2-277 La conception numérique de l’immeuble via le BIM sera abordée dans une première section de présentation du concept de BIM (Section I), suivi d’une deuxième section de présentation de l’organisation du BIM qui a différents niveaux (Section II). Cette présentation conduira ensuite à une analyse de la normalisation du secteur de la construction dont le BIM constitue un vecteur (Section III). Enfin, une dernière section sera consacrée à l’emploi du BIM en France (Section IV).
2-278
Avant l’émergence de l’informatique, les constructions étaient matérialisées par les dessins de l’architecte, d’un géomètre ou d’une entreprise qualifiée, dans le meilleur des cas avec des cotes et/ou une échelle.
Du fait de la contrainte pratique que représentaient la production mais aussi la lecture de tels plans, le niveau de détail et de précision sur chaque plan était limité, et chaque plan devait poursuivre un objectif informationnel propre à défaut de pouvoir zoomer. Les plans étaient donc redessinés plusieurs fois pour montrer différents niveaux de détail. Par ailleurs, il était malaisé d’apporter des corrections à la marge ou des mises à jour de plan, une nouvelle version devant remplacer la précédente.
Il n’est effectivement pas rare, encore aujourd’hui, de retrouver d’anciens plans de permis de construire comprenant des ratures, annotations ou encore dessins calqués sur l’original du plan.
Ce mode de production itératif et chronophage n’a toutefois pas empêché l’homme de produire des ouvrages complexes et parfaitement exécutés.
– L’arrivée de l’informatique dans la conception. – Dès l’arrivée de l’informatique dans les années 1950-1960, des architectes et ingénieurs se sont interrogés sur la capacité d’assister le dessin par ordinateur397 en même temps que sur la possibilité de renseigner des qualités et paramètres d’objets dans la machine398. L’idée était de modéliser le processus d’élaboration du projet et de s’appuyer sur l’ordinateur pour la conception.
C’est l’arrivée des premiers ordinateurs domestiques dans les années 1980 avec le fameux Macintosh qui a lancé la digitalisation du processus de conception de l’immeuble, avec le développement des premiers logiciels de DAO/CAO, et notamment le plus connu, AutoCAD, qui se voulait un logiciel ouvert et totalement paramétrable par l’utilisateur (polices de caractère, types de lignes, hachures, menus déroulants, menus tablettes, programmes externes, aides, macro-commandes, programmes complémentaires, etc.).
Lorsque les logiciels de DAO/CAO ont été introduits dans le domaine de l’architecture, le processus de dessin a été grandement facilité et, en pratique, ces logiciels sont rapidement devenus une exigence dans la plupart des entreprises tant leur apport en termes de productivité et de délai de réalisation était important. Les logiciels de dessin/conception ont permis aux techniciens d’apporter des changements rapides et efficaces à n’importe quel aspect d’une conception sans avoir à recommencer l’ensemble du projet.
– Les bases de données au service de la conception. – L’informatique a également permis de stocker des informations sur les objets de la construction, parfois génériques, et les premières bases de données orientées objet apparues dans les années 1990 ont permis de rendre les plans « intelligents ».
Cette évolution a été majeure tant pour les architectes que pour les techniciens et ingénieurs en conception, pour des applications structurelles telles que les bâtiments, les ponts et autres ouvrages. De nombreux ouvrages complexes n’auraient jamais pu être réalisés sans ces avancées technologiques couplant des fonctions géométriques et des informations sur les objets. La complexité de ces logiciels implique une grande puissance de calcul et des ordinateurs performants et plus coûteux.
Au fil du temps, les logiciels de DAO/CAO se sont étoffés de nouvelles fonctionnalités, telles que la capacité de présenter un bâtiment sous n’importe quel angle, de générer une animation du projet, de procurer des visites virtuelles de l’intérieur et de l’extérieur d’un bâtiment, de renseigner des caractéristiques techniques d’ouvrage, des modules de calcul ou encore la simulation de comportement de l’objet conçu. Ces logiciels couplent la représentation graphique et le stockage d’informations sur les objets permettant d’avoir une vue interactive de l’ouvrage.
Vidéo de présentation d’Architrion, issue de travaux d’étudiants de l’École des Mines de Douai, qui est probablement l’un des tout premiers logiciels avec une approche base de données, objet et représentation 3D s’approchant d’une maquette BIM, fonctionnant sur un MAC 2 (Apple Power & Motion, 20 sept. 1989) :
https://www.youtube.com/watch?time_continue=122&v=ncdq4I34Yy4&feature=emb_logo
– Du dessin à l’objet. – Cette capacité à coupler représentation graphique et données a fait glisser progressivement la méthode de conception vers une approche dite « objet » et non « dessin ». Cette approche a donc inversé la procédure originelle qui partait du dessin pour arriver à la description des objets. Aujourd’hui les logiciels de DAO/CAO permettre de programmer un ensemble d’objets virtuels dont il sera tiré les livrables et documents 2D (ou 3D).
– Les limites des logiciels. – Les logiciels de DAO demeurent des outils de représentation de l’ouvrage, et la démarche de CAO reste un outil de modélisation et de calcul des contraintes d’objets et d’ouvrages ; mais aucun des deux n’a vocation à organiser et régir l’acte de construire même si des données de plus en plus nombreuses y sont stockées. Les différents acteurs de la construction travaillent toujours sur des outils différents et de manière plus ou moins ordonnée, avec une réconciliation à faire au fil du temps entre les plans et référentiels de chacun en tenant compte des ouvrages effectivement réalisés. Les données produites par les différents acteurs sont stockées de manière désordonnée, et il est donc toujours possible de faire des erreurs, avec les conséquences financières et environnementales que cela peut avoir non seulement sur l’acte de construire, mais également sur la poursuite de l’exploitation de l’immeuble.
En résumé, la conception augmentée grâce au numérique est arrivée à son paroxysme pour les architectes et ingénieurs, mais la construction reste malgré tout assez faiblement industrialisée. Cela s’explique principalement par le séquençage et l’éclatement des tâches entre les différents intervenants, entreprises, et bureaux d’études de la construction qui ne sont pas administrés en optimisant le potentiel du numérique, tant dans la conception que dans la constitution de bases de données fiables et interopérables.
Inspirée des méthodes de gestion du cycle de vie des produits industriels (GCVP ; en anglais Product Lifecycle Management [PLM]), qui permet de créer et d’entretenir les produits tout au long de leur cycle de vie, un nouveau modèle axé sur la collaboration et la production d’une maquette intelligente unique en trois dimensions, avec un langage technique uniforme, est toutefois en train d’émerger ces dernières années : il s’agit du BIM.
2-279 Le BIM vient de l’anglais Building Information Modeling, qui se traduit par « modélisation des informations du bâtiment » au sens générique (constructions et infrastructures). L’acronyme « BIM » peut également signifier Building Information Model en désignant plus particulièrement la maquette numérique issue de la procédure de Modeling, on encore Building Information Management pour le management de l’information. Le présent ouvrage retiendra la première signification élargie du BIM, au sens d’une procédure mettant en œuvre la maquette numérique, qui semble être l’acception française du terme « BIM »399.
2-280 – Définition du BIM. – Le BIM ne bénéficie pas encore d’une définition communément admise par les États ou les praticiens, car plusieurs approches sont possibles. Le BIM est avant tout une méthode de conception associée à une maquette numérique paramétrique 3D qui contient des données intelligentes et structurées. On peut citer la définition donnée par le Plan transition numérique dans le bâtiment (PTNB), qui le définit comme une « méthode de travail basée sur la collaboration autour d’une maquette numérique. Dans un processus BIM, chaque acteur de la construction crée, renseigne et utilise cette maquette, et en tire les informations dont il a besoin pour son métier. En retour, il alimente la maquette de nouvelles informations pour aboutir au final à un objet virtuel renseigné, représentatif de la construction, de ses caractéristiques géométriques et des propriétés de comportement »400.
2-281 – Le BIM se distingue de la maquette BIM. – Il faut bien distinguer le BIM, au sens de procédure, de la maquette BIM qui en est l’objet. Ainsi la maquette numérique mise en œuvre par le BIM est elle-même définie par lePTNB comme la « représentation numérique tridimensionnelle des caractéristiques fonctionnelles et/ou physiques de l’ouvrage. Elle est constituée d’objets et d’espaces identifiés et renseignés (nature, composition, propriétés physiques, mécaniques, comportement, performances…). Elle décrit l’ouvrage pendant tout ou partie de son cycle de vie : programmation, conception, réalisation, réception, livraison, exploitation, maintenance, déconstruction. La maquette numérique décrivant un ouvrage peut être unique ou constituée de la somme de maquettes et/ou modèles métiers complémentaires ».
2-282 – Un avatar numérique. – La démarche BIM consiste ainsi à construire simultanément un avatar numérique de l’immeuble, au format d’une base de données directement visualisable au travers de maquettes en trois dimensions, et d’un immeuble bien réel dont la construction/conception va nourrir la maquette et réciproquement.
