2-119 Par financements numériques, on entend ici les nouveaux financements des projets des entrepreneurs qui sont à l’œuvre dans un cadre digital ou qui portent sur un objet numérique.
Ainsi il convient d’évoquer l’essor considérable du financement alternatif de l’activité entrepreneuriale, notamment via le crowdfunding (Section I). Le crowdfunding est un mode de financement désintermédié, qui peu à peu s’est frayé un chemin vers la reconnaissance juridique de ses acteurs, les plateformes. Ensuite, pour embrasser le plus vaste champ d’activités économiques possible, et donc rendre liquides plusieurs types d’actifs, ce sont soit les produits et services, soit les actifs donnant droit à des revenus, qui sont concernés ; on parle dans les deux cas de tokenisation du capital entrepreneurial (Section II), qui s’inscrit dans un mouvement général exponentiel de financement par tokenisation.
2-120 À l’origine, le crowdfunding, littéralement union de « foule » et de « financement », visait essentiellement le financement, par le don, de projets culturels171 ou humanitaires. Aujourd’hui, le crowdfunding intéresse tous les secteurs d’activité, et a vocation à s’appliquer à beaucoup d’entreprises, non seulement des startups, mais aussi des petites et moyennes entreprises.
Plus généralement, le crowdfunding est l’une des composantes de la finance alternative.Celle-ci comprend les prêts à la consommation en ligne, les cagnottes en ligne, la solidarité embarquée, les fonds de prêt aux entreprises en ligne et affacturage, et le financement participatif.
Schématiquement, le procédé de crowdfunding consiste à mettre en relation, à l’aide d’un site internet, les créateurs d’un projet déterminé et les personnes finançant ce projet.
Pour ce faire, les porteurs de projet soumettent les détails de l’activité envisagée : achat ou vente, prestations de service, pour réaliser une opération suffisamment prédéfinie en termes d’objet économique, de montant et de calendrier. Le site ou la plateforme dédié doit accepter le projet y compris en termes d’objectif de levée de fonds. Ainsi, après sélection, les projets sont mis en ligne sur la plateforme pour une durée et un montant de financement déterminés. Notons que l’immobilier constitue l’application la plus dynamique de cette finance participative172.
Homunity s’est spécialisée dans les projets immobiliers. Il ne s’agit pas dans ce cas de prêts professionnels, mais de projets de constructions immobilières. Les contributeurs perçoivent une partie des ventes ou des loyers versés une fois les logements construits. Cette nouvelle forme d’investissement dans l’immobilier neuf convient notamment aux promoteurs qui peuvent compléter leurs apports personnels avant de souscrire un prêt bancaire, ou financer leur chantier en totalité.
Le spectre des activités est très large, selon que l’on vise des dons sans contrepartie, des prêts ou des financements avec prise de participation ou coproduction.
Un label a été aussi créé pour les projets à connotation écologique, nommé « Financement participatif pour la croissance verte ». Ce label a été créé en 2017 pour valoriser les projets qui œuvrent en faveur de la transition énergétique et écologique.
Dans un monde de plateformes, tous les usages économiques sont en théorie concernés (Sous-section I). Ce financement alternatif fait aujourd’hui l’objet d’un cadre législatif et réglementaire (Sous-section II), mais sans doute cette ouverture sur mesure à divers financements devrait-elle davantage interroger les juristes, et singulièrement les notaires, sur leur rôle à jouer dans le processus (Sous-section III).
2-121 Le crowdfunding se prête à de multiples activités, ce qui lui permet de mobiliser une grande variété de financements et de supports d’investissement.
Le domaine immobilier de ce financement participatif est dominant, loin de sa stricte dimension originaire de solidarité et de charité. Mais le crowdfunding trouve des déclinaisons pratiques en termes de prêts à la consommation de particulier à particulier, de prêts de particuliers aux entreprises, et intéresse également l’affacturage ou les titres à base de dette. Il existe des plateformes généralistes et des plateformes spécialisées, sachant qu’en principe, une plateforme de crowdfunding généraliste s’adapte à tout type de projet173. Le site de la Banque publique d’investissement (BPI) propose aussi un panorama des projets et un guide d’emploi174. En France les sommes concernées sont en expansion constante, passant de 167 millions d’euros collectés en 2015 à 629 millions d’euros en 2019175. Au premier semestre 2020, malgré la conjoncture, les collectes ont continué à augmenter avec une croissance de 34 % par rapport au premier semestre 2019 pour atteindre 320 374 570 €176.
Du côté de l’investisseur, la question cruciale est l’appréciation des risques liés à l’investissement considéré. C’est pourquoi le législateur s’est efforcé de mettre en place un cadre spécifique où s’exercent les activités des plateformes.
2-122 – Un nouveau statut pour les intervenants en financement participatif. – Le crowdfunding se situe à la frontière des activités réglementées telles que la fourniture de services d’investissement ou l’offre au public de titres financiers, la réalisation d’opérations de banque et la fourniture de services de paiement. Pour permettre ce qui constitue en pratique une entorse au monopole des services de paiement, une nouvelle réglementation en matière d’émission d’actions et de rédaction de prospectus a vu le jour, et surtout des statuts professionnels dédiés ont été créés.
Une ordonnance de 2014 a défini deux statuts distincts177 pour accompagner les porteurs de projet qui soumettent leur demande de financement à un large public via une plateforme :
le statut d’intermédiaire en financement participatif (IFP) pour les plateformes en crowdlending (littéralement « prêt par la foule ») : dans ce cas, en échange du financement, les prêteurs seront remboursés et rémunérés grâce aux versements d’intérêts.
