CGV – CGU

Partie II – Le formalisme lié à l’efficacité de l’acte juridique
Titre 2 – Le formalisme d’enregistrement et de publicité foncière
Sous-titre 1 – La formalité d’enregistrement
Chapitre I – La protection par la liquidation de l’impôt

4375 En confiant au notaire la rédaction des actes translatifs relatifs à leur patrimoine, les clients souhaitent à la fois une sécurité fiscale et une optimisation fiscale.

La sécurité fiscale passe par l’assurance pour le client que l’impôt sera correctement déterminé et exactement calculé. L’optimisation fiscale, quant à elle, est le souhait du client de bénéficier de conseils poussés du notaire, professionnel de la fiscalité du patrimoine, en vue d’une solution fiscalement plus avantageuse. Néanmoins, l’enjeu est de faire bénéficier les clients d’une fiscalité contenue sans pour autant basculer dans l’abus de droit fiscal.

Section I – Le notaire et la détermination du régime fiscal de l’acte
§ I – La distinction entre les dispositions dépendantes et indépendantes

4376 – Principe. – Lors de l’établissement de l’acte, le notaire doit déterminer les droits exigibles au titre de l’acte emportant mutation immobilière en analysant les conventions qu’il contient, afin de rechercher les dispositions susceptibles d’être taxées.

Le texte de base en la matière est l’article 671 du Code général des impôts : « Lorsque, dans un acte quelconque, soit civil, soit judiciaire ou extrajudiciaire, il y a plusieurs dispositions indépendantes ou ne dérivant pas nécessairement les unes des autres, il est dû pour chacune d’elles, et selon son espèce, une taxe ou un droit particulier. La quotité en est déterminée par l’article du présent code dans lequel la disposition se trouve classée, ou auquel elle se rapporte ».

Alors qu’un acte contenant plusieurs dispositions dépendantes n’est soumis qu’à un seul droit, il convient, en présence de plusieurs dispositions indépendantes, de tenir compte des droits afférents à chacune d’elles pour procéder à la liquidation de l’impôt.

4377 – Recherche de définition. – La difficulté de cet exercice réside dans l’absence de signes distinctifs dans le texte de l’article permettant de reconnaître la dépendance ou l’indépendance de plusieurs dispositions à l’acte.

Il résulte de la documentation administrative635 les dispositions suivantes :

« D’après la Cour de cassation636, les dispositions multiples d’un acte ne dépendent l’une de l’autre, au sens de l’article 671 du Code général des impôts, que si le lien qui les unit résulte non de la seule volonté des parties (critère subjectif), mais de la loi elle-même (critère objectif) : « il faut non seulement que ces dispositions aient été liées entre elles dans l’intention des parties contractantes, mais que, prises abstractivement, elles concourent ensemble à la formation d’un contrat principal et en constituent les éléments corrélatifs et nécessaires ». Toutefois, la Cour suprême ne paraît pas dénier dans ses décisions toute influence à l’intention des parties, de sorte qu’il est impossible d’énoncer un critère précis ».

Il est cependant possible de formuler quelques principes repris dans le Guide de la publicité foncière637 :

sont dépendantes les deux obligations réciproques qui forment la cause l’une de l’autre, le mot « cause » étant pris dans le sens de « mobile immédiat auquel le débiteur a obéi », toujours le même dans un contrat déterminé (mutation du bien vendu et obligation de payer le prix dans une vente, double mutation réciproque dans un échange) ;

sont également dépendantes toutes les dispositions du même acte qui règlent les rapports juridiques résultant nécessairement, d’après la loi civile, du contrat unique intervenu entre les parties (clauses réglant le mode de paiement du prix de vente ; donation et partage des biens donnés dans une donation-partage) ;

les dispositions dépendantes sont celles qui se trouvent reliées entre elles par un lien nécessaire et qui forment un tout indivisible ;

en revanche, constituent des dispositions indépendantes les clauses du même acte qui ont pour résultat la formation, la modification ou la dissolution de deux contrats distincts (acte portant à la fois vente d’un fonds de commerce et location du local commercial correspondant par le propriétaire de l’immeuble où est exploité le fonds).

Un auteur, Pilon, qui a analysé la jurisprudence de la Cour de cassation, propose une définition assez éclairante638 : « Lorsqu’un acte renferme plusieurs dispositions, est indépendante toute disposition qui pourrait être éliminée de l’acte sans qu’il cesse d’être complet en lui-même et de produire ses effets juridiques normaux, compte tenu à la fois de l’intention des parties et des dispositions de l’acte prises abstractivement ».

4378 – Règles de taxation des dispositions dépendantes. – Aux termes de l’article 670 du Code général des impôts : « Lorsqu’un acte renferme deux dispositions tarifées différemment mais qui, à raison de leur corrélation, ne sont pas de nature à donner ouverture à la pluralité des droits ou taxe, la disposition qui sert de base à la perception est celle qui donne lieu au taux le plus élevé ».

L’interprétation littérale de ce texte, de principe en matière d’enregistrement, ne permet d’établir de comparaison, pour régler la perception, qu’entre les « tarifs » et non entre le « montant effectif » des droits afférents aux diverses dispositions corrélatives.

Dès lors que les tarifs des droits sont divisés en trois catégories, droits fixes, droits proportionnels et droits progressifs, la règle de l’article 670 du Code général des impôts n’est susceptible de s’appliquer, en principe, que dans les cas où les diverses dispositions dépendantes sont assujetties à des tarifs de même nature.

Dans le cas où les diverses dispositions dépendantes sont, considérées isolément, assujetties à des tarifs de nature différente, la comparaison résultant de l’article 670 du Code général des impôts est impossible, et la disposition à taxer est « la disposition principale », c’est-à-dire la disposition dont l’objet est le plus important d’après la nature de l’acte et le but poursuivi par les parties. Ainsi, dans une donation-partage, la donation est considérée comme la disposition principale et le droit progressif de donation est exigible à l’exclusion du droit proportionnel de partage.

Mais il arrive souvent que ni les termes de l’acte ni les circonstances ne permettent de discerner l’intention des contractants et de reconnaître la stipulation principale. Dans ce cas, quelle règle suivre ? La doctrine et la jurisprudence s’accordent à reconnaître que l’administration a le droit de frapper la disposition donnant ouverture au droit le plus élevé, les parties ne pouvant s’en prendre qu’à elles-mêmes si elles n’ont pas mieux précisé leur volonté639.

Ainsi, lorsqu’un acte de vente contenant quittance du prix donne ouverture à un droit de mutation inférieur au minimum de perception, il y a lieu de percevoir ce minimum sans égard au fait qu’il puisse être inférieur au droit fixe des actes innommés applicables aux quittances. L’acte de vente est en effet la disposition principale.

4379 – Règles de taxation des actes contenant des dispositions indépendantes. – Pour les actes comportant plusieurs dispositions indépendantes, le principe selon lequel chacune d’entre elles doit être assujettie à l’impôt ne joue pleinement que lorsque ces dispositions sont toutes soumises à des droits proportionnels ou progressifs. Tous les droits proportionnels ou progressifs ou dégressifs doivent être perçus.

En effet, par mesure de simplification, lorsque les dispositions indépendantes d’un même acte donnent toutes, considérées isolément, ouverture à des droits fixes, seul est perçu le droit fixe le plus élevé.

