3-9 La conclusion d’un contrat, même dans le monde accéléré du numérique, peut être précédée d’une phase précontractuelle durant laquelle les parties doivent tout d’abord entrer en relation (Section I), puis respecter des obligations d’informations (Section II) ainsi que leur devoir de confidentialité (Section III).
3-10 La mise en relation des parties dans le monde contractuel numérique présente la particularité de se réaliser essentiellement par le biais de plateformes en ligne. Celles-ci sont définies comme « toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur :
1o Le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ;
2o Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service » (C. consom., art. L. 111-7, I).
Elles apparaissent comme l’acteur majeur de la mise en relation des parties dans le monde numérique du contrat. Ces plateformes prennent principalement deux formes :
celles procédant à une simple mise en relation des parties ;
celles jouant un rôle plus actif de référencement et comparateur.
Ces plateformes, liées contractuellement avec leurs divers utilisateurs (Sous-section I), sont légalement encadrées (Sous-section II) et ont une responsabilité limitée (Sous-section III).
3-11 À titre liminaire, il y a lieu d’analyser l’existence d’un contrat entre les plateformes et leurs utilisateurs.
Le contrat est défini par l’article 1101 du Code civil (C. civ., art. 1101) comme « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations »29. La question peut se poser de l’existence ou non d’un lien contractuel entre la plateforme et l’offreur, d’une part (§ I), et la plateforme et l’utilisateur, d’autre part (§ II).
3-12 Concernant en premier lieu la relation entre la plateforme et l’offreur, l’existence d’un contrat est évidente. L’offreur a recours à un intermédiaire en vue de positionner son offre sur le marché recherché. La plateforme offre donc une prestation d’intermédiation en ligne contre une rémunération prenant généralement la forme d’une commission ou d’un abonnement périodique30. Si la relation contractuelle est incontestée entre ces deux parties, la qualification juridique de ce contrat dit de marketplace a fait couler beaucoup d’encre31. Deux types de contrats sont généralement retenus pour cette relation : le contrat d’entremise, ou encore de courtage, et le contrat de mandat. Les obligations de la plateforme dépendent de la qualification retenue.
3-13 Le contrat d’entremise ou de courtage est le plus répandu dans le secteur des plateformes numériques. Celles-ci jouent le rôle d’un courtier, en charge de mettre en relation les parties à un futur contrat, qui peut être de toute sorte (vente, prestation de services…). L’entremetteur n’a donc aucune mission de représentation et ne peut engager l’offreur ou l’utilisateur de la plateforme. Ceux-ci concluront ensuite directement un contrat différent et n’engageant qu’eux. Comme cela a pu être souligné32, la plateforme ne joue certes pas un rôle actif de recherche d’un cocontractant, mais met à disposition de ses utilisateurs les moyens nécessaires à une rencontre des parties. En revanche, l’opérateur agit activement sur la détermination des conditions du contrat auquel il aide à la conclusion. En effet, les conditions générales acceptées par tous les utilisateurs, tant offrant qu’acceptant, sont établies par la plateforme.
3-14 Le mandat, plus rare en pratique, peut également permettre de qualifier la relation contractuelle entre la plateforme et l’offreur. Ce contrat génère une représentation de l’offreur par l’opérateur33. Il se retrouve essentiellement dans le cadre des ventes en ligne de meubles aux enchères publiques34 ou encore dans celui des sites de réservation hôtelière35.
3-15 Concernant la relation entre la plateforme et l’utilisateur, l’existence d’un contrat est moins évidente. Pourtant, l’opérateur et son utilisateur entretiennent bien des relations contractuelles. Le second adhère aux conditions générales établies par le premier et il en résulte pour chacun des obligations assorties de sanctions. Pour l’utilisateur, des engagements nombreux et variés se retrouvent dans les conditions générales, allant de l’interdiction par Uber d’utiliser les chauffeurs aux fins de transporter des matières illicites ou dangereuses, jusqu’à ne pas utiliser des virus sur le site eBay. Ces obligations sont aussi variées que les prestations, services et marchandises proposés par les plateformes. La qualification du contrat unissant la plateforme et ses utilisateurs dépend du rôle de cette dernière. Il peut s’agir d’un simple contrat de courtage ou d’entremise si la plateforme joue l’intermédiaire permettant la mise en relation des parties36. Lorsque la plateforme propose à la vente ses propres produits, comme cela peut être le cas sur le site Amazon, alors le contrat l’unissant à l’utilisateur est tout simplement un contrat de vente.
L’existence d’une relation contractuelle étant établie, il y a lieu d’analyser les obligations spéciales mises à la charge des plateformes numériques.
3-16 Les plateformes en ligne font l’objet d’un encadrement législatif et réglementaire important visant essentiellement à assurer à l’usager le bénéfice d’une information loyale, claire et transparente (§ I). L’efficacité de cette obligation d’information dépend toutefois de son applicabilité aux nombreuses plateformes étrangères (§ II).
3-17 Le monde des plateformes en ligne peut paraître occulte pour leurs utilisateurs, notamment lorsqu’elles jouent un rôle de comparateur ou de référencement. Il est aisé d’imaginer que des liens d’intérêt sont susceptibles d’influencer les méthodes employées et ainsi tromper l’usager sur la neutralité de la plateforme. D’une part, certains produits et services présentés peuvent être proposés par des sociétés ayant un lien capitalistique avec la plateforme, voire directement par celle-ci37. D’autre part, la primauté est parfois accordée au plus offrant. Le critère de référencement ou de classement n’est donc pas nécessairement le prix proposé, la note attribuée par les consommateurs, ou toute autre information importante pour le consommateur. Il peut au contraire être fondé sur la relation entre la plateforme et l’auteur de l’offre.
3-18 Une obligation spéciale d’information loyale, claire et transparente, a récemment été instaurée à la charge des opérateurs de plateformes en ligne38.
3-19 L’article L 111-7 du Code de la consommation précise ensuite le contenu de cette obligation d’information qui s’impose aux opérateurs de plateformes en ligne. Son objectif est de créer la confiance nécessaire à une économie fluide, tout en respectant la liberté des acteurs. Pour y parvenir, l’article L 111-7 du Code de la consommation n’impose aucune règle de classement ou de référencement, mais exige des plateformes une information relative :
1) aux conditions générales d’utilisation des services proposés, et les modalités de référencement, classement et déréférencement des contenus, des biens ou des services auxquels ces services permettent d’accéder (C. consom., art. L. 111-7, II, 1o). Ces données ont vocation à éclairer les parties (aussi bien celles proposant leurs services sur les plateformes que celles les consultant en vue d’y trouver un bien ou un service) sur les méthodes employées, et le risque est présent d’une éventuelle partialité de la part de la plateforme ;
2) à l’existence d’une relation contractuelle, d’un lien capitalistique ou d’une rémunération à leur profit dès lors qu’ils influencent le classement ou le référencement des contenus, des biens ou des services proposés ou mis en ligne (C. consom., art. L. 111-7, II, 2o). Une certaine part de subjectivité apparaît ici dans l’appréciation de cette éventuelle influence. Il aurait peut-être été plus opportun de soumettre les plateformes à cette obligation d’information quelles que soient les conséquences supposées d’un tel lien ;
3) à la qualité de l’annonceur et les droits et obligations des parties en matière civile et fiscale, lorsque des consommateurs sont mis en relation avec des professionnels ou des non-professionnels (C. consom., art. L. 111-7, II, 3o). Cette information apparaît d’une grande importance dans la mesure où elle permet la détermination du régime applicable à la relation contractuelle qui pourrait naître, et de définir ainsi les obligations des parties. En effet, de la qualité des utilisateurs mis en relation via les plateformes en ligne dépendent les règles régissant le lien contractuel naissant entre eux, notamment l’application ou non des dispositions du Code de la consommation (relations entre professionnels et consommateurs, dites Business to Consumer [B to C]), ou bien du Code civil (relations entre particuliers, dites Consumer to Consumer [C to C]), ou encore du Code de commerce (relations entre professionnels, dites Business to Business [B to B]), ainsi que la fiscalité (taxe sur la valeur ajoutée ou non notamment). Il s’agit ici de répondre à une spécificité du contrat conclu dans la sphère du numérique où il n’y a pas de rencontre physique des contractants.
3-20 L’obligation d’information se présente donc sous deux aspects, selon l’activité exercée :
pour les plateformes de référencement et de classement : une information relative aux méthodes employées et à l’existence d’un lien d’intérêt (pts 1 et 2) ;
pour les plateformes de mise en relation : une information relative à la qualité de l’annonceur (pt 3).
3-21 Le créancier de cette obligation est exclusivement le consommateur, ainsi qu’il résulte de la lettre de l’article L. 111-7 du Code de la consommation précité. La différenciation du consommateur, du non-professionnel et du professionnel est établie par l’article liminaire du Code de la consommation39. De manière générale, les dispositions de ce code s’appliquent au seul consommateur et, par exception, lorsque l’article en fait mention, au non-professionnel et/ou au professionnel.