L’IFP exerce l’activité de financement participatif sous forme de prêts, à titre gratuit ou onéreux, et sous forme de dons ;
le statut de conseiller en investissement participatif (CIP) pour les plateformes en crowdequity : à savoir l’investissement en actions, dont le rendement dépend de la réussite du projet et de l’exécution du contrat de cession de revenus futurs.
Le CIP exerce à titre de profession habituelle d’une activité de conseil en investissement portant sur des offres de titres financiers émis par une société non cotée, ou « service identique » portant sur des minibons émis par une société par actions (cotée ou non) ou une société à responsabilité limitée, dont le capital est intégralement libéré.
Le dispositif a été complété par un décret relatif aux conditions d’accès à la profession de CIP ou d’IFP178. Puis un autre décret179 a modifié les plafonds applicables à certaines catégories de levées de fonds, ainsi que les titres éligibles.
Enfin le statut de prestataire de services d’investissement (PSI) et son agent lié (ALPSI) a été conçu, pour un acteur voulant opérer directement sur une plateforme de crowdequity par la fourniture d’un service de conseil en investissement180.
Un PSI ou un CPI offrent tous deux des bons de caisse, dénommés minibons, au moyen d’un site internet. Concrètement, les minibons constituent des titres nominatifs et non négociables comportant l’engagement par un commerçant de payer à une échéance déterminée, délivrés en contrepartie d’un prêt.
L’émission et la cession de minibons peuvent également être inscrites dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant l’authentification de ces opérations (C. monét. fin., art. L. 223-12).
2-123 – Les faveurs législatives en termes de développement des entreprises. – Enfin la loi Pacte du 22 mai 2019, a posé le principe que les titres émis dans le cadre du financement participatif (actions non cotées, obligations à taux fixe et minibons) soient éligibles au PEA-PME (plan d’épargne en actions destiné au financement des PME et ETI).
Et à l’échelle européenne, le Plan d’action FinTech de la Commission prévoit la création d’un label permettant aux plateformes de financement participatif agréées d’exercer leurs activités dans toute l’Union européenne. L’objectif affiché par Bruxelles est que l’Europe devienne un centre mondial des FinTech. Comme première réalisation majeure de ce plan, est visée l’élaboration d’une réglementation qui aidera les plateformes de financement participatif à se développer dans le marché unique de l’Union.
Cela devait prendre la forme d’un règlement qui, une fois adopté par le Parlement européen et le Conseil, permettra aux plateformes d’obtenir ce label en se conformant à un ensemble unique de règles, label autorisant une offre de services à l’échelle européenne181.
C’est chose faite depuis l’adoption de deux textes de droit positif en date du 7 octobre 2020, qui entreront en application le 10 novembre 2021 : un règlement et une directive182, dans un mouvement qui a été qualifié par un auteur de « réappropriation européenne du crowdfunding »183. Ces textes précisent le régime des prestataires européens de services de financement participatif (PSFP), qui sont des personnes morales devant obtenir un agrément auprès de l’autorité compétente de l’État membre dans lequel elles sont établies, laquelle autorité nationale en informe l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF). Si l’activité du PSFP quant au financement participatif par prêts, est assez neutre et se borne à un rôle de facilitateur, son rôle dans l’investissement participatif est l’objet principal du règlement européen, dans un souci de protection des investisseurs non avertis (via un test de connaissances, une simulation de la capacité à supporter des pertes, un délai de réflexion précontractuel et la réalisation d’une fiche d’informations au niveau de la plateforme).
Notons enfin que très réactives aux évolutions de l’environnement économique et financier global, les plateformes de crowdfunding connaissent des fermetures, fusions, regroupements entre elles, ou impliquent des acteurs traditionnels184.
2-124 – Quelle est la place du juriste dans le financement participatif ? – Des conseils spécialisés accompagnent bien sûr les startups ou PME dans la rédaction des actes les unissant aux acteurs du financement participatif, et accompagnent aussi les plateformes dans l’obtention de leur immatriculation officielle et bientôt du label européen. Mais l’un des problèmes persistants est la sécurité des versements effectués par les investisseurs.
Le notaire pourrait alors, avec l’accord de la Banque des Territoires (direction créée en mai 2018 au sein de la Caisse des dépôts), remplir le rôle de séquestre tout en se conformant à ses obligations déclaratives en matière de lutte contre le blanchiment. Surtout il peut devenir un acteur du droit du crowdfunding. Son intervention serait légitime dans la rédaction de conventions fixant les règles de dépôt de fonds, les cas de restitution, la responsabilité des contributeurs, les règles de partage de la valeur créée…
Apparu après le crowdfunding, un autre mode de financement, non seulement désintermédié mais surtout de nature entièrement numérique, tient la vedette aujourd’hui : la levée en actifs numériques eux-mêmes ; c’est l’objet de l’étude de la section suivante.
2-125 La tokenisation est l’opération consistant à inscrire un actif de toute nature, et tous ses droits attachés, sur un jeton numérique, ou token, ensuite enregistré sur un dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP), notamment une blockchain. L’objectif est de rendre l’actif plus liquide, puisqu’il se négocie sur un marché secondaire propre.
On ne distinguera pas ici entre les actifs concernés, étant précisé que les actifs immobiliers, qui constituent une partie importante des biens « tokenisés », font l’objet d’une étude spécifique dans le présent rapport185.
Dans l’optique de rendre liquides plusieurs types d’actifs, ce sont d’abord les produits et services qui sont concernés ; on parle alors d’Initial Coin Offering (ICOs) (Sous-section I).
Si les actifs numériques offerts se rapprochent de la catégorie des instruments financiers, ou plus généralement de tokens donnant droit à une part de capital ou de revenus de l’actif sur lesquels ils sont indexés, l’opération sera qualifiée de Security Token Offering (STO) (Sous-section II).