De plus, lorsqu’un acte contient plusieurs dispositions indépendantes donnant ouverture, les unes au droit proportionnel (ou progressif ou dégressif), les autres au droit fixe, il n’est rien perçu sur ces dernières dispositions, sauf application du droit fixe le plus élevé comme minimum de perception, si le montant du droit proportionnel ou progressif ou dégressif est inférieur à ce droit640. En pareil cas, les droits proportionnels ou progressifs ne sont perçus que si leur total est supérieur au droit fixe le plus élevé susceptible d’être exigé. Pour l’application de cette règle, seuls sont à considérer les droits proportionnels ou progressifs effectivement exigibles, c’est-à-dire compte tenu, s’il y a lieu, des réductions ou abattements susceptibles d’être appliqués.

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Exemples d’application

Principe en matière de vente

Toutes clauses d’un acte de vente relatives au consentement des parties, à la désignation et à la consistance de l’immeuble, ou au prix, sont des clauses nécessaires à la formation du contrat et non des conventions indépendantes de la disposition principale, c’est-à-dire de la vente. Elles échappent donc à tout droit particulier si elles sont souscrites par les parties contractantes.

Mais si des tiers interviennent à l’acte, la convention qui les intéresse, tout en se rattachant à l’un des éléments constitutifs de la vente, suppose des engagements spéciaux qui auraient pu faire l’objet d’un acte distinct et qui entraînent la perception d’un droit particulier.

Les exemples sont nombreux. Nous en donnerons quelques-uns, à titre d’illustrations, issus du Guide de la publicité foncière641 :

Doivent être considérés comme des dispositions indépendantes :

la cession par l’un des acquéreurs indivis d’un immeuble à son coacquéreur de l’usufruit de sa part ;

le partage du prix entre les vendeurs d’un immeuble indivis, constaté dans l’acte de vente. Le droit de partage est en principe exigible, mais par mesure de tempérament il n’est pas perçu ;

l’inclusion d’un acte de prêt dans l’acte de vente ;

la stipulation d’un pacte de préférence au profit du vendeur ;

la garantie fournie dans l’acte par un tiers pour le paiement du prix ;

le consentement par les enfants à la vente consentie par le père à l’un d’eux, si la vente n’entre pas dans les prévisions de l’article 918 du Code civil642. À l’inverse, les consentements prévus par les articles 918, 929, 930-5 et 924-4 du Code civil doivent être considérés comme des dispositions dépendantes ;

les constitutions de servitudes dans les actes de vente par le vendeur ou au profit du vendeur s’analysent en des dispositions indépendantes soumises à la contribution de sécurité immobilière au tarif proportionnel.

Doivent être considérées comme des dispositions dépendantes ne donnant ouverture à aucun droit particulier :

une mainlevée d’hypothèque ;

la renonciation par le précédent vendeur des biens transmis à son privilège et à son action résolutoire ;

la renonciation par le donateur des biens vendus au droit de retour et à son action résolutoire ;

la renonciation d’un donateur à une interdiction d’aliéner.

Il est à noter que la clause de réversion dans un acte de vente constitue une disposition indépendante passible d’un droit particulier, à moins qu’elle n’émane de deux époux. Entre époux mariés sous le régime de la communauté, la réversion n’emporte pas mutation et ne doit pas être considérée comme disposition indépendante.

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Applications à d’autres actes643

1) Donation-partage

Lorsque, par le même acte de donation, un ascendant opère le partage de ses biens entre ses enfants ou lorsqu’une donation est faite avec charge (à condition que la charge soit inférieure à la libéralité), il y a dispositions dépendantes, mais la taxation porte sur la donation, considérée comme étant la plus importante dans l’esprit des parties.

À l’inverse, il y a dispositions indépendantes si la donation-partage faite par un ascendant comprend d’autres biens que ceux de l’ascendant, ou bien si les ascendants se reconnaissent débiteurs vis-à-vis de l’un leurs enfants et lui attribuent un immeuble en paiement. Dans ce dernier cas, deux droits sont exigibles, l’un sur la donation-partage, l’autre sur la dation en paiement.

De même, si une donation-partage contient le partage des biens donnés et d’autres biens non compris dans la donation, le droit de partage est dû sur ces derniers, même si leur partage est une condition de la donation. Dans ce schéma, on peut s’interroger sur un point : la soumission au droit de partage des biens, antérieurement donnés, et soumis au rapport civil dans le cadre de la donation-partage ou de la succession. D’un point de vue fiscal, l’administration joue sur la qualification de l’acte pour percevoir ce droit de partage. Sous prétexte que l’acte antérieur était une donation simple ou un don manuel, elle considère que le bien n’a pas été partagé et qu’il convient de le taxer à nouveau au moment du rapport effectué à la donation-partage ou au partage de la succession. Cette taxation fiscale sur la base d’un raisonnement civil nous semble critiquable et non fondée.

2) Partage successoral

En matière de partage successoral, la clause d’un partage aux termes de laquelle un copartageant est payé en argent ou en valeurs assimilées d’une créance qu’il possède contre la masse est libératoire pour toute la partie dépassant la quote-part du copartageant sur cette créance même, et qui, par la suite ne s’éteint pas par confusion. Une telle clause est considérée comme une disposition indépendante assujettie au droit fixe prévu par l’article 680 du Code général des impôts.

Par ailleurs, les sommes données et rapportées à la masse par les cohéritiers sont censées, par la fiction de la loi, avoir toujours appartenu à la succession. Il en résulte qu’en ce qu’il constate ce rapport et le paiement par le cohéritier qui le doit, le partage ne renferme qu’une disposition dépendante. Est également une disposition dépendante, en raison de son caractère secondaire, la libération que le paiement de la dette rapportée opère entre la succession du défunt, créancier de la somme prêtée, et l’héritier soumis au rapport, ou celle que ce même paiement opère entre celui-ci et ses cohéritiers, en éteignant l’obligation spéciale de rapporter, dont il était tenu à leur égard.

3) Partage du prix de vente

Le droit de partage est un droit d’acte. Il n’est donc exigible que si un écrit est établi. Un partage verbal qui ne contient aucune inégalité dans la répartition des valeurs communes n’est assujetti à aucun droit, même s’il est immobilier.

Le droit de partage est dû sur l’acte répartissant entre les covendeurs le prix de la vente antérieure d’un bien indivis, même si le partage a été prévu dans l’acte de vente, car dans l’intervalle de la vente et du partage l’indivision a été reportée de l’immeuble sur le prix et c’est à cette indivision nouvelle que met fin le partage du prix.

L’administration reprend dans sa base la réponse ministérielle Beaugritte qui énonce que le droit de partage est en principe exigible sur la partie du prix de vente qui n’est pas payée comptant en espèces ou en valeurs assimilées et immédiatement répartie entre les vendeurs conformément à leurs droits respectifs. Toutefois, par mesure de tempérament, inspirée d’un souci de simplification et d’allègement, il est admis que ce droit ne sera plus réclamé, à l’avenir, sur les contrats de vente de biens indivis contenant des clauses relatives au partage de prix644.

Dans ce cas, aucun droit de partage n’est exigé de l’administration si cette vente est mentionnée ultérieurement dans un nouvel acte comme une convention ou un jugement de divorce.

Ainsi le « partage » du prix de vente d’un bien commun qui intervient avant le prononcé du divorce n’est pas, selon une réponse ministérielle, soumis au droit de partage645.

En dehors de l’analyse des dispositions dépendantes et indépendantes de l’acte, le notaire doit déterminer le régime fiscal de chaque type d’acte qu’il reçoit. Nous avons fait le choix d’analyser ci-après, à titre d’illustration de la complexité de nos règles fiscales et de leur difficulté d’application, deux types de régime fiscal, source d’erreur et d’interprétation.

