acte (A) ou après son décès par ses héritiers (B).

A/L’exercice de l’action du vivant de l’auteur de l’acte

1546 – Titulaire de l’action. – Tant qu’il est vivant, seul l’intéressé peut former l’action en nullité (C. civ., art. 414-2). La règle constitue une conséquence du caractère relatif de la nullité. Cette dernière ne peut être invoquée par le contractant de la personne insane. Si une mesure de protection a été ouverte, le tuteur peut intenter seul une telle action (C. civ., art. 475 et 504, al. 2)702, contrairement au curateur qui est privé du droit d’agir seul en nullité, sauf à saisir le juge pour y être autorisé. En revanche, si le curatélaire entend agir pour insanité d’esprit, le curateur doit alors l’assister (C. civ., art. 468, al. 3). Enfin, sauf si le contrat contient une clause contraire, l’action est ouverte au mandataire de protection future.

1547 – Administration de la preuve. – En pratique, la difficulté essentielle à laquelle se heurte celui qui veut agir en nullité pour insanité d’esprit est probatoire. Pour obtenir une telle nullité, il appartient au demandeur d’apporter une double preuve : il doit établir, d’une part, l’existence d’un trouble mental, et démontrer, d’autre part, que ce trouble mental existait au moment même de la conclusion de l’acte. À vrai dire, on le sait, ce n’est pas tant la première preuve que la seconde qui pose difficulté.

S’agissant d’une question de fait, la preuve tant de la nature du trouble mental que du moment où il intervient peut être rapportée par tous moyens. Naturellement, la Cour de cassation laisse aux juges du fond le pouvoir souverain d’apprécier l’existence de l’insanité d’esprit, tout en veillant scrupuleusement à ce que cette appréciation ne repose pas sur de simples indices et s’appuie sur des éléments médicaux précis. En effet, si les modes de preuve sont nombreux, ce compris les présomptions du fait de l’homme qui peuvent être utilisées pour établir la concomitance entre le trouble mental et l’échange des consentements, on constate, sans surprise, que la part belle est faite en la matière aux certificats médicaux. Concrètement, la preuve s’appuie, le plus souvent, sur une expertise psychiatrique, le médecin spécialiste étant amené à dire, eu égard au dossier médical de la personne et après l’examen de ce dernier, si le trouble mental existait au moment de l’acte. Il est également possible d’utiliser le témoignage du médecin traitant, pourvu qu’il ne soit pas contredit par l’expertise médicale demandée par le juge. C’est dire, a contrario, qu’en l’absence de document médical pertinent établissant les périodes pendant lesquelles le contractant n’aurait pas été en mesure de comprendre la portée des actes critiqués, les juges seront difficiles à convaincre703. La mise en œuvre de leur pouvoir d’appréciation prend donc appui, nécessairement, sur des constatations médicales. Un tel pouvoir ne prend de l’ampleur qu’en cas de doute médical provoqué par une démonstration défaillante ou de sa contestation lors du débat contradictoire auquel se livrent les experts ou les parties au procès704.

Les conditions du régime probatoire de la nullité de l’acte pour insanité d’esprit sont rigoureuses. Néanmoins, la jurisprudence a assoupli quelque peu cette exigence en opérant un renversement de la charge de la preuve lorsque l’insanité d’esprit existe à la fois dans la période immédiatement antérieure et dans la période immédiatement postérieure à l’acte litigieux705. En pareil cas, il revient au défendeur, qui revendique la validité de l’acte, d’établir l’existence d’un intervalle lucide au moment où l’acte a été passé, ce qui s’avère en pratique largement illusoire.

Enfin, notons que l’acte peut aussi parfois porter en lui-même cette preuve, ce qui est le cas, par exemple, s’il est complètement incohérent.

1548 – Délai pour agir en nullité. – Le dernier alinéa de l’article 414-2 du Code civil renvoyant aux dispositions de droit commun de l’article 2224 du même code, l’action en nullité est soumise à une prescription quinquennale, que l’acte litigieux soit un acte à titre onéreux ou à titre gratuit.

Ce délai commence à courir au jour où l’acte est passé, sauf à l’insane à démontrer qu’il se trouvait alors, du fait de son trouble mental, dans l’impossibilité d’agir. En pareil cas, il pourra faire jouer l’article 2234 du Code civil qui, consacrant une solution prétorienne bien assise706, fondée sur le principe Contra non valentem agere, non currit praescriptio707, prévoit que « la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir ». Lorsque l’insane d’esprit a fait ultérieurement l’objet d’une mesure de protection, ces délais ne recommencent à courir que « du jour où il (…) a eu connaissance [des actes] alors qu’il était en situation de les refaire valablement » (C. civ., art. 1152, 2o). En revanche, s’il fait l’objet spécifiquement d’une mesure de tutelle, la prescription demeure suspendue jusqu’à la mainlevée de la mesure (C. civ., art. 2235), ce qui est compréhensible puisque la personne en tutelle est privée du droit d’agir en justice.

Bien évidemment, l’ensemble de ces délais peuvent s’additionner, au point d’aboutir à une véritable élasticité de la prescription, perpétuant le risque d’insécurité juridique708. Toutefois, dans l’ensemble de ces cas, aucune action ne peut être introduite plus de vingt ans après la conclusion de l’acte querellé (C. civ., art. 2232).

B/L’exercice de l’action après le décès de l’auteur de l’acte

1549 – Cas d’ouverture de l’action. – C’est, au premier chef, après la mort de l’auteur de l’acte que s’illustre le durcissement des conditions d’exercice de l’action en nullité. Par une « dérogation inhabituelle et grave au droit commun »709, les héritiers ne sont pas ici autorisés à agir comme le défunt lui-même, mais seulement dans trois cas : d’abord, si l’acte litigieux porte en lui-même la preuve d’un trouble mental ; ensuite, si cet acte a été fait alors que son auteur était placé sous sauvegarde de justice ; enfin, si une action a été introduite avant le décès de l’auteur de l’acte aux fins d’ouverture d’une habilitation familiale, d’une curatelle ou d’une tutelle ou alors qu’un mandat de protection future avait été déclenché préalablement (C. civ., art. 414-2, al. 2).

Ces restrictions, jugées conformes à la Constitution710, reposent classiquement sur un double fondement : elles sont liées, d’une part, à la difficulté de preuve de l’insanité d’esprit, déjà vivace du vivant de l’intéressé, qui s’avère davantage encore aléatoire en cas de décès et, d’autre part et surtout, au souci d’éviter de multiples contestations, quelque peu scandaleuses et de nature à porter atteinte à la mémoire du défunt, les héritiers pouvant avoir tendance à invoquer l’insanité d’esprit dès qu’un acte juridique est contraire à leurs intérêts711. Sans nul doute, elles sont également destinées à préserver la sécurité des actes conclus par le défunt.

Leur champ d’application est cependant délimité puisqu’elles ne concernent que les actes autres que les donations entre vifs et les testaments. Pour ces derniers, compte tenu des risques traditionnels de captation d’héritage et de la défiance traditionnelle du Code civil envers les actes d’appauvrissement, il est admis que les successeurs universels, légaux ou testamentaires, recouvrent la pleine faculté de faire annuler des actes passés par leur ayant droit pour cause d’insanité d’esprit (C. civ., art. 901).

À vrai dire, cette distinction selon la nature de l’acte incriminé apparaît, selon nous, comme une source de complexité, dont la justification prête au surplus à discussion. Si l’on songe qu’en pratique, faute pour l’auteur de l’acte lui-même, par essence fragile, ou ses représentants d’avoir agi de son vivant, l’action est souvent diligentée par les héritiers, il nous semble que la protection de la personne vulnérable milite pour un assouplissement des conditions d’ouverture de l’action au bénéfice de ces derniers. On pourrait ainsi envisager de lege ferenda à ouvrir librement, sans restriction – sauf celles factuelles, qui sont réelles, rencontrées dans l’administration de la preuve -, l’action en nullité aux héritiers. La solution, guidée par le souci prioritaire de préserver les intérêts de la personne vulnérable et de ses héritiers, présenterait l’avantage d’être en conformité avec le droit commun des successions, en même temps qu’elle aboutirait, dans une logique louable de simplification, à soumettre toutes les actions en nullité pour insanité d’esprit, que l’acte incriminé soit à titre onéreux ou à titre gratuit, mais aussi l’action fondée sur la période suspecte (C. civ., art. 464), à un régime uniforme.

1550 – Administration de la preuve. – Pour les héritiers, comme pour leur ayant droit, la preuve de l’insanité d’esprit est en principe libre. Quelques subtilités doivent cependant être soulignées selon la nature de l’acte visé, lesquelles témoignent de ce que la rigueur dans la charge de la preuve, dont souffre déjà l’auteur de l’acte, se trouve encore accentuée lorsqu’il est décédé.

S’agissant des donations entre vifs et des testaments, et pour faciliter l’administration de la preuve pour les héritiers, la Cour de cassation est venue trancher en leur faveur la question du secret médical que certains médecins, ayant connu l’auteur de son vivant, croyaient pouvoir leur opposer pour refuser d’établir un certificat médical. Ainsi, selon la Haute juridiction, les règles relatives au secret médical ne font pas obstacle à ce que les héritiers du testateur se prévalent d’un certificat médical du médecin traitant712. Du reste aujourd’hui, cette levée du secret est expressément prévue par l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique.