3-22 L’article L. 111-7 du Code de la consommation est renforcé par les articles D. 111-7 et suivants (C. consom., art. D. 111-7) du même code résultant du décret no 2017-1434 du 29 septembre 2017, venant préciser le contenu de l’information à transmettre au créancier de cette obligation40.
3-23 Ce décret traite également du cas particulier des relations entre non-professionnels, en instaurant dans cette hypothèse une obligation d’information renforcée à la charge des plateformes (C. consom., art. D. 111-8, II)41. Celle-ci est importante pour attirer l’attention de l’utilisateur sur la non-application du droit de la consommation qui le protège lorsqu’il contracte avec un professionnel. L’acheteur n’a en effet pas toujours la conscience de conclure un contrat avec un non-professionnel lorsqu’il passe par l’intermédiaire d’une plateforme en ligne. L’objectif du législateur est donc de l’alerter sur la non-application du régime protecteur auquel il est habitué. La difficulté pour les opérateurs, consécutive à ces dispositions, est d’apprécier la qualité de professionnel et la responsabilité qu’ils engagent en cas d’erreur d’appréciation.
3-24 En tout état de cause, lorsque la présentation des résultats est influencée par une relation contractuelle, l’opérateur doit le faire apparaître de manière claire. Ainsi l’article D. 111-14 du Code de la consommation (C. consom., art. D. 111-14) prévoit que lorsque les offres de biens ou de services sont référencées à titre payant et que le rang de classement dépend de cette rémunération, elles doivent alors faire apparaître leur caractère publicitaire par le terme « annonce » sur la page d’affichage de résultats du site comparateur.
3-25 Les professionnels, oubliés du droit français, sont protégés par le règlement (UE) no 2019/1150 du 20 juin 2019, entré en vigueur le 12 juillet 202042. Ce règlement43 instaure une obligation d’information à l’instar du Code de la consommation44. L’objectif poursuivi est ici encore de communiquer aux utilisateurs les conditions générales d’utilisation, comprenant notamment les méthodes employées de classement, référencement, les liens commerciaux et leur influence sur les résultats présentés.
3-26 – Le guide des bonnes pratiques. – Outre l’obligation d’information pesant sur les plateformes en ligne, celles-ci, au-delà d’un certain nombre de connexions mensuelles45, doivent également élaborer et diffuser « aux consommateurs des bonnes pratiques visant à renforcer les obligations de clarté, de transparence et de loyauté » (C. consom., art. L. 111-7-1)46. L’intention manifeste du législateur à travers cette disposition est d’encourager les opérateurs de grande envergure, ayant donc le plus d’influence, à aller au-delà des obligations légales et à tirer vers le haut l’ensemble des acteurs du marché. Cette démarche a en outre la vertu de faire supporter aux entreprises privées majoritairement concernées le coût de la recherche et de l’innovation nécessaires pour y parvenir.
3-27 La dernière obligation mise à la charge des opérateurs de plateformes concerne la diffusion des avis en ligne encadrée par l’article L. 111-7-2 du Code de la consommation (C. consom., art. L. 111-7-2). La clarté, la loyauté et la transparence sont ici encore les maîtres mots de l’information à communiquer sur les modalités de publication et de traitement de ces avis. L’opérateur doit aussi mentionner l’existence ou non d’un contrôle et les caractéristiques de celui-ci, et permettre aux fournisseurs de signaler les publications dont l’authenticité est douteuse. Cette obligation bénéficie à tous les « utilisateurs » des plateformes, et non uniquement aux consommateurs, ainsi qu’il ressort de la lettre du texte. Le champ d’application de cette disposition est donc plus large que celui de l’article L. 111-7 précité.
3-28 Il est toutefois regrettable que le Code de la consommation ne prévoie pas de sanctions civiles particulières pour la violation de ces articles. Le juge civil se trouve ainsi parfois démuni face au non-respect de leurs obligations d’information par les plateformes numériques. Seule une mise en cause de leur responsabilité47 semble envisageable, à défaut de précision contraire. Or les dommages-intérêts qui peuvent en résulter ne paraissent pas suffisants pour contraindre les opérateurs en ligne au respect de ces dispositions48. Il est malgré tout heureux que l’article R. 632-1 du Code de la consommation (C. consom., art. R. 632-1) permette au juge civil de relever d’office les articles dudit code. Cela renforce leur efficacité en permettant leur application au-delà des fondements invoqués par le demandeur.
3-29 Cette réglementation des plateformes découlant de la législation française, voire européenne, ne peut toutefois être réellement efficace que si elle s’impose à tous les opérateurs. Le monde numérique présente cette particularité de ne pas connaître de frontières, permettant ainsi aux puissantes plateformes étrangères de se placer sous d’autres systèmes juridiques. Se pose donc la question de l’applicabilité des obligations ci-dessus exposées à ces nombreux opérateurs étrangers, parmi lesquels on compte les plus puissants du marché.
3-30 – Les grands acteurs dans le domaine des plateformes numériques sont très majoritairement implantés en dehors du territoire français. – Toutefois, bien que les sociétés soient souvent américaines, les succursales basées sur le territoire de l’Union européenne sont nombreuses49. Les conditions générales d’utilisation de ces plateformes renvoient généralement vers la législation applicable au pays européen où est située cette succursale50.
3-31 – Ces conditions générales sont relativement semblables les unes aux autres en termes de loi applicable et d’attribution de juridiction. – Elles consistent souvent en une traduction quasi littérale du texte en anglais, ainsi qu’elles l’indiquent elles-mêmes51. Or ces traductions posent des difficultés d’intelligibilité et de visibilité dans la mesure où elles peuvent induire l’utilisateur en erreur en portant une traduction ne correspondant pas au texte d’origine. Les usagers lisant rarement les conditions générales en français, il est peu probable qu’ils les lisent aussi dans leur langue originelle (à supposer qu’ils en soient capables). Par ailleurs, la loi Toubon du 4 août 199452 instaure l’obligation d’informer en français concernant « la désignation, l’offre, la présentation, le mode d’emploi ou d’utilisation, la description de l’étendue et des conditions de garantie d’un bien, d’un produit ou d’un service, ainsi que dans les factures et quittances »53. Ces dispositions d’ordre public54 s’imposent aux plateformes numériques, tant dans leurs relations avec les utilisateurs consommateurs que les professionnels55.
3-32 La Commission des clauses abusives s’est prononcée sur cette pratique de faire primer la version anglaise sur la version française des conditions générales par une recommandation du 7 novembre 201456. Cette recommandation a été prise en matière de réseaux sociaux, mais peut être étendue à tous les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur ou non professionnel. Ce type de clause faisant primer la version anglaise sur la version française a été jugé abusif au motif qu’elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties en appliquant des stipulations non réellement acceptées par le consommateur.
3-33 Ainsi la plupart des conditions générales sont constituées sur un modèle unique s’agissant de la loi applicable, des recours et de la juridiction territorialement compétente :
1) la loi applicable au contrat conclu avec l’utilisateur de la plateforme est la loi nationale de l’État où la succursale est implantée. Il est toutefois souvent rappelé au consommateur résidant dans l’Union européenne que si sa législation nationale prévoit des dispositions obligatoires protégeant ses droits, il pourra en bénéficier ;
2) les juridictions nationales de l’État où la succursale a son siège sont désignées compétentes ;
3) moins couramment, il est interdit tout recours en justice à l’utilisateur, parfois sans distinguer les recours collectifs ou individuels, parfois uniquement pour les recours collectifs.
3-34 Tout d’abord, concernant le choix de la loi applicable au contrat, il est conforme au règlement Rome I57, sous réserve, pour le consommateur, des protections particulières accordées par ce règlement58 et des législations nationales ayant un caractère obligatoire. Les conditions générales le rappellent d’ailleurs quasi systématiquement. Cela fait suite à un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne59 se fondant sur une directive en matière de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs60. Dans cette décision, la Cour a considéré qu’était abusive la clause des conditions générales non négociées ayant pour effet d’induire le consommateur en erreur. Cette erreur consiste en l’impression donnée que seule la loi de l’État membre dans lequel le siège de la plateforme était établi pouvait s’appliquer au contrat. Or en l’espèce, la législation nationale du consommateur le protégeait davantage et avait un caractère obligatoire, ce qui la rendait également applicable. La Commission des clauses abusives s’est prononcée dans le même sens61.
3-35 Ensuite, concernant la désignation de la juridiction compétente, le règlement (UE) no 1215/2012 du 12 décembre 2012, dit « Bruxelles 1 », offre la possibilité aux cocontractants de désigner le tribunal compétent en cas de litige62. Toutefois, le consommateur bénéficie une fois encore d’une protection particulière63 privant de tout effet les clauses d’attribution de compétence juridictionnelle.