§ II – Des exemples de cas particuliers de détermination du régime fiscal de l’acte
A/La séparation des concubins et des partenaires de Pacs : partage ou licitation ?

4382 Lorsqu’un couple se sépare, le notaire est sollicité afin d’établir les conventions destinées à régler le sort de son patrimoine. La question se pose souvent de savoir si l’opération doit être présentée sous la forme d’un partage ou d’une licitation en raison notamment d’une différence de taxation de l’acte.

4383 – Définition du partage et de la licitation. – D’un point de vue civil, le partage et la licitation sont tous deux dotés de l’effet déclaratif. Le partage, en application de l’article 838 du Code civil, est le contrat par lequel des cohéritiers ou des copropriétaires divisent entre eux des biens communs, en déterminant ceux de ces biens qui reviennent à chacun d’eux. Il a pour conséquence d’attribuer à chaque propriétaire un droit exclusif sur certains biens en échange de droits indivis qu’il possédait sur l’ensemble des valeurs à partager et de lui permettre d’en disposer seul. L’article 883 du Code civil énonce l’effet déclaratif du partage. La licitation, en application de l’article 1686 du Code civil, est la vente aux enchères d’une chose commune suivie du partage de son prix. Dans la pratique, le terme « licitation » est utilisé dans des situations différentes qui constituent souvent des cessions de droit indivis mettant fin à l’indivision, y compris de gré à gré. Dès lors qu’elle intervient au profit d’un indivisaire, elle est également pourvue de l’effet déclaratif. D’un point de vue fiscal, en matière de droits d’enregistrement, l’administration suivant le type de partage ou de licitation va a contrario refuser l’effet déclaratif646.

Dès lors il existe deux régimes : un régime de droit commun et un régime de faveur.

I/ Le régime de faveur : une taxation identique du partage et de la licitation

4384 Le régime de faveur introduit par la loi du 26 décembre 1969 entrée en vigueur le 1er juillet 1970 a connu une lente évolution pour aboutir à sa version actuelle après adoption de la loi de finances pour 2008. La rédaction de l’article 748 du Code général des impôts pour les partages et de l’article 750, II du même code pour les licitations a été modifiée pour s’appliquer, outre aux partages d’indivision successorale ou de dissolution de communauté conjugale, aux indivisions nées d’une donation-partage, aux indivisions entre époux quel que soit leur régime matrimonial, aux indivisions entre partenaires de Pacs, quelle que soit la date d’acquisition (avant, pendant ou après le mariage ou le Pacs) et quelle que soit la date du partage ou de la licitation (avant ou après la dissolution du mariage ou la rupture du Pacs)647.

Dans ce régime de faveur, le partage ne donne ouverture qu’au seul droit de partage sur l’actif net partagé, les soultes n’étant pas soumises au droit de vente, mais n’étant pas non plus admises en déduction de l’assiette du droit de partage. La licitation, quant à elle, est soumise au taux du droit de partage sur une assiette variant selon que la licitation met ou ne met pas fin à l’indivision : si elle ne met pas fin à l’indivision, le droit est perçu sur le prix des parts cédées ; si elle met fin à l’indivision, le droit est perçu sur la valeur totale du bien licité648.

Lorsque la licitation met fin à l’indivision, la taxe de publicité foncière est perçue sur la valeur des biens licités sans soustraction de la part de l’acquéreur, déduction faite du passif en application de la doctrine administrative649 ; dans le partage, le droit de partage est assis et liquidé sur le montant de l’actif net partagé, à savoir l’actif brut déduction faite du passif grevant la masse indivise, en application de l’article 747 du Code général des impôts650.

Le régime fiscal étant identique en cas de cessation de l’indivision, les droits à verser sont exactement les mêmes.

La question du passif déductible. En matière de partage ou de licitation immobilière, on peut s’interroger sur la notion de passif déductible. En effet, en application de la doctrine administrative651, le passif déductible de l’actif brut est notamment, savoir :

les droits de mutation par décès et les frais de l’acte de partage ;

les dettes du défunt envers les héritiers ;

les legs particuliers de sommes faits par le défunt ;

les récompenses dues par la succession à la communauté.

Dès lors, qu’en est-il de la déductibilité du solde de l’emprunt contracté par les copartageants ou colicitants non visé par le Bulletin officiel des impôts ? Le terme « notamment » signifie que la liste n’est pas exhaustive. Ainsi, même si aucun texte ne mentionne expressément la déduction du passif lié au solde d’un prêt immobilier, cette possibilité de déduction semble évidente en matière immobilière puisque le prêt constitue généralement le principal et unique passif, et elle est donc admise par l’administration fiscale.

II/ Le régime de droit commun : une taxation différente entre partage et licitation

4385 Le régime de droit commun concerne les indivisions conventionnelles, et notamment les acquisitions indivises de bien immobilier réalisées par les concubins. Le régime fiscal de droit commun est fixé par les articles 746 et 747 du Code général des impôts pour les partages et par l’article 750, I du même code pour les licitations.

Le partage est partiellement translatif à hauteur des soultes652. La licitation est assimilée à une vente, donc comme étant purement translative653.

En conséquence, le partage donne ouverture au droit de partage sur l’actif net partagé (valeur de l’immeuble déduction faite du solde de l’emprunt), déduction faite des soultes, qui sont alors imposées au droit de vente au tarif afférent aux ventes immobilières. On en conclut que dans le cas du régime de droit commun, le partage entraîne deux perceptions : le droit de partage et le droit de vente654.

La licitation est, quant à elle, assimilée purement et simplement à une vente et rend exigible, lorsqu’elle porte sur un immeuble, le droit de vente sur le prix des parts indivises cédées. Elle ne rend donc exigible qu’une seule perception : le droit de vente.

En matière de partage, il convient de s’interroger sur la notion de soulte. On parle de soulte directe lorsque le copartageant la verse en espèces, en numéraire ; et de soulte indirecte lorsqu’elle résulte de la répartition inégalitaire du passif grevant la masse indivise.

Cela signifie que lorsque l’attributaire de l’immeuble prend à sa charge la part contributive du solde de l’emprunt en cours, il procure un avantage indirect à son copartageant, qui constitue la soulte indirecte. Il en est de même pour la prise en charge des frais de partage.

L’assiette du droit de vente est donc composée de la soulte directe en numéraire et de la soulte indirecte qui constitue la prise en charge du solde du prêt en cours (à hauteur de la quote-part dans les droits indivis) et de l’éventuelle prise en charge des frais de partage.

Il est à noter, concernant les soultes déductibles de l’assiette du droit de partage, que l’administration n’accepte que la déduction des soultes directes, considérant que la déduction de la soulte indirecte résultant de la prise en charge du passif fait double emploi avec celle du passif proprement dit655 (le passif proprement dit étant déjà déduit dans le cadre de la détermination de l’actif net partagé).

En matière de licitation, l’assiette du droit de vente est uniquement le prix de la fraction cédée, même si la licitation met fin à l’indivision. Ici la règle spéciale de taxation sur la valeur totale du bien ne s’applique pas656. Dans ce cas, la prise en charge du passif par l’indivisaire acquéreur se traduira par une modalité de paiement du prix de la licitation avec un prix payé pour partie comptant en espèces et le surplus par compensation de la prise en charge de la quote-part d’emprunt.

Conclusion

Dès lors qu’en régime de droit commun l’opération ne porte que sur un seul immeuble indivis, il est plus intéressant de procéder à une licitation qu’à un partage afin d’éviter le droit de partage.