2-283 – Le BIM, un outil collaboratif. – La procédure BIM permet une collaboration entre tous les intervenants d’un projet, soit par des échanges de données, soit en permettant une intervention sur un seul et même modèle. Avec le BIM, les analyses, contrôles, visualisation sont effectués en amont dans l’étude d’un projet, permettant ainsi une meilleure conception et la détection des problèmes avant l’ouverture du chantier. Ces modèles virtuels permettent d’effectuer des analyses et simulations (énergétiques, calcul structurel, détections des conflits, etc.), des contrôles (respect des normes, du budget, etc.) et des visualisations analytiques.
2-284
2-285 – Le BIM, une base de données symphonique. – Le BIM va bien au-delà d’une simple représentation 3D d’un immeuble, et constitue un processus global de programmation de la construction au moyen d’une base de données. Le BIM peut ainsi intégrer des dimensions de temps (4D), financières (5D) ou encore sur les cycles de vie de l’immeuble (6D) et l’environnement (7D).
Comme le souligne très justement le rapport « BIM et la transformation numérique du secteur de la construction », toute la richesse et la valeur ajoutée du BIM résident dans sa lettre centrale – le I – pour « informations » au sens de base de données, pour conclure que le BIM emploie la technologie du big data401.
Le BIM a connu un véritable essor ces dernières années, porté à la fois par la révolution numérique du bâtiment et par l’ensemble des acteurs de la construction, en ce compris les maîtres d’ouvrage qui en font désormais un critère de sélection dans les appels d’offres. Mais l’évolution en France semble plus lente qu’au Royaume-Uni ou aux États-Unis.
2-286 Le BIM constitue un protocole complexe qui est adopté progressivement par les acteurs de la construction sans nécessairement bouleverser les méthodes de travail actuelles. Cette adoption progressive se traduit par une graduation du stade d’adoption et de précision du BIM, selon des critères de niveau de collaboration de la démarche BIM (Sous-section I), et des critères de niveau de détail de la maquette issue de la démarche BIM (Sous-section II). Les deux sont interdépendants, un certain niveau de collaboration impliquant un certain niveau de détail des informations transmises pour produire la base BIM.
2-287 – Les trois niveaux du BIM. – En tant que processus de construction et technologie de représentation vivante et ordonnée de toutes les composantes d’une construction, le BIM peut bénéficier d’un niveau de détail et de collaboration plus ou moins avancé, que l’on peut classer en trois niveaux (0, 1, 2). Ces niveaux sont en fait des étapes intermédiaires vers le BIM parfait dit « de niveau 3 », selon la classification définie par le Royaume-Uni402, qui est celle communément admise en Europe et reprise par la Fédération française du bâtiment403.
2-288 – Niveau 0 du BIM. – Au niveau 0 du BIM, les acteurs sont possiblement digitalisés, mais s’ils travaillent sur une maquette numérique de l’immeuble elle est le plus souvent en 2D et non structurée. C’est le niveau plancher où se trouve aujourd’hui globalement l’industrie immobilière, avec l’emploi d’outils de DAO/CAO, l’absence de normes et référentiels communs à tous les acteurs et avec une faible capacité de collaboration. Par exemple, les outils peuvent ne pas employer les mêmes unités ou une rotation a pu être appliquée sur un plan mais pas sur un autre, la nomenclature et les couleurs de calques peuvent être différentes, les fichiers et polices de texte hétérogènes… Ce niveau de BIM, si l’on peut le qualifier ainsi, permet simplement de matérialiser certaines informations sur plans au format numérique.
2-289 – Niveau 1 du BIM. – Au niveau 1, le BIM met en œuvre une maquette numérique en 2D ou 3D permettant une visualisation augmentée des constructions projetées, mais sans interaction possible avec les différents acteurs de la construction. C’est l’étape intermédiaire entre les outils de DAO/CAO et le véritable BIM collaboratif. Au niveau 1, la maquette n’est pas modifiable par tous les acteurs, mais toutes les données des différents livrables doivent être structurées, c’est-à-dire répondre à une norme comprenant par exemple la numérotation des plans, la géolocalisation, le système d’approbation et de diffusion des plans, la présentation, etc. Il n’y a pas de collaboration au sens strict, car chacun publie et met à jour ses données individuellement, et partage les plans habituellement 2D via un environnement de données commun.
2-290 – Niveau 2 du BIM. – Au niveau 2, le BIM met en œuvre une maquette numérique en 3D permettant une représentation augmentée des constructions et une interaction entre les différents acteurs de l’acte de construire, qui peuvent modifier la maquette mais pas simultanément. En pratique chacun produit sa maquette numérique 3D (architecte, ingénieurs, MEP, etc.), et les différents modèles sont améliorés de concert et échangés en utilisant un même format de fichier natif. Cet échange va permettre de fusionner tous les modèles en un seul modèle unique ou fédéré, permettant par exemple de détecter les conflits.
À partir du niveau 2, le BIM associe deux types de données :
la maquette : un modèle graphique ou maquette numérique 3D créé avec un logiciel BIM ;
une sorte de data room : des données non graphiques incluant des informations sur les matériaux, les composants, la maintenance, la fiche produit, mais également des rapports ou des dessins ou plans en 2D.
2-291 – Le niveau 2 implique un « architecte de la base BIM », le BIM Manager. – À partir du niveau 2, la démarche BIM collaborative impose de désigner un manager chargé d’administrer le processus d’alimentation de la base de données et sa traduction dans la maquette, en orchestrant les mises à jour et en veillant à la parfaite mise en œuvre de la procédure par les acteurs. Ce BIM Manager est devenu un nouvel acteur de la construction404.
2-292 – Niveau 3 du BIM (ou « BIM parfait »). – C’est le processus que l’on pourrait qualifier de « véritable BIM » ou de « BIM parfait », avec la mise en œuvre d’une seule et unique maquette numérique en 3D stockée sur un serveur centralisé permettant une représentation augmentée des constructions et une interaction simultanée entre les différents acteurs de l’acte de construire qui peuvent modifier la maquette en temps réel. À ce stade « ultime » du BIM, la collaboration est telle que la maquette devient un ouvrage collectif coconstruit qui se met à jour en temps réel au gré des modifications et alimentations apportées par les différents intervenants à l’acte de construire. La maquette n’est plus seulement un point de convergence de travaux individuels, elle devient le seul référentiel et la matérialisation du travail de tous collectivement.
Dans les faits, seul le BIM de niveau 2 est réellement pratiqué et contractualisé avec les entreprises, le niveau 3 étant uniquement en phase de test compte tenu des contraintes économiques, techniques et juridiques rencontrées pour sa mise en œuvre et reste réservé à des projets d’industrie de pointe comme l’aéronautique ou l’énergie405. Le niveau 3 implique de travailler sur une seule et même maquette, ce qui rend son adoption très délicate compte tenu du séquençage de la construction et de la diversité des acteurs qui ont chacun leur interface habituelle.
Figuration des niveaux de BIM
2-293 – Le BIM, un kit de montage numérique. – Quel que soit le niveau de la démarche BIM initiée au sens d’une procédure collaborative, la maquette est associée à une base de données d’objets et composants au format numérique plus ou moins détaillés. Si la maquette BIM était un lego©, les objets à assembler seraient des fichiers numériques contenant les attributs et informations de tous les objets permettant de construire virtuellement l’ouvrage à l’infini selon différentes vues logicielles. Mais le montage progressif de l’ouvrage (tant numérique que physique) n’est possible qu’avec une notice, spécifiant à chaque étape de la construction les besoins d’information quantitativement et qualitativement.
2-294 – Niveaux de développement du BIM. – En fonction de l’avancement d’un projet, on aura besoin d’un objet BIM avec une géométrie plus ou moins évoluée, et des données non géométriques en fonction des besoins de calcul, fabrication ou exploitation. Afin d’uniformiser la planification de la transmission de ces informations, il est fait référence au concept de « LoD » des objets du BIM, qui désigne en anglais le Level of Development, et en français le niveau de développement (ND) de la maquette numérique, qui classifie différents niveaux des détails des informations. En somme, le LoD ou ND d’un objet désigne la quantité d’informations pertinentes pour le développement du projet et nécessaires pour prendre des décisions concrètes selon un référentiel LoD/ND (classification US – LoD niveau 100/200/300/400/500). On parle de « granulométrie de l’information ».
2-295 – Niveaux de détail. – Le niveau de développement renvoie à deux autres notions importantes : le niveau de détail (Level of Detail) qui désigne le niveau de détail géométrique d’un objet et le niveau d’information ou NDI (Level of Information [LoI]) qui désigne la liste des propriétés non géométriques associées à l’objet BIM. Ces notions sont à appréhender avec vigilance, car elles se confondent parfois et le LoD d’un projet peut avoir une signification graphique ou non graphique406.