3-36 Enfin, concernant l’interdiction parfois faite d’intenter tous recours individuels et/ou collectifs, la Commission des clauses abusives a ici encore considéré ces clauses comme étant abusives si elles étaient maintenues dans un contrat entre un professionnel et un non-professionnel ou consommateur64. S’agissant des rapports entre professionnels, ces clauses, notamment imposant l’arbitrage, sont licites. En revanche, les professionnels pourraient se prévaloir du droit fondamental d’ester en justice, reconnu sur la base de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme pour contrer les clauses les privant de toute voie de recours.
3-37 Les consommateurs et non-professionnels apparaissent donc protégés face aux conditions générales établies par des sociétés étrangères, et ce grâce au droit de la consommation. Cette protection serait d’autant plus efficace si la Cour de cassation reconnaissait ces dispositions d’ordre public international65.
3-38 En revanche les professionnels, parfois en état de dépendance économique à l’égard des plateformes devenues leur premier outil de vente, apparaissent particulièrement vulnérables. La réforme du droit des obligations instaurant la notion de clause abusive dans le contrat d’adhésion (C. civ., art. 1171) pourrait servir de fondement à l’inefficacité en France de certaines stipulations des conditions générales. Il est en effet communément admis que les contrats proposés par les opérateurs numériques puissent être qualifiés de contrats d’adhésion66. Cette qualification découle de l’existence d’un ensemble de clauses préétablies et non négociables. Il existe toutefois un débat doctrinal quant à l’applicabilité de ces dispositions du Code civil sur le contrat d’adhésion à des conventions relevant de législations spéciales. Ainsi certains auteurs appliquent l’adage specialia generalibus derogant pour écarter l’application de l’article 1171 du Code civil au profit de législations comme celle des pratiques restrictives de la concurrence (C. com., art. L. 442-1 à L. 442-8). À l’inverse, d’autres auteurs apprécient ces droits de manière sectorielle. Selon ce second courant doctrinal67, certaines dispositions, notamment celles relatives au contrat d’adhésion, ne sont pas générales mais sectorielles en s’appliquant à des relations contractuelles et non à des contrats spéciaux. Suivant ces auteurs, des règles du Code civil s’appliquent ainsi à des contrats également concernés par d’autres législations. Ces différentes dispositions ne sont pas générales pour les unes et spéciales pour les autres, mais dans un rapport égalitaire sectoriel écartant l’adage précité. La lutte contre les clauses abusives insérée dans le Code civil est guidée par l’absence de négociabilité du contrat. Cela justifie à notre sens son application à tous les contrats d’adhésion, sans exception68. Cette approche finaliste a pour avantage d’ajouter la protection contre les clauses abusives dans les contrats d’adhésion aux dispositions du Code de commerce69.
Par ailleurs, le tribunal de commerce de Paris a récemment eu l’occasion de qualifier l’ancien article L 442-6 du Code de commerce alors relatif aux pratiques restrictives de la concurrence de loi de police70. Le ministre de l’Économie a pris dans cette affaire l’initiative d’une action à l’encontre de trois sociétés du groupe Amazon. La clause attributive de juridiction a été opposée à l’action du ministre, sans succès, celle-ci ne lui étant pas opposable71.
3-39 Les plateformes numériques ont connu quelques défaites judiciaires démontrant les limites de l’applicabilité de leurs conditions générales72. En réaction, elles ont entamé une démarche d’adaptation aux législations nationales, en laissant toutefois à l’utilisateur la tâche de se renseigner sur les dispositions protectrices dont il pourrait se prévaloir73. Cette mise en conformité amorcée par les opérateurs se traduit par des formulations du type « sauf disposition d’ordre public nationale contraire »74. Cet effort ne semble pas suffisant75, il est encore reproché à ces acteurs un manque de lisibilité et d’intelligibilité de leurs conditions générales76. Les professionnels manquent quant à eux de protection face au déséquilibre imposé par les géants de l’internet.
3-40 Outre ces difficultés rencontrées en pratique limitant les effets de l’encadrement législatif et réglementaire que l’on tente d’imposer aux plateformes, celles-ci limitent leur responsabilité de différentes manières.
3-41 Les plateformes minimisent leurs engagements, d’une part en instaurant des clauses limitatives ou élusives de responsabilité dans leurs conditions générales (§ I), et d’autre part en essayant de s’affranchir de toute garantie (§ II).
3-42 En fonction de la qualification juridique retenue pour le contrat liant les différents acteurs, des obligations variées naissent à la charge des plateformes. Afin de limiter les effets de leurs engagements, les opérateurs insèrent dans leurs conditions générales de nombreuses clauses limitatives ou élusives de responsabilité, destinées tant aux offreurs qu’aux visiteurs.
3-43 En premier lieu, le contrat d’entremise ou de courtage peut être source de responsabilité pour l’intermédiaire. La difficulté liée à ce type de contrat résulte de l’absence de régime juridique légalement établi. Les règles qui s’y appliquent découlent essentiellement de la jurisprudence77. Parmi les obligations qui semblent peser sur le courtier, la principale est d’information. Les données à communiquer par l’opérateur concernent aussi bien la personne du futur cocontractant que la prestation objet du potentiel contrat et son opportunité pour ses clients. Autant d’éléments que les principaux acteurs du marché actuel ne semblent aucunement garantir. En effet, les conditions générales des grandes plateformes rappellent en grande majorité que ces dernières ne sont aucunement responsables des produits, services ou encore marchandises accessibles par leur intermédiaire78. Ces clauses sont limitatives, voire élusives de responsabilité.
3-44 En second lieu, le contrat de mandat bénéficie d’un cadre légal. Les dispositions des articles 1984 et suivants du Code civil s’appliquent, notamment l’article 1992 relatif à la responsabilité du mandataire. Ce dernier doit répondre des fautes qu’il commet dans sa gestion, sachant que l’appréciation de l’inexécution est plus sévère lorsque le mandataire est rémunéré pour sa mission. Dans ce domaine encore, les plateformes tentent de s’exonérer ou de limiter leur responsabilité.
3-45 Concernant la relation contractuelle entre la plateforme et le visiteur, ce dernier autorise très couramment l’utilisation de ses données personnelles, notamment pour une revente à des fins publicitaires. L’opérateur tente ici encore de minimiser ses obligations et surtout de limiter, voire exclure sa responsabilité, notamment concernant l’identité des utilisateurs79.
3-46 Les clauses limitatives ou élusives de responsabilité se retrouvent donc dans les conditions générales imposées tant aux offreurs qu’aux visiteurs. La question de leur efficacité doit être posée. Pour apprécier la validité de telles stipulations, il convient de distinguer le consommateur du professionnel.
3-47 Le consommateur bénéficie ici encore des dispositions d’ordre public du Code de la consommation. Plus précisément, son article R. 212-1 (C. consom., art. R. 212-1) qualifie d’irréfragablement présumées abusives et donc interdites « les clauses ayant pour objet ou pour effet de : (…) supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations ». Les limitations, voire les exclusions totales de responsabilité sont donc réputées non écrites et inopposables aux consommateurs, utilisateurs des plateformes. Ces dernières peuvent toujours jouer sur l’étendue de leurs obligations, mal définies et ne faisant l’objet que d’un encadrement légal limité, comme étudié ci-dessus.
3-48 Le professionnel est protégé depuis la réforme du droit des obligations80 par deux dispositifs.
3-49 – 1) L’interdiction des clauses privant de sa substance l’obligation essentielle du débiteur (C. civ., art. 1170). – Les jurisprudences Chronopost81 et Faurecia82 se trouvent ainsi consacrées et même étendues au-delà des seules clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité dans le but de sauvegarder l’économie du contrat. Cette limite appliquée aux conditions générales des plateformes mènera probablement à la remise en cause de certaines stipulations annihilant les engagements essentiels de ces dernières. L’appréciation se fera par les juges au cas par cas. En matière de contrat de marketplace, l’obligation principale de la plateforme est la mise à disposition d’un espace en ligne pour la présentation des offres. Les clauses limitatives ou élusives de responsabilité stipulées dans de nombreuses conditions générales en cas d’indisponibilité du site sont donc fragilisées. Les plateformes prennent toutefois la précaution de qualifier cette obligation de moyens et non de résultat, rendant plus difficile la preuve de l’inexécution. Concernant cette pratique, on peut s’interroger sur son efficacité dans la mesure où elle peut conduire à contourner l’interdiction faite par ce nouvel article 1170 du Code civil. S’il est permis aux parties, au titre de la liberté contractuelle, de qualifier le type d’obligation créée par leur convention, cette liberté ne doit pas être détournée pour écarter des dispositions d’ordre public.
3-50
Le principe fraus omnia corrumpit pourrait-il être invoqué à l’encontre de clauses ayant pour objet la qualification des obligations contractuelles83 ? En réalité « le problème de la fraude ne se pose qu’in extremis, lorsqu’un résultat contraire au droit est atteint sans que soient encourues les sanctions de la violation de la règle qui l’interdit, ou du moins lorsque la mise en œuvre de ces sanctions ne permet pas d’attaquer ce résultat »84. Or l’article 12 du Code de procédure civile impose au juge de « donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ». On peut donc imaginer la requalification par le juge d’obligation de moyens en obligation de résultat.