B/La détermination du régime de TVA dans la vente immobilière : l’application de l’article 257 bis du Code général des impôts

4386 – Principe posé par l’article 257 bis du Code général des impôts. – À l’occasion de la vente de biens immobiliers à usage professionnel, commercial, artisanal, le notaire doit déterminer le régime applicable en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Un certain nombre de questions doivent être posées aux clients : le vendeur et l’acquéreur sont-ils redevables de la TVA ? Le vendeur a-t-il construit l’immeuble ? Des travaux ont-ils été réalisés depuis l’acquisition ? Le bien vendu est-il loué ? Le bien est-il loué par bail soumis à la TVA ? L’acquéreur a-t-il l’intention de poursuivre la location ? Des régularisations de TVA sont-elles applicables ?

Il convient de rappeler le principe suivant : lorsque le prix ou la valeur des biens est mentionné sans précision particulière dans un acte ou une déclaration, il y a lieu de considérer que les parties ont entendu énoncer un prix ou une valeur « taxe comprise ». Dès lors, si la vente est analysée a posteriori comme soumise à TVA, le net perçu par le vendeur s’en trouvera diminué.

Dès lors, le notaire qui ne s’interroge pas sur le régime de TVA, dans le cadre d’une vente d’immeuble loué par bail soumis à la TVA, risque de voir sa responsabilité engagée au regard des enjeux fiscaux en la matière.

En fonction du contexte, deux situations peuvent se présenter : soit l’acquéreur a l’intention de poursuivre l’activité locative par bail soumis à la TVA de l’immeuble vendu, soit il cessera cette activité locative.

Se pose alors la question de la dispense ou non de régularisation de la TVA, donc de l’application ou non de l’article 257 bis du Code général des impôts. Cet article dispense de TVA « la transmission à titre onéreux ou à titre gratuit, ou sous forme d’apport à une société, d’une universalité totale ou partielle de biens ».

Par rescrit en date du 12 septembre 2006, l’administration fiscale a précisé que la dispense de TVA s’applique « aux cessions d’immeubles attachés à une activité de location immobilière avec reprise ou renégociation des baux en cours, qui interviendrait entre deux redevables de la TVA au titre de cette activité dès lors que ces cessions s’inscrivent dans une logique de transmission d’entreprise ou de restructuration réalisées au profit d’une personne qui entend exploiter l’universalité transmise »657.

Dès lors, la dispense de TVA joue de plein droit lorsque les conditions d’application de ce texte sont réunies, savoir lorsqu’un assujetti à TVA cède un immeuble loué par bail soumis à la TVA à un autre assujetti qui va poursuivre l’activité locative.

La règle paraît simple d’application, mais le notaire est confronté dans sa pratique quotidienne à des cas plus complexes qui rendent la détermination du régime de TVA plus ardue.

I/ Les cas d’application de l’article 257 bis du Code général des impôts

4387 La dispense de TVA en matière de vente s’applique dans les différents cas particuliers suivants658 :

lorsque la vente porte sur un bien loué par bail soumis à la TVA avec reprise ou renégociation du bail en cours par l’acquéreur, à savoir la reprise de l’activité locative ;

lorsque la vente porte sur un bien loué par bail soumis à la TVA, et que ce bail est résilié par l’acquéreur pour en conclure un nouveau avec un autre locataire. La circonstance du changement de locataire est sans effet sur l’application du texte ;

lorsque l’immeuble est vacant, mais que son propriétaire est en mesure « de démontrer la recherche active d’un locataire ». Il est fait application ici de la réponse ministérielle Gérard659. En outre, cette réponse énonce que « (…) la vacance des locaux cédés peut se justifier notamment par la conjoncture du marché immobilier, un changement de locataire, par des travaux ou à l’issue d’un sinistre, sans que l’intention de louer le bien en TVA n’ait été remise en cause. En conséquence, la durée de la période de vacance ne constitue pas un critère d’appréciation au sens de l’article 257 bis du CGI, seule l’intention démontrée de louer le bien étant retenue en cas de vacance. De même, les circonstances ayant motivé le départ du locataire ne sont pas, à elles seules, de nature à remettre en cause l’application du dispositif ».

II/ La non-application de la dispense de l’article 257 bis du Code général des impôts

4388 La dispense énoncée par l’article 257 bis du Code général des impôts n’a pas vocation à s’appliquer dans deux cas très clairement énoncés : d’une part, dans le cadre de l’acquisition par la société d’exploitation de ses locaux auprès d’une SCI qui louait précédemment par bail soumis à la TVA avec résiliation du bail en cours sans conclusion d’un nouveau bail et, d’autre part, dans le cas où le propriétaire résilie le bail de son bâtiment afin de le vendre libre de toute occupation. Dans ce dernier cas, il est fait application de la réponse ministérielle Gérard précitée qui fait renvoi à l’intention de louer le bien. Le raisonnement devrait être le même lorsque le propriétaire donne congé à son locataire (qui peut être sa propre société d’exploitation) en vue de la vente, ou encore lorsque le bien est partiellement soumis à une activité locative660.

Dans ce cas, il convient de procéder à une régularisation de la déduction des vingtièmes de TVA restant pour le vendeur. La TVA acquittée est en effet récupérée par vingtièmes chaque année sur une durée de vingt ans.

Les calculs de cette régularisation doivent être effectués en amont de la vente par l’expert-comptable qui délivrera une attestation mentionnant les montants à régulariser. La somme totale des régularisations est généralement négociée dans le cadre de la vente, comme une charge augmentative du prix. Elle est réglée par l’acquéreur en sus du prix et reversée au Trésor public par le vendeur. Même si la régularisation entraîne un décaissement de trésorerie supplémentaire pour l’acquéreur, elle demeure une opération blanche pour ce dernier, car il la récupère en suite de la vente en sa qualité d’assujetti.

Le raisonnement et la méthode semblent d’application simple. Mais, là encore, à l’instar des conditions de la poursuite de l’activité locative, il est des cas où la situation se complique.

Qu’en est-il lorsqu’un immeuble de bureaux est affecté à une activité locative par son propriétaire après construction, et que celui-ci le cède dans les conditions de l’article 257 bis à un investisseur, lequel poursuit l’activité locative jusqu’à ce qu’il décide à son tour de vendre à un acquéreur revendeur qui entend mettre fin à la location par l’acquisition par sa propre société d’exploitation ?

Dans ce cas, comment déterminer le régime de TVA applicable à la revente ? En bout de chaîne, la dispense de l’article 257 bis n’est pas applicable, l’activité locative n’étant pas reprise. La vente est donc soumise à la régularisation de TVA. Encore faut-il, dans ce cas, disposer des éléments pour effectuer le bon calcul de régularisation, car il convient d’être en possession des montants de régularisation du précédent vendeur.

Dans ce cas, le Bulletin officiel des impôts661 énonce que lorsque l’acquisition de l’immeuble s’est faite dans le cadre d’une transmission d’universalité totale ou partielle de biens et a bénéficié de la dispense de TVA prévue à l’article 257 bis du Code général des impôts, il y a lieu en cas de revente de se référer au régime de l’acquisition antérieure à celle réalisée par le bénéficiaire de la transmission pour déterminer les règles applicables à la base d’imposition.

Ainsi, dans le cas précité, les règles applicables à la vente entre les derniers vendeur et acquéreur seront déterminées en considération des conditions dans lesquelles le propriétaire initial a lui-même acquis le bien.

Il en résultera une taxation en TVA sur le prix total s’il avait construit l’immeuble ou avait été en droit de déduire la TVA comprise, par hypothèse, dans le prix de son acquisition, ou une taxation sur la marge s’il avait reçu l’immeuble sans que l’acquisition lui ouvre droit à déduction.

