CGV – CGU

PARTIE I – L’adaptation du droit des contrats au monde numérique
Titre 2 – L’exécution du contrat dans le monde numérique
Sous-titre 2 – Les limites de l’automatisation de l’exécution du contrat
Chapitre I – Les obstacles au smart contract en droit positif

3-300 Confronter l’inflexibilité du smart contract à la souplesse du droit des contrats permet d’en percevoir certaines limites en droit positif (Section I). D’autres obstacles proviennent du droit de la défaillance, c’est-à-dire des règles gouvernant les procédures civiles d’exécution et les procédures d’insolvabilité (Section II).

Section I – Le smart contract versus le droit des contrats

3-301 – Des moyens différents pour un objectif commun. – L’objectif de conforter l’efficacité du contrat est commun à l’ordonnance du 10 février 2016554 et au smart contract. En revanche, les moyens pour y parvenir sont différents. Pour le smart contract, le facteur d’efficacité prépondérant réside dans sa principale caractéristique : l’automaticité, moyen objectif, simple et rapide. La mettre à profit pour éviter ou sanctionner l’inexécution d’une obligation contractuelle séduit. Cependant cette automaticité est difficilement compatible avec les règles du Code civil – luttant contre les entraves à l’exécution du contrat –, qui reposent sur des notions subjectives et appellent des appréciations nuancées (Sous-section I). L’ordonnance du 10 février 2016 conforte quant à elle la réalisation des attentes des parties au contrat en reconnaissant amplement la liberté contractuelle ainsi que la force obligatoire du contrat555, mais entend concilier cet objectif d’efficacité avec celui d’éthique contractuelle. Pour cela, des standards juridiques tournés vers la moralisation du contrat sont employés et des pouvoirs de contrôle sont attribués au juge, particulièrement au stade de l’exécution ou de l’inexécution du contrat. À l’aune de la place faite au juge dans le contrat par la réforme de 2016, la dissonance entre le smart contract et le droit positif est manifeste (Sous-section II).

Sous-section I – Les entraves à l’exécution du contrat

3-302 L’exécution est la raison d’être du contrat, l’expression de son efficacité. L’inexécution justifie donc des sanctions (§ I). Les entraves à l’exécution extérieures au débiteur appellent des remèdes différents (§ II). Le smart contract mérite d’être confronté aux unes et aux autres.

§ I – L’inexécution imputable au débiteur

3-303 – L’inexécution. – L’inexécution est une notion large. Elle peut être volontaire ou non, totale ou partielle, le résultat d’une non-conformité aux conventions des parties. Pour le smart contract, la première difficulté est de la découvrir. L’utilisation d’un smart contract pour sanctionner l’inexécution nécessite une définition précise de celle-ci dans le contrat fiat. Tout fait non défini exclut sa mise en œuvre.

3-304 – Les sanctions de l’inexécution. – La mise en œuvre des sanctions de l’inexécution est d’abord l’apanage du créancier. Le pouvoir lui revient de choisir unilatéralement la sanction et le moment pour la mettre à exécution. La question ne se pose pas de la parole donnée par le débiteur mais des attentes légitimes du créancier. Sauf stipulations contraires du contrat, le créancier a le choix de rechercher une sanction ou un remède. L’article 1217 du Code civil (C. civ., art. 1217) énonce le panel mis à sa disposition. Il peut refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation, poursuivre l’exécution forcée en nature, obtenir une réduction du prix, provoquer la résolution du contrat ou exiger réparation du dommage subi du fait de l’inexécution du contrat.

Automatiser les sanctions de l’inexécution nécessite de définir le choix de la sanction de l’inexécution dès la conclusion du contrat. Lorsque l’on conclut un contrat, c’est pour qu’il soit exécuté. Il peut se passer beaucoup de temps entre le jour de la conclusion du contrat et son exécution. La projection peut être complexe.

3-305 – Avantages et inconvénients de l’automatisation de la sanction. – Le contrat est conçu comme un instrument de coopération entre les parties. À ce titre, il est propice au développement des concepts de bonne foi et de loyauté et à l’interventionnisme du juge pour faire respecter ceux-ci. Les conséquences d’une inexécution par le débiteur peuvent être atténuées s’il est de bonne foi (C. civ., art. 1221). Appliquer les sanctions de l’inexécution nécessite donc une faculté de discernement de la part du créancier (C. civ., art. 1219, 1220 et 1226) et, le cas échéant, du juge, absente du smart contract. Mode d’exécution automatique, il est basé sur une logique binaire : soit le contrat est exécuté, soit il ne l’est pas556. Sauf défaillance technique, le contrat augmenté d’un smart contract s’exécute inéluctablement dès lors que les conditions sont remplies. Utilisé comme sanction de l’inexécution, le smart contract présente l’avantage d’être prévisible. Les parties se sont mises d’accord en amont sur la sanction applicable en cas d’inexécution. Il est également dissuasif. Le smart contract est sourd à tout argument du débiteur pour justifier son inexécution. Ce dernier a accepté la sanction ab initio, il ne peut pas la contester, nonobstant les textes le lui permettant (not. C. civ., art. 1223). Mais prévoir dès l’origine du contrat une sanction adaptée et proportionnée à une inexécution éventuelle dans un contexte encore inconnu semble hasardeux. La proportionnalité est pourtant omniprésente dans le Code civil. Conséquence du principe général de bonne foi (C. civ., art. 1104), elle rayonne dans tout le droit de l’inexécution du contrat. L’exception d’inexécution ne peut être mise en œuvre par le créancier que si l’inexécution est suffisamment grave (C. civ., 1219et 1220). Il en est de même pour la résolution du contrat (C. civ., art. 1224et 1226). L’exécution en nature ne peut être poursuivie s’il existe une disproportion manifeste entre le coût engendré pour le débiteur de bonne foi et l’intérêt retiré de l’opération par le créancier (C. civ., art. 1221). Au stade de la réparation du préjudice, la proportionnalité est toujours présente. Le pouvoir du juge de modérer ou augmenter la clause pénale si elle est manifestement excessive ou dérisoire en est encore un exemple (C. civ., art. 1231-5).

Enfin, le smart contract, outil numérique, est lié à la quantification. Cela pose plusieurs problèmes. Les inexécutions liées à la qualité de la prestation pourront difficilement être prises en considération dans le processus. Échelonner les sanctions ab initio sans adaptation possible au stade de l’exécution est susceptible de créer un fossé entre la réalité de l’inexécution et ses conséquences au regard des attentes du créancier.

À terme, le risque est d’aboutir à la standardisation et à la systématisation des sanctions.

Le smart contract n’échappant pas à la loi, il est également menacé d’inefficacité s’il ne respecte pas les exigences légales afférentes aux sanctions de l’inexécution du contrat. Le juge pourra alors être saisi par le débiteur.

3-306

Compatibilité du smart contract avec les exigences légales entourant les sanctions de l’inexécution

L’exception d’inexécution (C. civ., art. 1219 et 1653). Lorsque l’une des parties n’exécute pas son obligation, l’autre peut suspendre la sienne. Décision unilatérale du créancier dans l’esprit du législateur, c’est une sanction sans discernement lorsqu’elle est algorithmée dans un smart contract. La condition de gravité suffisante, élevée à l’article 1219 (C. civ., art. 1219) in fine se trouve mise à mal. Toute inexécution même minime peut être sanctionnée par l’inexécution de la contre-prestation prévue au contrat. La proportionnalité de l’exception d’inexécution repose sur le principe général de bonne foi (C. civ., art. 1104). En matière de smart contract, le comportement des parties étant exclu du mécanisme, la bonne foi ne permet pas de corriger la disproportion entre l’inexécution et sa sanction. Seule une définition quantifiée de la gravité suffisante par les parties dans le contrat fiat permettra d’introduire cette notion dans le processus, avec les difficultés que cela implique557.

L’exception d’inexécution par anticipation (C. civ., art. 1220). L’exception d’inexécution par anticipation est intimement liée au discernement. Elle se définit comme la prise de conscience que le débiteur, manifestement, n’exécutera pas ou ne poursuivra pas l’exécution de son obligation et que les conséquences de l’inexécution seront suffisamment graves pour le créancier. Le raisonnement prend en compte l’intention du débiteur, l’intuition du créancier et les implications de l’inexécution. Ce sont des notions étrangères au smart contract. Seules les variables du code informatique actionnent le smart contract : il s’exécute ou non. L’intermédiaire n’existe pas. L’exécution partielle est impossible.

L’exécution forcée en nature (C. civ., art. 1221 et 1222). La mise en demeure du débiteur pour obtenir l’exécution en nature peut être automatisée. Retirer au créancier la possibilité de juger de l’opportunité de l’envoi et de son moment rigidifie la procédure558. Le smart contract a pour objet de réduire le coût et la longueur des procédures. Or, son utilité en matière d’exécution forcée se limite à la mise en demeure, les notions de disproportion manifeste, de bonne foi, de délai et de coût raisonnables, au cœur de l’article 1221 du Code civil (C. civ., art. 1221), étant incompatibles avec le smart contract559.

La réduction du prix (C. civ., art. 1223). Dans la mesure où le prix n’a pas encore été payé (C. civ., art. 1223, al. 1)560, la réduction du prix est également un acte unilatéral du créancier. Après mise en demeure, il peut notifier au débiteur de l’obligation une réduction du prix proportionnelle à l’imperfection subie, laquelle devra être acceptée par le créancier. À défaut d’accord ou si la prestation est déjà payée, le juge tranchera le litige. Le discernement est de nouveau au cœur de la procédure. Le créancier doit constater l’insuffisance de la prestation pour la confronter à son attente et en déduire une sanction proportionnée.

Algorithmer une réduction de prix dans un smart contract nécessite de prévoir une échelle des sanctions dès la conclusion du contrat. Une telle clause suscite réflexion. Une échelle a un objet quantitatif. L’appréciation qualitative est exclue du champ d’application de la réduction de prix automatisée par le smart contract. La réduction du prix est déconnectée de son contexte. Les circonstances connues au jour de sa mise en place peuvent avoir changé au moment de son application. L’échelonnement aboutit à une standardisation de la sanction.

Les trois modes de résolution (C. civ., art. 1224). Décider à l’avance de l’anéantissement de plein droit d’un contrat du seul fait de l’inexécution d’une obligation par l’une des parties est chose courante grâce aux clauses résolutoires. L’efficacité d’une clause résolutoire nécessite la réunion de plusieurs conditions. La clause doit prévoir précisément les conditions dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat (C. civ., art. 1225, al. 1). Le smart contract est déterministe. Seule la réunion des conditions codées aboutit à la résolution automatique du contrat. L’irréversibilité du processus smart contractuel doit être comprise et acceptée. La clause s’appliquera compte tenu de la volonté initialement exprimée par les parties dans le code informatique sans prendre en compte leur volonté au stade de l’exécution. Si l’une des parties souhaite la résolution du contrat dans des conditions non prévues initialement, il lui appartient de saisir le juge (C. civ., art. 1227). Néanmoins, son intervention ne suspend pas le processus smart contractuel. Enfin, la résolution doit être précédée d’une mise en demeure restée infructueuse (C. civ., art. 1225, al. 3). L’objectif est double : souligner auprès du débiteur le risque de résolution du contrat et contraindre le créancier à se comporter de bonne foi dans son exécution. Le contrat doit être préservé autant que faire se peut. La résolution est le dernier recours.