3-51 – 2) L’encadrement des clauses abusives dans les contrats d’adhésion (C. civ., art. 1171). – Ce contrôle n’est pas opéré sur l’objet principal du contrat, ni sur la corrélation entre le prix et la prestation. Il permet, comme indiqué précédemment, de priver d’effet une clause non négociable et déterminée à l’avance par l’une des parties déséquilibrant significativement les droits et obligations des cocontractants. Ici encore, cette appréciation est laissée au juge et dépendra des circonstances de chaque espèce. Une clause limitative ou élusive de responsabilité pourrait très certainement être qualifiée d’abusive, tout dépendant en pratique de son objet et de ses conséquences85.
3-52 En outre, les articles L. 442-1 à L. 442-8 du Code de commerce (C. com., art. L. 442-1 à L. 442-8), susvisés, pourraient également servir de base à une mise en cause de la responsabilité des auteurs de ces clauses limitatives ou élusives de responsabilité86.
3-53 Les plateformes numériques tentent donc de limiter a maxima leur responsabilité. Leur engagement envers les utilisateurs est encore amoindri par les faibles garanties offertes par la plupart des acteurs actuels.
3-54 Les obligations des opérateurs de places de marchés en ligne résultent des contrats qu’ils concluent avec leurs utilisateurs. Concernant les rapports entre les utilisateurs, les plateformes s’exonèrent généralement de toute garantie, sous réserve des législations existantes87.
3-55 Les obligations découlant des conventions unissant les opérateurs à leurs utilisateurs, professionnels ou non, dépendent de la nature du contrat.
Le contrat de courtage : comme indiqué précédemment88, il est le plus répandu dans ce domaine. L’obligation principale du courtier est d’assurer l’entremise des futurs cocontractants. Cela se traduit en réalité par une technique informatique permettant la mise en relation des utilisateurs sur une plateforme. Les opérateurs doivent donc assurer l’accès et le bon fonctionnement de leur site internet. Cette obligation est de moyens et non de résultat, de sorte que l’inexécution ne sera source de responsabilité que si l’utilisateur prouve :
d’une part, que la plateforme n’a pas permis l’accès à son site internet ;
et, d’autre part, que ce manquement est dû à une négligence que n’aurait pas commise une « personne raisonnable ». Il s’agit donc de comparer le comportement de l’opérateur avec un modèle de référence agissant de manière à exécuter ses obligations89.
De même, les plateformes ne peuvent déréférencer librement un utilisateur et/ou ses produits. Une telle pratique serait cause de responsabilité, sauf si elle est justifiée notamment par une inexécution par l’utilisateur de ses propres obligations.
En tout état de cause, les plateformes ne peuvent être tenues pour responsables de la non-conclusion du contrat entre ses usagers ou de l’inexécution par l’un d’eux de ses obligations90. Ainsi, si le service rendu n’est pas conforme ou le bien livré endommagé par exemple, la plateforme ne peut voir sa responsabilité engagée. L’exception résulte des conditions générales de l’opérateur, lorsque celui-ci garantit expressément l’exécution de leurs obligations par ses utilisateurs91.
Le courtage « classique » dans un environnement non numérique génère habituellement une obligation du courtier de contrôler l’identité, le sérieux et la solvabilité de ses clients. Il est toutefois communément admis92 que l’application de ces solutions jurisprudentielles au courtage en ligne est incertaine, en raison de son caractère totalement impersonnel.
Il semblerait en outre que l’opérateur de plateforme en ligne, en sa qualité de courtier, puisse être condamné sur le fondement de l’article L. 442-2 du Code de commerce (C. com., art. L. 442-2) relatif à l’interdiction de revente hors réseau93.
3-56 Concernant le contrat de mandat, les obligations du mandataire découlent des articles 1991 et 1992 (C. civ., art. 1991 et 1992) du Code civil. Tout dépend donc des missions mises à la charge de l’opérateur dans le contrat, leur inexécution entraînant une responsabilité en cas de faute de gestion.
3-57 – Les obligations découlant de législations particulières. – Outre ces obligations résultant du type de contrat liant la plateforme à ses utilisateurs, diverses sources de responsabilité découlent de législations particulières, notamment celle relative au e-commerçant. En effet, la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN)94 prévoit en son article 15, I que « toute personne physique ou morale exerçant l’activité définie au premier alinéa de l’article 1495 est responsable de plein droit à l’égard de l’acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d’autres prestataires de services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci. ». Une incertitude existe quant à l’application de cette disposition aux plateformes numériques dans la mesure où le texte vise uniquement « l’acheteur ». Toutefois, la référence à « toute personne physique ou morale exerçant » une activité de commerce électronique et aux « prestataires de services » laisse penser à une application plus large, notamment aux plateformes en ligne96. Cette interprétation, défendue par de nombreux auteurs, permet de justifier le fondement d’une responsabilité de plein droit, éventuellement du fait d’un tiers, et contrecarrer la pratique des plateformes qualifiant leurs obligations de moyens, et non de résultat.
Cette responsabilité de plein droit concerne exclusivement les engagements de la plateforme résultant du contrat de marketplace ci-dessus examinés, et non l’exécution par ses utilisateurs de leurs propres obligations. Cela a pour objectif de faciliter l’indemnisation des usagers, lesquels ont simplement à apporter la preuve de l’inexécution pour obtenir réparation. La plateforme ne pourra échapper à sa responsabilité qu’en « apportant la preuve que l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable, soit à l’acheteur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d’un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat, soit à un cas de force majeure »97. Cette responsabilité de plein droit pourra notamment être activée en cas de fuite des données personnelles, ou encore en cas de dysfonctionnement du service de paiement en ligne ou de l’hébergement du site.
3-58 D’autres causes de responsabilité, qui ne sont pas propres aux plateformes en ligne, ne feront pas ici l’objet de développement98.
3-59 Les législations tant nationales qu’européennes tentent donc de réguler l’activité nouvelle des plateformes numériques. Il est tenu compte du déséquilibre significatif qui peut exister entre les opérateurs en ligne et leurs utilisateurs. Malheureusement, il existe encore un certain nombre d’incertitudes quant au champ d’application de ces législations, notamment dans un contexte international, et leur caractère d’ordre public ou supplétif. Les conditions générales de ces contrats d’adhésion sont trop souvent l’occasion de limiter les obligations et la responsabilité des acteurs face à des parties plus faibles, même professionnelles.
Face à cette « irresponsabilité des géants du numérique »99, la Commission européenne a publié le 15 décembre 2020 deux projets de règlements européens :
le Digital Service Act, destiné à lutter contre la diffusion de contenus et produits illicites, dangereux ou contrefaits ;
et le Digital Markets Act, destiné à créer des obligations graduées à la charge des plateformes numériques, dépendant de leur importance sur le marché.
L’objectif est une adoption avant début 2022 pour une régulation des plateformes numériques100.
Lors de la phase des négociations, fondée également sur le principe de la bonne foi, certaines obligations précontractuelles d’information s’imposent aux parties. Pour les exécuter, elles peuvent désormais s’appuyer sur les outils offerts par le numérique.
3-60 Les outils mis à la disposition des futurs cocontractants par le monde du numérique s’avèrent particulièrement utiles dans le domaine de la transmission de données et plus particulièrement pour l’exécution de l’obligation d’information de droit commun (Sous-section I). Au-delà de ces outils, certains contrats dits « de commerce électronique » sont proposés à distance et conclus par voie électronique. Le législateur les a encadrés en créant notamment une obligation spéciale d’information (Sous-section II).
3-61 Le Code civil, tel que remanié par la réforme du droit des obligations résultant de l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, intègre désormais officiellement une obligation d’information lors de la phase des pourparlers. Cette obligation d’information est en pratique fréquemment confrontée à l’univers du numérique (§ I), dont les outils permettent le transfert et la délivrance de l’information (§ II).
3-62 – La délivrance de l’information au stade de la formation du contrat a fait l’objet d’une évolution lente. – Pendant longtemps, le législateur a considéré que chaque partie aux négociations était responsable et donc apte à s’informer par elle-même. Ce n’est qu’à partir du milieu du XXe siècle qu’un mouvement se crée avec une différenciation entre les parties destinée à assurer leur protection en fonction de leur vulnérabilité101. Certaines sont considérées plus faibles que d’autres et donc méritant une protection particulière. L’économie évolue et creuse les différences entre les cocontractants. Il est établi qu’un marché efficient est un marché sur lequel l’information est fluide, transparente et fiable102. Afin d’assurer la confiance des parties faibles, la jurisprudence d’abord103, la loi ensuite104, a instauré une obligation précontractuelle d’information. Le nouvel article 1112-1 du Code civil (C. civ., art. 1112-1) impose ainsi à « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre [de] l’en informer dès lors que légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ». L’information sur l’estimation de la valeur de la prestation est ensuite expressément exclue par l’alinéa 2 du même article. Ce devoir, d’ordre public (al. 5), peut mener à une mise en cause de la responsabilité extracontractuelle de la partie défaillante, et si le contrat est conclu, à son annulation sur le fondement des vices du consentement105.