Actuellement il nʼy a pas de consensus international pour les niveaux de développements ou de détails, et différents pays emploient des dénominations et des échelles associées différentes (ND en France, LoD aux États-Unis…). Aussi les acteurs ont-ils décidé de promouvoir un nouveau concept de LoIN – Level Of Information Need (niveau d’information nécessaire) –, qui se focalise sur le besoin propre à chaque étape du projet, quel que soit l’objet de ce besoin407. Ce concept est en cours de prénormalisation.
2-296
https://www.youtube.com/watch?v=shwBxKDWi2o
REPLAY – Classroom – Les niveaux de maturité BIM Niveau 2 et BIM Niveau 3
À travers ce live classroom suivi par Daniel Olives, consultant BIM, vous découvrirez étape par étape les niveaux de maturité BIM Niveau 2 et Niveau 3 avec les détails, leur organisation, les sous-entendus et plus particulièrement ce que ces niveaux impliquent, avec en appui une représentation graphique.
2-297 – Le BIM, une forme d’industrialisation impliquant des référentiels communs. – L’emploi du BIM implique qu’une méthodologie encadre le processus de délivrance et de partage des informations (Qui ? Fait quoi ? Quand ?) et également que les informations échangées soient comprises de la même manière par chacun, sur la base d’un référentiel commun (Quelles informations ? Sous quel format ? En référence à quels dictionnaires ?).
Sous cet angle, le BIM est une forme de normalisation numérique de la filière du bâtiment, en industrialisant la conception, la construction et l’exploitation autour de procédures communes. Sans cette normalisation, le BIM reste une méthode d’agrégation de données dans une maquette numérique, et l’objectif d’optimisation des cycles de l’immeuble ne sera pas atteint. Comment sont adoptées ces procédures ?
2-298 – La normalisation, un enjeu majeur de la construction. – Du fait de l’éclatement de la filière construction et de la multitude des outils métiers, l’émergence d’une pratique uniforme ne peut pas venir des acteurs du terrain ou, s’agissant du BIM, des sociétés d’édition des logiciels. Sinon, chaque projet ou acteur aurait sa solution, sa pratique, et ses standards sans interopérabilité, ce qui serait possible pour la construction d’un objet générique avec peu d’acteurs, comme par exemple un véhicule automobile, mais impossible pour le secteur du bâtiment. Il faut donc une action verticale des autorités afin de donner des cadres communs de communication adoptés par tous, et cette action est menée par les instances de normalisation/standardisation qui agissent à plusieurs niveaux : national, européen et international.
Cette standardisation se fait au travers de normes volontaires qui sont à 90 % d’origine européenne ou internationale. On les reconnaît à leur préfixe : ISO (International Organization for Standardization) pour les normes élaborées sous l’égide de l’Organisation internationale de normalisation (où l’Afnor représente la France), NF en France et EN pour celles du Comité européen de normalisation (CEN)408. Une norme internationale peut être reprise en Europe et, par ricochet, dans une collection nationale. Son libellé s’enrichit alors des préfixes correspondants, dans l’ordre croissant des périmètres géographiques : NF ISO, NF EN ISO409.
2-299 – La normalisation implique des normes volontaires. – Les normes volontaires, comme leur nom l’indique, ne sont pas obligatoires mais traduisent l’engagement des entreprises à satisfaire un niveau de qualité et sécurité reconnu et approuvé.
Chaque norme est adoptée en deux phases, une première phase de prénormalisation qui est une phase préliminaire d’expérimentation par les acteurs et, le cas échéant, de formulation d’une proposition de norme, et une phase de normalisation qui consiste en l’adoption, l’enrichissement et la mise à jour de la norme.
En matière de construction, ces normes ont une grande importance pour définir des standards de qualité, de sécurité ou de propriété des ouvrages construits. Ce phénomène est amplifié avec le BIM qui ajoute une couche numérique et organisationnelle. Le PTNB a identifié trois niveaux essentiels de normalisation du BIM, au niveau du management de l’information et des procédures, du format d’interopérabilité des échanges, et des dictionnaires communs d’objets410. On retrouve les trois acceptions du « M » de l’acronyme BIM (1o Model : l’entente sur un modèle commun au moyen de dictionnaire / 2o Modeling : échange des informations au travers de fichiers interopérables reposant sur le dictionnaire commun / et 3o Management qui englobe les deux premiers avec une composante de management et de temps).
2-300 – Les normes volontaires dans le BIM, une réponse technique à des outils techniques. – Compte tenu du caractère technique et très pratique de chacune des normes, avec de surcroît des considérations informatiques, d’ingénierie, techniques, etc., la lecture de ces normes n’est pas accessible aux non-initiés. Il faut retenir principalement que chaque série de problème d’adoption ou d’utilisation du BIM fait l’objet d’une norme ou une prénorme apportant une réponse générique et duplicable à ce problème. Dans la mesure où l’objet de la construction n’a pas de forme générique, il n’est pas possible de donner une réponse toute faite à un problème donné, mais simplement un guide. L’industrialisation digitale de la construction consiste ainsi à donner une méthodologie et des standards afin d’embrasser le plus grand nombre de cas de figure possibles.
2-301
La procédure classique de construction est une séquence en trois temps : maîtrise d’ouvrage (études de faisabilité et programmation), maîtrise d’œuvre (conception) et entreprise (réalisation).
Le BIM emploie une méthode d’ingénierie concourante (Concurrent Engineering [CE] en anglais) qui consiste à engager simultanément tous les acteurs d’un projet, dès le début de celui-ci, dans la compréhension des objectifs recherchés et de l’ensemble des activités qui devront être réalisées, par opposition à une ingénierie séquentielle au cours de laquelle chaque étape démarre lorsque la précédente est complètement achevée. Cette modification de la séquence s’accompagne d’une digitalisation massive des échanges qui doivent être ordonnés afin d’alimenter le BIM. Afin d’adopter progressivement ce nouveau mode collaboratif, il est nécessaire de s’accorder sur un nouveau référentiel d’organisation et d’échange d’informations au format numérique nécessaire au BIM.
C’est pour répondre à ces deux enjeux que plusieurs normes ont été adoptées.
La norme ISO 29481 qui est constituée des deux parties, sous le titre général « Modèles des informations de la construction – Protocole d’échange d’informations » :
Partie 1 : Méthodologie et format ;
Partie 2 : Cadre d’interaction.
Cette norme définit la méthodologie d’écriture des IDM (Information Delivery Manual), qui signifie littéralement « Manuel de délivrance de l’information » à destination des tous les acteurs du projet qui vont implémenter des données. Les IDM définissent les méthodes d’échange d’information en répondant aux questions suivantes : quelles informations devront être échangées par chaque utilisateur ? Qui remplit un rôle particulier (architecte, entreprise, bureau d’études, BIM Manager, etc.), à quels moments spécifiques du projet ? Les IDM cartographient les processus et les spécifications d’échanges exprimées dans des termes standardisés411.
La norme ISO 19650 traite plus spécifiquement du management de l’information tout au long du cycle de vie d’un actif construit à l’aide du BIM. Fin 2018, les deux premières parties de la norme ont été publiées.
– BS EN ISO19650-1 : Organisation et numérisation des informations sur les bâtiments et les travaux de génie civil, y compris le BIM. Gestion des informations à l’aide du BIM : Concepts et principes. – Cette partie introduit le concept de BIM Execution Plan (le plan d’exécution du BIM) qui vise à encadrer toutes les procédures. Elle précise également les principes de partage et de coordination de l’information par le biais d’un « environnement de données commun » (EDC). La mise en œuvre d’un EDC consiste à déployer une plateforme collaborative, qui doit s’inscrire dans une infrastructure numérique comprenant les outils collaboratifs, métiers, ainsi que les simulateurs.
– BS EN ISO19650-2 : Organisation et numérisation des informations sur les bâtiments et les travaux de génie civil, y compris le BIM. Gestion des informations à l’aide du BIM : Phase de livraison des actifs. – Cette partie plus opérationnelle définit un ensemble de processus pour la fourniture d’informations dans le cycle de conception, de construction et de transfert de la construction, notamment celles relatives aux tâches, rôles et responsabilités, ainsi qu’à l’identification et à l’affectation des parties responsables pour chaque activité et chaque tâche.
Ces deux premières parties de la norme sont orientées principalement sur les phases conception/construction, et une troisième axée sur l’exploitation serait en préparation.
Cette norme fournit une vision et une approche internationales de la gestion de l’information pour la conduite de projets BIM, et définit les rôles des principaux acteurs et leurs responsabilités dans le processus de gestion de l’information.
Le Plan BIM 2022 envisage l’intégration de la norme 19650 dans ses travaux de vulgarisation des normes BIM.
