CGV – CGU

PARTIE I – Les droits fondamentaux de la personne face au numérique
Titre 1 – La participation des citoyens à la vie sociale numérique
Sous-titre 2 – L’accompagnement dans la vie sociale numérique

Chapitre I – Les innovations technologiques et techniques au service des citoyens

1037 La dématérialisation change les rapports des citoyens avec l’État et modifie les questions sociales. L’évolution de la société vers le tout-numérique oblige à une adaptation constante des moyens et des dispositifs déjà en place (Section I).
Il est indéniable que le numérique présente des atouts. Cependant, des limites à son utilisation apparaissent et une orientation vers un « concept participatif citoyen se met en place » (Section II).

Section I – Le développement de l’e-administration

1038 – L’ébauche architecturale de l’administration électronique. – L’architecture de l’administration électronique a été définie par l’État au moyen d’un programme d’action gouvernemental pour la société de l’information (Pagsi). La volonté de tendre vers une e-gouvernance a conduit le Comité interministériel pour la société de l’information (Cisi) à adopter ce plan le 16 janvier 1998, dessinant ainsi les contours des services en ligne, des téléprocédures, et des téléservices95. Après un premier bilan en janvier 1999, des décisions complémentaires dénommées « 1999-2000 : vers l’administration électronique » ont été prises par les instances dirigeantes, dont :

la généralisation de nouveaux outils de services citoyens par l’utilisation élargie des formulaires dématérialisés ;

la systématisation des téléprocédures et la multiplication des portails numériques.

Ce programme ambitieux a conduit à l’adoption de programmes pluriannuels de modernisation (PPM). Le comité interministériel pour la réforme de l’État du 12 octobre 200096 a accéléré le processus en mettant en place le portail de l’administration www.service-public.fr, opérationnel depuis plus de vingt ans97. Un espace de stockage en ligne a été précisé aux termes d’un décret du 18 juin 200998. Considérée comme un levier de la réforme, cette accessibilité en ligne est disponible à la demande des futurs usagers99 pour effectuer leurs démarches administratives.
Ce téléservice est dénommé « mon.service-public.fr »100. Afin de remplir les conditions de l’article 27, III de la loi informatique et libertés101, les autorités administratives partenaires de ce service en ligne sont tenues d’adresser une déclaration de « conformité à un acte réglementaire unique » à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil)102. Il s’agit pour ces dernières d’un prérequis à l’adhésion. En revanche, le traitement de données à caractère personnel demeure sous la responsabilité de chaque administration adhérente.
1039 – Le développement du dispositif. – Depuis la mise en place du site « service-public.fr »103, les gouvernements successifs ont multiplié les projets et les sites en ligne pour développer le dispositif :

le schéma directeur de l’administration électronique (SDAE)104 ;

le programme dénommé « ADELE »105, comportant cent quarante mesures ;

l’Agence pour le développement de l’administration électronique (ADAE)106, créée pour sa mise en œuvre ;

le plan « France numérique 2012 »107, adopté en 2008, prend le relais du programme ADELE. Il généralise notamment le paiement en ligne. Un premier bilan présenté en novembre 2011 conclut à une dématérialisation des procédures atteignant 76 %108 ;

la plateforme de données publiques data.gouv.fr109, développée par Etalab110, dont la mission a été menée par le Premier ministre fin 2011.