L’article 1224 du Code civil (C. civ., art. 1224) envisage deux autres cas de résolution. L’un résulte de la notification au débiteur par le créancier (C. civ., art. 1226). Cette résolution unilatérale semble compatible avec le smart contract dès lors que l’envoi de la mise en demeure puis celui de la notification pourraient être automatisés. En revanche, toute possibilité de retarder l’envoi, de ne pas y procéder, voire de choisir une autre sanction, est retirée au créancier. Au surplus, alors que l’article 1227 du Code civil (C. civ., art. 1227) prévoit la possibilité de demander la résolution judiciaire du contrat en toute hypothèse, la résolution unilatérale est réservée à une inexécution grave du contrat. Dans la boucle conditionnelle, l’éviction du créancier aboutit à l’omission de la notion de gravité. L’absence de réunion des conditions est une cause suffisante à la résolution automatique du contrat, ce qui pose la question de la licéité de l’automatisation. Elle nécessiterait la mise en place d’une échelle de gravité sans doute difficile à établir en pratique.

L’autre voie de résolution est judiciaire (C. civ., art. 1227). Les parties ne peuvent automatiser que partiellement la saisine du juge. Elles pourraient désigner par avance l’avocat choisi en cas de litige. Ainsi, il serait constitué automatiquement par l’envoi d’un mandat l’investissant du pouvoir de saisir le juge compétent. Toutefois, l’automatisation aura peu d’intérêt dès lors que l’avocat reprendra la main pour saisir le juge. Il ne s’agit que d’éviter la procrastination du demandeur.

La responsabilité contractuelle par la réparation en dommages et intérêts (C. civ., art. 1231-1, 1231-2 et 1231-3). Les assurances se sont très vite emparées du smart contract. L’indemnisation se prête à l’automatisation. L’algorithme prend en charge le calcul de l’indemnité et la verse automatiquement en évitant les procédures longues et coûteuses561. Au risque d’une standardisation de l’indemnisation s’ajoute celui de la systématisation. Le processus interroge quant à la manière de traiter la prévisibilité du dommage, l’évaluation de la perte ou du gain dont le créancier a été privé, la faute ou encore le lien de causalité.

§ II – Les entraves non imputables au débiteur

3-307 – Indifférence du smart contract aux causes des difficultés ou de l’impossibilité d’exécution. – Dans le mécanisme du smart contract, l’automatisation porte soit sur l’exécution du contrat, soit sur la sanction de son inexécution. Personne n’intervient pour apprécier l’imputabilité de la violation contractuelle. Le smart contract applique la boucle conditionnelle prévue initialement. Un contrat ne peut donc rester inexécuté sans conséquence pour le débiteur défaillant. Peu importe que cette défaillance lui soit ou non imputable. Pourtant, l’inexécution peut être due à une cause étrangère au contrat, à un cas fortuit, au fait d’un tiers, voire du créancier lui-même.

Une exécution automatique sans discernement de la réalité des faits

Si un smart contract ne prévoit pas expressément le cas du décès, l’exécution se poursuit indépendamment de la disparition des parties dans le monde physique. Bien que l’article 1210 du Code civil (C. civ., art. 1210) proscrive les engagements perpétuels, les smart contracts peuvent l’être.

Deux situations extérieures au débiteur méritent notre attention : l’imprévision (A) et la force majeure (B).

A/ L’imprévision

3-308 L’ordonnance du 10 février 2016 introduit la théorie de l’imprévision dans le Code civil. Trois conditions cumulatives sont exigées. Il s’agit d’un changement de circonstances rendant l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour une partie n’ayant pas accepté d’en assumer le risque. Si les conditions sont réunies, la partie lésée demande une renégociation à son partenaire contractuel. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe (C. civ., art. 1195). La révision pour imprévision n’est pas d’ordre public. Elle peut être écartée par les parties.

L’imprévision chez nos voisins européens

La révision du contrat par suite d’un changement de circonstances rendant son exécution excessivement onéreuse est admise de longue date par de nombreux systèmes juridiques européens (l’argument du droit comparé a ainsi été avancé par les auteurs de l’ordonnance du 10 février 2016 au soutien de la consécration en droit français de la révision pour imprévision).

Des évolutions jurisprudentielles en Espagne et en Suisse ont abouti à permettre une telle révision. La loi le prévoit en Grèce et au Portugal562.

Quatre exemples :

En Allemagne, l’article 313 du BGB (Code civil allemand) prévoit que lorsqu’un changement de circonstances est tel que les parties n’auraient pas contracté dans les mêmes conditions si elles en avaient été informées, une demande d’adaptation du contrat peut être formulée. Lorsque l’adaptation ne peut être réalisée, le contrat peut être résolu unilatéralement par la partie défavorisée.

Aux Pays-Bas, la remise en cause des engagements contractuels en cas d’imprévu doit être indiquée au contrat. Le silence des parties révèle la volonté de l’écarter du contrat. Si l’imprévision est retenue, le juge peut, à la demande de l’une des parties, modifier les effets du contrat ou le résilier en tout ou en partie sur les fondements de la raison et l’équité563. Le juge néerlandais utilise peu ce pouvoir en pratique.

Depuis 1942, les articles 1467 à 1469 du Code civil italien régissent l’eccessiva onerosità. Elle concerne les contrats dont l’exécution est continue ou périodique, ou dont l’exécution est différée. Si la prestation des parties est devenue excessivement onéreuse par l’effet d’événements extraordinaires et imprévisibles, la partie débitrice peut demander la résolution du contrat. L’aléa subi doit être anormal. Le créancier peut l’éviter en offrant de modifier selon l’équité les termes du contrat. S’il s’agit d’un contrat dans lequel une seule des parties a assumé des obligations, celle-ci peut demander une réduction de sa prestation ou bien une modification des modalités d’exécution suffisante pour permettre de le reconduire selon l’équité. Ces dispositions ne s’appliquent pas aux contrats aléatoires par leur nature ou par la volonté des parties564.

En droit anglais, le contrat doit être exécuté565. Au fil de décisions jurisprudentielles, une doctrine dite de « frustration »566 a assoupli ce principe. Elle tend à s’appliquer lorsqu’un changement de circonstances perturbe l’exécution du contrat, devenant soit matériellement ou légalement impossible à exécuter (impossibility), soit beaucoup plus onéreuse (impracticability), soit lorsque la contrepartie est devenue dérisoire (frustration of the purpose). Cette dernière n’a jamais été mise en pratique. La doctrine d’impracticability réglemente l’imprévision. Sous certaines conditions, elle admet la possibilité d’un remède judiciaire en cas de changement de circonstances rendant l’exécution non pas impossible, mais extrêmement onéreuse. Elle a été exclue par les tribunaux anglais. Seule l’impossibility a été admise. En cas de recevabilité de l’argument de la doctrine de frustration, le contrat prend fin sans qu’il soit possible de le réviser ou de l’adapter. Quelle que soit la situation, le juge refusera d’intervenir si les parties ont prévu une clause contractuelle gérant l’imprévision.

3-309 – L’incompatibilité du smart contract avec la théorie de l’imprévision. – La théorie de l’imprévision consiste à prendre en considération le déséquilibre du contrat consécutif au changement de circonstances en cours d’exécution du contrat. L’excessive onérosité devant en résulter varie d’un contrat à un autre. Un autre élément subjectif caractérise le mécanisme de l’imprévision. Il s’agit de la bonne foi567 dont les parties doivent faire preuve pendant toute la vie du contrat (C. civ., art. 1104). Une fois le déséquilibre avéré, le fait pour les parties d’en tenir compte dans leurs relations contractuelles relève de la bonne foi568. Elle commande de renégocier le contrat profondément déséquilibré par suite de modifications extérieures. La renégociation est cruciale. Elle est imposée avant toute action en justice (C. civ., art. 1195)569 sur le fondement de la bonne foi et avec l’objectif de sauver le contrat. Le Code civil envisage le contrat comme un instrument de coopération. Pour les promoteurs du smart contract, la sécurité juridique ne s’obtient que par une exécution inévitable de la convention initiale des parties. La confiance des parties dans l’institution contractuelle dépend de leur conviction à voir leurs engagements s’exécuter. L’incertitude est une source d’instabilité à éviter. Le contrat est un instrument de prévision. Le smart contract est à son service. L’utiliser, c’est opter pour une exécution infaillible du contrat en restant aveugle aux circonstances extérieures. Au stade de l’exécution, seule l’obligation d’exécution demeure570. Dès la réunion des conditions, l’algorithme s’applique sans rechercher si l’opération conserve un intérêt au moment de son exécution. Le Code civil a une vision moins réductrice. Garantir aux parties la révision du contrat excessivement déséquilibré apporte une forme de sécurité juridique et une pérennité au contrat571.

Le smart contract apparaît incompatible avec l’article 1195 du Code civil (C. civ., art. 1195), car renégocier le contrat devient impossible une fois la boucle conditionnelle mise en place. Son exécution devient inéluctable. Mais il est possible de prévoir et d’automatiser une obligation de renégociation du contrat dès la conception du smart contract.

3-310 – Le smart contract et les clauses de hardship. – Dans le monde des affaires, les clauses de hardship sont usuelles. Insérées dans les conventions à long terme, elles permettent d’ouvrir une nouvelle négociation lorsque des circonstances extérieures au contrat viennent en bouleverser l’économie générale. Des possibilités de fallback572 sont mises en place dans certains logiciels sous le nom de selfdestruct function ou suicide clause. Il s’agit de sorties de secours permettant de stopper un code algorithmique en cours d’exécution. Transposer cette technologie au smart contract est envisageable573. Un smart contract pourrait s’interrompre si le déséquilibre entre les prestations délivrées devenait trop important574.

Automatiser l’obligation de renégociation

Dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 17 février 2015575, la société demanderesse avait notamment produit au débat une documentation sur le cours mondial des matières premières.

Un smart contract pourrait automatiser l’obligation de renégociation du prix devenu manifestement excessif en fixant des seuils au-delà desquels le contrat initialement négocié deviendrait excessivement onéreux. Le second smart contract pourrait être connecté à la courbe de l’évolution des prix, l’Insee jouant le rôle d’oracle. Si cette courbe atteint le montant prédéterminé par les parties, il interrompt le premier smart contract jusqu’à la négociation d’un nouvel accord.

3-311 En revanche, il s’agit de smart contractualiser les conséquences de l’imprévu mais pas l’imprévu lui-même. Le smart contract n’est pas intelligent. Il n’est pas doté de conscience. Il n’a aucune faculté d’étonnement. Le changement de circonstances doit être prévu. Il doit être évalué par les parties par avance. Le déséquilibre produit par ce nouveau paradigme sur le contrat doit donc être quantifiable par les parties. Elles doivent déterminer, au sein du contrat fiat, les événements constituant un changement de circonstances et à partir de quel moment ils rendent le contrat excessivement onéreux.