En revanche, concernant les autres actes, l’acte litigieux ne peut être annulé pour insanité d’esprit que s’il porte en lui-même la preuve d’un trouble mental : c’est le système dit « de la preuve intrinsèque » (C. civ., art. 414-2, 1o). Cette exigence probatoire, redoutable en ce qu’elle restreint clairement les chances de succès des héritiers dans leur tentative d’annulation de l’acte litigieux713, n’a cependant pas vocation à s’appliquer lorsqu’une sauvegarde de justice ou un mandat de protection future était mis en œuvre au moment de sa conclusion ou qu’une action aux fins d’ouverture d’une tutelle ou d’une curatelle était pendante. Dans ces hypothèses, et parce que le trouble mental de leur auteur apparaît alors probable, la preuve redevient libre (C. civ., art. 414-2, 2o et 3o). Soulignons toutefois qu’en pareille occurrence, le demandeur en nullité n’est pas dispensé de prouver l’existence du trouble mental au moment de l’acte714 ; simplement cette preuve sera sans aucun doute facilitée par l’existence ou l’instruction en cours d’une mesure de protection. Ainsi le certificat médical utilisé pour demander l’ouverture de la mesure spécifiera certainement depuis combien de temps le majeur a ses facultés altérées, si bien qu’il sera possible d’établir clairement qu’au moment de la conclusion de l’acte contesté l’auteur de l’acte était insane715.

Compte tenu, dans ces circonstances, de la difficulté d’administrer la preuve de l’insanité d’esprit de leur auteur, certains héritiers ont cherché à fonder artificiellement leur action en nullité sur les vices du consentement, afin d’échapper aux rigueurs de l’article 414-2 du Code civil. Cette pratique a toutefois été expressément condamnée par la Cour de cassation716. S’ils sont alternatifs717, les cas énoncés par le texte sont, en revanche, limitatifs718.

En tout état de cause, cette difficulté rencontrée de facto par les héritiers dans l’administration de la preuve, qui rend souvent illusoire leur tentative nécessairement tardive de remise en cause des actes passés par leur auteur, tend à justifier la proposition visant à accroître, à leur bénéfice, les conditions d’ouverture de l’action en nullité. Irréductiblement attachée à leur faculté à agir, cette difficulté constitue sans nul doute un véritable contrepoids de nature à écarter les risques liés à des actions abusives et donc à garantir la stabilité des actes, et par suite, la sécurité juridique des tiers.

1551 – Délai pour agir en nullité. – À l’instar de l’auteur de l’acte, ses héritiers sont soumis pour agir à une prescription quinquennale. Toutefois, dans la mesure où ils ne peuvent introduire l’action avant le décès de l’auteur de l’acte, le point de départ de ce délai ne court à leur encontre qu’à compter du décès de leur ayant droit. La solution est étendue à toutes les libéralités, qu’elles soient consenties entre vifs719 ou à cause de mort720.

Sous-section II – L’action fondée sur la période suspecte

1552 – Fondement de l’action. – Bien qu’elle n’ait, en droit, aucun effet rétroactif, l’ouverture d’une mesure de protection judiciaire consacre naturellement, dans les faits, un état préexistant. Ce constat d’évidence a pour effet d’initier le doute sur tous les actes accomplis par la personne vulnérable dans la période qui les précède. En effet, il est particulièrement à craindre que des tiers peu scrupuleux aient alors profité de la faiblesse et du caractère influençable de la personne dont les facultés sont atteintes, et ce d’autant plus qu’aucun régime de protection n’a encore déployé ses effets protecteurs à son égard. Cette crainte justifie que, dans une certaine mesure, une sanction des actes antérieurs à la mise en œuvre de la mesure de protection soit aménagée, en complément des possibilités fondées sur l’insanité d’esprit ou sur les vices du consentement. C’est pourquoi la loi instaure une « période suspecte » au cours de laquelle les engagements pris par la personne vulnérable ultérieurement protégée pourront être passés au crible pour être ensuite, le cas échéant, plus facilement remis en cause. La règle trouve son siège à l’article 464 du Code civil, lequel dispose que : « Les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l’altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés ». Nous allons successivement envisager les conditions (§ I) puis le régime de l’action fondée sur la période suspecte (§ II).

§ I – Les conditions de l’action

1553 – Un acte passé dans les deux années qui précèdent l’ouverture d’une mesure de protection. – La remise en cause d’un acte conclu pendant la période suspecte est subordonnée à plusieurs conditions. Elle suppose notamment, c’est sa raison d’être, que la personne vulnérable qui a passé l’acte ait fait l’objet, peu de temps après, d’une mesure de protection judiciaire.

Tout d’abord, concernant l’acte, malgré l’usage du mot « cocontractant », l’article 464 du Code civil doit être interprété comme permettant une sanction de tous les actes juridiques, qu’il s’agisse des actes synallagmatiques, à titre onéreux, ou des actes unilatéraux, à titre gratuit. L’application du texte à ces derniers notamment s’explique aisément si l’on songe que les libéralités dans leur ensemble sont, par définition, des actes déséquilibrés, particulièrement sujets aux appétits de captation et donc potentiellement dangereux pour leur auteur ; c’est d’ailleurs l’une des principales raisons de leur traitement singulier en droit.

Intérêt du testament authentique

La forme du testament n’est certainement pas indifférente lorsqu’il s’agit d’apprécier si le testateur a été ou non sous influence : « incontestablement, un testament authentique a plus de chances de sortir indemne du contrôle judiciaire qu’un testament olographe qui peut donner libre cours à toutes les pressions »721. Même si le notaire n’est qu’un témoin ordinaire au sujet de l’état mental du testateur, sa simple présence et ses précautions rendent l’acte plus sûr. Il y a là un atout majeur du testament authentique, a fortiori s’il est reçu par deux notaires (C. civ., art. 971).

Ensuite, s’agissant de la condition liée au temps, le texte encadre, dans un souci de sécurité juridique, la durée de la période suspecte dans un délai de deux ans à compter de la publicité du jugement d’ouverture de la mesure. La règle présente l’inconvénient de soumettre le point de départ de ce délai à l’aléa de la durée de la procédure judiciaire. Concrètement, et l’on peut le regretter, le retard dans l’émargement de l’acte de naissance du majeur protégé a pour effet de diminuer la durée (sinon l’existence même) de la période suspecte, ce qui affaiblit la protection dont bénéficie a posteriori la personne vulnérable. Pour cela, il eût été préférable de faire courir ce délai à compter de la demande de placement sous un régime de protection722.

Enfin, en ce qui concerne la mesure de protection qui rend rétroactivement suspects les actes passés dans les deux années qui la précèdent, il convient de noter que l’action, autrefois limitée à la tutelle, a étendu son empire à la curatelle, au dépit de sérieuses critiques723, et, plus récemment encore, à l’habilitation familiale (C. civ., art. 494-9, al. 3). En revanche, rien de tel n’existe pour les actes faits précédemment au déclenchement d’un mandat de protection future. De lege ferenda, on pourrait sérieusement songer à combler cette lacune724.

1554 – Altération notoire des facultés mentales. – Pour être accueillie, la remise en cause de l’acte passé pendant la période suspecte suppose que l’auteur dudit acte ait souffert d’un trouble mental exclusif d’un consentement éclairé et libre, de sorte que son discernement et sa volonté n’ont pas été suffisants pour lui permettre d’exprimer ses véritables intentions.

Cela étant, en comparaison avec l’action en nullité pour insanité d’esprit, la preuve se trouve ici doublement facilitée. En droit, d’une part, dans la mesure où le demandeur n’a pas à démontrer l’existence d’une insanité au moment précis de la conclusion de l’acte juridique, mais simplement celle d’une inaptitude à l’époque entourant la passation de l’acte, c’est-à-dire pendant une période plus large. Dans les faits, d’autre part, puisque, par définition, après cet acte controversé, l’auteur a nécessairement fait l’objet d’une mesure de protection judiciaire de sorte qu’il suffit, arguant de la période suspecte, de démontrer que les causes qui ont justifié l’ouverture de la mesure existaient déjà au jour de l’acte. Sous cet angle, nul doute que l’article 464 du Code civil offre des conditions d’action plus favorables que celles qui découlent de l’action fondée sur l’article 414-1 du même code.

L’acte préalable à une mesure de protection judiciaire est a priori suspect, mais il l’est d’autant plus que l’altération des facultés mentales était notoire. C’est pourquoi, une fois que l’inaptitude de l’auteur de l’acte à défendre ses intérêts est acquise, il reste à vérifier que cette situation était connue des tiers ou, à tout le moins, du cocontractant. Plus encore, la supposition que le bénéficiaire de l’acte profiterait d’une situation connue de lui – ou censée être connue de lui – constitue en effet le ressort de l’article 464. En outre, si le législateur prend le risque d’une remise en cause de l’acte en l’absence de toute publicité organisée qui résulterait de l’existence d’un régime judiciaire de protection, c’est précisément parce que la notoriété, qu’elle soit générale ou liée à la connaissance personnelle que le bénéficiaire de l’acte litigieux avait, réduit, voire annihile la nécessité d’une protection des tiers. « En ce sens, la notoriété est à la fois le facteur créateur du risque combattu et le substitut d’une publicité normalement protectrice des tiers »725. Appréciée souverainement par les juges du fond726, la notoriété constitue concrètement le butoir au-delà duquel il est impossible de remonter dans le temps pour rechercher la nullité de l’acte.

1555 – Préjudice subi par la personne vulnérable. – Une sanction duale est prévue, nous le verrons, à l’encontre des actes passés pendant la période suspecte : la réduction pour excès ou l’annulation de l’acte litigieux727. Lorsqu’elle est recherchée, la seconde est subordonnée, au rebours de la première, à la justification d’un préjudice subi par la personne protégée (C. civ., art. 464, al. 2). Certains auteurs ont pu souligner que cette condition n’est pas exempte de difficulté d’interprétation728. Elle peut consister, en effet, soit à tenir compte, pour prononcer la nullité, de divers éléments susceptibles de caractériser un préjudice subi par l’intéressé, soit vouloir signifier que l’annulation de l’acte demeure facultative, même en présence d’un tel préjudice, le juge pouvant prendre en considération différents critères, tels que la fortune de la personne vulnérable, la bonne ou mauvaise foi de ceux qui auront traité avec elle, l’utilité ou l’inutilité de l’opération729, pour le maintenir. Les rapports parlementaires ne fournissent pas d’éléments sur ce point et la jurisprudence demeure, pour l’heure, peu fournie.