3-63 La voie électronique est aujourd’hui omniprésente dans les échanges, notamment lors des négociations. Elle s’avère particulièrement pratique pour les communications entre les parties, outre les outils ci-après analysés facilitant les transmissions d’informations. Une directive européenne 2000/31/CE du 8 juin 2000106 transposée dans le Code civil aux articles initialement numérotés 1369-1 à 1369-9 et désormais 1125 à 1127-6 (C. civ., art. 1125 à 1127-6), encadre les contrats conclus par voie électronique.
3-64 – La transmission des informations et stipulations par voie électronique. – L’article 1125 du Code civil (C. civ., art. 1125) entérine la possibilité de transmettre par voie électronique des stipulations contractuelles ou des informations sur des biens et des services. L’obligation précontractuelle d’information peut donc être exécutée de manière dématérialisée. Toutefois, le courrier électronique ne peut être utilisé que sur autorisation expresse et préalable de son destinataire (C. civ., art. 1126) pour toute transmission d’information en vue de la formation d’un contrat. En pratique, il semble opportun, si une convention encadrant les négociations est signée entre les parties, d’y intégrer une autorisation d’utilisation des courriers électroniques. Pour les professionnels mettant à disposition de leurs clients des formulaires de renseignements, un système de case à cocher d’autorisation préalable est également à privilégier.
3-65 S’agissant des professionnels, le Code civil les distingue des particuliers, ce qui est suffisamment rare pour être souligné dans ce réceptacle du droit commun des contrats. L’article 1127 du Code civil (C. civ., art. 1127) présume en effet l’accord préalable du professionnel nécessaire à la transmission par voie électronique des informations précontractuelles dès lors que ce dernier aura transmis son adresse e-mail. Il en sera par exemple ainsi lorsque le site internet d’une société mentionnera une adresse de contact. Cette présomption permet de fluidifier les échanges et d’éviter une remise en cause de l’exécution de l’obligation d’information. Il serait d’ailleurs peut-être opportun de l’étendre aux particuliers en supprimant simplement la mention de professionnel de l’article 1127 du Code civil. En effet, dans l’hypothèse où une adresse e-mail est transmise par un client, il semble légitime de penser que l’on peut librement l’utiliser pour lui transmettre valablement les informations précontractuelles sans lui demander son autorisation préalable.
3-66 L’obligation précontractuelle d’information peut donc s’exécuter par la voie numérique, notamment pour les professionnels. Les nouvelles technologies permettant de faciliter la communication et plus spécialement l’exécution de cette obligation d’information sont par ailleurs très nombreuses.
3-67 Le numérique offre de nombreux outils susceptibles d’assister les parties dans la délivrance de l’information due dans le processus de formation du contrat. Certains d’entre eux facilitent uniquement la mise à disposition de l’information, d’autres vont plus loin en délivrant eux-mêmes cette information.
3-68 Parmi les outils de support des données, le principal est la plateforme d’accès, ou data room. Celle-ci consiste en un espace dématérialisé accessible à plusieurs avec des logins et mots de passe. Elle présente plusieurs avantages, disponibles ou non en fonction de son perfectionnement, parmi lesquels on répertorie :
un accès sécurisé ;
une capacité de stockage bien plus importante que les e-mails par exemple ;
une possibilité de télécharger les éléments partagés pour en assurer la conservation ;
un système de questions-réponses permettant les échanges entre les parties à la négociation au sujet des pièces communiquées ;
la mise à disposition de questionnaires clients avec une intégration automatique des données enregistrées107 ;
une conservation des données pour la période de la data room.
Dans une moindre mesure, les simples liens de téléchargement sont également des outils permettant de délivrer l’information de manière plus fluide. Ceux-ci ont pour avantage de transmettre en un envoi des données d’une taille bien supérieure à la capacité d’un e-mail108. Cela a pour effet d’éviter une information diluée, un e-mail oublié, ou encore un envoi non abouti passé inaperçu dans une masse plus importante. Toutefois ces liens ont des durées de validité limitées, et certains utilisateurs n’ont pas encore pris l’habitude de télécharger les pièces dans le temps qui leur était imparti.
3-69 – Un autre outil de support est le legal design109. – Ce terme est apparu en France dans le courant de l’année 2015, reprenant les développements de Margaret Hagan110 apportant la première approche réfléchie en la matière. Le legal design a pour objectif, au moyen d’une approche empathique, d’adapter un discours à son interlocuteur. Ce n’est alors plus au client d’essayer de comprendre l’information qui lui est communiquée, mais au professionnel de personnaliser son discours de manière à ce qu’il soit compréhensible par son destinataire. L’objectif est ici de transmettre l’information, mais surtout qu’elle soit intelligible et donc assimilée, en vue d’une bonne exécution des engagements contractuels.
Le legal design a pu être divisé en trois catégories111 :
le visuel design : lequel consiste à utiliser des schémas, des vidéos, des bandes dessinées pour expliquer une notion juridique112 ;
le design de service : le concept est ici de créer des outils répondant aux besoins des utilisateurs afin de leur délivrer l’information qu’ils attendent. Cela nécessite donc une étude de marché destinée à identifier les inquiétudes et les interrogations des clients, pour ensuite réfléchir aux moyens les plus efficaces de les rassurer et de les informer113 ;
le design organisationnel : cela consiste à établir une stratégie de management destinée à répondre aux attentes des utilisateurs114.
3-70 S’agissant des outils délivrant eux-mêmes l’information, le principal est le chatbot, ou agent conversationnel. Celui-ci est l’addition d’un bot, c’est-à-dire un robot consistant en un programme informatique destiné à reproduire un comportement humain, et d’un chat, c’est-à-dire une conversation instantanée. Un chatbot est donc un robot destiné à tenir une conversation en langage naturel avec un interlocuteur115.
On retrouve aujourd’hui les chatbots très couramment sur un certain nombre de sites internet116. Leur but est d’informer les utilisateurs sur des sujets récurrents et généralement simples. L’avantage est double : il permet une information immédiate et désengorge les services « humains » destinés à répondre aux questions plus complexes, de manière donc plus rapide et efficace. En outre, il existe souvent des traductions automatiques permettant un accès aux données dans plusieurs langues.
Il existe deux types de chatbot :
celui qui n’est pas doté d’intelligence artificielle et ne fait donc que rechercher dans sa base de données une réponse prédéfinie à une question prédéterminée ;
celui doté d’intelligence artificielle pouvant tenir une conversation plus fluide et naturelle en s’alimentant des réponses de son interlocuteur.
3-71 Les chatbots posent plusieurs questions juridiques :
tout d’abord celle de la preuve de la délivrance de l’information : suffit-il de mettre à disposition un chatbot avec une base de données pour considérer que l’information était accessible à l’utilisateur et donc délivrée ? L’article 1112-1 du Code civil (C. civ., art. 1112-1) dispose qu’« il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie ». Une fois que l’utilisateur aura prouvé qu’une information lui était due, il reviendra à l’entreprise ayant recours au chatbot de prouver que ce dernier a bien délivré l’information. À ce jour, il n’y a pas de jurisprudence en matière de chatbot et de preuve de la délivrance de l’information par ce biais. Il semble toutefois possible de considérer que le partage d’un chatbot avec une base de données permet de préconstituer la preuve de la mise à disposition de l’information, et donc de sa délivrance, à condition de pouvoir établir que le chatbot savait délivrer l’information conflictuelle ;
ensuite, celle de la perception par le robot de la compréhension de l’information par son destinataire. Certes, l’obligation d’information ne porte que sur la transmission, et non la compréhension. Toutefois le chatbot trouve ici ses limites par rapport à l’humain car, contrairement à ce dernier, l’agent conversationnel n’est pas capable de percevoir si l’information transmise est assimilée ou non. L’obligation d’information est donc remplie, mais sans assurer la protection souhaitée par le Code civil ;
enfin, celle de la responsabilité en cas d’erreur du chatbot : l’obligation d’information ne sera pas exécutée, et donc la responsabilité de son débiteur pourra être engagée, voire le contrat annulé.
3-72 L’obligation précontractuelle d’information s’intègre donc au monde du numérique, dont les outils permettent une exécution plus fluide et efficace. Les données et informations ainsi transmises présentent toutefois le risque d’être surabondantes et de ne pas mettre en évidence les informations essentielles.
À cette obligation de droit commun, s’ajoute une obligation spéciale aux contrats de commerce électronique.