Le smart contract ne peut appréhender le déséquilibre non acceptable que s’il a été quantifié de manière chiffrée. L’imprévu n’ayant pas été pressenti ne sera pas pris en considération. Or, à la lecture de l’article 1195 du Code civil (C. civ., art. 1195), l’événement imprévu est celui ne pouvant être raisonnablement imaginé au moment de la conclusion du contrat.

L’utilisation d’un smart contract oblige les parties à prévoir l’imprévisible.

Aucune marge d’appréciation n’est laissée aux parties au stade de l’exécution du contrat.

3-312

L’évolution jurisprudentielle de la théorie de l’imprévision

Omnio conventio intelligitur rebuc sic stantibus576. Cet adage s’impose jusqu’au célèbre arrêt dit Canal de Craponne577. La Cour de cassation met alors un coup d’arrêt à la pratique de la révision du contrat par le juge sur le fondement de la force obligatoire du contrat (C. civ., art. 1134, al. 1er, ancien). Le temps et les circonstances ne doivent pas être pris en considération pour modifier les conventions des parties. Les clauses librement acceptées sont supérieures à l’équité dans le contrat.

Cette analyse du contrat directement guidée par la philosophie individualiste et libérale dominant à l’époque le droit des contrats578 connaît un léger infléchissement plus d’un siècle plus tard. Le juge découvre une obligation de renégociation en se fondant sur le principe de la bonne foi inhérent au contrat (C. civ., art. 1134, al. 3, ancien)579. La portée en était toutefois limitée par les circonstances s’agissant d’un contrat de longue durée contenant une exclusivité en contrepartie de laquelle le débiteur avait réalisé de lourds investissements. En outre, dans cette espèce portant sur un contrat de distribution, la demande était fondée sur le refus du fournisseur de revoir ses prix pour permettre au distributeur de pratiquer des prix concurrentiels. La décision se fondait plus sur le comportement du créancier lui-même que sur le changement de paradigme économique, entraînant la disparition du caractère concurrentiel des prix initialement convenus.

Six ans plus tard, la chambre commerciale de la Cour de cassation confirme l’obligation de renégociation du contrat sur le fondement du devoir de loyauté580.

Le 16 mars 2004, la question d’un contrat tripartite par lequel une commune concédait à une association l’exploitation d’un restaurant à caractère social, sous-concédé à une société, est portée devant la première chambre civile. La société concessionnaire avait résilié unilatéralement le contrat au motif de son impossibilité économique de poursuivre l’activité. Suite au refus de ses cocontractants, l’exploitation s’est poursuivie jusqu’à la cessation définitive d’activité quelques mois plus tard. Porté devant la Cour de cassation, le pourvoi fut rejeté. La société concessionnaire invoquait un déséquilibre financier existant dès la conclusion du contrat et non « le refus injustifié (…) de prendre en compte une modification imprévue des circonstances économiques et ainsi de renégocier les modalités du sous-traité au mépris de leur obligation de loyauté et d’exécution de bonne foi »581. La première chambre civile de la Cour de cassation motive sa décision au moyen d’arguments analogues à ceux de la chambre commerciale.

En 2010, la Cour de cassation fonde la caducité du contrat sur l’absence de contrepartie au cours de l’exécution du contrat. Il faut rechercher « si l’évolution des circonstances économiques et notamment l’augmentation du coût (…) n’avait pas eu pour effet (…) de déséquilibrer l’économie générale du contrat tel que voulu par les parties lors de sa signature (…) et de priver de toute contrepartie réelle l’engagement souscrit (…) »582.

Par le jeu du « forçage du contrat », la Cour de cassation a donc modéré la théorie de l’imprévision de manière indirecte, se fondant sur le devoir de bonne foi et non sur le changement imprévisible des circonstances. En revanche, les décisions précitées n’ont pas remis en question la jurisprudence Canal de Craponne écartant la révision judiciaire pour cause d’imprévision.

B/ La force majeure

3-313 – Définition. – L’ordonnance du 10 février 2016 épouse la conception classique de la force majeure. Elle se définit comme un événement irrésistible et imprévisible dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées (C. civ., art. 1218). L’événement n’est pas nécessairement extérieur aux parties (la maladie a déjà été reconnue comme un cas de force majeure)583. Il doit néanmoins échapper au contrôle du débiteur.

3-314 – « À l’impossible, nul n’est tenu ». – L’événement doit être « insurmontable » et « inévitable »584. Contrairement à l’imprévision, l’exécution du contrat ne doit pas être seulement plus difficile. Elle doit devenir impossible. Peu importe qu’elle soit plus onéreuse. Tant qu’elle ne ruine pas le débiteur, dès lors empêché d’exécuter, il ne s’agit pas d’un cas de force majeure. Certains ont soutenu que cette condition d’irrésistibilité suffirait à elle seule à caractériser la force majeure585. Avant l’ordonnance de 2016, la Cour de cassation l’a parfois admis586.

3-315 – Un événement imprévisible. – L’imprévisibilité est le second élément indispensable pour qualifier la force majeure. Si l’événement était prévisible lors de la formation du contrat, cela signifierait que le débiteur a accepté d’en supporter le risque587. La force majeure devrait donc être écartée.

3-316 – Les effets de la force majeure. – La force majeure entraîne l’exonération de responsabilité du débiteur défaillant (C. civ., art. 1231-1). Elle suspend l’exécution du contrat ou en entraîne la résolution selon que l’empêchement est temporaire ou définitif (C. civ., art. 1218, al. 2).

3-317 – Le smart contract et la force majeure. – S’agissant d’un événement extérieur au processus, le smart contract connaît les mêmes écueils qu’en matière d’imprévision588. Mais l’événement peut également être interne au smart contract sans intervention fautive de l’une ou l’autre partie. Une interruption provisoire de réseau, une cyberattaque ou une corruption des données ont pu être qualifiées d’événements de force majeure589. Provoquant un arrêt de l’exécution du contrat, deux situations peuvent s’ensuivre :

soit les conditions prévues au smart contract ne sont pas réalisées. La seconde variable du programme s’active590 et le débiteur considéré comme défaillant est sanctionné automatiquement ;

soit les conditions prévues au smart contract sont réalisées mais le dysfonctionnement suspend l’exécution du programme. La continuation automatique du contrat à la fin de l’incident peut avoir lieu alors qu’elle n’est plus souhaitée par les parties.

Neutraliser le bug informatique semble possible par des stipulations contractuelles au sein du contrat fiat. Deux smart contracts doivent être prévus en plus de celui programmé initialement. En cas de défaillance technique du premier, un autre contrecarre son exécution au moyen d’une selfdestruct function591. Le troisième poursuit l’exécution du contrat fiat. L’ensemble est totalement automatisé. Un tel montage démontre la possibilité technique de pallier les défaillances d’un système, même immuable et inarrêtable. Néanmoins, il interroge sur la qualification de force majeure. L’anticipation sous-jacente laisse à penser que la situation n’est ni irrésistible ni imprévisible. Elle peut être évitée par des mesures appropriées. Par définition, un réel cas de force majeure ne sera pas prévu au contrat. Il ne sera pas prévu par le smart contract.

Le smart contract apparaît comme le bras armé du contrat en tant qu’acte de prévision592. Mais le contrat est également un acte social demandant une grande flexibilité. L’aspect relationnel a une importance croissante, à l’image des pouvoirs accordés au juge par l’ordonnance du 10 février 2016.

Sous-section II – La place du juge dans le contrat

3-318 L’ordonnance du 10 février 2016593 fait une place prépondérante au juge. Sa mission de maintenir l’équilibre voulu initialement par les parties au cours de l’exécution du contrat requiert une certaine objectivité. Mais le juge forge sa conviction au moyen d’outils subjectifs. À cet effet, il utilise les standards contractuels. Ce sont des notions à contenu variable en grande partie développées par la jurisprudence. La réforme du droit des contrats leur fait la part belle en multipliant les références à ces concepts. Ils sont autant de moyens pour le juge de sécuriser et/ou de moraliser la relation contractuelle (§ I). À l’inverse, l’utilisation du smart contract remet en cause l’office du juge, considérant que le contrat est exclusivement la chose des parties594. Annihiler la composante humaine au stade de l’exécution est un argument fort du smart contract pour garantir l’efficacité du contrat (§ II).

§ I – Le smart contract et les standards juridiques

3-319 – Définition. – Le standard est un étalon. C’est une norme souple fondée sur un critère intentionnellement indéterminé que le juge applique espèce par espèce à la lumière de données extralégales, voire extrajuridiques595. Le droit des contrats est riche de ces notions à contenu variable, telles que la bonne foi (C. civ., art. 1104), l’importance déterminante (C. civ., art. 1112-1), le raisonnable (C. civ., art. 1116, 1211, 1222 et 1231), les circonstances particulières (C. civ., art. 1120), l’avantage manifestement excessif (C. civ., art. 1130), l’obligation essentielle (C. civ., art. 1170), le déséquilibre significatif (C. civ., art. 1171), la disproportion manifeste (C. civ., art. 1221), ou encore la gravité suffisante (C. civ., art. 1219, 1220 et 1226), la force majeure (C. civ., art. 1218)… Le standard permet au juge du fond, dans son pouvoir souverain, de replacer un contrat dans son contexte factuel et d’apprécier le comportement des parties dans ce cadre, de manière pragmatique. Positionner le contrat face à la réalité d’une situation, en analysant les nuances propres à chaque espèce, peut favoriser la sécurité juridique et l’efficacité du contrat. L’application du contrat n’est pas la seule fin. Le contrat est un acte de prévision servant des objectifs humains. L’appréciation du juge peut conforter cette part d’humanité.

3-320 – Le smart contract face aux standards contractuels. – Le smart contract tend à objectiver le processus contractuel. Il applique le contrat, rien que le contrat. Sauf à objectiver le comportement des parties afin de l’inscrire dans la boucle conditionnelle, il est exclu du processus596.

Objectiver la bonne foi notamment reviendrait à stéréotyper une attitude et à standardiser des situations.

Enfermer des comportements dans des statistiques aboutirait nécessairement à des injustices. L’automaticité du mécanisme tend également à évincer le juge. L’opération programmée initialement ne supporte pas les référentiels de valeur subjectifs des standards contractuels. Les conditions sont convenues à l’avance. Si une condition est prévue, elle doit être exécutée. Peu importe la gravité de son inexécution. Si un délai est stipulé, il doit être respecté. S’il n’était pas raisonnable, il n’aurait pas été accepté597. Le smart contract prend le contre-pied des standards juridiques. La sécurité offerte résulte de l’invariabilité du mécanisme.