En tout état de cause, sur le terrain des principes, on constate que les conditions posées pour aboutir à l’annulation de l’acte passé pendant la période suspecte sont plus strictes de ce point de vue là que celles envisagées pour obtenir une sanction similaire pour insanité d’esprit, laquelle, étant de droit, s’impose au juge sans qu’il soit nécessaire d’établir un préjudice.

§ II – Le régime de l’action

1556 – Titulaires de l’action. – L’article 464 du Code civil n’attitre pas l’action en nullité. Toutefois, dans la mesure où il s’agit ici à l’évidence d’une nullité relative, il convient d’en déduire que seuls peuvent agir l’intéressé, si la mesure de protection est levée, et ses héritiers après son décès. Parmi les héritiers ayant qualité pour agir, il y a lieu de comprendre, ce qui va de soi, non seulement les successeurs universels légaux, mais aussi ceux qui tirent leurs droits d’un testament du défunt, c’est-à-dire les légataires universels ou à titre universel730. Notons que, contrairement à l’action en nullité pour insanité d’esprit, qui n’est recevable au bénéfice des héritiers que dans la mesure où est satisfait l’un des trois cas d’ouverture strictement énumérés par les textes (C. civ., art. 414-2, al. 2), l’article 464 du Code civil ne prévoit aucune restriction à la faculté d’action de ces derniers.

S’agissant de la qualité pour agir durant la durée de la mesure de protection, il convient de se reporter aux règles de capacité gouvernant l’exercice des actions en justice. Sous la curatelle, celui-ci requiert l’assistance du curateur (C. civ., art. 468, al. 3), cependant que, sous la tutelle, le tuteur peut exercer l’action sans l’autorisation préalable du juge des tutelles ou du conseil de famille (C. civ., art. 504, al. 2). Quant à l’habilitation familiale, elle donne lieu à une application distributive des deux solutions ci-dessus exposées pour la curatelle et la tutelle, selon que la personne habilitée s’est vu confier une mission d’assistance ou de représentation.

1557 – Prescription de l’action. – L’action en nullité de la période suspecte est soumise à une prescription quinquennale, laquelle part de la date du jugement d’ouverture de la mesure. Un tel point de départ n’est pas conforme à l’article 2235 du Code civil. Selon ce texte, l’ouverture d’une mesure de tutelle empêche la prescription de courir pour les actes conclus après le jugement d’ouverture, car la personne en tutelle est privée du droit d’agir en justice. La prescription ne devrait pas courir non plus à l’égard des actes conclus avant le jugement d’ouverture de la tutelle, car l’article 1152, 2o du Code civil dispose que le droit d’agir en nullité de tout majeur protégé court dans les cinq ans qui suivent le « jour où il en a eu connaissance, alors qu’il était en situation de les refaire valablement ». Cela dit, l’article 464 du Code civil refuse expressément la suspension de la prescription quinquennale à l’égard des actes antérieurs à la mesure de protection. Il s’agit par cette règle dérogatoire de garantir la stabilité des actes, et par suite, la sécurité juridique des tiers, sans nuire pour autant à la protection de la personne vulnérable.

1558 – Sanctions des actes accomplis. – Les textes prévoient une dualité de sanctions, en établissant leur gradation. L’article 464 du Code civil désigne, en premier lieu, la réduction pour excès, laquelle repose sur la démonstration d’une disproportion entre l’engagement souscrit et les ressources ou les besoins du majeur. Il envisage, en second lieu, l’annulation de l’acte, laquelle, on le sait, est subordonnée à la justification d’un préjudice subi par la personne protégée (C. civ., art. 464, al. 2). La nullité porte un trouble grave à la sécurité juridique, d’autant que l’absence de régime judiciaire de protection a pour corollaire l’absence de publicité officielle pour les tiers cocontractants : il faut donc que la nullité soit limitée aux cas où elle est strictement utile. C’est, au moins en apparence, le but de l’exigence d’un préjudice pour la personne protégée : sinon pourquoi faudrait-il sacrifier l’intérêt des tiers et la sécurité juridique ?

Cela étant, comme a pu l’exprimer un auteur731, qu’il y ait disproportion (réduction) ou préjudice (nullité), c’est toujours, en réalité, le déséquilibre de l’acte qui, en signalant le risque, justifie le contrôle du juge. L’acte d’emblée équilibré n’a pas à être remis en question, quand bien même il aurait été passé dans une période suspecte. Autrement dit, « l’équilibre de l’acte (ou son déséquilibre) est le véritable critère d’un texte destiné à lutter contre la forte probabilité d’une exploitation de la situation de faiblesse, connue du bénéficiaire de l’acte »732. Par ailleurs, on soulignera que la gradation opérée par le texte n’est pas toujours utilisable : recourir à la réduction pour excès n’a pas grand sens concernant les actes dont l’objet est indivisible : que l’on songe, par exemple, au testament. Il ne reste alors que la nullité. Tout ceci conduit naturellement à s’interroger sur l’opportunité de prévoir une double sanction aux actes accomplis pendant la période suspecte733.

1559 – Pouvoir souverain des juges du fond. – La réunion des conditions exigées par l’article 464 du Code civil ne conduit pas systématiquement à une remise en cause de l’acte accompli pendant la période suspecte. Autrement dit, la sanction n’est pas de droit : une fois cette démonstration faite, le juge dispose toujours d’un pouvoir d’appréciation qui lui permet non seulement de faire le tri dans les situations, mais aussi d’apprécier ensuite l’opportunité de la sanction demandée, réduction ou nullité734, en tenant compte, par exemple, de la bonne foi du contractant ou, en matière de libéralité, de la forme notariée de la donation du testament.

1560 – Conclusion sur les sanctions civiles : l’abus de vulnérabilité est mort-né. – On a cru benoîtement, durant quelques mois, que le régime primaire de protection des vulnérables s’était enrichi d’un nouvel outil. On se souvient, en effet, que l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations avait introduit, en droit français, le vice d’abus de dépendance, dont le siège se situait à l’article 1143 du Code civil. Dans l’intention des rédacteurs de l’ordonnance, cette disposition avait vocation à protéger les contractants vulnérables. L’« état de dépendance » visé par le texte pouvait donc s’entendre aussi bien de la dépendance d’un contractant vis-à-vis de l’autre (dépendance économique, affective, technologique, etc.) que de sa fragilité intrinsèque (maladie, âge, etc.).

L’espoir a été de courte durée dans la mesure où la loi du 20 avril 2018, destinée à ratifier l’ordonnance de 2016, a ajouté une précision interprétative, et donc rétroactive, au texte initial, qui en a considérablement limité la portée735. En effet, il est désormais prévu qu’une partie abuse de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant « à son égard ». Fruit d’un compromis entre le Sénat qui voulait restreindre le domaine d’application du texte à la seule violence économique et de l’Assemblée nationale qui souhaitait au contraire maintenir l’esprit du texte initial, ce malheureux ajout aboutit à ce que la seule situation de faiblesse n’est pas en soi constitutive de violence : encore faut-il que la partie forte en ait profité pour imposer un accord particulièrement désavantageux. C’est dire que seule la dépendance d’un contractant vis-à-vis de l’autre relève désormais de l’article 1143 du Code civil, à l’exclusion de la fragilité intrinsèque. Cela ne veut pas dire que le texte ne peut pas s’appliquer à une personne vulnérable. Nul doute que la preuve d’un abus de dépendance peut être (plus facilement) rapportée lorsque l’âge et/ou l’état de santé d’un contractant restreint drastiquement sa capacité de choix, annihile son pouvoir de négociation, et le pousse à accepter des conditions contractuelles éminemment défavorables. Mais il s’agit d’une protection non plus spécifique à la personne vulnérable, mais simplement périphérique, dont elle peut bénéficier, le cas échéant, et dont on ne perçoit guère l’intérêt au regard des textes existants.

Section II – Les sanctions en droit pénal

1561 – Plan. – La vulnérabilité est directement appréhendée par le droit pénal puisque l’abus frauduleux de cet état constitue l’élément constitutif d’un délit réprimé (Sous-section I), mais aussi indirectement dans la mesure où elle constitue une circonstance aggravante d’un certain nombre de délits voisins (Sous-section II).

Sous-section I – La vulnérabilité appréhendée par l’abus de faiblesse

1562 – Présentation. – Aujourd’hui il existe une infraction spécifique qui sanctionne par une réponse pénale – et donc sociétale – l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse736. Cette infraction, de nature délictuelle, inscrite au sein des articles 223-15-2 à 223-15-4 du Code pénal, est assez récente. On sait, en effet, que le législateur s’est intéressé assez tardivement aux personnes majeures vulnérables d’un point de vue pénal. Si l’infraction d’abus de faiblesse existait déjà dans le Code pénal de 1810, il ne s’agissait alors que de protéger les seuls mineurs de certaines atteintes frauduleuses à leur patrimoine. Il a fallu attendre une évolution parallèle du Code de la consommation – avec la loi no 72-1137 du 22 décembre 1972, relative à la protection des consommateurs en matière de démarchage et de vente à domicile – puis du Code pénal – avec l’extension du texte au profit des majeurs à l’occasion de la réforme de 1992737 puis au profit des victimes de mouvements sectaires par la loi du 12 juin 2001738 – pour que soit façonnée l’infraction, dans une version moderne et élargie. Migrant alors du livre III au livre II du Code pénal, l’ancienne infraction contre les biens est également devenue une infraction contre les personnes. Autrement dit, ce sont donc désormais à la fois le patrimoine des personnes vulnérables et ces personnes elles-mêmes qui se trouvent protégés par cette « infraction bicéphale »739. Cette protection suppose toutefois que l’abus soit repéré – ce peut être le rôle du notaire – et que l’état de faiblesse soit démontré. Or, on le sait, l’abus de faiblesse est insidieux puisqu’il ne se présente pas comme un comportement heurtant la victime, mais au contraire sous le visage de la confiance, parfois du secours, voire de l’amitié. Il s’agit pour le manipulateur d’obtenir de sa victime ce qu’elle n’aurait pas spontanément voulu. Du délit d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse, il conviendra, en premier lieu, d’envisager les conditions d’incrimination (§ I), puis, en second lieu, d’analyser les modalités de répression du délit (§ II).