La mise en œuvre de ces différents procédés de financement implique un encadrement adéquat des acteurs professionnels qui y prennent part (Sous-section III).
2-126 – Définition en miroir. – La notion d’ICO renvoie à celle plus ancienne, officielle et régulée, d’IPO : Initial Public Offering, qui vise les introductions en bourse classiques. En droit français on parle d’offre de jetons, définie ainsi par la loi Pacte du 22 mai 2019 : « Une offre au public de jetons consiste à proposer au public, sous quelque forme que ce soit, de souscrire à ces jetons »186.
Comme cela a été souligné, la rédaction est proche d’une lapalissade187. En réalité, le législateur a voulu une définition très ouverte, pour inclure tout ce qui ne relève pas des appels à un nombre limité de personnes, et admettre toute levée de fonds sur internet en émettant des jetons via un dispositif d’enregistrement électronique partagé.
Avant d’aborder l’objectif affiché des promoteurs d’une ICO, à savoir le lancement d’activités nouvelles ou innovantes (§ II), son processus doit être au préalable examiné au double plan technique et juridique (§ I).
2-127 En théorie calqué sur le modèle des appels de fonds classiques, le déroulement d’une ICO obéit à des caractéristiques spécifiques (A) et un corpus de régulation ad hoc (B), liés à la nature des actifs émis, les utility tokens, c’est-à-dire des jetons qui donnent droit à l’usage des biens ou services que l’émetteur souhaite proposer (C). Se manifeste ici la double fonction d’une ICO : lever des fonds et organiser la prévente de biens ou services188.
2-128 Au départ débridées dans leur pratique, les ICOs sont aujourd’hui explicitement visées par le législateur, et figurent au Code monétaire et financier depuis la loi Pacte, avec comme gardien du temple l’Autorité des marchés financiers (AMF).
2-129 – Une levée de fonds opérée le plus souvent en cryptomonnaies. – Les fonds apportés le sont par des investisseurs détenteurs de cryptomonnaies : c’est que la tokenisation représente une nouvelle forme de financement privilégiée par la plupart des FinTech dans une économie numérique où se développent des dispositifs d’enregistrement électronique partagé (DEEP).
Plus globalement, l’opération financée est en lien avec l’économie digitale en voie de développement189.
2-130 – Les étapes de l’ICO. – L’ICO se déroule pratiquement en trois phases : l’élaboration du projet, l’obtention du visa de l’AMF, et enfin la réalisation de la levée de fonds par l’emprunteur. Ici seront traités ces seuls points essentiels190.
L’opération est initiée par une personne morale de droit français, plus exactement « établie ou immatriculée en France »191, ce qui laisse le champ d’action à un établissement immatriculé en France pour un projet étranger. En réalité, la loi s’applique essentiellement aux ICOs lancées par une personne française au profit de souscripteurs français, l’échelle européenne n’étant pas à ce jour atteinte, ce qui est regrettable pour le déploiement des ICOs192.
Derrière cette société émettrice œuvrent plusieurs personnes qui ont constitué une équipe qui élabore un projet industriel et envisage son financement. Puis un livre blanc ou white paper est rédigé : il s’agit d’un document essentiel. Il présente le projet et ses modalités de financement aux différents investisseurs, avec un montant de levée de fonds minimum.
Le white paper peut enfin préciser comment les tokens seront distribués ; à cet égard il est souvent fait usage de smart contracts permettant cette distribution de manière transparente et sécurisée193.
2-131 Concrètement, des experts de diverses origines (on parle de comité d’advisors) procèdent à une analyse juridique, fiscale et comptable de l’opération, et veillent à sa lisibilité par tout souscripteur. Le choix par exemple du token approprié à l’ICO en question – utility, token de paiement, voire security token194 – selon la fonction économique du jeton émis, ne doit pas nuire à la compréhension du projet par tous ; là réside la qualité substantielle recherchée du livre blanc195. Par ailleurs, ces experts doivent rassurer les investisseurs quant à la crédibilité du projet. Cela passe aussi par l’exposé et l’analyse des risques du projet tout autant que des caractéristiques de l’offre, au sein du white paper.
2-132 Précisément, une opération d’ICO présente des risques non seulement inhérents à tout appel de fonds, mais aussi propres à la qualité des actifs émis, ces derniers risques étant plus importants compte tenu de la nouveauté de ce type de financement et des incertitudes entourant les jetons196. Cette question a motivé principalement l’intervention du législateur et de l’AMF, pour fixer les règles applicables. Il faut souligner que les opérateurs souhaitaient cette intervention, dans une approche toutefois volontaire et non obligatoire197.
Les modalités d’intervention et de contrôle de l’AMF figurent aux articles L. 552-4 à L. 552-7 du Code monétaire et financier (C. monét. fin., art. L. 552-4 à L. 552-7) dans sa rédaction issue de la loi Pacte.
2-133 – Un défi réglementaire à l’innovation. – Le « permis d’ICO » obéit aussi au cadre sui generis élaboré par l’AMF ; il s’agit pour cette institution de relever un véritable défi : délivrer un visa qui a la particularité de présenter un caractère volontaire, à la demande des émetteurs. Le contexte du cadre réglementaire a été résumé par M. Benoît de Juvigny, secrétaire général de l’AMF lors la présentation du label le 4 juin 2019 : « Les ICOs sont un vrai défi pour le régulateur. Il s’agit de combler un vide juridique sans toutefois rendre ce visa obligatoire, ce qui aurait amené les acteurs à se tourner vers les pays étrangers »198.