3-73 Le commerce électronique est défini par l’article 14 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004117 comme « l’activité économique par laquelle une personne propose ou assure à distance et par voie électronique la fourniture de biens ou de services. Entrent également dans le champ du commerce électronique les services tels que ceux consistant à fournir des informations en ligne, des communications commerciales et des outils de recherche, d’accès et de récupération de données, d’accès à un réseau de communication ou d’hébergement d’informations, y compris lorsqu’ils ne sont pas rémunérés par ceux qui les reçoivent ». Cette définition crée un large champ d’application, sans distinction des professionnels et des consommateurs, auxquels l’obligation précontractuelle d’information spécifique au commerce électronique s’applique donc. Cette obligation se distingue de celle du Code civil par son contenu, d’une part (§ I), et par son régime, d’autre part (§ II).
3-74 La LCEN transpose pour partie la directive précitée du 8 juin 2000118 notamment son article 5 créant une obligation d’information spéciale. Il est précisé que celle-ci s’ajoute aux autres informations dont la transmission est déjà imposée par le droit communautaire. L’article 19 de la LCEN intègre donc au droit français cette obligation d’information qui a vocation à s’appliquer « sans préjudice des autres obligations d’information prévues par les textes législatifs et réglementaires en vigueur ».
3-75 Les auteurs119 divisent traditionnellement cette nouvelle obligation d’information en deux contenus distincts :
l’un relatif au prestataire ;
l’autre relatif à la prestation.
3-76 L’information relative au prestataire120 est destinée à permettre l’identification de la personne assurant ou proposant la fourniture d’un bien ou d’un service par la voie électronique. Les informations requises pour une personne physique sont ses prénom et nom, et pour une personne morale sa raison sociale, ainsi que pour tous, une adresse postale et électronique et un numéro de téléphone. Si le prestataire est inscrit au répertoire des métiers ou au registre du commerce et des sociétés, son numéro d’inscription doit également être fourni, avec son capital social et l’adresse du siège social. En cas d’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée, le numéro individuel d’identification est à fournir. Si le prestataire est soumis à un régime d’autorisation, l’autorité ayant délivré cette autorisation doit être rappelée. Enfin, s’il est membre d’une profession réglementée, les règles applicables à la profession exercée, le titre professionnel, l’État membre dans lequel il a été octroyé et l’ordre professionnel auquel il appartient doivent être indiqués. Il a ainsi été évoqué l’émergence d’un véritable « principe d’identification des parties »121. Cette obligation s’explique par la dématérialisation du contrat conclu à distance entre des parties qui ne se rencontrent pas physiquement et n’échangent pas de vive voix. Il est donc important, pour assurer la confiance nécessaire à la conclusion de toute convention, que le destinataire de cette proposition de service puisse identifier son auteur. D’autant plus qu’il existe désormais de nombreux labels et certifications permettant ensuite de s’assurer de la qualité du prestataire et de ses produits122.
3-77 L’article 19 de la LCEN ajoute que ces informations doivent être mises à disposition des utilisateurs via « un accès facile, direct et permanent utilisant un standard ouvert ». Cela tend à exclure les liens hypertextes et impose la communication des données de manière lisible par des logiciels classiquement présents sur des ordinateurs personnels, sans qu’il soit nécessaire d’installer des programmes particuliers.
Pour les sociétés, cette « obligation d’identification » ne présente pas une grande innovation dans la mesure où un certain nombre de ces informations sont déjà à communiquer sur les documents officiels123. L’apport de la LCEN en la matière concerne surtout la chronologie dans la mesure où ces données sont à indiquer avant la conclusion de tout contrat, et même en dehors de toute offre de contracter.
L’article 19 de la LCEN constitue en revanche une avancée dans les relations C to C pour lesquelles aucune obligation d’identification n’existait. Elle apparaît d’autant plus importante dans ces rapports que les consommateurs n’ont pas les obligations renforcées que peuvent avoir les professionnels. Il est donc primordial que les utilisateurs puissent s’identifier avant de contracter, notamment pour vérifier le sérieux de l’auteur de la proposition. L’idée ici encore est de créer la confiance nécessaire préalablement à la signature d’un contrat.
3-78 L’information relative à la prestation est double : elle concerne le prix et, pour les professionnels uniquement, les conditions contractuelles.
S’agissant de l’information sur le prix, celle-ci doit être communiquée de manière « claire et non ambiguë »124, et ce même si la proposition de service ou de bien n’emporte pas offre de contracter. Les éventuels frais et taxes de livraison doivent également être renseignés. L’article 19 de la LCEN précise que cette obligation d’information n’est pas exclusive des autres obligations tant législatives que réglementaires pouvant exister en matière de prix.
S’agissant de l’information sur les conditions contractuelles, l’article 1127-1 du Code civil (C. civ., art. 1127-1) impose au professionnel uniquement de mettre à disposition de ses clients les dispositions contractuelles « d’une manière qui permette leur conservation et leur reproduction ». L’objectif du législateur est de sécuriser et mettre le destinataire de l’offre en confiance préalablement à la prise de tout engagement par la communication des conditions du contrat à venir. L’emplacement de cette disposition dans le Code civil fait bénéficier de cette information tant le destinataire professionnel que consommateur. Toutefois, l’article 1127-3 (C. civ., art. 1127-3) du même code prévoit le caractère supplétif de cette obligation dans les relations entre professionnels et pour les contrats conclus exclusivement par voie de courriers électroniques. Il s’agit du résultat de la transposition de la directive précitée du 8 juin 2000 impérative dans les relations B to C125, mais simplement supplétive dans les relations B to B et C to C.
Cette obligation d’information imposée aux professionnels dépasse les seules conditions contractuelles puisqu’il est ensuite prescrit de transmettre également les étapes de conclusion du contrat par voie électronique ; les moyens techniques offerts au destinataire de l’offre pour détecter et corriger les éventuelles erreurs avant la conclusion du contrat ; les langues proposées pour le contrat, en ce compris le français ; les modalités d’archivage du contrat et de sa consultation ; et éventuellement, les règles professionnelles et commerciales auxquelles le professionnel se soumet.
3-79 Le contenu de l’information devant être communiqué dans le cadre du commerce électronique étant déterminé, il y a lieu de définir son champ d’application et les sanctions de son non-respect.
3-80 Le champ d’application de l’obligation précontractuelle d’information dans le commerce électronique dépasse tout d’abord le seul cadre de l’offre de contracter. Les articles 14 et 19 de la LCEN, reprenant l’article 5 de la directive du 8 juin 2000, visent « la proposition » de biens ou de services. Les auteurs126 distinguent cette proposition de la véritable offre au sens de l’article 1114 du Code civil (C. civ., art. 1114). Pourtant, l’obligation faite de fournir les informations relatives au prix et à la prestation ou le service proposé peuvent rapprocher cette proposition de l’offre. La différence se fait alors sur la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation, laquelle volonté ne se retrouve pas toujours avec les simples propositions. On peut d’ailleurs observer que l’article 1127-1 du Code civil (C. civ., art. 1127-1) crée le trouble sur ce point en évoquant tout d’abord la « proposition » puis « l’offre », tendant à la confusion des deux notions.
Ensuite, l’obligation relative à l’identité du prestataire et aux prix s’impose tant aux professionnels qu’aux particuliers, conformément à la directive transposée. Cette dernière fait la différence entre les « prestataires » et les « prestataires établis ». Les « prestataires » sont définis par la directive comme « toute personne physique ou morale qui fournit un service de la société de l’information », tandis que le prestataire établi est défini comme « le prestataire qui exerce d’une manière effective une activité économique au moyen d’une installation stable pour une durée indéterminée ». Contrairement à l’obligation d’information de l’article 1127-1 du Code civil réservée aux professionnels, comme rappelé dans les développements qui précèdent127, cette obligation relative à l’identité du prestataire et aux prix s’impose dans toutes les relations, y compris dans les relations B to B et C to C.
Enfin, l’obligation d’information de l’article 19 de la LCEN s’impose également aux « services tels que ceux consistant à fournir des informations en ligne, des communications commerciales et des outils de recherche, d’accès et de récupération de données, d’accès à un réseau de communication ou d’hébergement d’informations, y compris lorsqu’ils ne sont pas rémunérés par ceux qui les reçoivent »128. Ce qui signifie que les plateformes numériques, bien que ne jouant qu’un rôle d’intermédiaire, sont également concernées, tout comme les comparateurs et autres moteurs de recherche. Cela s’explique par le fait que l’utilisateur doit avoir un accès simple et direct à l’information.
3-81 Les sanctions de l’obligation précontractuelle d’information dans le commerce électronique ne sont pas évoquées par la directive du 8 juin 2000, ni par la LCEN et le Code civil. Il y a lieu de distinguer les sanctions en fonction de la nature des informations non transmises129.
Si le défaut de transmission porte sur les conditions contractuelles, l’article 1119 du Code civil (C. civ., art. 1119) dispose en son premier alinéa que « les conditions générales invoquées par une partie n’ont effet à l’égard de l’autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées ». La sanction est donc l’inopposabilité.