Mais qu’en est-il si le vendeur n’est pas en mesure de déterminer le régime fiscal de son acquisition ?

Le Bulletin officiel des impôts précité énonce que : « Lorsque pour un même immeuble ou fraction d’immeuble, qu’il s’agisse d’une parcelle de terrain à bâtir ou d’un immeuble bâti, le cédant n’est pas en mesure d’établir dans quelles conditions de qualification fiscale au regard de l’article 268 du Code général des impôts, il est entré en possession de tout ou partie du bien en cause, il y a lieu si l’opération est imposée de soumettre l’ensemble de la cession à la taxe sur le prix total ». Et l’administration de donner des exemples : « Il peut en aller ainsi notamment de la cession d’une entité cadastrale qui résulte de diverses opérations de remembrement ou de remaniement parcellaire, ou encore de celle d’un lot immobilier issu de travaux de rénovation d’un bâtiment qui ont conduit à une reconfiguration de l’état descriptif de division, ou lorsque l’origine de propriété se perd dans l’histoire ».

Il en résulte que lorsque le vendeur final n’aura pas l’historique de régularisation du propriétaire initial, ni le régime fiscal d’acquisition du propriétaire initial, il conviendra, dans ces cas, de considérer que l’on se trouve dans l’hypothèse visée par l’administration de « l’origine de propriété qui se perd dans l’histoire » et d’appliquer une TVA sur prix total qui viendra écraser la régularisation des vingtièmes de TVA.

En conséquence, la vente en dispense de régularisation de TVA n’entraîne pas une remise à zéro des délais de régularisation et requiert un transfert d’information relative à la TVA entre le vendeur et l’acquéreur. Le notaire sera bien inspiré d’exiger de l’expert-comptable du vendeur une attestation de l’état des droits à déduction, destinée à la transmission des informations nécessaires au suivi de la TVA. À ce sujet, il pourra être utile de se servir d’un formulaire dit « 257 bis » proposé par les fiscalistes William Stemmer et David Colin sur le site taximmo.fr662. Ce formulaire servira à l’acquéreur devenu vendeur pour effectuer une régularisation correcte de TVA en cas de cessation ultérieure de l’activité locative.

Au-delà de la détermination du régime fiscal de l’acte, le notaire est tenu à un devoir d’optimisation fiscale en tant qu’ingénieur du patrimoine ayant comme limite l’abus de droit.

Section II – Le notaire, l’optimisation fiscale et la problématique de l’abus de droit

4389 – Le principe : le devoir d’optimisation. – Le constat est là : la pression fiscale sur le patrimoine n’a fait que s’accroître ces dernières années.

En témoigne un exemple concernant les droits de succession : jusqu’en 2011, avec une espérance de vie de dix-huit ans, un homme de soixante-six ans pouvait transmettre sans droit 573 000,00 € à chacun de ses enfants, contre seulement 132 000,00 € aujourd’hui, soit quatre fois moins. Cette situation résulte de l’effet cumulé de la réduction des abattements et de la durée minimale entre chaque donation allongée de quinze ans663.

En parallèle de l’augmentation de l’impôt, la fiscalité du patrimoine s’est complexifiée. Il en découle une dégradation du consentement à l’impôt et une demande toujours plus croissante d’optimisation fiscale.

Dans ce contexte, comment le notaire doit-il réagir ?

Doit-il exécuter les instructions de ses clients sans analyser si elles correspondent à leurs intérêts patrimoniaux et familiaux ?

La réponse est bien entendue négative. Même si la double casquette d’officier public collecteur d’impôt et de professionnel libéral est ambiguë, le notaire doit assister ses clients dans le cadre de sa mission.

En application de son devoir de conseil, le notaire est tenu d’un devoir absolu d’information, contrôlé par la jurisprudence. Il doit éclairer ses clients sur les conséquences fiscales de leurs actes. Il a l’obligation de s’informer, par une formation continue, dans le domaine de la fiscalité des particuliers et des entreprises.

Ainsi le notaire, dans le cadre de sa mission de conseil, doit prodiguer des conseils avisés à ses clients, en analysant leur situation particulière, en leur proposant les différentes options possibles, et en leur conseillant la solution la mieux adaptée à l’objectif poursuivi. Le notaire a donc un double devoir : celui de conseil et celui d’optimisation, tout en assurant la sécurité fiscale des clients.

À ce sujet, le professeur Jean Prieur a écrit : « On a découvert chez le notaire un véritable ingénieur patrimonial, au service d’une même cause : l’optimisation, c’est-à-dire la recherche de la pertinence et de la performance des choix »664. Le conseil se doit d’être pertinent et exhaustif, et porter sur les conséquences immédiates et futures des actes qu’il reçoit. L’erreur ou l’approximation ne sont donc pas tolérées. Il est donc fortement conseillé de se préconstituer la preuve du conseil donné au moment du montage du dossier sous forme de lettre ou de consultation. En effet, l’instabilité fiscale que l’on connaît depuis plusieurs années expose le notaire à de brusques changements de fiscalité pouvant remettre en cause son conseil fiscal. Ce qui, en l’absence de datation, peut lui valoir une mise en cause de sa responsabilité.

4390 – La conséquence : une lourde responsabilité. – Responsabilité, voilà le mot qui fait peur au notaire et à juste titre car, en matière fiscale, le défaut de conseil ou le mauvais conseil (erroné ou incomplet) est durement sanctionné par les tribunaux. En témoignent les nombreuses décisions de jurisprudence en matière d’opérations immobilières ou de règlement des successions.

La Cour de cassation, dans ses arrêts, utilise souvent le terme suivant : le notaire ne « pouvait pas ignorer »… le notaire est donc un sachant, et la Cour de cassation de préciser « qu’il est tenu d’informer et d’éclairer les parties sur la portée, les effets et les incidences fiscales, ainsi que sur les risques de l’acte auquel il prête son concours et le cas échéant de le leur déconseiller ».

Le notaire est donc présumé connaître, d’une part, toutes les lois fiscales et, d’autre part, la motivation fiscale de ses clients, et les éclairer à ce sujet.

Il en résulte plusieurs conseils de bon sens : d’une part, il convient dans la phase de préparation du dossier de procéder à une analyse et à un audit de la situation globale du client, d’écouter et de questionner avec pertinence son client, de le faire parler, de collecter toutes les informations utiles et nécessaires avec discernement, de savoir lui dire « non » de manière pédagogique pour sa bonne compréhension et, d’autre part, de se documenter, de se former de manière continue pour être à jour de l’actualité fiscale. La non-maîtrise de la fiscalité entraîne souvent un conseil trop prudent pour être pertinent et adapté au client. De même, un excès de confiance par l’application de schémas répétitifs et trop appliqués sans tenir compte de la situation particulière du client entraînera le risque de mise en cause de la responsabilité du notaire. Une chose à retenir : « un bon fiscaliste ne répond jamais sur l’instant ».

Enfin, une fois le travail d’audit préalable terminé, le notaire doit présenter à son client toutes les solutions possibles pour atteindre le résultat souhaité. Il doit également prendre position sur le schéma le plus pertinent et le plus en adéquation avec l’objectif poursuivi par son client. L’anticipation fiscale et l’habileté fiscale, en toute légalité, sont les qualités attendues de l’ingénieur patrimonial qu’est devenu le notaire.