Dans le même temps, certains sites vitrines ont été abandonnés, comme par exemple l’un des premiers sites dédiés : www.internet.gouv.fr
Depuis quelques années, l’État modifie sa stratégie de modernisation fondée sur l’électronique, la digitalisation et le réseau internet. Son but avoué est de rendre aujourd’hui les démarches en ligne plus accessibles, plus efficaces, preuve que les innovations purement techniques sont complexes et insuffisantes pour asseoir les bases d’un rapport efficient avec les citoyens.
Lors des deux comités interministériels de la transformation publique (CITP) tenus les 1er février et 29 octobre 2018, la poursuite des dématérialisations a été annoncée pour les demandes de couverture maladie universelle (CMU, devenue depuis le 1er janvier 2016 la protection universelle maladie [PUMa])113 et les marchés publics. Malgré les ressources utilisées, notamment financières, et la multiplication des plateformes d’intégration numérique, les résultats escomptés d’un pays compétitif ultraconnecté ne sont pas au rendez-vous. Un recours aux expériences du secteur privé s’amorce.
Le plan Action publique 2022 adopté le 13 octobre 2017 est une nouvelle étape de la stratégie nationale d’un numérique inclusif. Outre la priorité donnée à la transformation numérique, l’un de ses objectifs est en effet l’implication des agents publics et des usagers tout au long de la démarche pour recueillir leurs propositions. Cette implication prend la forme d’une consultation citoyenne effectuée grâce à une plateforme numérique dédiée. Elle s’adresse donc uniquement aux citoyens connectés et laisse les autres en marge de l’opportunité de s’exprimer sur ces sujets, qui pourtant les concernent. Le résultat de cette enquête publique pourrait ne pas refléter la réalité des opinions des exclus du numérique, qu’elles qu’en soient les raisons, fraction sociale numérique, illectronisme114

Section II – L’orientation vers un concept participatif citoyen

1040 – La combinaison des sites internet et des sites territoriaux. – Même si l’État a fait du numérique une priorité fondant le progrès social, la progression de notre société vers le tout-numérique suscite de vives critiques.
Les rapports humanisés entre le citoyen et l’administration reprennent aujourd’hui du sens.
1042 La méthode discursive des gouvernements successifs a abouti à une nouvelle approche offrant aux citoyens une apparente implication dans l’acceptation du processus numérique. En 2019 le gouvernement a lancé un nouveau site, https://voxusagers.gouv.fr/115 (un de plus) devant permettre aux citoyens de s’exprimer sur l’évolution numérique de leurs rapports avec l’État.
En parallèle, le gouvernement a proposé des services d’accueil sur le territoire, et renforcé les offres au sein des maisons de services au public (MSAP).
Une grande place a été laissée aux agents de la fonction publique pour accompagner socialement les citoyens face à « l’internetomanie » galopante. À elle seule la dématérialisation, célébrée comme un vecteur de simplification, est loin de résoudre tous les problèmes. Les citoyens ont besoin d’être guidés dans une société où tout devient complexe.
1043 – Le retour à la proximité citoyenne. – La modernisation du service public voulue par l’État et les expériences menées via la sphère numérique ont abouti à une prise de conscience encore fragile, celle du besoin d’un retour à la proximité citoyenne. Une « carte blanche » a été donnée à la ville de Cahors en 2017 pour mener une première expérience de proximité. Ce dispositif consiste à repenser le service public en invitant les usagers des services publics, les agents administratifs et les associations à travailler de concert, et à mener une réflexion commune censée améliorer le service public, autrement dit réécrire les relations entre les citoyens et l’État à partir d’une page blanche. La direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et le commissariat général à l’Égalité des territoires (CGET) jugeant l’expérience positive, ont permis de la poursuivre au-delà du département du Lot, à Béthune, Le Perche, et Lyon…
En parallèle, le secteur privé a su se servir des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). C’est ainsi que se développe l’idéologie du New Public Management116 où le modèle du secteur privé est valorisé et sert de modèle de développement de l’e-administration.
1044 – L’entrée en scène des startups GovTech117. – Selon la définition donnée par BPI France, les Government Technologies (GovTech) sont des startups travaillant pour le secteur public. Elles proposent des solutions technologiques innovantes dédiées à la sphère administrative numérique sous forme d’applications.
Au service des citoyens et des administrations, leur sphère d’intervention est de plus en plus étendue. Sans prétendre à un panorama exhaustif, les exemples suivants suffisent à démontrer leur déploiement.
• Dans le domaine de la vie citoyenne :
La solution digitale « Manty Vision » a été créée en 2017 par Manty, une startup parisienne, pour les collectivités locales. Elle permet aux élus de trouver des réponses précises à des questionnements de gestion courante. Elle apporte également une simplification à la prise de décisions en optimisant les données. Basée sur l’analyse des informations collectées, cette solution numérique innovante structure sous forme de tableau de bord les données des villes pour ensuite offrir des prédictions de politique publique. Plus d’une cinquantaine de collectivités ont signé avec cette startup. Avec certaines d’entre elles, à l’instar de Clichy ou Courbevoie, elle a pu co-concevoir un Data Lake. Il s’agit d’un espace de stockage global des informations. Sa vocation est d’absorber les flux de données bruts et de les rendre utilisables en les transformant pour satisfaire différents besoins d’analyse (ressources humaines, finance, voirie, scolarité…). En mars 2020, elle a réussi l’exploit de lever 2,4 millions d’euros de fonds notamment auprès de la Banque des Territoires pour le déploiement de sa plateforme118. Elle entend étendre son offre à toute l’Europe.
1046 Une autre GovTech dénommée « Fluicity » a vu le jour en 2015. Cette plateforme de doléances et d’échanges entre élus et administrés propose une participation démocratique citoyenne en ligne. Elle offre aux citoyens la possibilité de dialoguer avec les élus sur des sujets d’intérêt général et de les faire évoluer. Les sites dédiés se multiplient avec plus ou moins d’engouement : l’opération « mairie ouverte » (avec l’Association des maires ruraux de France)119, la mairie du XVIe arrondissement de Paris120 sur les questions européennes, etc.
• Dans le domaine de la santé :
« Doctolib », autre GovTech devenu leader européen, a innové dans la prise de rendez-vous à distance dans le secteur privé permettant, grâce à son utilisation, un gain de temps de l’ordre de 30 %. Rapidement, le système a été utilisé par plus de trente hôpitaux publics et a induit des effets révélés comme positifs121.
Dans le même ordre d’idées d’innovations, une plateforme simplifiant la gestion des plannings de remplacement des agents, des vacataires et des personnels de santé a vu le jour en 2016 : « Medgo ». Le principe est simple. Grâce à un recrutement sur site et une information par SMS, les établissements font plus aisément face à l’absentéisme lié à la pénibilité du travail. L’outil permet aussi la génération du contrat de travail et de la déclaration préalable d’embauche auprès de l’Urssaf de manière automatisée. Plus de mille établissements de santé, hôpitaux, cliniques, Ehpad y ont recours. Pendant la pandémie du coronavirus, cette startup a créé une interface digitale, « #Renforts-Covid », en partenariat avec l’agence régionale de santé Île-de-France. Basée sur le matching utilitaire, autrement dit sur la compatibilité des compétences, elle a permis à des professionnels actifs ou retraités, des étudiants, d’apporter leur aide aux établissements de santé et centres médicaux sociaux pour faire face à la crise sanitaire et la pénurie de personnel soignant122.