Si tous les acteurs travaillaient sur un seul et même logiciel, un peu à la manière du système d’exploitation Windows PC412, les échanges de fichiers seraient effectués au format natif sans transformation. Seulement, à admettre qu’un tel monopole logiciel soit souhaitable, ce qui n’est pas la volonté politique413, le secteur de la construction est le moins propice au logiciel unique. En effet, du fait de la diversité et de la spécificité des métiers de la construction (maître d’ouvrage, maître d’œuvre, ingénieur, entreprise, bureau d’étude, etc.), il est naturel que des logiciels spécialisés propres à chaque métier soient développés. Or, si chaque métier a son logiciel, comment faire pour échanger des fichiers de telle sorte que les informations produites par un acteur, avec une vue spécialisée et une orientation logicielle, soient transmises de manière intègre et complète à un autre acteur du projet ?
Le BIM implique que chaque métier ait accès à la donnée dont il a besoin au travers de logiciels interfacés différents. Afin que chaque logiciel sache où aller chercher la donnée, il faut que celle‐ci soit bien structurée selon un format normé, c’est‐à‐dire que la base de données soit interopérable. L’interopérabilité sémantique des données est un besoin critique du BIM.
C’est pour répondre à ce besoin fondamental de l’interopérabilité des bases de données que, dès la fin des années 1990, des modèles de données « IFC » (Industry Foundation Classes) ont été spécifiés par l’International Alliance for Interoperability (IAI)414 afin de définir des standards d’informations des objets.
La notion de classe fait référence à la notion de classe dans l’édition de logiciel. Une classe, c’est un objet, physique ou abstrait, auquel on associe une série d’attributs. Ces attributs sont déterminés en amont : pour chaque objet, on doit ainsi donner une certaine quantité d’informations qui assureront l’uniformité du fichier final.
Par exemple, une classe de type « porte » en BIM requiert les attributs physiques suivants : son nom, son emplacement (ObjectPlacement) qui requiert de le placer par coordonnées X, Y et Z ou encore sa hauteur (OverallHeight), mais peut aussi contenir des attributs de tâches, comme sa priorité ou son statut, ou encore de relation avec d’autres objets415.
Les IFC constituent à la fois des modèles IFC avec la description du contenu des objets organisés dans un certain formalisme, et un format de fichier IFC, qui est la suite des séquences alphanumériques envoyées par un logiciel dans les « tuyaux » et les « interfaces IFC », dans un langage de communication à décoder par le logiciel récepteur. Ainsi, un fichier IFC contient des données d’un modèle IFC qui seront lues par d’autres logiciels que le logiciel natif du producteur de l’information, et restituées selon l’interface propre à chaque acteur.
Depuis mars 2013, les IFC sont labellisés ISO 16739, devenue NF EN ISO 16739 fin 2018 – Classes de fondation d’industrie (IFC) pour le partage des données dans le secteur de la construction et de la gestion des installations.
Il n’existe actuellement aucun dictionnaire de données unique définissant toutes les informations qui seront échangées au cours des cycles de vie d’un immeuble. Chaque acteur d’un projet peut donc désigner un même objet ou une propriété de manière différente et, dans un contexte international, souvent pour des raisons de réglementation, de langage ou encore culturelles.
Pour traiter cette problématique, les acteurs, éditeurs de logiciels et les États s’efforcent de créer des dictionnaires de données propres à leurs besoins ou réglementations, avec pour conséquence de créer à travers le monde une multitude de dictionnaires. Faute de méthodologie et de référentiel commun, chaque dictionnaire va se présenter d’une manière différente et un même objet pourra avoir une multitude de présentations/définitions possibles dans plusieurs dictionnaires…
L’entente sur une méthodologie d’établissement de ces dictionnaires et leur interconnexion/interopérabilité est un enjeu majeur de la performance du BIM et de sa connexion avec les industriels qui produisent les matériaux et équipements de construction. Sans modèle standard, neutre et ordonné des objets, les données constructeurs ne pourront pas être connectées avec les données du BIM.
La France a été précurseur dans ce domaine en expérimentant la norme XP P07-150, qui décrit les méthodologies de gestion de propriétés et de groupes de propriétés à travers un réseau de dictionnaires interconnectés. Au travers du projet PPBIM porté par le Plan transition numérique dans le bâtiment (PTNB), la France a établi trois cents propriétés et trente objets génériques suivant les processus de la norme XP P07-150.
Sous le leadership français416, la norme a été adoptée au niveau international en mars 2020 sous la référence ISO 23386:2020, et a été adoptée au niveau européen en juin 2020 sous la référence « NF EN ISO 23386 – Modélisation des informations de la construction et autres processus numériques utilisés en construction – Méthodologie de description, de création et de gestion des propriétés dans les dictionnaires de données interconnectés ».
Cette norme spécifie les attributs permettant de définir les propriétés et groupes de propriétés d’un dictionnaire de données individuel, ainsi que les processus et les commissions/rôles de gouvernance d’un dictionnaire de données individuel dans un réseau de dictionnaires de données coordonnés417.
Il s’agit de créer une méthodologie aidant à la mise en place de dictionnaires de propriétés ou de groupes de propriétés, qui enlève toute ambiguïté. Cela permet d’être totalement en accord entre une question (« ce qui est attendu ») et la réponse (« la solution opérationnelle »).
La France a poursuivi un important travail sur les dictionnaires au moyen du PTNB aux côtés de l’Afnor à travers l’action « Pobim » (Propriétés et objets pour le BIM : « Recensement des propriétés et modèles d’objet génériques BIM »)418, dont les conclusions ont été présentées fin 2018. Au total 301 modèles d’objets génériques et 3 139 propriétés ont été définis. Un des objectifs est que chaque industriel dispose d’un catalogue de produits numérique, avec toutes les informations structurées de la même façon quel que soit le produit.
Le Plan BIM 2022 poursuit l’action de la France en matière de suivi stratégique de la normalisation sous le pilotage d’ADN Construction.
2-302 Le BIM en France sera d’abord abordé à travers les rares textes légaux ou réglementaires traitant de ce nouvel outil (Sous-section I), avant d’en analyser les principaux freins d’adoption en France (Sous-section II). Ces réflexions conduiront à l’étude des autorisations administratives de travaux dans un environnement numérique, voire en BIM (Sous-section III).
2-303 Contrairement à d’autres pays qui se sont lancés vers le déploiement du BIM au moyen de parcours réglementaires progressifs (par ex. : Royaume-Uni419 ou Allemagne420) allant jusqu’à rendre le BIM obligatoire dans la commande publique, la France a choisi une stratégie d’adoption volontaire sans contrainte spécifique, fondée sur l’incitation des professionnels du secteur.
2-304 Il n’existe actuellement qu’un seul texte français traitant directement du BIM en matière de commande publique, le décret no 2016-360 du 25 mars 2016421 qui est la transposition de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics422. Ce texte permet aux acteurs publics, à l’initiative de la commande publique, d’exiger l’utilisation d’outils de modélisation électronique des données du bâtiment ou d’outils similaires. L’approche de la France est entièrement basée sur le volontariat et l’on peut observer que même la loi no 2018-1021 du 23 novembre 2018, portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite « loi Elan », malgré l’ambition de son titre quant au numérique, n’évoque à aucun moment la maquette numérique ou le BIM.
Plus récemment, deux arrêtés du 12 juillet 2019423 ont créé deux nouveaux titres professionnels de « coordinateur BIM du bâtiment », qui veille à la bonne application des chartes, méthodes et protocoles sur des projets à réaliser selon une démarche BIM, et de « BIM modeleur du bâtiment », qui est en charge de la modélisation de la maquette numérique d’un projet de construction pour un ou plusieurs corps d’état. Le BIM Manager qui est chargé de piloter la démarche BIM du projet ne bénéficie pas à ce jour d’un titre professionnel dédié.
2-305 Malgré le choix de ne pas forcer réglementairement le BIM, la France n’est pas significativement en retard par rapport à ses voisins424. Dès 2009, la France a initié successivement des plans de recherche et de promotion du BIM, dont le dernier en date est le Plan BIM 2022. Selon un benchmark425 réalisé par le Plan transition numérique dans le bâtiment (PTNB), la France figure en tête pour le nombre d’appels d’offres de marchés publics incluant un volet BIM ou IFC passés et publiés dans le Journal officiel de l’Union européenne (JOUE). Dans ce classement, elle est immédiatement suivie par l’Allemagne et le Royaume-Uni.
À l’occasion de la première édition des Assises du Logement426, le ministre chargé de la ville et du logement a signé, avec la filière de la construction, le plan BIM 2022, qui a pour but d’accélérer la transformation digitale dans la construction, et vise à fournir aux professionnels de la construction des méthodes nouvelles pour faciliter et améliorer la construction des bâtiments.
Deux axes prioritaires se distinguent dans ce plan dont les travaux débutent :
généraliser et structurer la demande de BIM dans les projets ;
accompagner les acteurs pour se doter des outils BIM et les maîtriser.
2-306
Il pourra également visionner une vidéo de présentation du plan BIM 2022.