3-321

L’algorithme à l’épreuve des standards juridiques

La bonne foi (C. civ., art. 1104), l’importance déterminante (C. civ., art. 1112-1), le raisonnable (C. civ., art. 1116, 1211, 1222 et 1231), les circonstances particulières (C. civ., art. 1120), l’avantage manifestement excessif (C. civ., art. 1130), l’obligation essentielle (C. civ., art. 1170), le déséquilibre significatif (C. civ., art. 1171), la disproportion manifeste (C. civ., art. 1221), la gravité suffisante (C. civ., art. 1219, 1220 et 1226), la force majeure (C. civ., art. 1218)… sont autant de notions sujettes à l’interprétation du juge. La marge de manœuvre laissée au juge témoigne de la volonté du législateur d’envisager le contrat comme une norme de référence598. Pour aboutir à un résultat équitable et respectueux des prévisions contractuelles, le juge adapte sa décision compte tenu du comportement des parties et du contexte (éventuellement fluctuant) entre la conclusion et l’exécution du contrat. Autant de données factuelles, subjectives, qui sont difficilement saisissables par le smart contract.

Le standard du raisonnable. Antérieurement à l’ordonnance de 2016, cette notion était fréquente dans la jurisprudence de la Cour de cassation au sujet des différents délais jalonnant la vie du contrat. Elle considérait par exemple qu’une offre imprécise quant au délai d’acceptation devait en tout état de cause être maintenue pendant un « délai raisonnable ». Par ailleurs, la « personne raisonnable » d’aujourd’hui (C. civ., art. 1188, 1197, 1252 et 1301-1) est le « bon père de famille » d’hier, profondément humain. Présente dans de nombreux articles du Code civil, cette notion « incarne la règle de droit calibrée à la situation »599. Elle fait référence à une moyenne. Elle appelle le bon sens et la logique sans exclure les éventuelles opportunités offertes aux parties600. Le juge compare la situation à une certaine « normalité ». Il applique le droit de manière pragmatique, confrontant le contrat à son environnement et au comportement des parties. Le juge applique un critère légal faisant référence à des qualités humaines601 exclues du processus smart contractuel. Pour le bon fonctionnement de celui-ci, tous les délais doivent être prévus ab initio. Au stade de l’exécution du contrat, le comportement des parties est banni.

L’obligation essentielle. Elle s’apprécie compte tenu du type de contrat, de son contenu, de son économie générale. Mais, en toute hypothèse, en l’absence d’une obligation essentielle, le contrat ne peut déployer son utilité fondamentale602. Minorer la portée de l’obligation essentielle reviendrait à nier la raison pour laquelle le contrat a été conclu. Or le contrat n’est pas une fin en soi, il est un outil de prévision603 permettant aux parties d’atteindre leurs objectifs. Le smart contract ne saurait traduire les objectifs des parties dans toute leur diversité et leur complexité. Il applique une boucle conditionnelle aveuglément. L’essentiel et son contraire, le dérisoire (C. civ., art. 1169) sont des notions subjectives dont le programme informatique rend difficilement compte.

La disproportion manifeste. Dans une pure tradition volontariste, un débiteur ne peut se soustraire à une obligation qu’il a volontairement contractée604. Il doit exécuter, fût-ce en y étant contraint par le créancier, peu important ce qu’il lui en coûte. L’ordonnance du 10 février 2016 a délaissé cette approche en tempérant le principe d’exécution forcée en nature par une exception de disproportion : le juge doit contrôler le rapport entre le coût de cette exécution pour le débiteur de bonne foi et l’intérêt qu’elle présente pour le créancier (C. civ., art. 1221). Par ce biais, le juge vérifie la proportionnalité entre les intérêts de chacune des parties et la sanction choisie.

Le résultat de cette appréciation peut varier en fonction de la situation de chacune des parties ou des raisons ayant motivé leurs engagements. Or l’intention des cocontractants autant que leurs intérêts n’étant pas quantifiable, le smart contract ne saurait respecter l’exception de disproportion prescrite par le Code civil.

La gravité suffisante. Le smart contract ignore ce qui est suffisant autant que ce qui est essentiel. La gravité est « le caractère de ce qui est important, de ce qui ne peut être considéré avec légèreté, de ce qui peut avoir des suites fâcheuses »605. Déterminer la « gravité suffisante » nécessite d’évaluer l’importance pour chacun de l'(in)exécution de l’obligation par l’autre. Il s’agit d’une appréciation de la situation factuelle personnelle à chacun. Un algorithme n’a pas de discernement. Le smart contract ne pourra pas déterminer si des actions sont suffisamment graves pour interrompre le processus. Dès lors, sa compatibilité avec les règles du Code civil, imposant une appréciation de la gravité de l’inexécution pour faire jouer l’exception d’inexécution ou provoquer la résolution du contrat, est certainement douteuse.

3-322

Les pistes de réflexion pour gagner en souplesse d’exécution

Pour aboutir à plus de souplesse, des adaptations sont envisageables606. Actuellement la prévisibilité est un préalable obligatoire à l’utilisation du smart contract. Faire évoluer le smart contract vers plus de souplesse semble envisageable avec certains langages de programmation607. Toutefois, le risque d’appauvrissement du droit dû à la simplification des clauses demeure. Il faut veiller à adapter les capacités du code informatique au droit et non l’inverse.

L’intelligence artificielle mérite également attention. Basée sur l’étude de multiples cas, elle est en mesure de saisir les nuances lorsqu’elles lui ont été enseignées. Elle pourrait donc permettre au code de gagner en autonomie de décision. Cependant, le risque de standardisation est important. L’intelligence artificielle consiste à apprendre des expériences passées pour reproduire dans une situation future. Aucune place n’est laissée à l’innovation dont le juge peut faire preuve. On abandonne l’intelligence du droit au profit de la prévisibilité.

Au-delà de l’amélioration technique que cela nécessite, cela sous-entend également d’adopter une conception plus solidariste608 du contrat. Cela va à l’encontre de l’esprit du smart contract. Il perd en automaticité, son point fort.

Souplesse des standards juridiques versus rigidité du smart contract

Objectif, sans discernement et dans l’incapacité d’appréhender les données non quantifiables, le smart contract est actuellement incompatible avec la souplesse des standards juridiques. Toutefois, en perpétuelle évolution, il ne faut pas exclure que la technique puisse apporter des nuances à l’inflexibilité du processus. Reste à savoir si cela est souhaitable.

3-323 « La liberté contractuelle ne doit pas être un moyen d’asservissement économique des plus faibles aux plus forts, elle doit donc nécessairement comporter des limites »609. La souplesse du droit des contrats permet d’avoir un outil pragmatique permettant de maintenir un équilibre dans les conventions lors de sa formation, son exécution et son extinction. Les standards juridiques donnent une marge de manœuvre importante au juge jusqu’à forcer le contrat, pouvoir créateur de droits et d’obligations peu compatible avec le smart contract.

§ II – Le smart contract et l’office du juge

3-324 – L’opposition de deux philosophies. – Volontariste et libéral, le smart contract propose de trouver la confiance nécessaire au contrat dans l’efficacité de son mécanisme. La négociation a donné lieu à l’engagement des parties car chacune y trouvait son intérêt. L’exécution inéluctable de cet accord est le seul aboutissement possible. Théoriquement, il s’agit d’un constat sans appel. Dans ce contexte, nul besoin d’une autorité régulatrice. La fin de l’immixtion du juge dans le contrat est heureuse.

La désintermédiation consolide l’objectivité garantissant elle-même la sécurité juridique. Mais la réalité est souvent plus complexe.

L’ordonnance du 10 février 2016 consacre l’interventionnisme du juge. De ce point de vue, elle est bien une loi de codification du droit. Le constat est ancien qu’« entre de tels contractants, les uns colossaux, les autres infimes, la liberté contractuelle dev[ient] en réalité unilatérale, ne fonctionnant qu’au profit des forts, réalisant à coup sûr l’écrasement du plus faible. À l’égalité théorique, désormais rompue dans les faits, il fa[ut] substituer l’égalité effective en instituant une politique de réglementation et d’interventionnisme »610. Lorsque la relation contractuelle s’effrite, un tiers de confiance, le juge, garantit la sécurité juridique des parties en restituant un équilibre au contrat. Il sanctionne les abus dans la relation des parties (C. civ., art. 1164, 1165 et 1171 ; C. consom., art. L. 212-1). Il s’assure de la loyauté dans l’exécution du contrat. Il applique le droit de manière pragmatique, au regard des faits de chaque espèce.

3-325 – La flexibilité de la décision judiciaire. – Au soutien de la justice et de l’éthique contractuelles, l’interprétation du contrat dans la limite de la dénaturation611 (C. civ., art. 1188 et s.) voire le « forçage du contrat »612, au nom de la bonne foi (C. civ., art. 1104) et de l’équité (C. civ., art. 1194), sont des moyens forts à la disposition du juge.

Deux manières d’interpréter le contrat d’après la commune intention des parties s’ouvrent au juge (C. civ., art. 1188). De manière subjective, il se met à la place de chacune des parties pour déterminer ce qu’elles attendaient du contrat. La volonté réelle prime sur celle exprimée613. De manière objective, il recherche ce qu’attendrait une personne raisonnable en pareil cas.

Toutes les clauses d’un contrat s’interprètent les unes par rapport aux autres ; chacune doit être cohérente avec l’acte dans sa globalité (C. civ., art. 1189, al. 1er). Si plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s’interprètent en fonction de celle-ci (C. civ., art. 1189, al. 2). Lorsqu’une clause peut être comprise de deux manières différentes, le juge doit privilégier le sens la rendant utile (C. civ., art. 1191).

Mais toutes ces directives d’interprétation ne sont que des conseils. La Cour de cassation ne sanctionne que l’interprétation de la clause claire et précise dans le cadre de son contrôle de dénaturation (C. civ., art. 1192). Le juge du fond a donc une importante latitude pour interpréter le contrat.

Dans le silence des parties, le juge a même un pouvoir créateur lui permettant de compléter le contrat en se fondant sur l’équité, l’usage ou la loi (C. civ., art. 1194). Au premier abord contestable, cette pratique s’avère protectrice. Elle a notamment permis de découvrir une obligation de sécurité dans les contrats de transport de personnes. Il ne suffit pas d’arriver à bon port, il faut l’être sain et sauf, même si cela n’est pas inscrit dans le contrat, et ce sans avoir à prouver une faute du transporteur. Le juge découvre cette obligation de sécurité de résultat sur le fondement de l’équité614. De même, lorsque l’obligation d’information en cours d’exécution est absente du contrat, l’équité et la bonne foi la commandent. Les cocontractants se doivent mutuellement les informations nécessaires à la bonne exécution du contrat.

3-326 – La rigidité du code informatique. – Le smart contract ne reflète pas les attentes des parties à l’origine de la conclusion du contrat. Il traduit uniquement de manière opérationnelle les décisions prises. La condition booléenne615 propose deux solutions. Les conditions sont réunies : le code s’applique intégralement. Dans le cas contraire, il reste sans effet. Le cas échéant, une sanction peut être automatisée. Le smart contract est constitué de conditions objectives. Claires et précises, elles tendent à évincer le juge. Alors que les articles 1188 à 1192 du Code civil (C. civ., art. 1188 à 1192) donnent des directives d’interprétation en cas de doute sur le sens du contrat, le smart contract s’exécute indubitablement. Il ne sait pas ce qu’est le doute. La volonté exprimée est nécessairement la volonté réelle. L’interprétation ou le « forçage du contrat » sont écartés. Cette exclusion est présentée comme un point fort du processus. Le contrat est restitué aux parties. Au stade de l’exécution, il leur est pourtant confisqué. Dans le processus smart contractuel, l’interprétation est celle du programmeur codant le contrat fiat616. Elle se situe donc au moment de la conception du code et non de son exécution. Non modifiable, le smart contract est intangible au stade de l’exécution. Seul ce qui a été prévu s’applique, ni plus ni moins.