Profils et stratégies des auteurs de l’abus de faiblesse740

Les auteurs de l’influence abusive sont très divers. Plusieurs profils semblent toutefois se dégager :

l’aidant familial qui profite de la situation : un membre de la famille qui s’occupe de la personne au quotidien se prévaut de l’aide qu’il apporte pour lui demander des faveurs qu’elle n’a pas la force ou le courage de lui refuser ;

l’aidant professionnel envahissant : un intervenant accomplit progressivement des tâches qui vont bien au-delà de ses missions, décourage les visites, intercepte les coups de téléphone, et parvient à isoler la personne ;

le partenaire de vie tardif et opportuniste : un tiers extérieur à la famille, généralement plus jeune, noue une relation amicale ou amoureuse avec la personne, et parvient progressivement à gagner sa confiance et son affection ;

le délinquant professionnel ou occasionnel : un individu indélicat repère la vulnérabilité de la personne et profite du fait qu’elle soit isolée ou peu méfiante pour abuser de la situation.

Les stratégies utilisées par ces auteurs sont souvent les mêmes :

exploitation d’une situation de faiblesse : les auteurs profitent du fait que la personne ait besoin d’aide, ait des doutes sur ses capacités, ou se sente fragile ou déprimée, pour se rendre nécessaires auprès d’elle et induire un sentiment de dépendance ;

isolement : ils isolent progressivement la personne, font en sorte qu’elle ait peu de contacts, tiennent ses proches à l’écart ou sont systématiquement présents lors des visites ;

manipulation émotionnelle : ils dénigrent ou calomnient ceux en qui la personne avait confiance, instillent dans son esprit l’idée qu’ils sont égoïstes ou malveillants à son égard ;

disqualification et harcèlement : ils induisent un sentiment de honte et de crainte, humilient la personne, exercent une pression permanente, font planer des menaces, tout en donnant occasionnellement des preuves d’affection ou de dévouement.

§ I – Les conditions d’incrimination

1563 – Plan. – Nous allons successivement envisager les personnes protégées par cette incrimination (A), puis les éléments constitutifs de l’infraction (B).

A/Les personnes protégées

1564 – La personne particulièrement vulnérable. – Le législateur a souhaité encadrer l’application de l’incrimination afin d’éviter une interprétation extensive du texte. Aussi celui-ci n’est-il pas destiné à protéger la personne inattentive, peu méfiante ou négligente, mais seulement celle qui est a priori fragile. Partant, l’article 223-15-2 du Code pénal n’apporte volontairement la protection pénale qu’à trois catégories d’individus prédéterminées, qui peuvent être l’objet de l’abus incriminé. Outre le mineur et la personne en état de sujétion psychologique ou physique, le texte vise la personne en situation particulière de vulnérabilité. Selon l’article 223-15-2 du Code pénal, cette particulière vulnérabilité peut être due non seulement à un état de grossesse, mais aussi à « [l’]âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ».

1565 – La vulnérabilité liée à l’âge. – La jeunesse faisant l’objet d’une disposition spéciale, l’âge visé par la loi est généralement entendu comme celui de la vieillesse. Il s’agit sans nul doute ici de protéger les personnes âgées, en raison de l’insécurité affective qui est souvent la leur : l’éclatement des familles, la misère relationnelle, la solitude due au repli sur soi entraînent une insécurité affective des personnes âgées qui deviennent une proie facile pour les escrocs leur faisant miroiter des avantages disproportionnés par rapport à des achats pas toujours opportuns : encyclopédies pour les petits-enfants, voyages sur catalogue, soutiens financiers à des mouvements fictifs, nouvelle voiture prétendument plus économique, téléviseur remplacé pour une panne légère, etc741. Il reste à savoir ce que l’on entend par « personne âgée » ? L’article 223-15-2 du Code pénal ne fixe aucun âge déterminé : il s’agit d’une question de fait, variable selon les personnes, et laissée à l’appréciation des tribunaux. On peut simplement souligner, en pratique, la tendance de certains juges du fond à se contenter de relever le grand âge de la victime pour conclure à sa vulnérabilité742, ce qui est contestable, car si l’âge est une chose, ce n’est pas un élément du délit et il doit s’y ajouter la preuve d’une vulnérabilité particulière743.

1566 – La vulnérabilité liée à la maladie, l’infirmité, la déficience physique ou psychique. – Si la maladie, l’infirmité ou encore une déficience physique ou psychique peuvent éventuellement être distinguées, comme le fait d’ailleurs l’article 223-15-2 du Code pénal, elles n’en constituent pas moins, du fait de leur ampleur et surtout de leur proximité, des concepts susceptibles d’être rapprochés, voire confondus. Dans tous les cas, on est effectivement en présence d’un « dysfonctionnement corporel physique ou mental, inné ou acquis, naturel ou provoqué, organique ou fonctionnel »744. Dans les faits, tantôt la jurisprudence retient ces éléments – tels que la détérioration intellectuelle, la cécité totale,l’acuité auditive réduite et les troubles de la mémoire, l’état dépressif, la personne souffrant de la maladie de Parkinson et de la maladie d’Alzheimer, etc.745 – en tant que causes particulières de vulnérabilité, tantôt elle s’en sert comme éléments de preuve d’une vulnérabilité particulière qui viennent s’adjoindre au grand âge746.

S’il importe peu que la victime présente ou non une anomalie propre à justifier un régime de protection, sa vulnérabilité particulière n’en demande pas moins à être prouvée. La vulnérabilité étant un élément de fait, sa preuve reste soumise à la libre appréciation du juge de la répression, à partir de l’analyse des circonstances. Si, dans cette optique, les expertises médicales sont importantes, ce mode de preuve n’est cependant ni indispensable ni unique. Mieux encore, il n’est pas nécessaire que de telles expertises concluent à l’insanité d’esprit de la victime, une diminution de ses facultés de résistance suffit, pouvant être due à l’isolement, à la perte d’un proche, à la maladie ou à un affaiblissement physique. La réunion de plusieurs de ces éléments, connus de l’auteur, constitue un indice susceptible de sensibiliser le juge.

1567 – L’état d’ignorance ou de faiblesse. – La vulnérabilité objectivement démontrée, au regard de l’une des trois catégories de causes visées par l’article 223-15-2 du Code pénal, doit être corroborée par l’établissement d’une vulnérabilité subjective se traduisant par une ignorance – le fait de ne pas savoir – ou une faiblesse – le fait de ne pas être en mesure de résister – de la victime. Ceci appelle deux observations : d’une part, si l’état d’ignorance ou de faiblesse résulte de la qualité ou de la situation de la victime, il doit préexister à l’intervention de l’auteur et non pas être la conséquence de celle-ci et, d’autre part, la présomption de vulnérabilité qui découle de la présence de l’une des causes qu’énumère le texte ne saurait être qu’une présomption simple qui demande en principe à être confirmée.

B/Les éléments constitutifs

1568 – Deux éléments. – Conformément aux principes généraux de la responsabilité pénale, l’article 223-15-2 du Code pénal requiert en la personne de l’auteur un double comportement : matériel (I) et moral (II).

I/ L’élément matériel

1569 – Abus opéré par l’auteur. – Selon l’article 223-15-2 du Code pénal, l’auteur doit se rendre coupable d’un « abus » pour conduire la personne vulnérable à commettre un acte ou une abstention qui lui sont gravement préjudiciables. Non défini par le législateur, il est classiquement admis que l’abus consiste pour son auteur à tirer parti de la vulnérabilité de la victime en portant atteinte à sa liberté de comportement. « Abuser d’une personne, c’est profiter d’elle, l’utiliser, l’instrumentaliser pour ses intérêts exclusifs »747. Dans les faits, la notion d’abus – abandonnée à l’appréciation des juges du fond – n’est pas véritablement cernée de manière isolée ; elle est le plus souvent largement déduite des actes ou abstentions préjudiciables que la victime va être conduite à adopter. Cela étant, la jurisprudence a eu l’occasion de souligner que le délit n’exige pas, pour être caractérisé, d’une part, l’emploi par son auteur de la contrainte ou le recours à des manœuvres frauduleuses748 et, d’autre part, la démonstration de son enrichissement749.

1570 – Effets sur la victime. – Ainsi que le prévoit l’article 223-15-2 du Code pénal, l’abus perpétré par l’auteur doit « conduire » la personne vulnérable « à un acte ou à une abstention ». La loi ne faisant aucune distinction, il semble bien que tous types de comportements puissent être réprimés : il peut s’agir d’actes matériels750, même si, dans la très grande majorité des cas, les motivations étant financières, il s’agit d’actes juridiques. Les « abuseurs » sont avant tout des prédateurs de patrimoine. Les exemples sont nombreux et variés : il concernant tout à la fois des actes à titre onéreux, on songe notamment à la vente751, la procuration752 ou encore la remise de chèques753, mais aussi des libéralités, dont la dangerosité pour le patrimoine des personnes vulnérables est évidente754. Il convient de souligner que l’éventuelle nullité de l’acte d’un point de vue civil n’écarte pas l’infraction, et donc le délit pénal755.