La France s’est très tôt inquiétée de la digitalisation de l’industrie française en initiant dès 2005 un programme TIC et PME 2010427 afin de pallier l’insuffisante intégration des « technologies de l’information et de la communication dans les PME ». Dans le rapport de synthèse428, le programme cible en ces termes le « retard important des entreprises françaises : l’enquête menée en 2008 auprès des vingt-sept pays de l’Union européenne (indicateur i2010) montre que le pourcentage d’entreprises françaises apparaît très en dessous de la moyenne européenne : dix-neuvième sur les vingt-sept de l’UE pour les flux d’informations liés à la réactivité de l’entreprise (gestion des stocks et des livraisons) et à sa gestion des relations fournisseurs. ▪▪
Or, ce sont ces flux qui sont essentiels pour améliorer la productivité de la chaîne de valeur interentreprises, sous réserve que leur usage se fasse à une échelle suffisamment grande dans l’ensemble de la chaîne de valeur pour générer un bénéfice économique. La dimension collective des projets de filières ciblés par le programme TIC&PME2010 se révèle ainsi indispensable pour faire bénéficier l’économie française des gains de productivité possibles dans les relations interentreprises. » ».▪▪
Parmi les seize projets du programme TIC et PME 2010 ayant permis de définir des standards d’échanges électroniques entre les entreprises, la filière du bâtiment s’est illustrée avec le projet eXpert-Bâtiment rassemblant les métiers de la filière construction.
Sous le projet « La maquette numérique » qui correspond au BIM, sept groupes métier se sont réunis sur une période de deux ans :
maîtrise d’ouvrage et exploitants ;
industriels et fabricants de produits pour la construction ;
maîtrise d’œuvre (architectes, ingénieurs, économistes, ordonnateurs pilotes coordonnateurs [OPC]) ;
entreprises de BTP ;
éditeurs de logiciels et sociétés de services internet pour le BTP ;
enseignement et formation professionnelle ;
foncier et géolocalisation.
Ce programme conduit en partenariat avec les principales organisations du BTP a ciblé de manière précoce les trois conditions à l’adoption du BIM : 1) disposer d’un standard ; 2) implémenter le standard, et 3) promouvoir l’usage du standard. La réponse à ces conditions a été trouvée dans l’adoption des IFC et l’implémentation des outils de production (CAO, calculs, etc.). Les participants du groupe eXpert ont en parallèle mené des actions de promotion du BIM auprès de l’ensemble des acteurs de la construction pour les familiariser avec ce nouveau concept. Un des moyens mis en œuvre a été l’instauration d’un « BIM tour » en régions avec l’organisation du premier BIM’s day en 2009.
Le groupe eXpert a dressé le constat qu’en France, l’appropriation des pratiques d’exploitation des maquettes numériques d’échange est plus difficile à mettre en œuvre que dans les autres domaines de la construction et de l’aménagement. Les causes de ces difficultés seraient : la dispersion, la multiplicité et l’hétérogénéité des acteurs, et un handicap structurel pour mettre en œuvre des méthodes collaboratives429.
Ainsi le BIM a émergé en France comme une forme de réponse à l’enjeu du partage d’informations et de l’adoption de modes de communication ordonnés en matière de construction.
Le programme eXpert s’est poursuivi avec un nouveau programme « BIM 2015 » déposé par buildingSMART France dans le cadre des « TIC et PME 2015 »430 afin d’exploiter les résultats du projet eXpert. Les termes de l’appel à projet « TIC et PME 2015 » sont éloquents : « Les entreprises françaises sont particulièrement en retard dans l’usage du numérique pour gérer les échanges avec leurs partenaires : ainsi en 2008, seulement 12 % des entreprises françaises de plus de dix salariés recouraient au partage électronique d’informations avec leurs fournisseurs et/ou leurs clients, contre 17 % en moyenne sur l’UE15, 16 % dans l’UE27 et 35 % en Belgique ».
Le nouveau programme BIM 2015 réunissant les acteurs de la filière a duré deux ans avec pour objectif de favoriser la généralisation du BIM-IFC dans les PME. Les travaux ont permis de faire émerger le format BIMétré431, ainsi qu’une certification nationale IFC.
En parallèle de ces initiatives qui ont permis le développement du BIM sous l’angle du data et de la digitalisation des échanges, les pouvoirs publics se sont intéressés au BIM sous l’angle du développement durable et de la performance de la filière construction, principalement dans le logement.
Dans le cadre du Grenelle de l’environnement, un groupe de travail « Plan Bâtiment Grenelle » piloté par Philippe Pelletier, avocat, a été lancé en 2009 sous autorité ministérielle, pour coordonner l’élaboration d’un plan d’action pour réduire les consommations énergétiques et les émissions de gaz à effet de serre des bâtiments.
Le groupe de travail a identifié que la maquette numérique, le BIM et le format IFC permettraient une meilleure interaction entre les acteurs, et a donc souhaité promouvoir la démarche BIM. Dès 2009, un sous-groupe de travail « Innovation et Recherche » a formulé vingt-huit propositions concernant le BIM432.
Un groupe de travail dédié au BIM a été formé sous le nom de « BIM et Gestion du patrimoine », piloté par Frank Hovorka, département pilotage du groupe Caisse des dépôts et Pierre Mit, président de l’Union nationale des économistes de la construction.
Après plus d’un an de concertation avec les acteurs de la filière, le groupe de travail a remis un rapport433 contenant une présentation du BIM et des propositions en vue de son adoption en France. Le rapport propose une définition française du BIM, cible les évolutions à opérer sous l’angle humain, technique, économique, financier et juridique.
Le rapport synthétise clairement les enjeux de productivité pour la filière construction tout au long du cycle de vie de l’immeuble. Le rapport livre par exemple un comparatif entre le niveau de détail des informations de construction d’un véhicule automobile par rapport à la construction d’un immeuble434. Cette comparaison démontre l’incapacité actuelle de la filière du bâtiment à délivrer une documentation ordonnée et réutilisable par le futur utilisateur de la construction et voit dans le BIM un remède à ce problème. Les propositions du rapport ont constitué les fondements des plans BIM poursuivis sous la tutelle de l’État.
Dans le prolongement des travaux du Plan Bâtiment Grenelle qui ont une approche globale et stratégique, la Caisse des dépôts et consignations a initié une recherche avec les acteurs de la commande publique sous l’angle de la performance et de la gestion d’un parc immobilier.
Le groupe de travail « BIM et Gestion du patrimoine » a analysé onze cas correspondant à environ 100 000 logements sociaux, 4 000 000 m2 de surface de patrimoine de conseils régionaux, près de 1 200 000 m2 de surface de locaux d’enseignement et de recherche et près de 7 000 000 m2 de surface de patrimoine d’immobilier tertiaire. Le rapport, diffusé au format d’un livre blanc435, contient des données chiffrées sur les gains attendus par les maîtres d’ouvrage en phase d’exploitation, en partant du constat que : « Les phases d’exploitation/maintenance d’un bâtiment durant dix fois plus longtemps que les phases de conception/ construction, les coûts d’exploitation sont six fois supérieurs aux coûts de construction, les maîtres d’ouvrage, gestionnaires et exploitants doivent donc être les principaux bénéficiaires de la maquette numérique qui modélise les données du Bâtiment permettant de constituer un référentiel dynamique de données patrimoniales graphiques interopérable ». La Caisse des dépôts, qui est partenaire privilégié des bailleurs sociaux et collectivités, poursuit ses travaux et publie régulièrement du contenu sur la digitalisation immobilière.
Dans une approche de terrain, le Plan urbanisme construction architecte « Puca »436 et l’Agence de la transition écologique (ADEME)437 ont lancé une consultation publique de type recherches-actions à l’échéance de fin 2013, au moyen du programme « BIM – Maquette numérique »438, sous forme d’appel à projet aux acteurs de la filières pour créer des clusters, identifier les verrous de l’optimisation digitale des échanges dans la construction et travailler sur des références contractuelles permettant notamment d’assurer la sécurité des échanges entre acteurs. Le programme se poursuit actuellement. À ce jour, trente-quatre projets ont été lauréats dans les deux guichets expérimentations et bonnes pratiques439.
Les travaux pilotés par le Puca qui se poursuivent encore aujourd’hui sont ancrés dans la pratique et l’expérimentation du BIM dans le prolongement des préconisations stratégiques des plans gouvernementaux (Plan Bâtiment Grenelle ou Plan BIM 2022).
Le Puca a mené plusieurs études et évaluations transversales sur le BIM avec des groupes de travail, notamment un rapport d’avril 2016440 en trois parties d’un groupe de réflexion « BIM Serveur Intelligent » piloté par Mediaconstruct et commandé par le Puca en décembre 2014. L’objectif de la mission était d’analyser l’écart entre l’engouement présumé du BIM et la pratique réelle dans le contexte difficile du bâtiment. Les trois axes de réflexion du rapport sont les expérimentations du BIM-IFC dans l’objectif de l’interopérabilité, les procédures de transformation d’objets, et l’outil d’exploitation adapté (le BIM Serveur Intelligent).