Toute faculté d’étonnement est exclue. Le smart contract n’est pas libre. Il n’a pas d’appréciation sur l’opportunité d’une clause. Il est aveugle aux vices de conception. Si un bug se produit, le smart contract applique le code même si le résultat n’est pas celui souhaité par les parties. Ajouté au fait que le résultat obtenu est irréversible et que la blockchain enregistre des informations sans vérifier l’exactitude de leur contenu, les conséquences peuvent être graves. Le code confond la volonté exprimée et l’intention réelle des parties. Si le code est faussé, il est difficile de rechercher la volonté de son créateur, sauf à se référer au contrat fiat. Il représente le seul lien entre le monde réel et le code informatique. Si le smart contract n’est pas un contrat à part entière617, il ne s’interprète pas. En revanche, le juge peut interpréter le contrat fiat618.

Le code s’exécute objectivement, mais il est partial. En raison des moyens à mettre en œuvre, écrire un smart contract est généralement ouvert à la partie forte dans le contrat. La partie faible peut ne pas être en mesure de déchiffrer le code. Le contrat d’adhésion redouble le risque d’arbitraire et d’insuffisante réciprocité.

Le droit commun épouse une appréciation profondément humaine du contrat.

En l’état de la technologie, le smart contract est peu compatible avec les principes du droit positif. Le « tout smart contractuel » n’est pas envisageable.

Le droit de la défaillance ne fait pas exception à ce constat. Le smart contract pourrait offrir la possibilité de simplifier les procédures en les automatisant. Mais le processus présente également des incompatibilités avec le droit positif.

Section II – Le smart contract versus le droit de la défaillance

3-327 L’étude du smart contract à l’aune du droit de la défaillance met en exergue deux idéologies opposées.

Les clauses automatisées s’imposent de plein droit sans tenir compte des mécanismes procéduraux mis en place par l’autorité étatique619 ni des éventuelles résonances de l’exécution automatisée au-delà de la relation contractuelle. Une justice privée se met en place.

Cette conception, éminemment libertarienne et individualiste, semble strictement opposée au droit de la défaillance organisé au sein de deux corps de règles : le droit des procédures civiles d’exécution (Sous-section I) et le droit des procédures collectives (Sous-section II).

Sous-section I – Les atteintes aux procédures civiles d’exécution

3-328 Le smart contract symbolise la liberté individuelle des cocontractants dans l’organisation de leur relation. Dans cette logique, son automaticité force l’exécution en ce qu’une fois programmé, il ne peut plus être stoppé, rendant sa réalisation inéluctable. Un tel processus favorise l’exécution forcée du contrat, mais la soustrait aux tiers auxquels l’État confie traditionnellement la force exécutoire (juges et huissiers en tête). Il interroge sur la contractualisation de la contrainte (§ I) et, plus fondamentalement, sur la souveraineté de l’État (§ II).

§ I – Le smart contract et la contractualisation de la contrainte

3-329 Les procédures d’exécution sont d’ordre public. « L’État a le monopole de la violence légitime »620. Il existe peu de possibilités de déroger à cette règle. Toutefois, le créancier a l’initiative de la procédure (A) et certaines clauses permettent aux parties d’organiser une justice privée (B).

A/ L’initiative du créancier dans les procédures d’exécution forcée

3-330 – Le discernement du créancier à l’origine des procédures d’exécution forcée. – Les procédures d’exécution ont pour objet de permettre au créancier d’obtenir le paiement sans le concours du débiteur. En revanche, le créancier a un rôle important à jouer, car c’est lui qui impulse la procédure. Sans son intervention, l’absence d’exécution est sans conséquence pour le débiteur. Le créancier est juge de l’opportunité des poursuites civiles. Une nouvelle fois, le discernement humain est mis en avant pour déterminer la pertinence de mobiliser telle règle ou sanction.

Le mécanisme du smart contract s’oppose de nouveau au droit positif. Utiliser le smart contract dans le cadre des procédures d’exécution consiste à programmer l’envoi de la mise en demeure préalable. L’automatisation écarte le créancier de cette phase, l’obligeant à se prononcer sur la suite à donner en cas d’inexécution dès la conclusion du contrat. L’idéologie smart contractuelle ne conçoit l’absence d’envoi de la mise en demeure que comme le résultat de la négligence humaine. La réalité est souvent différente. Le créancier peut seulement vouloir adapter sa réaction à la non-exécution en termes de délai comme d’intensité621.

Le droit individuel du créancier à l’exécution reconnu par le droit européen

Dans l’arrêt Hornsby Grèce622, la Cour européenne des droits de l’homme étend la portée de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme à l’exécution des décisions de justice. Elle découvre un droit à l’exécution dont le créancier est titulaire par sa seule qualité. L’État n’ayant pas mis en œuvre les moyens pour faire respecter le jugement revêtu de l’autorité de la chose jugée et de la force exécutoire doit être condamné.

Le droit européen reconnaît ainsi le droit individuel du créancier à l’exécution. Peu importe la forme de cette mise en œuvre. L’accent est mis sur le droit du créancier et non sur la protection du débiteur. Cela « pousse naturellement à la revendication d’un dépouillement des formes et d’une efficacité toujours plus grande de l’exécution »623.

B/ Les clauses contractuelles organisant une justice privée

3-331 Les parties peuvent mettre en place une forme de justice privée par la stipulation de clauses organisant la sanction du contractant défaillant. Toutefois, ces clauses ont souvent une portée limitée. La clause pénale est révisable en justice (C. civ., art. 1231-5). En matière de sûretés, l’encadrement du pacte commissoire est très important (C. civ., art. 2348, 2459, 2460 et 2365 ; C. com., art. L. 622-7, L. 631-14 et L. 641-3) et la clause de voie parée est interdite (C. civ., art. 2346 et 2458 ; CPC ex., art. L. 311-3).

3-332 Le contrat est l’accord des parties. Le smart contract en soustrait l’exécution à leur volonté. Son automaticité est sa force. L’exécution du contrat ne relève pas du bon vouloir du débiteur ni même du créancier, mais de l’accomplissement de conditions prédéfinies. Soutenue par la blockchain, l’opération ne peut pas être validée en cas d’insolvabilité de l’une des parties. En effet, la chaîne de blocs permet la confirmation du contenu du porte-monnaie électronique avec les transactions réalisées, et le smart contract ne peut être implémenté que si la somme engagée est disponible. Cette fonction autoexécutante est à l’origine de l’effet disruptif du smart contract. Le tiers séquestre n’est plus indispensable. La somme nécessaire à l’exécution du contrat est captée par le smart contract. Elle est libérée lors de la réunion des conditions624. À l’inverse, l’absence de réunion des conditions permet de rétablir les parties dans leur état initial et d’automatiser les sanctions prévues conventionnellement. Un tel contexte est propice à l’organisation d’une justice privée dont l’exercice est encadré dans le contrat.

L’« astreinte conventionnelle » et la clause pénale625

L’astreinte peut être fixée contractuellement. Elle consiste en une pénalité par jour de retard dans l’exécution d’une obligation, suffisamment importante pour être dissuasive. Elle a une valeur préventive. Il s’agit de vaincre une éventuelle résistance à l’exécution d’une obligation. La clause pénale consiste à prévoir des dommages et intérêts conventionnels en cas de manquement à ses obligations par l’une des parties. L’une n’est pas exclusive de l’autre. L’astreinte contraint en incitant à une exécution rapide. La clause pénale sanctionne l’inexécution. Toutes deux ont un caractère comminatoire patent. Pour cette raison, la jurisprudence qualifie la clause d’astreinte de clause pénale626. Leur révision en cas d’excès se fonde sur l’article 1231-5 du Code civil (C. civ., art. 1231-5)627. Prévoir l’exécution d’une clause pénale et/ou d’une clause d’astreinte par le biais d’un smart contract est envisageable. L’absence d’exécution entraîne une indemnisation forfaitaire ou par jour de retard, voire les deux.

Programmer une telle clause628 présente trois inconvénients majeurs.

L’article 1231-5 du Code civil (C. civ., art. 1231-5) n’envisage pas d’autre indemnisation que le versement d’une somme d’argent. Un processus entièrement mis en place sur une blockchain aboutit à un paiement en cryptoactifs et non en monnaie proprement dite629.

Dans sa fonction de registre, la blockchain permet de tracer la provenance de chaque unité de cryptoactif pour vérifier sa disponibilité avant d’engager une opération. Prévoir l’exécution d’une clause pénale par un smart contract suggère l’immobilisation de la pénalité dans l’attente de l’exécution de l’obligation : si l’obligation est exécutée, la somme est restituée au débiteur ; dans le cas contraire, elle est remise au créancier. La confiscation de cette somme dans l’attente de la réalisation du contrat est une garantie pour le créancier, mais elle ne s’impose pas en droit. S’agissant de l’astreinte, l’immobilisation d’une somme dans le cadre du processus smart contractuel semble encore plus inadéquate, puisqu’il est impossible de déterminer à l’avance le nombre de jours pendant lesquels une obligation restera éventuellement inexécutée.

Le dernier inconvénient est lié au pouvoir du juge, absent du processus smart contractuel. Or, la loi permet au juge de modérer ou d’augmenter la pénalité si elle est manifestement excessive ou dérisoire ou l’adapter lorsque l’obligation a été partiellement exécutée (C. civ., art. 1231-5, al. 2 et 3). Cette appréciation judiciaire se trouve évincée par la rigidité du code informatique, lequel n’a pourtant pas la capacité d’apprécier la justesse de la pénalité fixée par les parties630. Dans la mesure où il est interdit de déroger contractuellement à la révision judiciaire des clauses pénales (C. civ., art. 1231-5, al. 4), la licéité du smart contract est ici douteuse.

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Approfondissement au regard des clauses de voie parée et du pacte commissoire
Dans ce contenu Web, le lecteur pourra apprécier l’application de la technique du smart contract à la mise en œuvre des clauses de voie parée et du pacte commissoire.

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– L’interdiction de la clause de voie parée. – La clause de voie parée est celle par laquelle le constituant d’une sûreté réelle consent au créancier gagiste, nanti ou hypothécaire la possibilité de procéder à la vente du bien grevé, sans suivre les formalités de saisie. Autrefois fréquente dans les contrats de prêt, elle permettait de faire exception à la loi dès le commandement de payer demeuré infructueux631. En adjoignant un smart contract à une telle clause, le système devient impitoyable. L’automatisation pourrait concerner non seulement la mise en demeure mais également, par exemple, la saisine du notaire choisi au préalable par les parties pour réaliser la vente aux enchères du bien hypothéqué en cas de défaillance du débiteur. Cependant, les articles 2458, alinéa 2 du Code civil (C. civ., art. 2458, al. 2) et L. 311-3 du Code des procédures civiles d’exécution (CPC ex., art. L. 311-3) interdisent la clause de voie parée en matière immobilière. Elle est également prohibée en matière mobilière (C. civ., art. 2346)632.