1571 – Nécessité d’un préjudice. – L’article 223-15-2, alinéa 1er du Code pénal exige que l’acte ou l’abstention auquel la victime a été conduite lui soit en outre « gravement préjudiciable », ce qui suggère d’emblée qu’il peut y voir des abus qui n’entrent pas dans le champ d’application de la loi pénale et qui ne sont donc pas répréhensibles. Il s’agit ici de limiter les poursuites aux agissements les plus graves et d’exclure « les petites arnaques réalisées au détriment de personnes vulnérables »756.

Concrètement, cette précision contenue dans le texte suppose de définir le seuil de gravité à partir duquel le comportement de l’auteur doit être sanctionné. Selon la jurisprudence, le texte n’exigeant pas que le dommage se soit réalisé, il suffit que le comportement incriminé soit « de nature à » causer un grave préjudice757. Il y a là une interprétation extensive de la loi pénale – qui peut sans doute s’expliquer par un compréhensible souci de répression – que l’on retrouve dans les arrêts qui affirment le caractère gravement préjudiciable pour une personne vulnérable de « l’acte de disposer de ses biens par testament en faveur de la personne qui l’a obligée à cette disposition »758 alors que, par définition, la rédaction d’un testament ne produira concrètement ses effets qu’à compter du décès de son auteur, et ne pourra dès lors nuire qu’aux héritiers de celui-ci. La même solution est appliquée, sans surprise, à propos de la souscription d’un contrat d’assurance-vie759.

Cette position est conforme à l’évolution d’un délit, qui n’est plus destiné à protéger la victime seulement contre une atteinte à son patrimoine mais, plus généralement, contre une atteinte à sa liberté du consentement. Il y a donc préjudice lorsque la victime a été manipulée pour consentir des actes qu’elle n’aurait pas souscrits spontanément même si ces actes ne l’appauvrissent pas immédiatement.

Si ces solutions peuvent être approuvées, on voit aussi poindre le risque que le juge pénal soit saisi par une famille jusque-là peu préoccupée par son aïeul qui s’est alors naturellement rapproché de ceux qui lui sont venus en aide à un titre quelconque. Le juge devra examiner scrupuleusement les circonstances des agissements pour décider de leur qualification et « ne [devra] pas confondre altruisme, justement récompensé, et convoitise coupable »760.

Illustrations jurisprudentielles

Une personne âgée et intellectuellement déficiente qui, ayant acquis un appartement à l’initiative d’un démarcheur financier, a dû supporter des charges de copropriété sans parvenir à louer l’appartement qu’elle a dû finalement revendre avec une moins-value de 2 000 € dans un marché généralement générateur de plus-value761.

Une femme âgée, malade et placée sous sauvegarde de justice qui dispose de ses biens par testament au profit d’une personne l’ayant conduite à cette disposition762.

Une femme âgée, présentant un affaiblissement croissant de ses fonctions intellectuelles et un état d’isolement qui a vendu deux immeubles en viager à un prix anormalement bas et moyennant le paiement de faibles rentes763.

II/ L’élément moral

1572 – Volonté de l’acte et du résultat. – Conformément au principe général posé par l’article 121-3 du Code pénal, le délit suppose « l’intention de le commettre » et la jurisprudence confirme de son côté qu’en l’absence d’intention criminelle le délit ne serait pas constitué764. L’exigence de l’intention criminelle suppose classiquement que soient réunies, d’une part, la volonté et la conscience de l’acte et, d’autre part, celles du résultat de celui-ci.

S’agissant de la volonté de l’acte, elle requiert que l’auteur ait eu connaissance de la vulnérabilité de la victime, même si celle-ci n’était pas apparente. Curieusement, la chambre criminelle a décidé que l’intention « doit s’apprécier au regard de l’état de particulière vulnérabilité au moment où est accompli l’acte gravement préjudiciable à la personne »765. Si la décision a le mérite de la clarté, elle n’en est pas moins discutable dans la mesure où, négligeant la phase antérieure du processus infractionnel, elle tend à transformer une infraction généralement continue, ou du moins continuée, en une infraction instantanée et à en réduire ainsi le champ d’application766.

Quant à la volonté et la conscience du résultat, elles impliquent que l’auteur, en toute connaissance de cause, « ait voulu exploiter l’état d’ignorance ou de faiblesse de la victime »767. L’auteur doit donc chercher à obtenir l’acte ou l’abstention de la victime en abusant consciemment de la situation ou des circonstances.

Illustrations jurisprudentielles

L’aide-ménagère, en fonction auprès d’un couple de personnes âgées, qui a obtenu du mari des sommes importantes, des avantages en nature, alors qu’elle s’était rendu compte que celui-ci ne connaissait pas la valeur de la monnaie, confondant les anciens et les nouveaux francs768.

L’aide-ménagère qui, travaillant chez la victime âgée de quatre-vingt-onze ans, avait nécessairement connaissance de la faiblesse ou de la vulnérabilité de celle-ci, en raison de son caractère apparent769.

Le prévenu qui connaissait l’état de sa victime pour l’avoir démarchée à de nombreuses reprises, créant ainsi un climat d’amitié favorable770.

La personne qui était employée dans le centre pour personnes âgées où elle avait connu la victime et où elle s’était spécialement occupée d’elle pendant ou en dehors de ses heures de travail771.

Les professionnels de la vente, attentifs à la réceptivité et à la suggestibilité de leurs clients, qui s’étaient rendu compte de l’isolement de la victime et n’avaient pu ignorer son état de vulnérabilité772.

§ II – Les modalités de la répression

1573 – Plan. – S’agissant du champ répressif du délit d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse, nous allons aborder, de façon classique, son régime juridique (A) et les peines encourues (B).

A/Le régime juridique

1574 – Tentative et immunité. – Deux particularités sont à souligner s’agissant du champ répressif applicable au délit d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse.

D’une part, faute d’être prévue expressément par un texte (C. pén., art. 121-4, 2o), la tentative d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse n’est pas punissable. Il convient cependant d’avoir à l’esprit que la répression de la tentative est en revanche inscrite dans la loi pour d’autres infractions délictuelles voisines, telles que l’escroquerie (C. pén., art. 313-3) ou l’extorsion (C. pén., art. 312-9). Le notaire, qui n’a ni la qualité, ni la capacité, ni – peut-être – la compétence pour donner une qualification juridique à une tentative de délit, doit donc faire preuve de vigilance et appliquer les dispositions de l’article 40, alinéa 2 du Code de procédure pénale.

D’autre part, s’agissant d’un délit qui vise à garantir l’intégrité du consentement et dont on peut légitimement craindre qu’il puisse être l’œuvre des proches, il va sans dire qu’il n’existe aucune immunité familiale.

1575 – Prescription de l’action publique. – Mettant fin au régime dérogatoire qui était le leur, la loi no 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale a décidé de soumettre toutes les infractions commises au préjudice de personnes vulnérables au régime de prescription de droit commun773. Il en résulte que le délit d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse se prescrit au bout de « six années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise » (CPP, art. 8, al. 1er), sauf à ce qu’il soit qualifié d’infraction occulte ou dissimulée, auquel cas il est alors soumis à une prescription de douze ans, laquelle court à compter de l’acte incriminé (CPP, art. 9-1, al. 2).

1576 – Constitution de partie civile. – L’infraction peut générer un préjudice à l’égard de la victime que l’auteur de l’abus a l’obligation de réparer774. En cas de décès de la victime, le droit d’agir en réparation se transmet à chacun de ses héritiers775. À cet égard, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que ces derniers sont recevables à agir, peu important que leur auteur n’ait pas introduit d’action à cette fin avant son décès, dès lors que le ministère public a mis en mouvement l’action publique et que la victime n’a pas renoncé à l’action civile776.

B/Les peines encourues

1577 – Personnes physiques. – Les personnes physiques peuvent être frappées, à titre principal, d’un emprisonnement de trois ans et d’une amende de 375 000 €, étant ici précisé que ces sanctions peuvent aussi être assorties d’une circonstance aggravante en présence essentiellement, pour ne pas dire uniquement, de victimes de mouvements sectaires (C. pén., art. 223-15-2, al. 2). Par ailleurs, l’article 223-15-3 du Code pénal énumère toute une série de peines complémentaires qui peuvent être prises à l’encontre de l’auteur du délit, telles que la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit, à l’exception des objets susceptibles de restitution ou encore l’interdiction, pour cinq ans au plus, d’émettre des chèques autres que ceux qui permettent le retrait de fonds par le tireur auprès du tiré ou ceux qui sont certifiés. Dans les faits, les peines d’emprisonnement sont assez rares mais elles sont généralement accompagnées d’amendes et désormais plus facilement de confiscations.

Circonstances aggravantes et sphère familiale

Avec l’allongement de la durée de vie, les héritiers présomptifs se font de plus en plus pressants, n’hésitant pas, dans certains cas, à instaurer une pression psychologique sur leur parent fragile pour obtenir la signature d’un testament ou la souscription d’une assurance-vie à leur bénéfice, parfois au prix d’un chantage affectif. C’est dire que la sphère familiale n’est pas épargnée par le délit d’abus de faiblesse. Du reste, dans les faits, on constate qu’il y a autant d’abus de faiblesse commis au sein des familles que par des individus ne faisant pas partie du cercle familial. Ce constat nous conduit à nous interroger sur l’absence de circonstances aggravantes lorsque cette infraction est commise par un ascendant, un descendant ou le conjoint de la victime, auxquels il faudrait d’ailleurs ajouter le partenaire ou le concubin. Compte tenu des liens et de la confiance qui unissent l’auteur de l’infraction à sa victime, le danger se trouve ici indéniablement accentué et la malversation est d’autant plus inacceptable. Partant, il ne serait pas choquant, bien au contraire, de considérer que les peines prévues pour sanctionner ce délit soient aggravées lorsque celui-ci est perpétré par un membre de la famille proche.