Le rapport est scindé en trois parties. La première partie synthétise dans les grandes lignes l’état de l’art du BIM et les objectifs de recherche du groupe de travail vers un « BIM parfait », interopérable et intelligent. La deuxième partie du rapport rend compte d’une véritable expérimentation via un protocole test d’interopérabilité du BIM et des outils existants au travers d’un projet déjà édifié : la Maison du Bâtiment du Val-d’Oise441. Le rapport conclut que : « L’exploitation du BIM IFC normalisée ISO n’est pas suffisamment avancée par l’ensemble des éditeurs pour envisager dans l’immédiat une pratique de l’interopérabilité simple et efficace à travers des outils dédiés ». La troisième partie fait une analyse prospective des freins et leviers au développement des outils et logiciels du « BIM parfait ».
On peut également citer une étude très récente du Puca, « BIM et maquette de gestion exploitation-maintenance »442, qui dresse un premier bilan de l’utilisation du BIM sous l’angle de la gestion et la maintenance du bâtiment.
Dans le prolongement des travaux du Plan Bâtiment Grenelle, une commission de normalisation des références des produits de construction au sein du BIM443 a été lancée en 2012 par l’Association française de normalisation (Afnor) à l’initiative de l’Association des industriels des produits de construction (AIMCC) et de Mediaconstuct444.
D’autres initiatives gouvernementales peuvent être citées, notamment le rapport « Objectifs 500 000 »445 dont les travaux concluent à l’obligation de faire rentrer le bâtiment dans l’ère du numérique pour booster la performance de la filière. Les difficultés ciblées par le rapport sont l’interopérabilité et la traçabilité des évolutions successives de la maquette. Concernant l’échéance de la généralisation de la maquette, le groupe propose d’unifier les outils et méthodes d’ici à 2017, la formation et le déploiement de ces derniers entre 2017 et 2020, et la généralisation à compter de 2020.
La relève du Plan Bâtiment durable est assurée par le lancement en juin 2014446 de la mission « Numérique et Bâtiment » confiée à Bertrand Delcambre, alors président du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) dans le cadre du Plan de relance de la construction. Ce groupe de réflexion a été missionné pour dresser un état des lieux du savoir-faire numérique français appliqué au bâtiment, et identifier les axes stratégiques du développement en vue d’une généralisation à l’horizon 2017. En à peine six mois, le groupe de travail collectera près de cent trente consultations d’acteurs privés et publics et diffusera un rapport447 contenant une analyse d’opportunité du BIM pour chaque acteur du processus (maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre, promoteurs, entreprises, industriels) et un plan d’action en quatre axes :
convaincre et donner envie à tous les acteurs, et notamment aux maîtres d’ouvrage. Il s’agit en particulier de créer un portail du Bâtiment numérique accessible à tous les acteurs ;
répondre aux besoins d’équipement et de montée en compétences numériques des acteurs, notamment TPE/PME. Par exemple, le développement de la formation numérique ;
développer des outils adaptés à la taille de tous les projets. Il s’agit notamment de mettre en place des kits BIM (offre matérielle, logicielle et services) ou encore la numérisation de processus administratifs et financiers ;
installer la confiance de l’écosystème du numérique français, notamment en définissant les systèmes de normes et bibliothèques de données utiles à la maquette numérique.
Plus de cinq ans après les premiers travaux du Plan Bâtiment durable, le BIM se présente toujours comme une démarche inéluctable de numérisation de la construction et un gisement de performance pour toute la filière ; le rapport a conclu « qu’il ressort un souhait commun et partagé de lancer une mobilisation générale sur la thématique de la numérisation de la filière, et ce sous l’égide de l’État ».
Mais l’expression de cette forte ambition ne se traduisait visiblement pas sur le terrain de la technologie, l’incitation à l’adoption étant repoussée à de nouveaux plans d’action assez génériques à un horizon de temps de trois à cinq ans.
L’étude de McKinsey France448 a confirmé ce constat : « Le secteur de la construction entame tout juste sa mue : à l’heure actuelle, seuls 60 % des constructeurs ont commencé à déployer des technologies de maquette numérique du bâtiment (BIM – Building Information Modeling), et ce de manière très partielle puisqu’elles concernent moins de 30 % de leurs projets. »
Conformément aux recommandations du Plan Bâtiment durable, les travaux se sont poursuivis dans un nouveau « Plan transition numérique dans le bâtiment » (PTNB)449 fin 2014 avec une enveloppe de vingt millions d’euros, sous le pilotage du même Bertrand Delcambre. Partant du postulat que le BIM serait à terme une évidence technologique pour la filière, le PTNB a été directement orienté vers les acteurs qu’il fallait convaincre, former et inciter à passer au BIM.
En l’espace de trois ans, le PTNB aura accompagné quatre-vingts projets de construction, de rénovation et d’exploitation de bâtiments ayant expérimenté le BIM, parfois a posteriori, en ciblant tout particulièrement les TPE/PME qui sont les plus en retard dans leur digitalisation. Le rapport final du PTNB diffusé en décembre 2018450 a dressé le bilan des actions menées sur les trois axes « convaincre et donner envie », « accompagner la montée en compétences et développer les outils adaptés », et enfin « apporter de la confiance dans le numérique ».
À mi-parcours, un an et demi après le lancement du PTNB, une étude publiée dans la Revue française des sciences de l’information et de la communication451 a pointé le décalage entre la volonté de faire du BIM, quasi unanime, et son adoption réelle par la filière. Les termes de l’étude sont éloquents : « Selon nos observations, pour la plupart des cas observés, la maquette numérique en phase conception et pour la maîtrise d’ouvrage est souvent utilisée pour le moment comme un outil au service d’une meilleure compréhension du projet auprès des parties prenantes, notamment les élus qui sont les premiers clients à convaincre. Toutes les questions d’amélioration de la coordination et de la coopération entre tous les acteurs, de calcul pour mieux gérer les coûts de construction et de gestion sont relativement absentes des pratiques et des considérations au niveau opérationnel en tout cas ».
En d’autres termes, beaucoup d’acteurs jouent le jeu de la maquette 3D à des fins commerciales ou marketing, tout en continuant à travailler « à l’ancienne » sans véritable digitalisation et collaboration numérique dans la conduite du projet.
Cette étude menée par des chercheurs en sciences de l’information et de la communication, extérieurs à la filière construction, a pointé les difficultés organisationnelles du secteur de la construction et s’est interrogée très justement sur la justification du BIM à toutes les étapes : « Mais s’il faut déconnecter le BIM gestion du BIM construction, peut-être faudrait-il arrêter de parler de BIM qui est trop connoté à la maquette numérique pour parler plutôt de management de la donnée ». Cette observation révèle sous un jour scientifique la nature véritable du BIM, qui est avant tout une base de données et une méthode de management des données au format numérique, dont la maquette 3D n’est qu’une forme de représentation.
Les travaux du PTNB ont fait l’objet de nombreuses publications et initiatives, parmi lesquelles on peut notamment citer :
un guide à destination des maîtres d’ouvrage accompli par la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques (MIQCP), diffusé en juillet 2016452. Ce guide développe un argumentaire détaillé de l’intérêt du BIM pour le maître d’ouvrage, qui est l’acteur principal de l’initiation du BIM, et synthétise les enjeux pratiques et juridiques de la démarche pour lui et les autres acteurs de la construction avec lesquels il va interagir en BIM ;
un kit gratuit d’aide à la rédaction de convention BIM453 comprenant, sous différents formats informatiques, des modèles de contrat, des notices d’aide à la rédaction, un document de présentation ou encore un glossaire afin de permettre aux acteurs d’accompagner juridiquement l’utilisation du BIM. Le kit est délivré avec la réserve que l’outil ne traite pas des dimensions juridiques, ce qui semble assez paradoxal et fait craindre que les moins avisés juridiquement, comme les TPE, s’en remettent au kit sans totalement maîtriser leurs engagements ;
une étude comparative du développement du BIM au niveau européen, sous forme d’un benchmark454, dressant pour chaque pays un état des lieux du secteur de la construction, un état des lieux du BIM et des indicateurs clés comparables, comme par exemple le volume de recherche du terme BIM sur internet. L’étude conclut que la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne sont les pays les plus avancés dans l’adoption du BIM ;
un rapport sur la stratégie française pour les actions de prénormalisation et de normalisation BIM455, qui décrit le contexte et l’écosystème BIM à l’international ainsi que les projets actuels et à venir de normalisation. Ce rapport est très précieux pour comprendre les différentes couches de traitement de l’information pour administrer le BIM, classifiées en trois principales fonctions : organiser les processus (qui fait quoi ? quand ?) via les IDM et les MVD, organiser les échanges d’informations et l’interopérabilité (via les IFC), en s’appuyant sur des dictionnaires / classifications partagés. La standardisation / procédurisation de la filière construction est l’un des maillons essentiels au déploiement du BIM ;
une plateforme de travail collaboratif dénommée « Kroqi »456 développée par le CSTB. Cette plateforme publique et gratuite est un levier de digitalisation pour les acteurs de la construction, principalement les TPE/PME non outillées, qui vont pouvoir organiser entièrement l’échange d’informations, les échéances, rendez-vous, validation, etc., via la plateforme. La plateforme est en lien direct avec un viewer gratuit de maquette numérique du bâtiment – BIM multi-échelles – également développé par le CSTB. La plateforme se veut interopérable avec les autres solutions comptables IFC et des fonctionnalités tierces payantes y sont directement reliées.