4391 – La limite : l’abus de droit. – Difficile équilibre à trouver que d’élaborer une stratégie d’optimisation fiscale pour ses clients en prodiguant des conseils éclairés et pertinents sans pour autant basculer dans l’abus de droit, la dissimulation ou la fraude fiscale. La frontière est souvent ténue. Mais l’abus de droit peut aussi être commis par le notaire par ignorance ou mauvaise connaissance de la loi fiscale. Dans ce cas, même s’il s’agit d’une faute par omission, il s’agit tout de même d’une faute.

4392 – Principe de liberté des choix fiscaux. – Il est un principe : celui de la liberté pour les contribuables de gestion de leur patrimoine et de leurs choix fiscaux. Le choix de la voie la moins onéreuse est admis tant par le juge national que communautaire que par l’administration fiscale. La remise en cause de la sincérité des actes passés par l’administration doit rester exceptionnelle et se justifier seulement dans des situations abusives.

Pour autant, on assiste depuis quelques années à la multiplication des textes tant au niveau international665 et européen666 qu’au niveau national667, permettant de réprimer l’utilisation abusive des règles fiscales.

4393 – Définition et caractéristiques de l’abus de droit fiscal de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales. – 1) La fictivité : la procédure de l’abus de droit fiscal de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales, applicable depuis le 1er janvier 2009, donne une définition générale de l’abus de droit qui concerne tous les impôts sans aucune restriction et qui peut être mise en œuvre lorsque l’abus porte sur l’assiette, la liquidation de l’impôt ou encore son paiement. L’article L. 64 du Livre des procédures fiscales vise les opérations fictives, ou simulées, qui vont révéler une différence objective entre l’apparence juridique d’un acte et la réalité. On pense bien entendu dans ce cas à la donation déguisée sous forme de vente668.

2) La fraude à la loi : une autre approche de l’abus de droit est celle de la fraude à la loi, qui suppose de réunir deux conditions cumulatives : une condition objective et une condition subjective.

La condition objective renvoie au but poursuivi par le contribuable, celui de rechercher « le bénéfice d’une application littérale du texte ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par les auteurs ».

La condition subjective est définie par les actes qui n’ont pu être inspirés par « aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles », à savoir un but exclusivement fiscal poursuivi par le contribuable.

4394 – Sanctions. – La sanction de l’abus de droit est lourde puisque le contribuable encourt des pénalités qui varient en fonction de la gravité du comportement fautif. Un taux de 40 % est appliqué pour le contribuable dit « passif » qui n’a pas initié le montage contesté. Ce taux est porté à 80 % lorsqu’il est établi que le contribuable a eu l’initiative principale des actes abusifs ou en a été le principal bénéficiaire.

4395

Exemples d’application

D’un point de vue patrimonial, nous donnerons ci-après quelques exemples de montage exposés à la procédure de l’abus de droit.

1) La donation déguisée

Il s’agit d’une donation masquée par une vente dont le prix ne sera jamais payé (stipulé à terme), ou avec un prix dérisoire.

Si l’opération est juridiquement régulière, l’administration peut établir le véritable caractère de l’acte en démontrant que la vente est fictive et qu’il s’agit d’une donation. L’administration se basera sur un faisceau d’indices concordants, notamment l’âge du vendeur, l’intention libérale, la qualité d’héritier de l’acquéreur, le prix de vente inférieur au marché, les modalités de paiement du prix (rente viagère ou paiement à terme).

Le schéma étant à ce jour bien identifiable et identifié par les notaires, il semble de moins en moins utilisé.

2) La donation avant cession

Ce schéma consiste à inverser l’ordre des opérations de vente puis donation en une donation avant la vente. Il permet, en effectuant d’abord la donation, d’évaluer le bien donné (actions de sociétés ou immeuble) à sa valeur au jour de la donation et de le revendre au même prix, le tout en franchise de plus-value. Seul l’éventuel droit de donation est dû. L’économie fiscale porte sur l’impôt sur la plus-value.

Cette opération, qui constitue une réelle optimisation fiscale, peut-elle être considérée comme un abus de droit ?

a) Le non-respect de la chronologie des opérations

L’administration fiscale a tenté, dans un premier temps, de contester la chronologie des opérations, en arguant de la signature préalable à la donation de promesses unilatérales de vente, de protocoles sous seing privé avec des conditions suspensives levées. En pratique, il est donc conseillé de respecter strictement le bon ordre des opérations.

La question se pose de la date retenue pour le transfert de propriété. En matière immobilière, on appliquera l’article 1589 du Code civil : la vente est parfaite lorsqu’il y a accord sur la chose et le prix.

En matière de cession d’actions, il convient d’appliquer l’article L. 228-1 du Code de commerce qui dispose que « le transfert de propriété résulte de l’inscription des valeurs mobilières au compte de l’acheteur »669.

Qu’en est-il du délai ? La jurisprudence, par trois arrêts du Conseil d’État en 2014670, considère qu’une donation même réalisée avec un bref délai avant la vente n’est pas constitutive d’un abus de droit fiscal.

b) La fictivité de l’opération

Il résulte de la jurisprudence que l’opération est souvent contestée sur le terrain de l’abus de droit par fictivité671. Cette dernière est démontrée lorsque le donateur s’est réapproprié, en suite de la donation, le prix de cession des biens donnés. Tel est le cas lorsque, en suite d’une cession d’actions, est mise place une convention de quasi-usufruit sur le prix de cession permettant au donateur quasi-usufruitier de conserver la maîtrise du portefeuille d’actions672. La substitution au bien donné d’une « simple créance de restitution » ne permet pas de satisfaire à la condition de l’article 894 du Code civil qui énonce que « le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte ».

Il est à noter que, dans un autre arrêt673, le Conseil d’État a jugé qu’une donation avec réserve de quasi-usufruit, sans garantie, suivie d’une cession, n’est pas constitutive d’un abus de droit par simulation. En l’espèce, le juge a considéré que le quasi-usufruitier restait redevable d’une créance de restitution de montant équivalent qui ne faisait pas obstacle au dépouillement effectif et irrévocable du donateur. Il est à noter que, dans cette affaire, le quasi-usufruit était prévu dans l’acte de donation et non postérieurement à la vente674.

Reste que les restrictions apportées au droit de propriété des donataires et le délai assez bref entre la donation et la cession sont sans incidence sur l’appréciation de l’intention libérale675.

Après analyse de la jurisprudence récente du Conseil d’État, on peut en conclure que cette dernière est plutôt favorable aux contribuables sauf en l’absence d’intention libérale ou de réel appauvrissement du donateur. La définition extensive de la notion d’abus de droit par la loi de finances pour 2019 conduit cependant à s’interroger sur le risque de requalification induit par un tel montage, surtout, à notre sens, lorsque aucune garantie n’est proposée au nu-propriétaire pour assurer le recouvrement de sa créance en fin d’usufruit.

4396 – Définition et caractéristiques du nouvel abus de droit de l’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales. L’article 109 de la loi de finances pour 2019 a créé une nouvelle procédure en matière d’abus de droit. Codifiée à l’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales, elle permettra à l’administration fiscale, en complément de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales, de lutter contre des opérations de fraude à la loi, poursuivant un but principalement fiscal.

Son entrée en vigueur est décalée. Elle s’appliquera aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2021 portant sur des actes passés ou réalisés à compter du 1er janvier 2020.

À l’instar de l’abus de droit de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales, l’abus de droit de l’article L. 64 A du même livre, baptisé « mini abus de droit », devra réunir deux conditions :

une condition objective qui renvoie au but poursuivi par le contribuable, celui de rechercher « le bénéfice d’une application littérale du texte ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par les auteurs » ;

une condition subjective définie par les actes qui « n’ont pour motif principal que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles », à savoir un but principalement fiscal poursuivi par le contribuable.