1578 – Personnes morales. – Selon l’article 223-15-4 du Code pénal, les personnes morales peuvent être condamnées non seulement au paiement d’une amende, dont le montant maximum est de 1 875 000 € (C. pén., art. 131-38) porté à 3 750 000 € en cas de récidive dans les dix ans (C. pén., art. 132-13), mais aussi aux peines mentionnées à l’article 131-39 du Code pénal, ce qui vise notamment la dissolution de la personne morale lorsqu’elle a été créée ou détournée de son objet pour commettre les faits incriminés ou encore l’interdiction, à titre définitif ou pour cinq au plus, d’exercer directement ou indirectement l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle le délit a été commis.

Le délit d’abus de faiblesse droit de la consommation

Avant même que le droit pénal ne l’étende au bénéfice des majeurs vulnérables, le délit d’abus de faiblesse ou de l’ignorance a été appréhendé par le droit de la consommation. Créée par la loi no 72-1137 du 22 décembre 1972777, l’incrimination est régie par les articles L. 112-8 à L. 121-10 du Code de la consommation778. Comme un auteur a pu justement le souligner, deux abus de faiblesse coexistent donc aujourd’hui en droit positif, « comme une hydre à deux têtes : d’un côté, l’abus de faiblesse du Code pénal, tête que l’on pourrait qualifier d’hypertrophiée, et de l’autre l’abus de faiblesse du Code de la consommation, qui semble quelque peu atrophiée »779.

En effet, à la différence du Code pénal, l’abus de faiblesse consumériste a un champ beaucoup plus étroit. Cela tient, bien évidemment, à sa nature puisqu’elle se limite au champ des relations contractuelles précisées par la loi, mais aussi à la définition des personnes qu’elle entend protéger, dans la mesure où, excluant les mineurs et les victimes de sectes, elle ne s’intéresse qu’aux majeurs vulnérables. Ceux-ci sont définis en amont, au sein d’un texte qui définit les pratiques commerciales déloyales comme suit : « Le caractère déloyal d’une pratique commerciale visant une catégorie particulière de consommateurs ou un groupe de consommateurs vulnérables en raison d’une infirmité mentale ou physique, de leur âge ou de leur crédulité s’apprécie au regard de la capacité moyenne de discernement de la catégorie ou du groupe » (C. consom., art. L. 121-1).

Concernant l’auteur de l’infraction, il s’agit pour ce dernier – en droit de la consommation comme en droit pénal – de dépouiller la victime, mais l’acte d’abus est ici défini différemment et plus restrictivement que là. D’une part, quant aux moyens, l’article L. 121-8 du Code de la consommation dispose que le délit consumériste ne peut exister que « lorsque les circonstances montrent que cette personne n’était pas en mesure d’apprécier la portée des engagements qu’elle prenait ou de déceler les ruses ou artifices déployés pour la convaincre à y souscrire ou font apparaître qu’elle a été soumise à une contrainte ». D’autre part, le même texte limite le champ de l’abus de faiblesse aux situations où la victime est amenée à « souscrire, par le moyen de visites à domicile, des engagements au comptant ou à crédit sous quelque forme que ce soit ». Deux conséquences découlent de ce dernier texte. En premier lieu, c’est clairement la rupture de l’équilibre contractuel qui est ici pénalement réprimée. En second lieu, il faut bien comprendre que l’abus de faiblesse ne peut exister que dans le cadre d’un démarchage à domicile (C. consom., art. L. 121-8), ou de situations assimilées, listées aux articles L. 121-9 et L. 121-10 : démarchage par téléphone, sollicitation destinée à conduire la victime à se rendre sur un lieu de vente, réunions ou excursions organisées par l’auteur de l’infraction ou à son profit, etc. Cela étant, malgré la restriction à des situations et lieux précis, le texte est suffisamment détaillé pour s’appliquer à tous les cas où le consommateur subit pressions, harcèlement ou manœuvres frauduleuses destinées à le tromper, qu’il soit chez lui (abus à domicile) ou entraîné vers l’extérieur (appels téléphoniques, courriers, excursions, lieux non destinés à la commercialisation, etc.)780.

Les deux délits possèdent donc une dénomination identique – ou presque -, mais leurs champs d’application, les victimes qu’ils protègent comme les éléments constitutifs qui les composent présentent de sérieuses dissemblances. Finalement, le seul point réellement commun entre eux réside dans les peines encourues. Autrefois très différentes, elles sont désormais781 – de manière identique dans les deux codes – de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende (C. pén., art. 223-15-2 et C. consom., art. L. 132-14, al. 1er). Et encore cette similitude est-elle relative dans la mesure où le texte consumériste prévoit une majoration possible de l’amende (C. consom., art. L. 132-14, al. 2). Cette spécificité justifie qu’en cas de cumul, toujours possible, entre l’infraction de droit pénal et celle tirée du droit de la consommation782, c’est cette dernière qui serait retenue, car en cas de concours idéal d’infractions la jurisprudence retient la qualification la plus élevée, c’est-à-dire celle qui prévoit la peine la plus sévère.

Sous-section II – La vulnérabilité envisagée comme circonstance aggravante

1579 – Abus de confiance. – Le délit d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse des articles 223-15-2 et suivants du Code pénal n’est pas exclusif d’autres infractions délictuelles, à commencer par celle d’abus de confiance que développent et répriment les articles 314-1 à 314-4 du même code. L’abus de confiance est « le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé » (C. pén., art. 314-1, al. 1er). L’abus de confiance est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende (C. pén., art. 314-1, al. 2).

Le délit d’abus de confiance connaît une circonstance aggravante particulière liée à la vulnérabilité. C’est l’article 314-2, 4o du Code pénal qui incrimine l’abus de confiance réalisé « au préjudice d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur ». Il faut relever que cette circonstance aggravante propre à la vulnérabilité fait plus que doubler la peine d’emprisonnement qui passe de trois à sept ans et multiplie simplement par deux la peine d’amende encourue : de 375 000 € on passe à 750 000 €.

1580 – Délit d’escroquerie. – Le délit d’escroquerie est visé aux articles 313-1 à 313-3 du Code pénal. L’escroquerie est « le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge » (C. pén., art. 313-1, al. 1er). L’escroquerie est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende (C. pén., art. 313-1, al. 2).

À l’instar de l’abus de confiance, le délit d’escroquerie connaît aussi une circonstance aggravante particulière liée à la situation de vulnérabilité de la victime. L’article 313-2, 4o du Code pénal incrimine l’escroquerie qui est réalisée « au préjudice d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur ». Ici encore les peines sont aggravées de plus du double (emprisonnement) ou seulement du double (amende).

1581 – Délit d’extorsion. – Enfin, sans prétendre à l’exhaustivité, ajoutons pour terminer le délit d’extorsion développé au sein des articles 312-1 à 312-9 du Code pénal. L’extorsion est « le fait d’obtenir par violence, menace de violences ou contrainte soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d’un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d’un bien quelconque » (C. pén., art. 312-1, al. 1er). L’extorsion est punie de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende (C. pén., art. 312-1, al. 2).

Les éléments constitutifs de ce délit d’extorsion sont évidemment très proches de ceux des délits précédents sans jamais se confondre avec eux. Ici aussi, l’extorsion « commise au préjudice d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur » (C. pén., art. 312-2, 2o) est une circonstance aggravante qui augmente – mais légèrement – les sanctions encourues.