Si le défaut de transmission porte sur les informations relatives au prix, à la prestation ou au service, à la langue, ou encore à l’identification du prestataire, tout dépend des conséquences de ce manquement. Dans la mesure où ces informations peuvent être essentielles au consentement, notamment le détail de la prestation, le défaut de communication peut être sanctionné sur le terrain du droit commun des contrats par la nullité. Celle-ci résulte alors d’un vice du consentement : erreur ou dol. S’agissant de l’erreur sur la valeur, elle n’est pas en elle-même cause de nullité (C. civ., art. 1136), sauf en cas d’erreur sur une qualité essentielle se répercutant sur la valeur ou en cas de dol portant sur la valeur de la prestation contractuelle (C. civ., art. 1139). Si le défaut de communication empêche la rencontre des volontés sur les éléments essentiels du contrat, comme le prix, alors le contrat n’a même pas pu se former. Dans l’hypothèse où le défaut d’information n’entraînerait pas un vice du consentement, la responsabilité du prestataire pourrait être engagée avec l’octroi de dommages-intérêts. L’intérêt d’une convention régissant les négociations se retrouve ici aussi avec l’encadrement de cette responsabilité basculant dans le domaine contractuel. Toutefois, les contrats de commerce électronique ne sont pas majoritairement ceux pour lesquels de tels accords se retrouvent. La responsabilité du prestataire relève donc a priori du domaine délictuel. La doctrine reste dans l’attente de jurisprudence en la matière.
La responsabilité délictuelle est plus intéressante pour la victime pour deux raisons :
la première concerne l’étendue du dommage réparé : lorsque la responsabilité est de nature délictuelle, la totalité du préjudice est indemnisée, alors que la responsabilité contractuelle se limite à la réparation du seul dommage prévisible ;
la seconde concerne la prohibition des clauses limitatives ou élusives de responsabilité en matière délictuelle, alors qu’elles peuvent être autorisées en matière contractuelle.
3-82 En dehors du secteur des plateformes numériques, où le contrat d’adhésion est roi, le monde numérique connaît également des contrats négociés par les parties. La tenue des pourparlers devant ou non mener à des accords contractuels doit se faire dans le respect du principe de confidentialité (C. civ., art. 1112-2). Lequel principe est en pratique mis à l’épreuve dans l’environnement digital.
3-83 Lors de la période précontractuelle des négociations, les parties doivent se montrer vigilantes face aux risques du numérique sur la confidentialité (Sous-section I) et anticiper en utilisant les remèdes existant pour une cybersécurité (Sous-section II).
3-84 Le Code civil comprend désormais une obligation légale de confidentialité au cours des pourparlers (§ I), à laquelle les parties doivent se conformer malgré les particularités des échanges sous format numérique (§ II).
3-85 L’encadrement des négociations antérieurement à l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats était jurisprudentiel. Une obligation de confidentialité fondée sur le devoir de bonne foi avait ainsi été dégagée et fermement établie par les juges130. La responsabilité extracontractuelle des parties à la négociation pouvait être mise en cause en cas de divulgation d’informations confidentielles obtenues lors de la phase des négociations. Il était toutefois préférable d’encadrer ce devoir de confidentialité avec des accords précontractuels, définissant les informations couvertes par ce devoir et la sanction de la violation de cette obligation par le biais des clauses pénales131.
3-86 La réforme du droit des contrats a créé un article 1112-2 au sein du Code civil (C. civ., art. 1112-2) sous l’influence des projets d’harmonisation des droits des contrats aux niveaux international et européen132 et de la demande des praticiens en manque de cadre légal. Cette nouvelle disposition sanctionne « celui qui utilise ou divulgue sans autorisation une information confidentielle obtenue à l’occasion des négociations ». Elle est le corollaire de l’obligation d’information mise à la charge des parties conduisant des pourparlers. L’article 1112-1 du Code civil (C. civ., art. 1112-1) impose en effet à celui qui connaît une information déterminante du consentement de l’autre de la lui divulguer lors de la tenue des pourparlers133. Afin de garantir le secret de ces informations, il est donc imposé à celui qui les reçoit de ne pas les diffuser, ni de les utiliser. La sanction du non-respect de cette obligation est déterminée à l’article 1112-2 du Code civil (C. civ., art. 1112-2) qui prévoit la mise en cause de la responsabilité de l’auteur de la faute dans les conditions de droit commun.
3-87 La responsabilité, de nature délictuelle à défaut d’accord encadrant les négociations134, ne pourra être engagée qu’à la condition qu’une partie aux pourparlers utilise elle-même des informations obtenues lors des négociations135 ou les divulgue à un tiers sans l’autorisation de celui qui les lui a communiquées. Il reviendra à celui demandant une indemnisation de prouver le caractère confidentiel de l’information, le défaut d’autorisation et donc la faute de l’autre partie, l’existence d’un préjudice et d’un lien de causalité entre l’utilisation ou la divulgation fautive et le préjudice subi. Le caractère confidentiel d’une information peut en pratique s’avérer difficile à appréhender si les parties n’ont pas pris le soin de le définir préalablement. Les accords de confidentialité développés avant la réforme du droit des obligations conservent donc leur intérêt afin d’éviter tout conflit sur la définition des informations couvertes par le secret et de prévoir une clause pénale pour la sanction du non-respect de cette obligation136.
3-88 L’obligation de confidentialité lors de la phase des pourparlers étant désormais définie, il y a lieu de l’apprécier dans le cadre des échanges aujourd’hui nombreux sous la forme numérique.
3-89 – Les négociations peuvent être menées sous différentes formes. – L’article 1125 du Code civil (C. civ., art. 1125) dispose que : « La voie électronique peut être utilisée pour mettre à disposition (…) des informations sur des biens ou des services ». Les avantages du numérique en termes de rapidité, de conservation et de fluidité des échanges en font un outil privilégié et désormais omniprésent dans la tenue des pourparlers. Il crée toutefois de nouveaux risques pour la confidentialité des informations transmises. Le piratage apparaît comme une menace majeure, pouvant entraîner la divulgation des correspondances et des pièces jointes. Or la faute engendrant une responsabilité délictuelle peut résulter d’une simple négligence ou omission, aucun élément intentionnel n’étant nécessaire137. L’abstention dans l’action est caractérisée et source de responsabilité lorsque son auteur s’abstient de prendre les précautions nécessaires pour que son activité ne génère aucun dommage138. Il est donc tout à fait envisageable qu’une partie puisse devoir des dommages-intérêts pour divulgation d’une information confidentielle obtenue lors de pourparlers à défaut d’avoir protégé ces données contre le piratage. Dans l’hypothèse où ce piratage interviendrait lors de la transmission de l’information, il reviendrait alors à celui qui invoque la responsabilité de l’autre partie d’apporter la preuve de son manque de précaution fautif.
3-90 – Les participants à une négociation peuvent notamment utiliser, outre les e-mails, des plateformes d’échange de fichiers volumineux139 ou des data room140. – Lorsque la faille de sécurité menant à une divulgation de données confidentielles provient des prestataires proposant ces services numériques, leur utilisateur reste responsable. Se pose ensuite la question d’un éventuel recours de la partie ayant divulgué une information à son insu contre la plateforme ou le diffuseur de la data room utilisée et d’où provient la faille de sécurité. L’étude des conditions générales des principaux acteurs en la matière révèle un silence total ou une exonération de responsabilité des opérateurs en cas de faille de sécurité141. Certains sites ne mentionnent nulle part la sécurité des données, laquelle n’est pas annoncée comme une caractéristique de la plateforme142 : manœuvre habile pour échapper à toute revendication en cas de faille sécuritaire et de fuite de données, sous la réserve de la protection des données personnelles. S’agissant des plateformes présentant la sécurité des échanges comme une caractéristique principale du service proposé, et donc une obligation essentielle du prestataire, une clause limitative ou élusive de responsabilité pourrait être réputée non écrite sur le fondement de l’article 1170 du Code civil (C. civ., art. 1170). L’article 1171 du même code (C. civ., art. 1171) dans les contrats d’adhésion et la législation du Code de la consommation sur les clauses abusives pourraient également servir de fondement pour écarter les décharges partielles ou totales de responsabilité des plateformes d’échange ou opérateurs de data room en cas de faille sécuritaire lorsque la sécurité des échanges est affichée comme une caractéristique de la prestation.
3-91 Face aux dangers que présentent les échanges numériques dans les négociations, les parties peuvent se prémunir en ayant recours aux différents remèdes existant pour une cybersécurité.
3-92 Les négociations, et plus précisément l’obligation de confidentialité durant les pourparlers, peuvent être encadrées par des accords contractuels (§ I). La sécurité des échanges par voie numérique peut en outre être assurée par l’utilisation du chiffrement (§ II).