4397 – Définition de la notion de but « principalement » fiscal. – Si l’on veut comprendre les enjeux de cette nouvelle procédure d’abus de droit, il convient de s’interroger sur le sens entendu et attendu du terme « principalement » fiscal. Au sens premier, « principal » est synonyme d’« essentiel », de « fondamental », de « capital ». Dans un second sens, le principal est « ce qui prime sur d’autres choses de nature analogue, par son importance » ; « principal » est ici synonyme de « majoritaire » (plus de 50 %). Il résulte d’une analyse comparative et combinée de la notion de but « principalement fiscal » dans la doctrine administrative et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne concernant l’abus de droit en matière de TVA et d’impôt sur les sociétés (qui doit être rapproché de l’abus de droit en matière d’enregistrement ou d’impôt sur la fortune immobilière), que la notion de but « principalement » fiscal se rapproche de la notion de but « essentiellement » fiscal, et non « majoritairement », qui elle-même se rapproche de la notion de but « exclusivement » fiscal676.

Conclusion

Cette notion de but « principalement fiscal » devrait être entendue comme une extension à la marge du but « exclusivement fiscal ». Cette interprétation restrictive, si elle est retenue par l’administration, permettrait de ne pas regarder la liberté de gestion comme abusive.

4398 – Sanctions. – En contrepartie de la définition plus large de l’abus de droit, aucune pénalité spécifique n’est prévue lorsque l’administration fiscale a recours à cette procédure. Les majorations de 40 % ou 80 % énoncées par l’article 1729, b du Code général des impôts lorsque l’administration a recours à l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales ne seront pas applicables. Cela ne signifie pas pour autant qu’aucune sanction ne sera infligée. Les pénalités de droit commun pour insuffisance de déclaration resteront encourues. En particulier, sous réserve de preuves, l’administration fiscale pourra appliquer la majoration de 40 % pour manquement délibéré ou celle de 80 % pour manœuvres frauduleuses677.

4399 – La conséquence immédiate : un climat d’insécurité juridique. – La loi de finances pour 2019 a donc créé une fusée à deux étages de l’abus de droit : la procédure classique de démonstration du but exclusivement fiscal avec application des pénalités, et la procédure du nouvel article L. 64 A du Livre des procédures fiscales qui se contentera de caractériser un but principalement fiscal mais ne pourra pas appliquer les majorations678.

Cet élargissement de la notion d’abus de droit fiscal est critiquable, car elle instaure un climat d’insécurité juridique au regard de l’atteinte potentielle au principe de liberté des choix fiscaux.

En effet, cet élargissement ouvre la porte à différents risques : tout d’abord, un risque d’arbitraire par une interprétation extensive et subjective de la notion par les agents de l’administration et les juges du fond. Ensuite, un risque d’interprétation divergente de la notion par la jurisprudence et l’administration. L’effectivité de ces deux risques aura pour conséquence d’entraîner un délai relativement long pour une prise de position claire et cohérente des différentes juridictions amenées se prononcer sur le sujet. Dans l’intervalle, l’incertitude engendrera une frilosité et un attentisme des contribuables et leurs conseils n’allant pas dans le sens d’un dynamisme des transactions et d’une productivité économique.

Enfin, cet élargissement crée également un climat anxiogène, car il est perçu par les contribuables et leurs conseils comme une immiscion dans les opérations patrimoniales familiales (changement de régime matrimonial, donation, etc.) pour en analyser les motivations et dont on sait pertinemment que leur hiérarchisation est très délicate679. Il ne va pas non plus dans le sens d’un apaisement des relations entre l’administration et les contribuables, malmenées par ailleurs avec l’adoption de la loi relative à la lutte contre la fraude.

Tout ceci vient à rebours du dispositif présenté par la loi de finances de 2014 et invalidé par le Conseil constitutionnel. Ce dernier n’a ni validé ni censuré les dispositions de l’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales, ce qui laisse la voie ouverte à la recevabilité d’un recours en constitutionnalité exercé par voie de QPC soit à l’occasion d’un contentieux, soit à l’occasion d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la doctrine administrative. Le recours sera fondé à la fois sur la violation de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (principe de la légalité des délits et des peines) et de l’article 34 de la Constitution, par atteinte à l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, et sur un pouvoir d’appréciation trop important donné à l’administration fiscale. C’est sans compter sur le fait que la loi de finances pour 2019 a pris soin de ne pas assortir cette nouvelle procédure de pénalités automatiques…

Affaire à suivre de près pour les notaires fortement exposés à cette procédure et aux sanctions qui en découlent, et aggravées par la loi du 23 octobre 2018 ci-après analysée.

La conséquence pratique : l’impact sur les stratégies patrimoniales. En matière de stratégies patrimoniales, cet élargissement de la notion d’abus de droit sonne-t-il le glas des montages optimisés fiscalement ? Le notaire pourra-t-il encore conseiller le montage le moins coûteux fiscalement ? Les montages sans risques à ce jour le seront-ils encore à compter du 1er janvier 2020 ?

Tout d’abord, face aux critiques et aux craintes exprimées concernant la donation avec réserve d’usufruit, le ministère de l’Action et des Comptes publics a publié un communiqué rassurant le 19 janvier 2019 indiquant : « En ce qui concerne la crainte exprimée d’une remise en cause des démembrements de propriété, la nouvelle définition de l’abus de droit ne remet pas en cause les transmissions anticipées de patrimoine, notamment celles pour lesquelles le donateur se réserve l’usufruit du bien transmis, sous réserve bien entendu que les transmissions concernées ne soient pas fictives ».

Cette position a été réaffirmée dans deux réponses ministérielles, la première concernant les transmissions avec démembrement de propriété680, la seconde concernant la donation de biens consomptibles par le premier usage avec réserve de quasi-usufruit681.

On en déduit qu’un certain nombre d’opérations patrimoniales ne pourront être remises en cause en application de l’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales comme le pacte Dutreil, la donation d’usufruit temporaire… Le notaire devra néanmoins faire preuve de vigilance en ce qui concerne l’exercice des options fiscales et l’application à la lettre de la doctrine administrative pour la réalisation d’un montage.

La position de la doctrine fiscale en matière d’option fiscale est la suivante : « Si l’exercice d’une option offerte par la législation fiscale n’est pas en soi constitutive d’un abus de droit, les conditions qui ont permis de se trouver en situation d’exercer cette option peuvent en revanche être abusives et encourir la procédure de l’abus de droit fiscal »682. L’analyse poussée par le notaire de l’opération réalisée, et ce en amont de l’option fiscale exercée, lui permettra de détecter les montages sans substance économique, seuls susceptibles d’encourir la procédure de l’abus de droit fiscal683.

Par ailleurs, si l’article L. 80 A du Livre des procédures fiscales garantit contre tout redressement le contribuable qui applique à la lettre la doctrine administrative, en matière d’abus de droit une divergence de position sur le sujet entre l’administration684 et le Comité de l’abus de droit fiscal685 doit conduire le notaire à une certaine vigilance, l’administration pouvant néanmoins remettre en cause le montage sur le fondement de l’abus de droit avec pour motif l’abus de doctrine administrative.

En revanche, certaines opérations de pure optimisation fiscale susceptibles d’annuler une taxation seront soumises à l’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales, dans l’hypothèse où elles auront été conçues dans le but essentiel d’éluder l’impôt normalement dû.