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– La portée limitée du pacte commissoire. – L’ordonnance du 23 mars 2006633 a autorisé le pacte commissoire. En prévoyant cette clause, le créancier se fait consentir le droit de s’approprier la chose affectée en garantie en cas de non-paiement à l’échéance. Au premier abord, l’automatisation sied parfaitement à l’effet radical d’une telle stipulation. L’exécution du pacte a lieu de plein droit en cas de défaillance du débiteur sans que son accord soit nécessaire. Si la date de transfert de propriété n’est pas mentionnée expressément dans le contrat de sûreté, le défaut d’exécution de l’obligation garantie constitue son fait générateur. Les parties peuvent écarter expressément la mise en demeure préalable à la réalisation du pacte. Un expert est nommé amiablement ou judiciairement pour déterminer la valeur du bien grevé comparativement à celle de la créance impayée (C. civ., art. 2348 et 2460). Si elle est supérieure, la différence est versée au débiteur défaillant ou consignée s’il existe d’autres créanciers garantis sur le même bien. La nomination de l’expert peut avoir lieu dès la conclusion du contrat. Le risque pour le débiteur est d’accepter celui désigné par le créancier sans l’avoir vraiment choisi.

Bien que le pacte commissoire puisse être mis en œuvre de la seule volonté du créancier, un acte est souvent nécessaire pour constater le transfert de propriété634. Sauf à ce que le débiteur accepte de signer cet acte, l’intervention du juge sera indispensable, rompant l’automaticité souhaitée. Le smart contract propose une alternative intéressante.

Smart contract et pacte commissoire

Si le débiteur ne paie pas à l’échéance, alors la propriété du bien X, affecté en garantie, sera transférée immédiatement au créancier.

Si le bien X a une valeur supérieure à la dette, alors la différence entre la valeur du bien et celle de la dette sera versée au débiteur en ethers.

Le contrat fiat devra prévoir expressément l’absence de mise en demeure.

En se projetant dans un avenir proche, imaginons le cas du véhicule connecté.

Il est apte à communiquer les éléments pour être assuré directement auprès d’une compagnie d’assurance (marque, modèle, puissance, année, kilométrage, etc.). Équipé de capteurs, il pourra également communiquer s’il a connu quelques petits incidents de parcours devant être pris en compte pour l’évaluation.

Le pacte commissoire pourrait donc s’exécuter de la manière suivante : si le débiteur ne paie pas à l’échéance, alors le changement de la carte grise au nom du créancier se déclenche automatiquement. Les données du véhicule sont adressées à un oracle désigné par les parties (L’Argus par exemple) déterminant si une soulte doit être versée au débiteur ou s’il existe un reliquat de créance.

Sur le papier, le mécanisme est infaillible. Cependant, il se heurte à plusieurs obstacles liés à la qualification juridique du pacte commissoire mais aussi à ses conséquences, notamment en droit des sûretés et des entreprises en difficulté.

La qualification juridique du pacte commissoire : assimilée à une dation en paiement, la réalisation du pacte commissoire nécessite la purge des droits de préemption. L’immédiateté du transfert de propriété est donc utopique.

Les conséquences juridiques du pacte commissoire incompatibles avec le droit des sûretés et des entreprises en difficulté : le droit des sûretés appelle principalement des remarques touchant à la dépossession et à l’opposabilité aux tiers, ainsi qu’aux délais d’exécution. La dimension collective du droit des entreprises en difficulté s’oppose également à l’automatisation du pacte commissoire.

Le pacte commissoire peut être prévu dans le cadre d’un gage, un nantissement, une hypothèque ou une antichrèse. Seule l’antichrèse dépossède inévitablement le débiteur de son bien au bénéfice du créancier. Elle est la moins courante des garanties auxquelles un pacte commissoire peut être adjoint. En l’absence de dépossession635, le processus smart contractuel, aussi efficace soit-il, ne garantit pas la remise de la chose. Seul le transfert de propriété est constaté sur la blockchain. En revanche, le créancier ne peut pas bénéficier matériellement du bien de manière certaine au jour du transfert. Sauf peut-être, dans l’exemple de la voiture connectée, si le véhicule est immobilisé au moyen d’une serrure connectée. En outre, l’inscription du transfert de propriété sur la blockchain ne rend nullement opposable aux tiers le droit du créancier sur un immeuble faute de satisfaire aux exigences de la publicité foncière.

La stipulation d’un pacte commissoire n’empêche pas plus le débiteur de disposer de son bien. Dans cette hypothèse d’aliénation du bien grevé à un tiers, la mise en œuvre automatisée du pacte commissoire au moyen d’un smart contract est plus radicale que l’exercice d’un droit de suite. Le créancier se voit transférer la propriété du bien, le tiers étant corrélativement exproprié. En matière immobilière, la seule inscription du pacte commissoire sur la blockchain ne vaut pas opposabilité aux tiers ; la créance assortie d’un pacte commissoire uniquement inscrite sur la blockchain est inefficace puisqu’elle ne confère pas de droit de préférence. Seule la publicité foncière le permet. Au moment de la réalisation du pacte commissoire, la plénitude du transfert de propriété est subordonnée à son constat par acte notarié publié au service de la publicité foncière. La blockchain ne rendant pas le transfert de propriété opposable aux tiers, un smart contract ne garantit en rien les droits du créancier en matière immobilière.

Un smart contract interdit au créancier de différer la mise à exécution du pacte commissoire si elle n’a pas été prévue dans le contrat initial. Pourtant, un délai de grâce peut être demandé par le débiteur défaillant dans les conditions de l’article 1343-5 du Code civil (C. civ., art. 1343-5). Il ne peut porter que sur une créance devenue exigible. Un smart contract s’exécutant immédiatement au jour de la défaillance empêche le débiteur d’user de cette possibilité. À l’inverse, un smart contract différé ou ayant maintenu une mise en demeure permet au débiteur de demander au juge un délai de paiement. L’appréciation du juge est factuelle. Il considère les situations respectives du débiteur et du créancier. L’octroi d’un délai de grâce fait obstacle au pacte commissoire. En revanche, si ce dernier est automatisé via un smart contract et qu’un délai est accordé postérieurement, le code est inarrêtable. Le transfert de propriété sera inscrit sur la blockchain.

L’ouverture d’une procédure collective s’oppose à la conclusion et à la réalisation d’un pacte commissoire (C. com., art. L. 622-7, L. 631-14 et L. 641-3). L’exécution automatique d’un pacte commissoire par un smart contract en dépit de l’ouverture d’une procédure est donc illicite. En effet, le smart contract est étranger à la dimension collective des procédures de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire. Individualiste, il applique le contrat uniquement, sans regard sur la situation prise dans sa globalité636.

§ II – Le smart contract et la souveraineté de l’État

3-334 – La liberté contractuelle et la souveraineté. – En vertu de la liberté contractuelle, le smart contract fixe les conditions d’exécution du contrat dès sa conclusion. Le processus étant inarrêtable, l’adopter revient à substituer la volonté des parties aux procédures civiles d’exécution. Partant de la thèse libertarienne selon laquelle l’équilibre du contrat résulte de la seule rencontre des volontés, la présence de l’État dans les relations privées est inutile. Le consentement des parties suffirait à mettre en place un système alternatif. Toutefois, l’attribution au contrat de la force exécutoire637 est un acte d’autorité et de souveraineté appartenant à l’État. L’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 l’énonce clairement : « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». L’État exerce sa mission régalienne au titre de la sécurité qu’il doit à chaque citoyen638.

3-335 – La dimension collective de la souveraineté. – L’État est omniprésent tout au long de la procédure d’exécution. Le titre exécutoire délivré préalablement s’analyse en un permis d’exécuter sans lequel le créancier ne peut pas agir en exécution forcée (CPC ex., art. L. 111-2). Il ne peut être délivré que par un représentant de l’État, juge, officier public, administration publique ou délégataire d’une mission de service public. L’huissier de justice prête son concours à la mise en œuvre de la procédure d’exécution. La présence de l’État a vocation à contrôler l’usage de l’exécution forcée. Chacun des représentants de l’État incarne la nation. À ce titre, il est l’autorité de confiance protégeant l’intérêt public.

Le smart contract défend quant à lui l’efficacité du contrat dans l’intérêt privé du créancier. Son indépendance par rapport aux parties au stade de l’exécution du contrat garantit la réalisation des obligations prévues initialement. Le processus rend le paiement inévitable même si elles ne le souhaitent plus. L’absence de volonté dans cet intervalle s’apparente à une exécution forcée. En revanche, la collectivité des participants à la blockchain détient un rôle différent de la nation. L’État souverain sollicité par le créancier a le devoir d’intervenir. Mais cela ne se fait pas sans contrôle. Les représentants ou délégataires de l’État vérifient le respect de la sécurité des parties et la conformité à l’ordre public. Le smart contract n’opère pas d’autre vérification que la réunion des conditions prévues initialement. Les garanties proposées sont notamment distinctes de celles que procure l’authenticité.

3-336 – L’unicité de la souveraineté. – La souveraineté s’apparente à un pouvoir central unique. La souveraineté est déléguée mais pas concurrencée. Elle s’oppose à la « féodalité ». Désignant le démembrement de la puissance publique, la féodalité se manifeste à la fin de l’Empire carolingien par la décentralisation des prérogatives de puissance publique. Le commandement, la perception de l’impôt, le monopole de la monnaie, la justice se répartissent alors entre le pouvoir central et les seigneuries. Cette dissociation de la mission régalienne de l’État n’est pas sans rappeler la promesse faite par la blockchain. S’érigeant en autorité de confiance, elle vise à réaliser des transactions en dehors de tout contrôle étatique. Elle apparaît comme une résurgence de la décomposition politique639 tendant à affaiblir le rôle de l’État. Elle est une forme de féodalité.

L’idéologie smart contractuelle procède de la même logique libertarienne640. À l’image du suzerain qui, détenant les terres, détient les prérogatives de puissance publique, aucune séparation n’est établie entre le fait et le droit. La partie faible donne sa confiance à un code informatique créé par la partie forte. Le smart contract entérine le rapport de force établi naturellement entre le créancier et le débiteur. La puissance économique supplante la puissance publique.

L’éclatement de l’intérêt public au sein de la blockchain favorise les intérêts individuels.

« La féodalité désigne un double phénomène d’atomisation de la puissance publique et de contractualisation du lien social »641. Mais les seules volontés privées ne peuvent pas contractualiser la contrainte. Elles peuvent tout au plus prévoir un système alternatif lorsque la loi le permet642.

Au premier abord attrayante, la justice privée résultant de l’automaticité du smart contract doit être observée avec de la hauteur. La situation de fragilité imposée au débiteur peut avoir des incidences au-delà du contrat lui-même, lesquelles s’observent dans les procédures d’insolvabilité.