L’esprit général du dispositif est la bonne compréhension par le souscripteur de la levée de fonds en cryptomonnaies, et non la validation du projet en tant que tel et encore moins une garantie donnée au contenu financier et technique déployé par ses émetteurs199.
En substance, tout se joue au niveau du contenu du livre blanc, dont les stipulations sont contrôlées par l’AMF, en fonction de son règlement interne, savoir pour reprendre ses éléments principaux :
informations sur l’émetteur (la société, les équipes) ;
informations sur le projet (financement, phases du projet, but du projet, service proposé, technologie utilisée) ;
informations sur le jeton (nature et droits attachés au jeton, utilisation, cotation sur les plateformes) ;
les caractéristiques de l’offre (nombre de jetons émis, conditions préférentielles d’attribution de ces jetons) ;
les risques (du projet, de change en monnaies à cours légal).
Le détail de la procédure de saisine et réponse de l’AMF figure aux articles 712-1 à 712-10 au sein du livre VII du règlement général de l’AMF propre aux « Émetteurs de jetons et prestataires de services sur actifs numériques ». Le visa peut en outre être retiré dans certaines conditions ; enfin, le contrôle s’opère aussi sur les moyens de communication et de marketing de l’émetteur200.
2-134 Le premier visa délivré par l’AMF sur un document d’information l’a été le 18 décembre 2019, pour une ICO lancée par la FinTech FRENCH-ICO.COM, créée en 2018. Ce premier visa est important non seulement pour les émetteurs de jetons potentiels, mais aussi pour l’autorité de régulation elle-même, dans la poursuite de l’objectif de donner vie à un système d’ICO attractif dans l’écosystème blockchain201.
Certes ce premier visa a démontré que le règlement général de l’AMF et les dispositions de la loi Pacte ne relevaient pas que de la théorie numérique ou virtuelle, mais pouvaient se traduire dans la réalité économique digitale. Cependant, si depuis plusieurs dizaines de dossiers ont été déposés, cela représente une part infime de l’économie mondiale des levées de fonds. Le vrai défi sera sans doute la démocratisation des ICOs avec leur usage par des entreprises ayant déjà obtenu un financement traditionnel mais voulant le décupler, au-delà des startups innovantes.
2-135 – Délicate question de l’ouverture d’un compte bancaire spécifique. – L’obtention du visa permet à l’émetteur d’avoir droit à l’ouverture d’un compte auprès d’un établissement de crédit. Lors de la mise en œuvre d’une ICO, les fonds peuvent être levés en cryptoactifs ou en monnaie fiat (monnaie fiduciaire). Les fonds levés en cryptoactifs doivent ensuite pouvoir être échangés contre de la monnaie fiat afin d’alimenter le financement économique du projet. L’ouverture d’un compte bancaire conditionne donc, en pratique, la réussite du projet202. Il s’agit là d’un sérieux obstacle pour la réalisation d’une ICO en France, car la plupart des établissements bancaires sont hostiles à recevoir des fonds provenant d’une telle levée de fonds : méfiance dans la conversion de cryptoactifs en monnaie fiat, problèmes d’identification de l’origine des fonds… même si en théorie il existe un droit au compte général pour toute personne physique ou morale dans l’établissement de crédit de son choix203.
C’est pourquoi la loi Pacte a mis en place un « droit au compte » spécifique en application duquel les banques doivent appliquer des règles strictes, objectives et non discriminatoires envers les entreprises ayant obtenu un visa de l’AMF pour une ICO (C. monét. fin., art. L. 312-23). Toute la réussite des ICOs dépendra de l’effectivité de la mise en œuvre de ces dispositions par les établissements de crédit.
2-136 Enfin la phase de réalisation de l’ICO débute. Il s’agit d’éprouver véritablement le projet par le lancement de la campagne de financement. Elle consiste en une vente préalable au profit de certains souscripteurs puis une vente avec les investisseurs intéressés dans le monde entier. L’offre publique peut en effet être précédée d’une offre privée réservée à des investisseurs acceptant de prendre des risques plus importants.
Si les fonds levés atteignent la somme prévue, en pratique on parle de soft cap, le succès de l’ICO est avéré, et les jetons sont délivrés pour être ensuite cotés sur un marché secondaire. En deçà du soft cap, les fonds sont remboursés aux investisseurs, et le projet de l’ICO s’arrête204.
2-137 Les jetons créés qui sont proposés aux investisseurs peuvent représenter des actifs ou des droits qui y sont associés. Le token doit aussi permettre l’exercice de certains droits, tels le droit aux dividendes ou le droit à l’information grâce aux smart contracts.
C’est à l’émetteur de définir le type de tokens émis de manière automatisée en contrepartie du versement de fonds ou de cryptoactifs par le souscripteur. Il en résulte un choix et une souplesse lors de la conception du projet : à chaque usage ou service ou moyen de paiement répondra un jeton singulier – le cas de l’émission de security tokens sera abordé plus loin.
Concrètement, les levées de fonds par ICO visent le plus souvent, d’une part, des variantes d’utility token : jeton offrant à son détenteur un droit d’usage sur la technologie ou les services développés puis distribués par l’émetteur – économiquement, il correspond à une vente anticipée du droit d’utiliser un service ou d’acheter un produit ; d’autre part, divers types de token de paiement : jeton servant de moyen de paiement pour l’achat de marchandises ou de services.
2-138 Sur le plan juridique par ailleurs, les émetteurs doivent prendre conscience que leurs obligations dépassent la seule finalité commerciale apparente du livre blanc, afin d’éviter de possibles recours d’investisseurs, fondés soit sur un manquement à l’obligation précontractuelle d’information, résolue en dommages-intérêts (C. civ., art. 1112-1), soit sur le dol ou la réticence dolosive pouvant être sanctionnés par la nullité du contrat (C. civ., art. 1137 et art. 1139)205, soit encore sur les dispositions propres au droit de la consommation (C. consom., art. L. 111-1 et L. 111-6).