97) Le portail de l’administration est ouvert depuis le 23 octobre 2000.
98) D. no 2009-730, 18 juin 2009, relatif à l’espace accessible en ligne pris en application de l’article 7 de l’ordonnance no 2005-2016 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives : JO 20 juin 2009. – E.-A. Caprioli, Administration électronique – Espace de stockage en ligne de l’usager dans le cadre du téléservice « mon.service-public.fr » : Comm. com. électr. sept. 2009, no 9, comm. 84.
101) L. no 78-17, 16 janv. 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés : JO 7 janv. 1978, p. 227.
102) Cnil, délib. no 2008-578, 18 déc. 2008, portant avis sur un projet d’arrêté relatif à la création d’un téléservice dénommé « mon.service-public.fr » : JO 28 juin 2009, no 148.
105) « ADministration ELEctronique 2004 :2007 pour vous simplifier la vie » (www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/IMG/pdf/projet_ADELE.pdf).
107) www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/084000664.pdf ; http://journals.openedition.org/droitcultures/3116. – G. Koubi, Lecture partielle du « Plan France numérique 2012-2020 » : les relations administratives à l’ère numérique : Droit et cultures 65/2013, p. 239-248.
112) Action publique 2022, Réforme de l’État : pour être « plus accessible et plus efficace » (www.gouvernement.fr/reforme-de-l-etat-pour-etre-plus-accessible-et-plus-efficace).
114) V. infra, Commission 1, no 1282.
116) D. Alcaud et A. Lakel, L’administration électronique au miroir du client-centrisme de l’eCREM : paradigmes de modernisation du service public et enjeux de pouvoir dans une société démocratique (https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01757653/document).
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