Sous-section II – Les atteintes aux procédures d’insolvabilité

3-337 Parmi les principes et objectifs gouvernant les procédures d’insolvabilité, deux paraissent ériger de sérieux obstacles à l’utilisation d’un smart contract : d’une part, le principe d’égalité des créanciers (§ I) et, d’autre part, la protection des intérêts économiques et sociaux du débiteur en difficulté (§ II).

§ I – Le principe d’égalité entre les créanciers

3-338 – Changement de paradigme. – Le principe d’égalité se traduit par la dimension collective de la procédure. À l’origine, le droit de la défaillance ne connaissait pas le règlement collectif du passif. Le paiement se faisait au prix de la course. Seule la notion de déconfiture, encore présente dans le Code civil643, prenait en compte la situation du débiteur insolvable à l’égard de chacun de ses créanciers. Qu’elles concernent le surendettement des particuliers ou l’entreprise en difficulté, les procédures d’insolvabilité ont pris une dimension collective. Elles privent les créanciers du droit d’obtenir individuellement le paiement de leur produit ou service. À l’exception des sûretés établissant un ordre entre les créanciers, la procédure privilégie l’égalité de paiement.

3-339

Rappel sur le principe d’égalité entre les créanciers

Le principe d’égalité. Les procédures d’insolvabilité sont d’ordre public. Afin de préserver le principe d’égalité, les créanciers sont tenus de respecter des obligations auxquelles ils ne peuvent déroger.

S’agissant des entreprises en difficulté, deux interdictions gèlent les droits individuels des créanciers au profit de la procédure collective :

l’interdiction de demander le paiement des créances antérieures au jugement d’ouverture de la procédure (C. com., art. L. 622-7) ;

l’interdiction d’engager ou l’obligation de suspendre toute action en justice (C. com., art. L. 622-21, al. 1er) à quelques exceptions près (C. com., art. L. 622-17, I), toute procédure d’exécution sur les meubles et les immeubles et toute procédure de distribution n’ayant pas un effet attributif avant le jugement d’ouverture (C. com., art. L. 622-21).

La procédure de surendettement a été conçue dans cette même logique, interdisant ou suspendant à compter de la décision de recevabilité du dossier toute procédure d’exécution ou cession de rémunération autre qu’alimentaire (C. consom., art. L. 722-2 et s.) et toute mesure d’expulsion du logement (C. consom., art. L. 722-6 et s.).

L’exception au principe d’égalité. Par exception au principe d’égalité, la loi établit dans certains cas un ordre de paiement des créances. Les créanciers privilégiés et chirographaires se différencient. Parmi les créanciers antérieurs au jugement d’ouverture, les privilégiés bénéficient d’un droit d’être payés par préférence aux autres (C. com., art. L. 641-13, relatif au classement des créances propre à la procédure de liquidation judiciaire). Les créanciers chirographaires sont les créanciers ordinaires. Ils sont payés proportionnellement à leur créance au moyen du solde des fonds restant après paiement des créanciers privilégiés. Les créanciers dont la créance est née après le jugement d’ouverture sont également ordonnés. Les salaires, les productions agricoles, les frais de justice, les prêts et les créances consentis avec un délai de paiement sont payés prioritairement dans cet ordre. Les créances ordinaires sont payées au marc le franc. En matière de surendettement, les loyers impayés sont réglés prioritairement aux établissements de crédit (C. consom., art. L. 711-6).

3-340 – Finalités antagonistes du smart contract et des procédures collectives. – Le règlement collectif du passif est subordonné à la paralysie des créances individuelles. Le smart contract répond à une logique individuelle. Il consiste à automatiser le « prix de la course ». Le mécanisme smart contractuel a vocation à anticiper le risque pour le créancier de ne pas recouvrer sa créance. Il permet l’anticipation de son éventuelle négligence et, par là même, lui retire le pouvoir de décision face à la défaillance de son débiteur. Lui assurant dès la conclusion du contrat la solvabilité du débiteur grâce à la fonction de registre de la blockchain, le créancier est garanti de l’exécution de l’obligation. En revanche, le processus a vocation à protéger exclusivement le paiement de la prestation convenue. Le contrat, rien que le contrat. Le smart contract se désintéresse de l’environnement économique du débiteur. Le smart contract programmé exécutera invariablement le contrat en dépit d’une procédure collective, rompant l’égalité entre les créanciers. En tout état de cause, il ne tiendra pas compte de l’ordre des créanciers pour s’exécuter.

3-341

Combinaison du règlement collectif avec le smart contract

Le smart contract mis en place pour garantir l’exécution d’une obligation est peu compatible avec les procédures collectives. En revanche, il pourrait permettre d’en automatiser certaines étapes clés. Les procédures sont jalonnées de délais impératifs très courts. Elles laissent peu de temps aux créanciers pour réagir. L’automatisation peut pallier les négligences humaines.

La déclaration de créances :

Le créancier a deux mois à compter de la publication au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (Bodacc) du jugement d’ouverture pour faire valoir ses droits (C. com., art. L. 622-24 et R. 622-24). Le délai est court. Il nécessite de s’informer régulièrement sur les nouvelles procédures collectives.

Conformément au décret du 18 août 2015644, le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires a mis en place un portail électronique645. Il est désormais possible de procéder aux déclarations de créances par voie dématérialisée.

Au moyen d’un smart contract connecté au Bodacc jouant le rôle d’oracle, il est possible de pallier la négligence du créancier de manière efficace. Une déclaration de créance nécessite de renseigner des mentions obligatoires telles que le montant de la créance due au jour du jugement d’ouverture et le mode de calcul des intérêts en cours, ou encore la nature de la garantie éventuellement afférente. Si ces éléments sont déterminables dès l’ancrage du smart contract sur la blockchain, la publication au Bodacc d’une procédure collective frappant le débiteur déclenche automatiquement la déclaration de créance en se connectant au portail électronique des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires. L’utilisation du portail permet un horodatage considéré comme incontestable et donne une force probatoire aux documents joints à l’appui de la déclaration646. Mais, le plus souvent, la créance au jour de l’ouverture d’une éventuelle procédure collective ne pourra pas être déterminée au jour de la programmation du smart contract. Il est alors possible d’automatiser la saisine d’un oracle chargé d’établir la déclaration de créance dès la publication au Bodacc d’une procédure collective frappant le débiteur.

La revendication des marchandises ou du prix :

Lorsqu’une clause de réserve de propriété est convenue au contrat, la revendication des marchandises ou de leur prix de revente est un mode de paiement indirect efficace. Elle doit être faite dans les trois mois de la publication du jugement d’ouverture au Bodacc (C. com., art. L. 624-9).

Le smart contract pourrait être utilisé pour mettre en œuvre l’action en revendication grâce au Bodacc jouant le rôle d’oracle et au portail dématérialisé.

De manière plus générale, la blockchain pourrait servir à sécuriser les relations entre les tribunaux, les mandataires de justice, les créanciers et tous les acteurs des procédures collectives. La procédure s’en trouverait sécurisée et accélérée.

En matière de surendettement des particuliers, la blockchain dans sa fonction de registre pourrait également avoir un rôle important à jouer. Actuellement, la publicité des procédures de surendettement est peu fiable. La commission de surendettement est tenue au secret professionnel. Le Bodacc est mal renseigné. L’interdiction faite au débiteur d’accomplir des actes de disposition a des conséquences graves que, souvent, il n’appréhende pas. Par exemple, la vente d’un bien par un débiteur en difficulté est souvent faite avec l’objectif de payer ses dettes. De bonne foi, il ne mentionne pas sa situation sans percevoir que la conséquence de ce silence est la nullité de l’acte. Mettre en place une automatisation de la publicité des procédures de surendettement sécuriserait les opérations en garantissant au notaire l’absence de procédure restreignant la capacité des parties à l’acte.

3-342 La rigidité du smart contract due à l’automaticité du processus contredit également le besoin de pérennité et de stabilité du débiteur.

§ II – La sauvegarde des intérêts économiques et sociaux du débiteur en difficulté

3-343 – Droit de l’entreprise en difficulté. – La finalité affichée des procédures d’insolvabilité professionnelles est d’assurer la pérennité de l’entreprise (C. com., art. L. 620-1), de faciliter sa réorganisation et de permettre la poursuite de l’activité (C. com., art. L. 631-1, al. 2). Historiquement, l’objectif des procédures collectives était avant tout l’apurement du passif. Aujourd’hui il vient en dernier lieu (C. com., art. L. 640-1). La « faillite » n’est plus une punition. Tout doit être mis en œuvre pour l’éviter et conforter le « rebond » du débiteur.

Les procédures d’insolvabilité en droit européen

La directive sur la restructuration et l’insolvabilité du 20 juin 2019647 a pour objectif général de réduire les principaux obstacles à la libre circulation des capitaux dus aux différences entre les cadres de restructuration et de gestion de l’insolvabilité par les États membres. Elle est venue renforcer la culture du sauvetage des entreprises dans l’Union européenne. Inspirée du droit français sur de nombreux points, elle préconise une prévention plus efficace des difficultés. Les axes principaux sont la suspension des procédures individuelles jusqu’à la validation d’un accord et l’effacement des dettes impayées. L’idée est de permettre le rebond des débiteurs et de favoriser la croissance et l’emploi.

3-344 – Procédure de surendettement du particulier. – Cette procédure a pour finalité d’organiser l’apurement du passif de la personne physique manifestement hors d’état de faire face à ses dettes non professionnelles. Il s’agit d’une procédure éminemment personnelle, prenant en considération la situation individuelle, familiale et professionnelle du débiteur. Le paiement de ses dettes par le débiteur doit lui laisser un minimum de ressources pour vivre et faire face à ses charges quotidiennes. L’objectif poursuivi par la commission de surendettement des particuliers est de permettre au débiteur de retrouver dans l’avenir une situation financière stable et pérenne. L’étude de chacune des situations se fait au cas par cas.

3-345 – La finalité économique et sociale et le smart contract. – Le smart contract est le résultat de la négociation des parties. Peu importe ce qui a amené une partie à contracter. Si elle a donné son accord, c’est qu’elle y avait intérêt. Le smart contract peut être un facteur d’accélération des difficultés de l’entreprise648 ou du débiteur particulier. En effet, si les conditions convenues sont réunies, il s’exécute automatiquement quelle que soit la situation du débiteur. Il ignore les intérêts supérieurs au contrat tels que la sauvegarde de l’emploi ou la stabilité de l’équilibre économique pour l’entreprise, ou le maintien d’une vie décente pour le particulier. La sécurité est apportée à l’exécution du contrat indépendamment des conséquences pour les contractants et leur entourage.

Exemple d’antagonisme des finalités des procédures d’insolvabilité et du smart contract en matière de surendettement

L’article L. 711-6 du Code de la consommation (C. consom., art. L. 711-6) dispose que les créances des bailleurs sont réglées prioritairement aux créances des établissements de crédit. La règle vise à rassurer le bailleur. Dans l’esprit du législateur, maintenir au débiteur un cadre de vie décent est la clé de la réussite du plan de surendettement.