2-139 L’attractivité du processus d’ICO (A) illimitée en théorie puisqu’il confère aux souscripteurs de multiples droits sur tout bien ou service (B) ne doit pas occulter l’existence d’inconvénients sensibles (C).
2-140 À l’instar de la « tulipomanie » qui s’est manifestée au cours du XVIIe siècle et qui donna naissance, après l’augmentation démesurée puis l’effondrement des cours des bulbes de tulipes, à la première bulle spéculative206, la tokenisation par voie d’ICO a connu depuis 2017 une courbe de hype : explosion, voire frénésie, rechute, rebond, etc.207
Les fonds en jeu se chiffrent en milliards de dollars, compte tenu du caractère global, planétaire, de l’accès aux investisseurs potentiels. Cette exposition à un marché mondial en termes de clients potentiels se double du bénéfice potentiel d’une multitude de projets d’investissement à une très large communauté d’investisseurs208, y compris de nouveaux financeurs.
2-141 L’éventail des tokenisations d’actifs est très vaste en pratique : il recouvre, au-delà de l’immobilier (par ex., Property Coin), l’art, les métaux précieux, des matières premières, l’or et même des monnaies nationales.
Ainsi le propriétaire d’une œuvre d’art ayant besoin rapidement de liquidités pourrait vendre une partie de son tableau (X centaines de jetons) à une foule d’amateurs d’art. Un entrepreneur peut lever une épargne conséquente grâce à une ICO, alors même qu’un établissement bancaire ou de crédit ne l’accompagnerait pas.
Une fois détenteur de tokens, son souscripteur pourra soit les échanger contre de la cryptomonnaie, soit les vendre contre une monnaie ayant cours légal, soit enfin et surtout les utiliser, c’est-à-dire accéder aux produits ou services développés par la société qui les a créés209.
2-142 Du point de vue du droit des obligations, le fait que le token donne droit à l’usage d’un bien ou d’un service qui n’existe pas encore, ou donne droit à diverses prestations alternatives, ne pose pas de problèmes si l’on se réfère aux articles 1163 (le contrat peut porter sur une prestation présente ou future, C. civ., art. 1163) et 1307 à 1307-5 (obligation alternative, au choix du débiteur, C. civ., art. 1307 à 1307-5) du Code civil210.
2-143 – Risques de la tokenisation. – « Nouveaux actifs » ne signifie pas « fin des anciens risques » inhérents à toute forme de bulle spéculative et généralement à toute titrisation. Les objectifs de sécurité juridique (protection des investisseurs et transparence des marchés) sont d’autant plus difficiles à atteindre en présence d’objets juridiques nouveaux créés dans un environnement – un engouement – technologique innovant.
Les risques de l’opération peuvent être synthétisés en trois catégories.
2-144 Sur le plan des droits fournis au souscripteur qui acquiert des jetons, l’incertitude règne. Comme cela a été souligné, « ni actionnaires, ni créanciers (…) les porteurs de tokens se trouvent dans une situation où ils prennent un risque total sur l’émetteur, sans qu’en contrepartie ne leur soit attribués des droits pour protéger leur investissement »211. Les propriétaires de tokens d’usage peuvent accéder aux produits fournis par la société émettrice, mais n’en sont pas associés.
Leur droit est éventuel, tenant aux futurs dividendes et revenus du projet lorsqu’il sera en activité, sans qu’ils y participent par un droit de vote en assemblée par exemple. C’est l’une des explications à l’effet assez relatif du visa de l’Autorité des marchés financiers quant à l’économie du projet, les livres blancs soulignant souvent cette absence de prérogatives et même de droit acquis au remboursement de son investissement.
2-145 – Déterminabilité de la prestation. – Par ailleurs, rapporté au droit des contrats et au caractère déterminé ou déterminable de la prestation prévue dans un contrat (C. civ., art. 1163, al. 2), l’ICO pose des difficultés212. Le point délicat tient à la quantification du nombre nécessaire de tokens en pratique pour accéder à la technologie proposée par l’émetteur, ou au service attendu. C’est sur le plan de la quantité de la contre-prestation qu’une ICO pourrait être invalidée. Le souscripteur ne connaît pas forcément au départ la corrélation entre un token et un usage concret, la définition bilatérale de la prestation ne semble pas bien établie.
2-146 Du côté de la vérification des souscripteurs financiers, le protocole Know Your Customer (KYC) (ou dispositif d’identification et de connaissance de l’investisseur) a vocation à s’appliquer. Il ne résulte pas de la loi Pacte ni d’une obligation spécifique. Mais les acteurs des ICOs s’accordent à se soumettre aux dispositions légales résultant du Code monétaire et financier aux termes desquelles (C. monét. fin., art. L. 561-2, 7obis) sont assujettis aux obligations de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC-FT), notamment : « Les prestataires des services mentionnés aux 1o à 4o de l’article L. 54-10-2 » savoir les services sur actifs numériques suivants :
1o le service de conservation pour le compte de tiers d’actifs numériques ou d’accès à des actifs numériques, le cas échéant sous la forme de clés cryptographiques privées, en vue de détenir, stocker et transférer des actifs numériques ;
2o le service d’achat ou de vente d’actifs numériques en monnaie ayant cours légal ;
3o le service d’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques ;
4o l’exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques.