Dans le cadre du plan PTNB, et en partenariat avec le Conseil supérieur de la construction et de la transition énergétique (CSCTE), un groupe de travail a été formé en septembre 2015 sur le thème du droit du numérique. Ce groupe de travail, présidé par l’avocat Xavier Pican (Lefèvre Pelletier & associés), est le premier dédié spécifiquement à la recherche sur les questions juridiques soulevées par le numérique appliqué au bâtiment. Un rapport a été remis le 31 janvier 2016457.
Ce rapport synthétise deux séries de problèmes et de solutions, selon qu’ils s’appliquent à la phase en amont de la construction (conception, construction du bâtiment, etc.), ou qu’ils s’appliquent à la phase en aval (exploitation, rénovation du bâtiment, etc.). Le rapport conclut qu’une intervention normative ne semble pas indispensable et renvoie globalement au contrat afin de traiter les différents enjeux juridiques du BIM. Le rapport formule onze propositions458 pour accompagner les acteurs dans leur transition numérique, qui seront reprises dans le rapport final du PTNB, mais aucun aménagement du droit positif n’est proposé.
Dans la continuité du PTNB, l’État et les principaux représentants de la filière construction ont signé une charte d’engagement volontaire de généralisation du BIM dans la construction neuve pour 2022459. Cette charte contient des engagements réciproques de la part de l’État et des différents acteurs de la filière construction (maîtres d’ouvrage, entreprises, organisations professionnelles, etc.). Le BIM est érigé en mode de conception de principe à partir de 2020, et en mode de conception quasi obligatoire pour les nouveaux projets à partir de 2022. Les acteurs s’engagent également à promouvoir l’utilisation de la plateforme collaborative Kroqi afin de permettre aux PME-TPE de s’approprier le BIM.
Afin d’accompagner la démarche initiée par le PTNB, les principales organisations460 professionnelles de la construction ont décidé de se regrouper au sein de l’« Association pour le développement du numérique dans la construction » (ADN construction), afin de contribuer activement au développement du numérique et du BIM.
Les travaux du PTNB se sont terminés fin 2018 avec l’objectif que toutes les actions menées se poursuivent afin que le BIM soit adopté par toute la filière d’ici 2022. C’est donc naturellement qu’un plan BIM 2022 doté de dix millions d’euros a été annoncé par le ministre Julien Denormandie aux Assises du Logement jeudi 15 novembre 2018, avec ADN Construction pour piloter et porter les actions du plan BIM 2022461. Le plan BIM 2022 a pour ambition de généraliser l’utilisation du numérique dans le bâtiment d’ici 2022. Le site internet du plan BIM 2022 vient d’être déployé et les actions menées dans ce nouveau cadre n’ont pas encore été publiées à ce jour.
2-307 – Le BIM comme vecteur d’industrialisation ? La faible industrialisation de la filière construction s’expliquerait par l’éclatement des acteurs de la filière462 et le fait que le bâtiment ne soit pas une industrie modulaire, chaque projet ayant ses contraintes propres. Le BIM contient une réponse à ces obstacles grâce au numérique, avec des gains de productivité importants à terme, impliquant toutefois un investissement immédiat pour les différents acteurs463.
2-308 – L’investissement d’adoption du BIM. – En pratique, la mise en œuvre de la démarche à partir du niveau 2 implique que tous les contributeurs de la maquette soient non seulement dotés d’un logiciel BIM, dont le coût n’est pas neutre pour des petites PME du secteur de la construction, mais également formés à la bonne utilisation des logiciels et équipés d’ordinateurs suffisamment puissants. On parle d’investissements de plusieurs dizaines de milliers d’euros qui, couplés au ralentissement de la capacité de production pour les premiers projets en phase d’apprentissage, génèrent au départ une perte de rendement pour les acteurs qui ne perçoivent pas nécessairement les gains à venir. Selon le rapport de la Mission Numérique Bâtiment, le surinvestissement en équipements pour passer de la 2D à la 3D est évalué à plusieurs milliers d’euros par poste de travail (fourchette de 8 000 à 15 000 € selon Cinov)464. Une étude constate que l’adoption du BIM induirait un bouleversement des habitudes de travail des acteurs de la construction sur les trois axes de la construction : l’organisation, l’information et l’action465.
2-309 – Un sentiment de partage inégal de la valeur créée par le BIM. – Les professionnels peuvent avoir des difficultés à percevoir les gains de productivité inhérents au BIM, d’abord parce que la démarche ne donne généralement pas lieu à une facturation complémentaire par rapport aux contrats traditionnels, mais aussi parce que les prix risquent de tenir compte à l’avenir de la meilleure performance globale, le bénéficiaire final pouvant être finalement le seul maître d’ouvrage.
La question du retour sur investissement est le principal frein à l’adoption massive du BIM, car son bénéfice se concentre principalement en phase d’exploitation, alors qu’il alourdit la phase amont sans que les acteurs soient mieux rémunérés pour autant. Les maîtres d’ouvrage portent la responsabilité de mieux rétribuer les acteurs du BIM et d’adapter le rythme des versements à un travail amont plus important.
Par ailleurs, les problèmes d’interopérabilité entre les logiciels conduisent à une forme de ségrégation des acteurs utilisant des logiciels minoritaires, qui subissent non seulement la mauvaise administration du format IFC et les erreurs de traduction dans le format natif du logiciel, mais également une dépendance vis-à-vis des logiciels majors466. L’investissement dans des logiciels sous forme d’abonnement peut dissuader certains acteurs.
2-310 – Les chiffres du BIM en France. – Compte tenu de ces obstacles, le niveau global d’adoption du BIM reste assez faible en France, et le dernier baromètre du PTNB conclut à un taux d’adoption en 2018 d’à peine 51 %467.
Cependant, ce taux cache de grandes disparités entre les petites entreprises de moins de dix salariés qui sont à 13 % d’adoption et les entreprises de plus de cinquante salariés qui ont un taux de 72 %. En parallèle, une étude menée auprès de bureaux d’études pointe que malgré un taux d’utilisation de 77 %, 71 % des sondés se considèrent débutants et n’ont pas une connaissance suffisante du BIM468.
2-311 La digitalisation progressive de la procédure de construction d’un bâtiment pose légitimement la question de la digitalisation des autorisations administratives de travaux. En effet, dès lors que les acteurs publics ou privés vont fonctionner entièrement en numérique pour la programmation et la conduite de leurs travaux, il semblerait logique que les phases de dépôt, d’instruction et de délivrance des autorisations administratives de travaux par les collectivités ou l’État soient alignées avec des échanges au format numérique (par ex. : permis de construire, installations classées, loi sur l’eau, établissement recevant du public, etc.). Déjà dans le rapport du Plan Bâtiment durable de 2014469, la proposition (2.1) portait sur la procédure d’instruction du permis de construire en BIM avec une incitation au moyen de délais d’instructions réduits. Mais qu’en est-il en France ?
2-312 En France la procédure d’instruction des autorisations de construire échappe encore à l’obligation de saisine par voie électronique prévue par les articles L. 112-8 et suivants du Code des relations entre le public et l’administration470. Des textes spéciaux ont reporté l’obligation au 1er janvier 2022, date à laquelle les services instructeurs auront l’obligation d’instruire numériquement les autorisations d’urbanisme au moyen d’une téléprocédure prévue par l’article L. 423-3 de Code de l’urbanisme. À ce jour les décrets d’application précisant les modalités de mise en œuvre de cette téléprocédure n’ont pas été adoptés.
2-313
La France a, dès la fin des années 1990, engagé une réflexion sur la facilitation des relations entre l’administration et les citoyens par la voie d’échanges électroniques. Une première action notable a été engagée en 1997 avec le lancement du « Programme d’action gouvernemental pour la société de l’information » (PAGSI), dans le cadre d’un nouveau Comité interministériel pour la société de l’information (CISI). À l’issue du quatrième CISI du 10 juillet 2003, plus de soixante-dix mesures visant « à renforcer la confiance en l’internet du grand public et des familles, et à permettre à un nombre croissant de Français de se familiariser avec ces technologies » ont été annoncées.
Il faut attendre une première ordonnance du 8 décembre 2005471 pour que le principe du traitement des autorisations administratives par voie électronique soit consacré, mais sans aucune obligation. Cette ordonnance a ainsi créé un cadre juridique pour l’administration électronique, mais sans établir d’obligation pour l’administration, ce qui n’a pas permis la digitalisation des autorisations de construire.