Dans le cadre de la location, le mécanisme smart contractuel a vocation à fonctionner avec une serrure connectée. Si le locataire ne paie pas son loyer, la serrure connectée bloque l’accès au logement. Outre le fait qu’il ignore les règles légales de résolution du contrat, d’expulsion et l’éventuel plan de surendettement mis en place, il est un accélérateur des difficultés du débiteur.


554) Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations : JO 11 févr. 2016, no 0035, no 25.
555) V. supra, no a3-290.
556) A. Saint-Paul, Smart contracts et droit commun des contrats, ss dir. M. Bourassin, Mémoire de recherche soutenu le 5 juill. 2019 : non publié.
557) V. infra, no a3-335.
558) A. Saint-Paul, Smart contracts et droit commun des contrats, ss dir. M. Bourassin, Mémoire de recherche soutenu le 5 juill. 2019 : non publié, no 70.
559) V. infra, nos a3-333 et s.
560) Dans le cas où le prix a déjà été payé, la réduction doit être demandée en justice (C. civ., art. 1223, al. 2).
561) V. supra, no a3-253.
562) R. Blough, Le forçage, Du contrat à la théorie générale, PUAM, 2011, no 393.
563) C. Couzin, H. Guiziou, M. Leveneur-Azemar, B. Moron-Puech et A Stevignon, Regards comparatistes sur l’avant-projet de réforme de droit des obligations : D. 2015, no 19.
564) A. Parent, L’imprévision en droit comparé : une analyse normative économique, thèse, 2014, ss dir. J.-G. Belley, Faculté de droit, Université McGill, Montréal, p. 64 et s. (https://escholarship.mcgill.ca/concern/theses/0z709076j, consulté le 25 avr. 2020).
565) Paradine v. Jane, Aleyn 26 [Paradine].
566) A. Parent, L’imprévision en droit comparé : une analyse normative économique, préc., p. 81 et s.
567) Ph. Stoffel-Munck, L’abus dans le contrat, essai d’une théorie, LGDJ, 2000, nos 114 et s.
568) R. Blough, Le forçage, Du contrat à la théorie générale, PUAM, 2011, no 400.
569) Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 : JO 11 févr. 2016, no 35, texte no 25, p. 25.
570) V. supra, no a3-298.
571) G. Paisant, Introduction au colloque sur l’intangibilité du contrat : Dr. et patrimoine 1998, no 58.
572) En français : retrait.
573) A. Bayle, Analyse prospective des smart contracts en droit français, Mémoire ss dir. J. Roque, Maître de conférence à la Faculté de droit de Montpellier, 2016-2017, no 156.
574) M. Mekki, Le smart contract, objet du droit (Partie 2) : Dalloz IP/IT 2019, p. 27.
575) Cass. com., 17 févr. 2015, nos 12-29.550, 13-18.956 et 13-20.230, inédits.
576) Une convention ne peut rester valable que si les choses demeurent en l’état.
577) Cass. civ., 6 mars 1876, Canal de Craponne : D. 1876, I, 193, note Giboulot.
578) R. Blough, Le forçage, Du contrat à la théorie générale, PUAM, 2011, no 391.
579) Cass. com., 3 nov. 1992, Huard : Bull. civ. 1992, IV, no 338. – J. Mestre, Une bonne foi franchement conquérante… au service d’un certain pouvoir judiciaire de révision du contrat : RTD civ. 1993, p. 124.
580) Cass. com., 24 nov. 1998, Chevassus Marche : Bull. civ. 1998, IV, no 277.
581) Cass. 1re civ., 16 mars 2004 : Bull. civ. 2004, I, no 86. – D. Mazeaud, Du nouveau sur l’obligation de renégocier : D. 2004, p. 1754.
582) Cass. com., 29 juin 2010, no 09-67.369, Sofimat, non publié au bulletin.
583) Cass. 1re civ., 10 févr. 1998 : JCP G 1998, I, 185, no 16, obs. G. Viney.
584) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 12e éd. 2019, no 749.
585) P.-H. Antonmattei, Contribution à l’étude de la force majeure, LGDJ, 1992, nos 33 et s.
586) Cass. 1re civ., 9 mars 1994 : JCP G 1994, I, 3773, no 6, obs. G. Viney. – Cass. 1re civ., 6 nov. 2002 : JCP G 2003, I, 152, no 32, obs. G. Viney.
587) Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 : JO 11 févr. 2016, no 35, texte no 25.
588) V. supra, no a3-308.
589) M. Mekki, Le smart contract, objet du droit (Partie 2) : Dalloz IP/IT 2019, p. 27.
590) V. supra, no a3-240.
591) V. supra, no a3-310.
592) V. supra, no a3-3.
593) Ord. no 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations : JO 11 févr. 2016, no 35, texte no 26.
594) V. supra, no a3-288.
595) Assoc. H. Capitant, G. Cornu (ss dir.), Vocabulaire juridique, PUF, 13e éd., 2020, p. 979.
596) V. supra, no a3-298.
597) V. supra, nos a3-281 et s.
598) V. supra, nos a3-269 et a3-303.
599) F. Viney, L’expansion du raisonnable dans la réforme du droit des contrats : un usage déraisonnable : D. 2016, p. 1940 et s., no 10.
600) Assoc. H. Capitant, G. Cornu (ss dir.), Vocabulaire juridique, PUF, 13e éd., 2020, p. 839.
601) A. Saint-Paul, Smart contracts et droit commun des contrats, ss dir. M. Bourassin, Mémoire de recherche soutenu le 5 juill. 2019, non publié, no 80.
602) Assoc. H. Capitant, G. Cornu (ss dir.), Vocabulaire juridique, PUF, 13e éd., 2020, p. 413.
603) V. supra, no a3-3.
604) V. supra, no a3-295.
606) M. Mekki, Le smart contract, objet du droit (Partie 2) : Dalloz IP/IT 2019, p. 27.
607) Le langage Michelson sur la blockchain Tezos se prête à une vérification formelle, permettant de contrôler à tout moment s’il se comporte comme les parties l’ont souhaité. De type interpréteur (V. supra, no a3-241), cela veut dire que le code peut être corrigé sans avoir recours à un hard fork comme cela fut le cas sur Ethereum au moment du bug de The DAO en 2016 (V. infra, no a3-373). Pour aller plus loin : www.contrepoints.org/2016/11/15/271038-entretien-arthur-breitman-projet-de-blockchain-tezos, consulté le 14 avr. 2020.
608) V. supra, no a3-303.
609) R. Blough, Le forçage, Du contrat à la théorie générale, PUAM, 2011, no 154.
610) L. Josserand, Aperçu général des tendances actuelles de la théorie du contrat : RTD civ. 1937, no 1.
611) Cass. civ., 15 avr. 1872 : DP 1972, 1, 176.
612) Par une fiction, le juge peut faire produire au contrat des obligations ayant un lien avec sa finalité et permettant de l’adapter même si elles n’ont pas été voulues par les parties. Cette notion, mise en exergue par Josserand dans les années 1920, permet au juge de découvrir des obligations d’information, de sécurité, de surveillance. Pour aller plus loin : R. Blough, Le forçage, Du contrat à la théorie générale, PUAM, 2011.
613) Cass. req., 6 févr. 1945 : Gaz. Pal. 1945, 1, 116.
614) Cass. civ., 21 nov. 1911 : DP 1913, 1, 249, note Sarrut.
615) V. supra, no a3-240.
616) V. supra, no a3-242 et infra, no a3-350.
617) V. supra, nos a3-252 et s.
618) V. supra, nos a3-318 et s.
619) H. Christodoulou, Les nouvelles technologies à l’origine de l’évolution contractuelle : Comm. com. électr. 2020, 20, no 6.
620) C. Brenner, La présence de l’État dans les rapports contractuels entre les citoyens : l’exécution forcée des contrats : JCP N 2019, 1092, no 1.
621) V. supra, no a3-306.
622) CEDH, 19 mars 1997 : D. 1998, jurispr. p. 74, note N. Fricero.
623) C. Brenner, La présence de l’État dans les rapports contractuels entre les citoyens : l’exécution forcée des contrats : JCP N 2019, 1092, no 2.
624) V. supra, no a3-244.
625) F. Guerchoun, Astreinte : Rép. proc. civ. Dalloz, avr. 2017, no 160.
626) Cass. com., 29 juin 2010, no 09-14.123.
627) Cass. 3e civ., 6 nov. 1986 : Bull. civ. 1986, III, no 150. À l’époque, sur le fondement de l’art. 1152 du Code civil.
629) V. supra, nos a2-55 et s.
630) V. supra, no a3-321.
631) Assoc. H. Capitant, G. Cornu (ss dir.), Vocabulaire juridique, PUF, 13e éd., 2020, p. 1071.
632) Assoc. H. Capitant, G. Cornu (ss dir.), Vocabulaire juridique, PUF, 13e éd., 2020, p. 1071.
633) Ord. no 2006-346, 23 mars 2006, relative aux sûretés : JO 24 mars 2006, no 71, p. 4475, texte no 29.
634) Rapport du 107e Congrès des notaires de France, Cannes, 2011, Le financement : les moyens de ses projets, la maîtrise des risques, no 3187.
635) Facultative en matière de gage, l’absence de dépossession est nécessaire dans le cadre d’un nantissement ou d’une hypothèque.
636) V. supra, no a3-321.
637) Tout contrat valablement formé a une force obligatoire. En revanche, la force exécutoire permettant de recourir à la force publique résulte de l’un des titres visés par l’art. L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution, notamment un acte notarié ou un jugement.
638) C. Brenner, La présence de l’État dans les rapports contractuels entre les citoyens : l’exécution forcée des contrats : JCP N 2019, 1092, no 15.
639) N. Laurent-Bonne, La reféodalisation du droit par la blockchain : Dalloz IP/IT 2019, p. 416.
640) V. supra, no a3-287.
641) N. Laurent-Bonne, La reféodalisation du droit par la blockchain : Dalloz IP/IT 2019, p. 416.
642) V. supra, nos a3-331 et s.
643) Exemples d’effets produits par la déconfiture : la révocation du mandat (C. civ., art. 2003), l’exception d’inexécution (C. civ., art. 1613), le recours immédiat à la caution (C. civ., art. 2309), l’exigibilité du capital de la rente perpétuelle (C. civ., art. 1913), la déchéance du terme en cas de perte de sûreté (C. civ., art. 1305-4).
644) D. no 2015-1009, 18 août 2015, relatif à la mise en œuvre du portail électronique prévu aux art.s L. 814-2 et L. 814-13 du Code de commerce : JO 20 août 2015, no 0191, p. 14547, texte no 15.
645) https://creditors-services.cnajmj.fr/#, consulté le 27 décembre 2020.
646) https://creditors-services.cnajmj.fr/, consulté le 27 décembre 2020.
647) Dir. (UE) 2019/1023, relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficacité des procédures en matière de restructuration, d’insolvabilité et de remise de dettes, et modifiant la directive (UE) 2017/1132, Parlement européen et Conseil, 20 juin 2019 : JOUE 26 juin 2019.
648) J.-C. Roda, Smart contracts, dumb contracts ? : Dalloz IP/IT 2018, p. 397.
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