Dans la même démarche de soumission volontaire au visa de l’AMF, le respect du protocole KYC dans le white paper élaboré dans le cadre d’une ICO s’impose dans les faits, même si le porteur de projet d’ICO n’agit pas forcément à titre professionnel et habituel. Cela permet en outre de mieux identifier la provenance des fonds et de pouvoir discerner rapidement les transactions dites « suspectes ».
2-147 – Levées de fonds et usages délictueux. – Ce même souci d’encadrer les services financiers en cryptoactifs tout en exposant au public d’investisseurs la réalité des produits offerts, transparaît dans sa documentation en ligne. L’AMF y souligne la nécessaire prudence de mise pour les investisseurs en cryptomonnaies.
Soulignons que cet avertissement est de la même veine que celui figurant dans le rapport Tracfin 2019-2020213.
2-148 L’usage des jetons s’opère sur un marché dit « secondaire ». Tant que l’engouement pour le projet financièrement élaboré par une ICO se vérifie, la liquidité des jetons ne devrait pas poser de problème.
Sur le plan pratique, l’utilisation des jetons prendra la forme d’un préachat de services ou de biens proposés par une startup, le souscripteur pouvant espérer que l’émetteur ne proposera pas ensuite les mêmes services ou usages à un grand public non détenteur de jetons, abstention qui concrétiserait l’exécution de bonne foi par l’émetteur de son obligation de moyens (faire son possible pour que le projet aboutisse et procure un profit au détenteur de jetons).
Leur usage demeure plus imprévisible lorsque le plan d’affaires n’est pas sérieux ; leur valorisation fluctue alors de manière extrême, tout comme leur réelle liquidité sur la plateforme d’échange de jetons.
2-149 – Anticipation des difficultés. – Une procédure de séquestre des fonds est requise depuis la loi Pacte : l’AMF vérifie notamment que l’émetteur de jetons « met en place tout moyen permettant le suivi et la sauvegarde des actifs recueillis dans le cadre de l’offre »214.
En pratique, le séquestre peut prendre la forme d’une consignation des fonds auprès d’une banque, ou auprès de professionnels : auprès d’un compte Carpa du barreau, par l’intermédiaire d’un cabinet d’avocats, ou auprès de la Caisse des dépôts et consignations, via la comptabilité du notaire.
Un contrat de fiducie ne pourrait-il pas aussi être mis en place, avec fonction de garantie de la conservation et du bon usage des fonds levés lors d’une ICO ?
La question du remboursement de son investissement renvoie, plus généralement, au droit commun des contrats et à la notion d’imprévision.
2-150 – Droit commun des contrats. – Aux termes de l’article 1195 du Code civil (C. civ., art. 1195) dans sa rédaction issue de l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant ». Et la résolution du contrat pourra être demandée en cas d’échec des renégociations.
La mise en œuvre de la théorie de l’imprévision dans le cadre d’une opération d’ICO n’est pas définitivement tranchée en doctrine, mais semble rejetée215. On peut se reporter aux analyses doctrinales selon lesquelles l’imprévision n’a pas sa place en matière de contrats aléatoires216, qualification qui sied à l’opération d’ICO. Des explications différentes peuvent être avancées au soutien du rejet de l’imprévision : soit le risque d’échec du projet financé par la levée de fonds est considéré comme prévisible dès la souscription de jetons (le white paper envisageant d’ailleurs expressément ce risque, que ce soit un échec technologique ou économique) ; soit on admet que les risques inhérents à toute ICO ont été à l’avance acceptés, comportant ainsi ab initio une renonciation par le souscripteur à se prévaloir de l’imprévision.
2-151 Il a été question dans la présente section d’émission et d’échange de jetons dits « d’usage » sur une blockchain. Les émetteurs peuvent aussi inscrire des titres financiers sur la blockchain. L’opération est alors qualifiée de Security Token Offering (STO).
2-152 Les STOs, ou Security Token Offerings – terminologie, comme les ICOs, en référence aux Initial Public Offerings – ont pour partie une origine pratique, mais l’actif sous-jacent des jetons émis les fait aussi rentrer dans un champ réglementaire précis217.
Certains jetons peuvent être qualifiés d’instruments financiers s’ils en ont les caractères, à défaut d’en avoir la qualification légale218.
Rappelons que les jetons assimilés à des instruments financiers sont qualifiés de security tokens. On distingue dans le détail :
les native security tokens, qui ne sont pas précédés d’une émission classique de titres ; cela renvoie à la catégorie des actions ou obligations ;
les non native security tokens qui sont des actifs numériques tokenisant des instruments financiers ayant fait l’objet d’une émission classique ; cela renvoie par exemple aux parts de fonds d’investissement.
Il convient de saisir les enjeux de la tokenisation des titres financiers (§ I) avant d’en aborder le cadre réglementaire (§ II).
2-153 L’intérêt de cette offre de titres sur blockchain découle à la fois de son mode de représentation propre (A), et des buts poursuivis (B).
2-154 Le système blockchain peut être utilisé pour représenter et céder des titres financiers, depuis l’ordonnance no 2017-1674 du 8 décembre 2017 et le décret no 2018-1226 du 24 décembre 2018. En application de l’article L. 211-3 du Code monétaire et financier (C. monét. fin., art. L. 211-3), cette inscription tient lieu d’inscription en compte, sous réserve de respecter des garanties équivalentes à celles existant dans le cadre d’une inscription en compte classique.
Les valeurs mobilières concernées pour être inscrites dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP) sont celles émises sur le territoire français, exclues d’un dépositaire central. Comme tout dispositif blockchain, la tenue des registres est ainsi facilitée, car bénéficiant de ses atouts d’inaltérabilité, de conservation et de rapidité de traitement des opérations.
2-155 L’attrait d’une STO tient aux potentialités enfermées dans ces jetons, dans une volonté de meilleure sécurité de l’investissement.