3-93 La phase des pourparlers peut être encadrée par un accord des parties à la négociation, faisant ainsi entrer cette période dans la sphère contractuelle. Cet encadrement peut prendre différentes formes telles que la lettre d’intention, l’accord préparatoire, le contrat temporaire, ou encore le contrat de négociation143. Le principe général est de fixer des règles applicables aux relations entre les parties jusqu’à la conclusion ou non du contrat négocié144. S’agissant de la confidentialité, ces accords précontractuels présentent divers avantages :
1) la détermination des informations considérées comme confidentielles : la convention délimite les données qualifiées de secrètes et protégées par la confidentialité des échanges, de manière à faciliter ensuite la preuve de l’existence d’une faute en cas de divulgation ou d’utilisation de données échangées pendant la phase des négociations. L’accord doit sur ce point être suffisamment précis pour éviter tout débat sur le caractère confidentiel ou non d’une information. Par ailleurs, la convention ne doit pas se heurter à certaines obligations d’information ou de loyauté, notamment d’un dirigeant de société envers les associés ;
2) la détermination des personnes à qui les informations définies comme confidentielles peuvent être transmises. En établissant une liste limitative des destinataires de l’information, toute communication à un interlocuteur autre sera qualifiée de faute sanctionnable. En effet, plusieurs acteurs interviennent dans les négociations en dehors des parties mêmes, notamment leurs conseils juridiques. Il est important que ces personnes puissent avoir accès aux informations confidentielles sans que les parties risquent une sanction. Afin de renforcer la sécurité des échanges, il est possible de prévoir que les parties se portent fort pour leurs conseils du respect de la confidentialité. Il est également possible de porter officiellement l’accord précontractuel à la connaissance de ces intervenants afin de pouvoir engager leur responsabilité délictuelle en cas de non-respect145, voire de les faire intervenir à l’accord pour engager leur responsabilité contractuelle ;
3) définir la faute en imposant aux parties l’emploi de systèmes de sécurité prédéfinis. Ainsi, celui qui n’utiliserait pas les moyens déterminés dans l’accord pour assurer la confidentialité des informations échangées engagerait de plein droit sa responsabilité contractuelle (obligation de résultat). Au contraire, l’emploi de ces systèmes le mettrait à l’abri de toute revendication en cas de fuite d’informations malgré les précautions prises, si cela ne résulte pas d’une malveillance de sa part ;
4) délimiter dans le temps l’obligation de confidentialité : le secret des échanges, pour être efficace, doit se poursuivre après la fin des négociations. Il convient donc de définir précisément la période pendant laquelle l’accord s’appliquera et de le faire perdurer pendant une durée raisonnable à la fin des pourparlers. À défaut de stipulation d’une durée déterminée, l’accord serait résiliable à tout moment après un préavis, en vertu de la prohibition des engagements perpétuels ;
5) prévoir une sanction en cas de violation de l’obligation de confidentialité : comme dans tout contrat, il est possible de prévoir la sanction de la violation de l’obligation de confidentialité sous forme de clause pénale (C. civ., art. 1231-5). Cette sanction conventionnelle permettra de contourner l’indemnisation souvent faible résultant de l’application de l’article 1112-2 du Code civil (C. civ., art. 1112-2) ;
6) déterminer la loi applicable et la juridiction compétente : dans l’hypothèse d’un accord précontractuel présentant un élément d’extranéité, les parties pourront y déterminer la loi applicable, conformément à l’article 3 du règlement Rome I no 593/2008 du 17 juin 2008. De même, la juridiction compétente en cas de litige pourra être déterminée de manière anticipée, conformément à l’article 23 du règlement (CE) no 44/2001 du 22 décembre 2000.
3-94 Outre l’encadrement des négociations, l’utilisation des systèmes ayant recours à la méthode du chiffrement assure la sécurité des échanges.
3-95 Le chiffrement peut se définir comme « un procédé cryptographique permettant de rendre la compréhension d’un document impossible en l’absence d’une clé de déchiffrement »146. Il peut être symétrique ou asymétrique147.
3-96 – Le chiffrement peut être symétrique. – Une seule clé sert à chiffrer et déchiffrer. Plus cette clé est communiquée, plus le risque qu’elle tombe entre les mains de personnes mal intentionnées est accru. La transmission de la clé de manière sécurisée entre les personnes souhaitant échanger des informations est l’inconvénient de ce type de chiffrement appelé « problème de distribution des clés »148. Ce système permet d’assurer la confidentialité des données transmises avec rapidité, mais n’est pas adapté à des échanges entre de nombreux protagonistes en raison du risque de perte de la clé lors de sa transmission. La communication de cette clé de chiffrement en toute sécurité nécessite soit une rencontre physique des parties, soit une transmission par un autre procédé sécurisé : le chiffrement asymétrique.
3-97 – Le chiffrement peut être asymétrique. – Il existe alors deux types de clé :
une clé publique qui doit être communiquée à son interlocuteur et qui peut l’être librement sans problème de sécurité car elle est liée à une clé privée et inutile sans cette clé privée ;
une clé privée propre à chacun et qui ne doit en aucun cas être communiquée.
La clé publique peut alors servir à chiffrer un message qui ne sera déchiffrable que par la clé privée du destinataire du message : même si un tiers intercepte la clé publique, il ne pourra pas déchiffrer le message car seule la clé privée en sera capable ; les deux clés étant liées par un procédé de chiffrement extrêmement complexe et donc très difficile à décoder.
Par exemple, A et B sont en négociation pour la conclusion d’un contrat et ont des données confidentielles à échanger sur les caractéristiques d’un brevet. A et B ont chacun une clé privée et une clé publique, A donne sa clé publique à B et B donne sa clé publique à A. Lorsque A voudra envoyer des informations secrètes à B, il les chiffrera avec la clé publique de B, qui pourra les déchiffrer avec sa clé privée. Et inversement, si B souhaite transmettre des données à A, il les chiffrera avec la clé publique de A et les lui adressera, A les déchiffrera avec sa clé privée. Si un tiers intercepte la clé publique ou le message codé, il n’aura pas la combinaison pour le décoder car la clé publique n’a pas cette fonction.
Ce type de chiffrement présente un risque : un tiers mal intentionné peut intercepter les clés publiques :
Un tiers appelé C peut intercepter la clé publique de A lors de sa transmission à B, la conserver, et générer une fausse clé publique qu’il transmettra à B. Ainsi C aura la clé publique de A et sa propre clé privée et C aura communiqué sa clé publique à A et B en se faisant passer respectivement auprès de A pour B et auprès de B pour A. A pensera avoir la clé publique de B alors qu’il aura celle de C et pensera avoir communiqué sa clé publique à B alors qu’il l’aura communiquée à C et inversement avec B. Lorsque A pensera envoyer un message à B en utilisant le chiffrement via sa clé publique, il codera en réalité le message avec la clé publique de C, que C recevra et pourra décoder avec sa clé privée. C pourra également envoyer des messages codés avec les clés publiques de A et B qu’il aura interceptées, le destinataire du message ne pourra pas savoir que l’émetteur du message n’est en réalité pas celui attendu.
Un remède existe à ce risque : les certificats. Une autorité certificatrice se charge de vérifier l’identité de l’émetteur de la clé en lui demandant des informations privées (prénoms, nom, adresse mail…) et une signature électronique. Après la vérification de l’identité de l’émetteur de la clé, il lui remet un certificat avec une durée de validité, une clé publique, les informations sur la personne et la signature électronique de l’autorité de certification. Cette signature électronique permettra de prouver que le certificat a été validé par l’autorité, qui aura vérifié les informations de la personne ayant demandé le certificat. Elle assure l’intégrité des informations contenues dans le certificat et garantit donc contre les falsifications. Le tout est crypté avec la clé privée de l’autorité de certification. La clé publique peut donc être transmise avec la garantie de la personne émettrice.
3-98 Le chiffrement, et plus particulièrement le chiffrement asymétrique, apparaît comme un outil très utile pour assurer la confidentialité des échanges lors de la négociation des contrats. Il semble opportun, dans les accords précontractuels encadrant les opérations de pourparlers, d’imposer l’utilisation d’un tel canal sécurisé pour la communication des informations confidentielles.
3-99 Une fois la phase précontractuelle achevée, s’ouvre celle de la rencontre des volontés, menant à la conclusion du contrat.
consommateur : toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ;
non-professionnel : toute personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles ;
professionnel : toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’elle agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel ».
Le site BlueFiles, quant à lui, affiche dès sa page d’accueil la confidentialité des échanges et la sécurisation des données par une méthode de chiffrement : https://mybluefiles.com/fr/. Les conditions générales écartent en revanche toute responsabilité de la plateforme : « L’utilisateur dégage la responsabilité de mybluefiles.com pour tout préjudice qu’il pourrait subir ou faire subir, directement ou indirectement, du fait des services proposés ». La légalité d’une clause exonératoire au regard de la législation sur les clauses abusives entre professionnels et consommateurs et dans les contrats d’adhésion semble très contestable.
Les conditions générales de l’Espace notarial mis à disposition des notaires par l’Association Paris Notaires Services n’évoquent pas le sujet de la responsabilité de la plateforme en cas de faille sécuritaire, mais uniquement la protection des données personnelles.