687) G. Raoul-Cormeil, La personne âgée et le risque d’insanité : RD sanit. soc. 2018, p. 790.
688) En pratique, le demandeur qui agit pour remettre en cause les actes passés par une personne qui souffre d’un trouble mental, sans faire l’objet d’une mesure de protection, n’hésite pas à s’appuyer sur un double fondement (l’article 414-1 du Code civil pour insanité d’esprit et l’article 464 du même code relatif à la période suspecte), voire un triple fondement (en y ajoutant les vices du consentement).
689) P. Murat (ss dir.), Droit de la famille, Dalloz Action, 2016-2017, nos 333.01 et s., par I. Maria.
690) V. J. Klein, Le traitement jurisprudentiel de la nullité pour trouble mental : Defrénois 2006, 695. – J.-M. Plazy, Preuves en droit de la famille : incapacités et preuves : AJF 2007, 468.
691) En ce sens, V. not. CA Rouen, 14 avr. 1986 : Gaz. Pal. 1987, 1, somm. 141, pour un sourd et muet. – Cass. 1re civ., 20 févr. 1968 : Bull. civ. 1968, I, no 74, pour des difficultés d’élocution. – Cass. 1re civ., 22 déc. 1971 : Bull. civ. 1971, I, no 329, pour une paralysie partielle due à une tumeur cérébrale.
692) Cass. soc., 8 juill. 1980 : Bull. civ. 1980, V, no 618.
693) CA Bourges, 7 déc. 2004, no 03-01.503 : JurisData no 2004-263935. – CA Rennes, 27 mars 2003, no 02/01239 : JurisData no 2003-209693.
694) Cass. 1re civ., 2 déc. 1992 : Bull. civ. 1992, I, no 299 ; Defrénois 1993, art. 35572, no 52, obs. J. Massip ; D. 1993, 409, note F. Boulanger.
695) Cass. 1re civ., 30 juin 1992 : Bull. civ. 1992, I, no 215.
696) Cass. 1re civ., 24 oct. 2012, no 11-20.442 : Bull. civ. 2012, I, no 209 ; RTD civ. 2012, 87, obs. Hauser ; LEFP déc. 2012-2, obs. Raoul-Cormeil.
697) Cass. 1re civ., 13 mars 2007, no 06-12.774 : Bull. civ. 2007, I, no 111.
698) Cass. 1re civ., 25 mai 2004, no 01-03.629, non publié au bulletin.
699) V. infra, nos a1542 et s.
700) V. cependant Cass. 1re civ., 4 juin 2007, no 05-21.189 : Bull. civ. 2007, I, no 171, qui considère que le testament authentique, qui stipulait que le testateur avait dicté ses dernières volontés au notaire était un faux dans la mesure où ce dernier ne pouvait s’exprimer que par quatre mots et des mimiques en raison d’une hémiplégie droite et d’une aphasie consécutives à un accident vasculaire cérébral.
701) Cass. 1re civ., 25 mai 1987, no 85-18.684 : Bull. civ. 1987, I, no 171, rapp. p. 149 ; D. 1988, p. 79, note A. Breton ; JCP N 1988, II, 39, note J.-F. Pillebout.
702) Il en va de même selon nous pour le mandataire de protection future, sauf si le mandat contient une clause contraire.
703) V., par ex., Cass. 1re civ., 3 janv. 2006, no 03-20.860, non publié au bulletin.
704) V., en ce sens, G. Raoul-Cormeil, Le trouble mental du contractant et l’impossibilité d’agir en nullité : D. 2009, 2660.
705) V. not. Cass. 1re civ., 28 janv. 2003, no 00-17.712, non publié au bulletin : AJF 2003, p. 148, obs. F. Bicheron ; Defrénois 2003, p. 1093, note J. Massip.
706) V. not. Cass. 1re civ., 19 nov. 1991, 1re esp. et Cass. 1re civ., 18 févr. 1992, 2e esp. : D. 1993, jurispr. 277, note J. Massip.
707) J. Carbonnier, La règle contra non valentem agere non currit praescriptio : Rev. crit. législ. et jurispr. 1937, 155.
708) Pour une illustration, V. Cass. 1re civ., 1er juill. 2009, no 08-13.518 : D. 2009, 2660, obs. V. Égéa, note G. Raoul-Cormeil ; AJF 2009, 402, obs. L. Pécaut-Rivolier ; RTD civ. 2009, 507, obs. J. Hauser ; Dr. famille 2009, comm. 116, note I. Maria, concernant une personne qui avait conclu un acte en sept. 1980 et dont les proches n’avaient pas jugé utile de la mettre sous régime de protection pendant treize ans, en dépit des troubles mentaux avérés qui étaient les siens. La Haute juridiction a estimé que le trouble mental en question avait corrompu l’acte passé, endormant aussitôt le droit d’agir en nullité, ainsi resté en sommeil aussi longtemps que le contractant non protégé fut privé de discernement. Puis le jugement d’ouverture de la tutelle avait provoqué la naissance du droit d’agir en nullité et, dans son revers, celle de la prescription qui s’y attache, en conséquence de quoi l’action en nullité pour insanité d’esprit introduite en 1993 n’était pas prescrite !
709) J. Massip, Les limites de l’action en nullité des actes pour insanité d’esprit : Defrénois 2013, p. 1141.
710) Cons. const., 17 janv. 2013, no 2012-288 QPC : Dr. famille 2013, comm. 46, note I. Maria ; JCP N 2013, no 4, act. 195 ; RTD civ. 2013, p. 348, obs. J. Hauser ; D. 2013, p. 2197, obs. J.-M. Plazy. Adde, J. Massip, Les limites de l’action en nullité des actes pour insanité d’esprit, préc.
711) J. Massip, Tutelle des mineurs et protection juridique des majeurs : Defrénois 2009, no 210.
712) Cass. 1re civ., 22 mai 2002, no 00-16.305 : Bull. civ. 2002, I, no 144 ; Defrénois 2002, 1477, obs. Massip ; AJF 2002, 263, obs. S. D.-B.
713) V., par ex., Cass. 1re civ., 1er juill. 2009, no 08-13.402 : Bull. civ. 2009, I, no 151 ; Dr. famille 2009, comm. 117, note I. Maria ; RTD civ. 2009, p. 697, obs. J. Hauser ; LPA 2009, no 181, p. 5, obs. D. Noguéro, qui refuse de qualifier la police d’assurance-vie ou l’avenant modifiant la clause bénéficiaire de libéralité indirecte, de sorte qu’au décès du souscripteur, la nullité pour insanité d’esprit des actes ne sera acquise qu’à la condition que cette dernière ressorte intrinsèquement des stipulations contractuelles, ce qui en pratique s’avère fort difficile à établir.
714) V. Cass. 1re civ., 14 mars 2018, no 17-15.406 : JurisData no 2018-003721 ; JCP N 2018, no 13, act. 342, obs. A. Tani ; JCP N 2018, no 26, 1223, obs. N. Peterka ; Dr. famille 2018, comm. 137, obs. I. Maria ; Defrénois 2018, no 44, p. 32, obs. D. Noguéro ; RTD civ. 2018, p. 368, obs. D. Mazeaud.
715) V. Cass. 1re civ., 16 janv. 2019, no 17-31.528, non publié au bulletin : Dr. famille 2019, comm. 117, obs. I. Maria ; Defrénois 2019, no 8, p. 34, obs. D. Noguéro ; JCP N 2019, no 27, 1227, note A. Tani.
716) Cass. 3e civ., 20 oct. 2004, no 03-10.989 : Bull. civ. 2004, III, no 177 ; Dr. famille 2005, comm. 88, note Th. Fossier ; RJPF 2005, no 1, p. 25 ; D. 2005, p. 257, obs. D. Noguéro ; D. 2006, p. 1570, obs. J.-M. Plazy et J.-J. Lemouland.
717) Cass. 1re civ., 20 juin 2012, no 10-21.808 : Dr. famille 2012, comm. 154, note I. Maria ; RTD civ. 2012, p. 507, obs. J. Hauser ; D. 2012, p. 2699, obs. J.-M. Plazy.
718) Adde, en ce sens, Cass. 1re civ., 1er juill. 2009, no 08-13.402, préc.
719) Cass. 1re civ., 29 janv. 2014, no 12-35.341 : Bull. civ. 2014, I, no 15 ; AJF 2014, 250, obs. Ferré-André ; Dr. famille 2014, comm. 48, obs. Maria ; D. 2014, 2259, obs. Noguéro ; Gaz. Pal. 2014, no 222-224, p. 31, obs. Leducq ; Rev. Lamy dr. civ. 2014, no 114, p. 57, obs. Paulin.
720) Cass. 1re civ., 20 mars 2013, no 11-28.318 : Bull. civ. 2013, I, no 56 ; AJF 2013, 240, obs. Vernières ; D. 2013, 1884, note Safi ; D. 2013, 2196, note Plazy ; Dr. famille 2013, comm. 77, obs. Maria.
721) P. Murat, Retour sur quelques difficultés d’interprétation de l’article 464 du Code civil : Defrénois 2017, p. 879.
722) En ce sens, V. N. Peterka, A. Caron-Déglise et F. Arbellot, Protection des personnes vulnérables, Dalloz Action, 4e éd. 2017-2018, no 335.21.
723) V. not. A. Karm, La gestion du patrimoine de la personne en curatelle : Dr. et patrimoine 2009, no 180, p. 86, spéc. p. 93.
724) V. supra, no a1185.
725) P. Murat, art. préc.
726) V. not. Cass. 1re civ., 24 févr. 1998, no 95-21.473 : Bull. civ. 1998, I, no 73, p. 49 ; JCP G 1998, II, 10118, note T. Fossier ; Defrénois 1998, art. 36860, no 103, p. 1037, obs. J. Massip ; LPA 22 févr. 1999, no 37, p. 7, note J. Massip.
727) V. infra, no a1558.
728) N. Peterka, A. Caron-Déglise et F. Arbellot, Protection des personnes vulnérables, op. cit., no 335.22.
729) Conformément aux repères fournis par l’article 491-2, alinéa 3 du Code civil, pour la nullité facultative des actes rescindables pour lésion ou réductibles pour excès du majeur placé sous sauvegarde de justice.
730) Cass. 1re civ., 14 juin 2005, no 02-19.038 : Bull. civ. 2005, I, no 258 ; D. 2006, 1575, obs. Lemouland et Plazy ; Defrénois 2005, 1858, obs. Massip ; AJF 2005, 362, obs. Grimaldi ; RTD civ. 2006, 89, Hauser.
731) P. Murat, art. préc.
732) Ibid.
733) En ce sens, V. K. Salhi, La régularité des actes passés avant et après les mesures de protection : JCP N 2008, 1273, no 4, qui constate la proximité existant entre les conditions de la réduction et celles de la nullité.
734) V., par ex., Cass. 1re civ., 30 oct. 2006, no 04-16.884, inédit.
735) V. L. Mauger-Vielpeau, Que reste-t-il de l’abus de vulnérabilité ? : LEFP juill. 2018, no 111k3, p. 6.