2-156 L’intérêt majeur de cette forme de tokenisation réside dans le champ matériel couvert par le sous-jacent du jeton. En clair, le token créé peut, outre le titre financier lui-même, « contenir des informations essentielles relatives à la société ou la qualité de l’investisseur »219. Les opérations de vérification de l’identité des souscripteurs sont facilitées et accélérées. Les événements touchant à la vie de ces titres sont par ailleurs automatisés par des smart contracts220.
2-157 Pour l’information du souscripteur en premier lieu, le DEEP doit être conçu pour permettre aux détenteurs de ces titres de disposer de relevés d’opérations qui leur sont propres. L’accès à l’environnement économique général du jeton semble ainsi meilleur qu’en matière d’ICO, puisque l’investisseur a des droits sur un actif.
Comme en matière d’ICO, les actifs sont rendus plus liquides, mais en théorie les droits ouverts sont plus saisissables qu’un simple droit à l’usage d’un bien ou service, même si tout reposera sur l’efficacité, l’ampleur et la sécurisation du marché secondaire, souhaitable à l’échelon européen.
2-158 Il ne sera pas envisagé ici le détail des textes et mesures réglementaires applicables, mais rappelé leurs références221 et mis l’accent sur l’assouplissement intervenu pour certaines STOs.
Comme toute offre au public de titres, un cadre strict existant a vocation à s’appliquer, mais en dessous d’un certain seuil l’AMF a mis en place une procédure simplifiée.
2-159 La procédure d’IPO – Initial Public Offering – obéit à une triple réglementation :
2-160 Un assouplissement est intervenu pour les émetteurs de certaines STOs.
Aux termes de l’article 211-2 du règlement général de l’Autorité des marchés financiers, dans sa rédaction modifiée en juillet 2018, l’offre de titres financiers dont le montant total dans l’Union européenne est inférieur à huit millions d’euros224, ou à la contre-valeur de ce montant en devises, ne constitue pas une offre au public soumise à prospectus visé par l’AMF.
Une procédure simplifiée est mise en place dans ce cas, insérée dans un chapitre II bis du livre II du règlement général de l’AMF intitulé « Information synthétique à diffuser en cas d’offre de titres ouverte au public ne faisant pas l’objet d’un prospectus visé par l’AMF ». Elle tient notamment à l’obligation pour l’émetteur de l’offre de communiquer aux investisseurs, préalablement à toute souscription, un document d’information synthétique (DIS) en application de l’article 212-44 du règlement.
2-161 Le contenu du document d’information synthétique n’est pas sans rappeler celui du livre blanc ou white paper propre aux ICOs, mais il ne donne pas lieu à véritable visa ; c’est pourquoi l’émetteur ne peut pas faire publiquement état d’une quelconque revue ou vérification par cet organisme.
Toutefois l’AMF exige le respect d’un certain contenu, savoir225 :
1) une présentation de l’émetteur et une description de son activité, de son projet et de l’usage des fonds levés, accompagnées notamment des derniers comptes s’ils existent, des éléments prévisionnels sur l’activité, les levées de fonds, les financements et la trésorerie, ainsi que d’un organigramme de l’équipe dirigeante et de l’actionnariat ;
2) une information sur le niveau de participation auquel les dirigeants de l’émetteur se sont eux-mêmes engagés dans le cadre de l’offre proposée ;
3) une information exhaustive sur tous les droits attachés aux titres offerts dans le cadre de l’offre proposée (droits de vote, droits financiers et droits à l’information) ;
4) une information exhaustive sur tous les droits (droits de vote, droits financiers et droits à l’information) attachés aux titres et catégories de titres non offerts dans le cadre de l’offre proposée ainsi que les catégories de bénéficiaires de ces titres ;
5) une description des dispositions figurant dans les statuts ou un pacte et organisant la liquidité des titres ou la mention explicite de l’absence de telles dispositions ;
6) les conditions dans lesquelles les copies des inscriptions aux comptes individuels des investisseurs dans les livres de l’émetteur, matérialisant la propriété de leur investissement, seront délivrées ;
7) une description des risques spécifiques à l’activité et au projet de l’émetteur ;
8) s’ils existent, une copie des rapports des organes sociaux à l’attention des assemblées générales du dernier exercice et de l’exercice en cours ainsi que, le cas échéant, une copie du (ou des) rapport(s) du (ou des) commissaire(s) aux comptes réalisé(s) au cours du dernier exercice et de l’exercice en cours ;
9) la date de la version du document d’information synthétique.
Il est bien précisé que « l’émetteur est responsable du caractère complet, exact et équilibré des informations fournies ».
2-162 À cette variété de l’offre de security tokens, s’est ajouté un vaste éventail de prestataires de services de tokenisation, d’émission et de trading d’actifs. Ce sont soit des plateformes spécifiques, soit des offres émises par des acteurs plus traditionnels226, ce qui montre leur attractivité.
Cela s’explique aussi par le fait que le législateur s’est efforcé de réguler ces acteurs et prestataires.
2-163 Complément de l’offre de tokens nécessaire à l’édification d’un véritable écosystème durable pour les actifs tokenisés et les security tokens, la loi Pacte du 22 mai 2019 et le décret no 2019-1213 du 21 novembre 2019 se sont efforcés d’apporter un cadre rassurant pour les investisseurs, avec là encore un gardien du temple : l’Autorité des marchés financiers (AMF), dont le dispositif figure aux articles 721-1 et suivants de son règlement général.