Presque dix ans après, une ordonnance du 6 novembre 2014472 a érigé cette faculté de traitement dématérialisé en droit aux termes du nouvel article 2 qui dispose que : « Tout usager, dès lors qu’il s’est identifié auprès d’une autorité administrative, peut adresser par voie électronique à celle-ci une demande, une déclaration, un document ou une information, ou lui répondre par la même voie. Cette autorité administrative est régulièrement saisie et traite la demande, la déclaration, le document ou l’information sans demander à l’usager la confirmation ou la répétition de son envoi sous une autre forme ». Ces ordonnances des 8 décembre 2005 et 6 novembre 2014 ont été codifiées au sein des articles L. 112-8 et suivants du Code des relations entre le public et l’administration par l’ordonnance no 2015-1341 du 23 octobre 2015.
La mise en œuvre d’un tel droit d’accès à une administration digitalisée obligatoire a nécessité des textes subséquents pour préparer les administrations et prévoir les modalités de cette nouvelle relation digitalisée, parmi lesquels il faut citer :
le décret no 2015-1404 du 5 novembre 2015473 pris pour l’État et ses établissements publics, prévoyant les modalités d’identification de l’usager, d’information du public et le contenu de l’accusé de réception. En parallèle quinze décrets en date du 6 novembre 2015 ont prévu cent quarante-cinq exceptions à cette procédure pour l’État ;
le décret no 2016-1491 du 4 novembre 2016474 relatif aux exceptions à l’application du droit des usagers de saisir l’administration par voie électronique concernant les démarches effectuées auprès des collectivités territoriales, de leurs établissements publics ou des EPCI.
Le décret no 2016-1491 du 4 novembre 2016 intéresse principalement la dématérialisation des autorisations d’urbanisme et de construire relevant de la compétence des collectivités locales, avec les exceptions suivantes en annexes 1 et 2 :
huit exceptions « définitives » pour motif de bonne administration pour des démarches prévues au Code de l’urbanisme et au Code de la construction et de l’habitation, pour des immeubles ou équipements sensibles, notamment immeubles de grande hauteur, établissements recevant du public ou dérogation aux règles d’accessibilité pour les immeubles d’habitation collectifs ;
dix-neuf exceptions à titre transitoire, jusqu’au 7 novembre 2018, afin d’offrir le temps de créer les téléservices et la dématérialisation des procédures, et notamment les demandes de permis de construire comprenant ou non des démolitions, demandes de permis d’aménager comprenant ou non des constructions ou des démolitions, demandes de permis de démolir, déclaration attestant l’achèvement et la conformité des travaux ou encore déclaration d’intention d’aliéner, au titre du droit de préemption urbain.
Ainsi les autorisations d’urbanisme autres que celles susvisées de l’annexe 1 devaient être entièrement administrées par voie électronique à compter du 8 novembre 2018.
La dématérialisation de la procédure de permis de construire était très attendue par les acteurs de la construction compte tenu de la lourdeur du dossier à constituer, de la quantité d’informations et des modalités de récolement/tampon des pièces en plusieurs exemplaires. Cet engouement n’était pas partagé par les collectivités qui n’avaient que deux ans pour appliquer ces nouvelles procédures posant de nombreux problèmes d’organisation, de sécurité ou encore de financement de nouveaux outils. Pour cette raison, les mairies se sont vivement opposées à la mise en œuvre de ce dispositif475 et ont plaidé pour un report à 2022.
Constatant un retard irrattrapable du côté des mairies qui auraient été incapables au niveau national d’administrer correctement les dossiers, l’État a pris un décret le 5 novembre 2018476, deux jours avant l’échéance initialement fixée. Ce décret a décalé de plus de trois ans l’échéance de dématérialisation obligatoire des autorisations de construire en la repoussant au 31 décembre 2021.
La loi Elan du 23 novembre 2018477 a limité l’obligation de dématérialisation aux communes de plus de 3 500 habitants. À compter du 1er janvier 2022, les communes de plus de 3 500 habitants devront être dotées d’une « téléprocédure spécifique » propre à recevoir et instruire sous forme dématérialisée les demandes d’autorisations d’urbanisme, qui peut être mutualisée au travers du service en charge de l’instruction. Les arrêtés d’application de ce texte n’ont pas été adoptés.
2-314 – Y a-t-il une chance de voir le BIM intégrer la téléprocédure à l’horizon 2022 ? Cela semble très peu probable. En effet, les collectivités rencontrent déjà des difficultés pour digitaliser leur procédure et ont obtenu un premier report de 2018 à 2022 de l’obligation de téléprocédure pour les autorisations d’urbanisme. Même si la téléprocédure nécessite des investissements et un paramétrage des organisations, cela implique des outils informatiques relativement simples, et principalement des bases de données et des interfaces en ligne pour le dépôt et l’échange de documents sécurisés. Le BIM est d’un niveau de sophistication largement supérieur et implique de disposer de logiciels spécialisés coûteux et une formation des administrations pour savoir les utiliser et les lire. Mais peut-être que le BIM pourrait devenir une procédure optionnelle si le pétitionnaire et la ville sont équipés et le souhaitent.
2-315 – Les deux enjeux du BIM dans les autorisations d’urbanisme. – Même si son adoption semble lointaine, l’utilisation du BIM en matière d’autorisations d’urbanisme présente deux séries d’enjeux : au niveau de la règle d’urbanisme (le BIM permettrait un contrôle automatisé du respect des normes de construction pour autant que le plan local d’urbanisme [PLU] aurait été traduit dans un programme de contrôle), mais aussi au niveau de la procédure d’instruction en elle-même sur la base d’une base BIM et non plus des dossiers papiers ou numérisés.
2-316 – L’automatisation du contrôle en BIM via un PLU programmé. – Les normes de construction et d’urbanisme appliquées au bâtiment sont par essence des normes concrètes et pratiques avec une vocation opérationnelle évidente. Il semble aujourd’hui possible de modéliser l’intégralité d’un plan local d’urbanisme en considération du bâtiment existant, ce qui permettrait de voir en quelques clics les volumes, destination, règles de prospect, etc. La programmation complète d’un PLU est aujourd’hui possible478.
Bien que la technologie émerge, il faut admettre que l’urbanisme implique énormément de normes de construction très complexes qui ne sont pas reprises dans les PLU et dont la rédaction rend leur programmation complète presque impossible. D’abord parce que ces normes évoluent constamment et sont souvent formulées en principe/exception difficilement programmables, mais également car de nombreuses règles sont subjectives, comme l’aspect extérieur ou l’harmonie avec les environnants.
Pour permettre de programmer entièrement les normes de construction, il faudrait donc les simplifier et les rationaliser. Pour cela, elles devraient être de moins en moins qualitatives et de plus en plus quantitatives, ce qui supposerait de définir majoritairement des règles objectives avec des seuils et des valeurs réelles et chiffrées.
Dans l’immédiat, la vérification par la collectivité et ses services du respect des normes de construction par le pétitionnaire pourrait se faire au mieux de manière semi-automatique avec une assistance technique limitée.
2-317 – L’instruction des autorisations en BIM. – La procédure d’instruction du permis par le BIM (permis « BIMé ») impliquerait de définir le niveau d’information nécessaire à la collectivité pour instruire le permis avec les services consultés, au même titre que n’importe quel acteur du projet. Cette écriture de la procédure nécessiterait un niveau de maturité du BIM et une forme de standard communément admis par les acteurs de la construction et les collectivités.
Au niveau du projet, la mission de la maîtrise d’œuvre devrait être adaptée afin qu’une interface dédiée à la mise en instruction des permis de construire soit créée dans la base BIM. Cette interface orientée « vérification de la règle d’urbanisme » n’existe pas actuellement dans les logiciels BIM. Par ailleurs, le permis de construire BIMé impliquerait que la maquette objet du dossier de permis de construire puisse être figée à la date du dépôt de la demande et la fiabilité de ses données assurée. Les services instructeurs devraient également avoir la capacité de viser/figer la base BIM à l’appui de l’autorisation accordée (équivalent du tampon apposé sur les documents du dossier de permis de construire) afin de garantir le contenu du projet autorisé.
S’agissant enfin du dossier de permis de construire, toute personne intéressée devrait pouvoir en solliciter une copie, ce qui pose la question du format de consultation. Faudrait-il limiter la communication, sous format papier, des seuls extraits de la maquette correspondant aux plans et documents listés par le Code de l’urbanisme au titre de la composition du dossier de permis de construire, ou toute la maquette en elle-même ?
2-318 – De l’immeuble à la ville en BIM. – Les enjeux de l’adoption d’une procédure de permis BIMérejoignent ceux de la smart city et de la digitalisation de la planification d’urbanisme. Le BIM implique la création d’un avatar numérique d’un immeuble en particulier, et l’addition des BIM de chaque immeuble interconnecté pourrait former à l’avenir un quartier, voire une ville entière avec ses infrastructures. À l’échelle du bâtiment il est d’ailleurs très probable que l’État intervienne pour imposer aux maîtres d’ouvrage de « BIMer » les bâtiments existants, dans le prolongement du carnet numérique de l’immeuble.