736) Sur lequel, V. not. P. Salvage : JCl. Pénal Code, Art. 223-15-2 à 223-15-4, Fasc. 20, Abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse, 2019. Adde, F.-X. Roux-Demare, La caractérisation de l’état de faiblesse : AJP 2018, p. 226.
737) L. no 92-684, 22 juill. 1992, portant réforme des dispositions du Code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les personnes : JO no 169, 23 juill. 1992, p. 9857.
738) L. no 2001-504, 12 juin 2001, tendant en renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales : JO 13 juin 2001, p. 9337.
739) Même si l’auteur de l’abus de faiblesse peut éventuellement chercher l’obtention de faveurs sexuelles (V., par ex., Cass. crim., 19 févr. 2014, no 12-87.558 : D. 2014, 2423, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et C. Ginestet ; Dr. pén. 2014, comm. 52, obs. M. Véron), dans la très grande majorité des cas les motivations sont financières. Les « abuseurs » sont avant tout des prédateurs de patrimoine.
740) Fondation Médéric Alzheimer, Le notaire face aux citoyens en situation de handicap cognitif : Repères pour la pratique, 2014, spéc. p. 8.
741) P. Thomas, C. Hezif-Thomas, C. Pradère et P. Darrieux, Dépendance affective de la personne âgée et abus de faiblesse : Rev. gériatrie juin 1994, vol. 19, no 6, p. 401.
742) V., par ex., CA Nîmes, 14 avr. 1998 : JurisData no 1998-030586. – CA Aix-en-Provence, 17 sept. 1998 : JurisData no 1998-044576.
743) V. not. Cass. crim., 13 janv. 2016, no 14-80.426, non publié au bulletin.
744) P. Salvage, art. préc., spéc. no 18.
745) V. P. Salvage, art. préc. et loc. cit.
746) V. les illustrations jurisprudentielles fournies par P. Salvage, art. préc. et loc. cit.
747) C. Ambroise-Castérot, art. préc.
748) V., par ex., Cass. crim., 15 oct. 2002, no 01-86.697, non publié au bulletin, selon lequel le délit d’abus de l’état d’ignorance ou de faiblesse, prévu par l’art. 223-15-2 du Code pénal, n’exige pas, pour être caractérisé, que son auteur emploie la contrainte ou recoure à des manœuvres frauduleuses. Se rend ainsi coupable de ce délit le prévenu qui, se disant astrologue, est entré en relation avec une personne âgée de soixante-douze ans qui lui a remis, en contrepartie de ses consultations, diverses sommes d’un montant total de 89 310 F. Connaissant la particulière vulnérabilité de la victime, placée sous tutelle à la suite des faits, pour avoir reconnu qu’elle était dans un état de grande détresse et se livrait à des achats compulsifs, le prévenu a obtenu d’elle des actes qui lui étaient gravement préjudiciables.
749) Cass. crim., 20 mars 2019, no 18-81.691, non publié au bulletin, qui approuve un arrêt déclarant coupable le prévenu qui, en sa qualité de notaire, avait mis en place, en connaissance de cause, un montage destiné à contourner les effets d’une mesure de protection prise au bénéfice de sa cliente pour conduire cette dernière à signer des actes qui lui étaient gravement préjudiciables, en soulignant que le fait que le prévenu n’ait pas profité personnellement de l’infraction commise étant indifférent.
750) Cass. crim., 19 févr. 2014, no 12-87.558 : JurisData no 2014-002716 ; Dr. pén. 2014, comm. 52, note M. Véron ; Dr. pén. 2014, comm. 68, note V. Peltier ; Rev. gén. dr. méd. 2014, no 52, p. 163, obs. F. Archer, qui condamne un médecin psychiatre pour abus de faiblesse pour avoir conduit l’une de ses patientes souffrant de troubles bipolaires à avoir des relations sexuelles avec lui.
751) Cass. crim., 12 janv. 2000, no 99-81.057 : Bull. crim. 2000, no 15 ; Dr. pén. 2000, comm. 69, note M. Véron ; D. 2001, jurispr. p. 813, note J.-Y. Maréchal ; Rev. sc. crim. 2000, p. 614, note R. Ottenhof ; RTD com. 2000, p. 741, note B. Bouloc, qui sanctionne le médecin qui abuse de son patient pour obtenir la signature de l’acte de vente d’un terrain pour un prix anormalement bas.
752) V. not. CA Paris, 3 juin 1997 : JurisData no 1997-021856. – CA Agen, 14 janv. 1999 : JurisData no 1999-042657. – CA Paris, 16 juin 1999 : JurisData no 1999-024331.
753) Sont ainsi coupables des aigrefins qui obtiennent la remise de chèques sous des prétextes fallacieux. En ce sens, V. not. CA Rouen, 18 nov. 1996 : JurisData no 1996-047681. – CA Bordeaux, 3 juin 1997 : JurisData no 1997-048020.
754) V. not. Cass. crim., 5 nov. 2005, no 04-86.051 : JCP G 2006, II, 10057, note J.-Y. Maréchal ; Dr. pén. 2006, comm. 29, note M. Véron.
755) V. not. Cass. crim., 12 janv. 2000, no 99-81.057, préc., qui précise que le texte « n’exige pas que cet acte soit valable, ni que le dommage se soit réalisé ».
756) V. Malabat, Droit pénal spécial, Dalloz, 8e éd. 2018, no 750.
757) Cass. crim., 12 janv. 2000, no 99-81.057, préc.
758) Cass. crim., 15 nov. 2005, no 04-86.051, préc. Adde, Cass. crim., 21 oct. 2008, no 08-81.126 : Bull. crim. 2008, no 210 ; D. 2009, 911, note G. Roujou de Boubée ; AJP 2009, 30, obs. J. Lasserre Capdeville ; Rev. sc. crim. 2009, 100, obs. Y. Mayaud ; RTD civ. 2009, 298, obs. J. Hauser ; Dr. pén. 2009, comm. 12, obs. M. Véron. – Cass. crim., 16 déc. 2014, no 13-86.620 : Bull. crim. 2014, no 270 ; Dr. pén. 2015, comm. 30, note M. Véron ; AJP 2015, p. 252, obs. C. Renaud-Duparc ; AJF 2015, p. 105, obs. N. Levillain ; LPA 29 mai 2015, no 107, p. 12, note A. Comert ; RTD civ. 2015, p. 356, obs. J. Hauser.
759) CA Versailles, 9 mars 2005, no 03/01363 : JurisData no 2005-272775 ; Dr. famille 2005, comm. 171, note B. de Lamy.
760) B. de Lamy, note ss CA Versailles, 9 mars 2005, préc.
761) CA Angers, 2 févr. 2006 : JurisData no 2006-301964.
762) Cass. crim., 21 oct. 2008, no 08-81.126 : Dr. pén. 2009, comm. 12, note M. Véron ; Bull. crim. 2008, no 215 ; Rev. sc. crim. 2009, p. 100, obs. Y. Mayaud ; D. 2009, p. 911, obs. G. Roujou de Boubée.
763) Cass. crim., 13 janv. 2016, no 14-80.426.
764) V. not. Cass. crim., 27 mai 2004, no 03-82.738 : JCP G 2004, IV, 2514 ; Dr. pén. 2004, comm. 130, obs. M. Véron ; Rev. sc. crim. 2004, p. 881, obs. Y. Mayaud, et p. 886, obs. R. Ottenhof ; D. 2004, p. 725, obs. S. Mirabail. – Cass. crim., 7 oct. 2009, no 09-80.175 : Dr. pén. 2010, comm. 1, obs. M. Véron ; D. 2010, p. 23, obs. P.C.
765) Cass. crim., 26 mai 2009, no 08-85.601 : JCP G 2009, 261, obs. Ph. Salvage, et 98 ; AJP 2009, p. 357, obs. J. Lasserre Capdeville.
766) En ce sens, V. P. Salvage, art. préc., no 34.
767) Ph. Conte, Droit pénal spécial, LexisNexis, 5e éd. 2016, no 281.
768) Cass. crim., 30 avr. 1996, no 96-80.068 : Bull. crim. 1996, no 175 ; Rev. sc. crim. 1997, p. 110, note R. Ottenhof ; Dr. pén. 1996, comm. 217, note M. Véron.
769) CA Paris, 17 juin 1997 : JurisData no 1997-021877.
770) CA Grenoble, 12 févr. 1998 : JurisData no 1998-040885.
771) CA Rouen, 30 mars 1998 : JurisData no 1998-042387.
772) CA Caen, 23 oct. 1998 : JurisData no 1998-045265.
773) Circ. min. Justice, 28 févr. 2017, présentant les dispositions de la loi no 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale : BO Justice no 2017-03, 31 mars 2017, p. 8.
774) Cass. crim., 10 nov. 2009, no 09-92.028 : Bull. crim. 2009, no 185 ; AJP 2010, p. 140, obs. J. Lasserre Capdeville.
775) Cass. crim., 24 mai 2011, no 10-86.336 : JurisData no 2011-012842.
776) Cass. crim., 24 mars 2015, no 14-84.904, non publié au bulletin : JurisData no 2015-006309.
777) L. no 72-1137, 22 déc. 1972, relative à la protection des consommateurs en matière de démarchage et de vente à domicile : JO 23 déc. 1972, p. 13348.
778) V. G. Raymond, Droit pénal de la consommation. Les abus de faiblesse : Gaz. Pal. 2002, 1, doctr. 399. – E. Bazin, L’abus de faiblesse dans le Code de la consommation : Dr. pén. 2015, étude 19.
779) C. Ambroise-Castérot, L’abus de faiblesse, infraction bicéphale : AJP 2018, p. 220.
780) Cass. crim., 1er févr. 2000, no 99-84.378 : Bull. crim. 2000, no 52 ; D. 2000, 198, obs. C. Rondey ; Rev. sc. crim. 2000, 815, obs. B. Bouloc ; RTD com. 2000, 741, obs. B. Bouloc ; Dr. pén. 2000, no 59, obs. J.-H. Robert ; Contrats, conc. consom. 2001, comm. 14, obs. G. Raymond, qui considère que le fait de harceler des personnes âgées, que l’on sort de chez elles au prétexte d’excursions touristiques ou gastronomiques, puis que l’on soumet à de fortes pressions jusqu’à ce qu’elles achètent les produits présentés – pour lutter contre les rhumatismes -, est constitutif de l’abus de faiblesse.
781) L. no 2014-344, 17 mars 2014, relative à la consommation : JO no 0065, 18 mars 2014, p. 5400.
782) Sur cette hypothèse de concours, V. not. Cass. crim., 1er févr. 2000, no 99-84.378, préc.
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