2-164 Les activités visées sont celles du service de conservation pour le compte de tiers d’actifs numériques ou d’accès à des actifs numériques, le cas échéant sous la forme de clés cryptographiques privées, en vue de détenir, stocker et transférer des actifs numériques ; du service d’achat ou de vente d’actifs numériques en monnaie ayant cours légal ; du service d’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques ; de l’exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques ; des services de réception et transmission d’ordres sur actifs numériques pour le compte de tiers, de gestion de portefeuille d’actifs numériques pour le compte de tiers ; de conseil aux souscripteurs d’actifs numériques, de prise ferme d’actifs numériques, de placement garanti et non garanti d’actifs numériques227.
Dans le cadre du présent rapport, il ne sera pas repris le détail des réglementations mises en place, mais leurs principales caractéristiques. Deux grandes mesures se dégagent du statut conféré par la loi aux prestataires de services portant sur les actifs numériques : ces derniers doivent être enregistrés et un agrément peut être nécessaire pour certaines opérations. On distinguera donc les activités concernées par la procédure d’enregistrement obligatoire (§ I) de la sollicitation volontaire d’un agrément pour les prestataires français (§ II).
2-165 Les professionnels concernés sont ceux souhaitant exercer le service de conservation pour le compte de tiers d’actifs numériques ou d’accès à des actifs numériques, en vue de détenir, stocker et transférer des actifs numériques, et le service d’achat ou de vente d’actifs numériques en monnaie ayant cours légal.
La procédure d’enregistrement prévue par la loi228 renvoie à l’examen par l’AMF de l’honorabilité du professionnel, de la composition du capital, de la bonne mise en place de procédures permettant le respect des dispositions consacrées à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Une radiation est possible.
2-166 La loi Pacte a mis en place une procédure d’agrément facultative229 pouvant être sollicité de la part des prestataires qui exercent de manière habituelle l’un des services d’actifs numériques mentionnés plus haut230.
2-167 Des règles communes à tous les prestataires sont prévues, ayant trait notamment à la souscription d’une assurance responsabilité civile professionnelle et à la mise en place d’outils de sécurité et de transparence : exigence d’un dispositif de sécurité et de contrôle interne adéquat ; d’un système informatique résilient et sécurisé ; d’un système de gestion des conflits d’intérêts ; communication à leurs clients d’informations claires, exactes et non trompeuses, notamment les informations à caractère promotionnel, qui sont identifiées en tant que telles.
2-168 Par ailleurs, des règles d’agrément spéciales à certains prestataires ont été créées par la loi Pacte, dont la première est celle d’agir « d’une manière honnête, loyale et professionnelle, servant au mieux les intérêts du client » (Règl. gén. AMF, art. 721-13). Les professionnels concernés figurent aux articles 722-1 et suivants du règlement général AMF :
Prestataires de service de conservation pour le compte de tiers d’actifs numériques ou d’accès à des actifs numériques, le cas échéant sous la forme de clés cryptographiques privées, en vue de détenir, stocker et transférer des actifs numériques.
Une convention doit être conclue entre le prestataire et son client, définissant leurs missions et leurs responsabilités. Les prestataires doivent veiller aux garanties de conservation des actifs numériques et s’abstenir d’utiliser des clés cryptographiques sans le consentement exprès des clients, outre la mise en place d’un dispositif de contrôle interne propre à assurer le respect des dispositions relatives au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme.
Prestataires fournissant le service d’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques.
Les prestataires agréés doivent satisfaire aux obligations d’honorabilité, de gestion saine et prudente, et là encore de mise en place des procédures de contrôle propres à assurer le respect des dispositions relatives au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme.
Règles applicables aux prestataires agréés au titre de la fourniture du service de l’exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques.
Des obligations similaires au cas précédent existent, outre les moyens d’assurer une négociation équitable et ordonnée, dans les conditions et limites fixées par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers.
Prestataires assurant des opérations boursières.
Ces prestataires assurant les services de transmission d’ordres sur actifs numériques pour le compte de tiers, de gestion de portefeuille d’actifs numériques pour le compte de tiers, de conseil aux souscripteurs d’actifs numériques doivent respecter des obligations spécifiques prévues par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers. Elles concernent l’honorabilité et la compétence nécessaires à l’exercice de leurs fonctions ; le dispositif de contrôle interne propre à assurer le respect des dispositions relatives au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme ; la mise en place d’un programme d’activité structuré notamment sur le plan de la collecte auprès de leurs clients des informations nécessaires pour leur recommander des actifs numériques adaptés à leur situation.
2-169 L’objectif affiché est que le cadre d’exercice d’activité des prestataires de services sur actifs numériques (PSAN), ajouté à celui encadrant les prestataires de services d’investissement (PSI)231, assure une protection efficace des investissements sur actifs numériques. Mais le caractère optionnel de l’agrément spécifique à certains prestataires n’est pas forcément la meilleure solution232.
En outre, des interrogations demeurent. Quid postérieurement à la délivrance de l’agrément ? Les différentes obligations incombant aux PSAN font-elles l’objet d’un contrôle permanent ou seulement ab initio ?
Par ailleurs encore, des sanctions autres que le refus de délivrance de l’agrément peuvent-elles être prononcées par l’AMF ? Les PSAN encourent-ils des sanctions judiciaires spécifiques ?
Autant d’éléments qui conforteraient plus sûrement la protection des investisseurs.
Citons comme illustrations de projets financés par ce biais : Zig Zag le Mag (financement d’une publication trimestrielle passant « Paris au rayon Z »), Un riad au bout des doigts (financement de travaux de rénovation d’un riad à Marrakech par une particulière française ; contrepartie du donateur : dîner, massage, voyage…), et divers projets d’investissement dans les énergies renouvelables, notamment dans plusieurs départements la réalisation et l’exploitation des centrales solaires Ubrasolar via la plateforme Lendopolis.