Dans ce contexte, on peut s’interroger sur le devenir du changement de régime matrimonial sans homologation par adoption du régime de communauté d’acquêts, de communauté universelle ou par l’adoption d’une société d’acquêts, permettant de limiter le coût de la transmission. La donation-partage qui s’en suit permet de faire bénéficier aux enfants sur les biens propres du conjoint, devenus communs, du double abattement fiscal prévu en ligne directe et de la progressivité des tranches d’imposition. Le changement de régime matrimonial sans homologation, lorsque les enfants du couple sont tous majeurs et non opposants et en l’absence d’opposition des tiers, a eu comme conséquence de faire disparaître la consécration judiciaire de l’intérêt de la famille. Cette absence d’homologation a fragilisé l’opération au regard de l’abus de droit. Néanmoins, jusqu’à ce jour, le risque est resté limité. Les motivations du changement de régime matrimonial sont multiples et fondées sur l’intérêt de la famille. L’administration pourra-t-elle plus facilement remettre en cause le montage en invoquant son but essentiellement fiscal par le bénéfice d’un double abattement de manière indue ? Ne va-t-elle pas se heurter néanmoins à la difficile preuve de la condition objective, savoir l’absence d’intérêt pour la famille ? La volonté d’enrichir ses enfants n’est-elle pas une raison suffisante pour justifier de l’intérêt de la famille ?

Dans un autre ordre d’idées, qu’adviendra-t-il des démembrements entre parents et enfants de parts de société et des revenus perçus par cette société ? L’affectation systématique de ces revenus en réserve permet aux nus-propriétaires, à l’extinction de l’usufruit, de recueillir la pleine propriété des parts revalorisées sans droits de succession. Les réserves peuvent également être distribuées et soumises à un quasi-usufruit faisant naître une créance de restitution déductible de l’actif successoral taxable, permettant de diminuer, voire de supprimer les droits de succession. Dès lors, ce montage pourra-t-il être remis en cause sur le fondement de l’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales ? Le doute est permis. Il conviendra de pouvoir justifier, dans ce cas, la mise en réserve par l’intérêt social, via le rapport de la gérance, avec notamment comme motif le financement de travaux. Quant à la constitution du quasi-usufruit sur les sommes distribuées, il conviendra d’éviter l’enchaînement rapide du montage « affectation en réserve – distribution – constitution de quasi-usufruit » ; un délai fixé entre chaque opération fera son œuvre afin d’éloigner le risque d’abus de droit.

Dans tous les cas, il conviendra de faire preuve de bon sens dans le montage des opérations et d’avoir à l’esprit que si la justification économique du projet n’est pas avérée, le risque d’abus de droit sera augmenté. À l’inverse, si le but principal poursuivi par le contribuable est, par exemple, l’enrichissement de ses enfants, ce motif ne nous semble pas critiquable et susceptible de taxer l’opération en cause au titre de l’abus de droit.

4400 – Les sanctions applicables à l’encontre des conseils. – Outre la fraude ou la fictivité dans les stratégies patrimoniales, le notaire ne peut non plus favoriser une dissimulation. L’illicéité de l’opération envisagée par le client doit amener le notaire à refuser d’instrumenter. Il en est ainsi également en matière d’expatriation qualifiée de « fiscale ». D’un point de vue éthique et déontologique, le notaire ne peut conseiller ou inciter à l’expatriation de son client poursuivant un objectif exclusivement fiscal686.

À défaut, les sanctions pour le notaire-conseil sont de plus en plus lourdes. Outre l’article 1742 du Code général des impôts qui a instauré le délit de complicité de fraude fiscale aux conseils du contribuable687, dont la sanction peut aller de cinq à sept ans d’emprisonnement et de 500 000 € à 3 000 000 € d’amendes, la loi no 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude688 a instauré, dans son volet répressif, de nouvelles sanctions administratives, fiscales et sociales aux personnes qui concourent par leurs prestations de services à l’élaboration de montages frauduleux ou abusifs.

L’une des sanctions est une amende fiscale prévue par le nouvel article 1740 A bis du Code général des impôts. Elle est applicable aux professionnels qui fournissent des conseils à caractère juridique, financier ou comptable, ou détiennent des biens ou des fonds pour le compte de tiers. Les notaires font donc partie de cette catégorie de professionnels.

L’amende fiscale est appliquée lorsque deux conditions cumulatives sont réunies, savoir :

Première condition : lorsque l’administration fiscale a prononcé à l’encontre du contribuable une majoration de 80 % sur le fondement de :

l’article 1728-1, c du Code général des impôts : défaut de production dans les délais prescrits d’une déclaration ou d’un acte comportant des éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt ayant conduit l’administration à découvrir une activité occulte ;

l’article 1729, b et c du Code général des impôts : inexactitudes, omissions dans les déclarations fiscales souscrites ou les actes produits ou obtention indue du versement d’une créance fiscale résultant de manœuvres frauduleuses, d’une dissimulation d’une partie du prix stipulé dans un contrat ou d’actes constitutifs d’un abus de droit au sens de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales ;

l’article 1729-0 A du Code général des impôts : insuffisance de déclarations des avoirs détenus à l’étranger ou des actifs placés dans un trust ;

et que, dans ces cas, le conseil a intentionnellement fourni à ce contribuable une prestation permettant directement la commission par ce contribuable des agissements, manquements ou manœuvres ainsi sanctionnés, le conseil est redevable d’une amende dans les conditions prévues au II du présent article.

Seconde condition : les prestations énumérées sont celles qui consistent à permettre au contribuable :

de dissimuler son identité par la fourniture d’une identité fictive ou d’un prête-nom ou par l’interposition d’une personne physique ou morale ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l’étranger ;

de bénéficier à tort d’une déduction du revenu, d’un crédit d’impôt, d’une réduction d’impôt ou d’une exonération d’impôt par la délivrance irrégulière de documents ;

de réaliser pour le compte du contribuable tout acte destiné à égarer l’administration.

L’amende est égale à 50 % des revenus tirés de la prestation fournie au contribuable. Son montant ne peut être inférieur à 10 000 €.

Pour appliquer cette amende, l’administration supporte la charge de la preuve et doit démontrer le lien entre la prestation fournie et les manquements ou abus qui en résultent. Cette preuve risque d’être difficile à rapporter en raison du secret professionnel opposable par le notaire689.

En cas de désaccord portant sur les agissements, manquements ou manœuvres du contribuable ci-dessus visés, les garanties et voies de recours qui lui sont offertes bénéficient également à la personne contre laquelle l’amende a été prononcée.

Lorsque les majorations visées ci-dessus font l’objet d’un dégrèvement ou d’une décharge pour un motif lié à leur bien-fondé, l’amende qui a été prononcée à l’encontre du tiers fait l’objet d’une décision de dégrèvement.

Ces amendes sont applicables depuis le 25 octobre 2018. Il est à noter que la sanction administrative fiscale créée ne s’applique pas lorsque le conseil est sanctionné au titre du délit de complicité de fraude fiscale (CGI, art. 1742).

Il est à craindre une augmentation de la pénalisation des dossiers en application de l’article L. 228 du Livre des procédures fiscales modifié par la loi du 23 octobre 2018, qui rend automatiques et obligatoires, d’une part, la dénonciation au procureur de la République, par les finances publiques, des faits ayant donné lieu aux majorations les plus importantes sur des droits dont le montant est supérieur à 100 000 € et, d’autre part, la transmission des infractions fiscales au parquet. À cela s’ajoutent l’obligation de publicité par l’affichage et la diffusion de la décision constatant l’infraction pénale.

Conseil pratique

Le renforcement des sanctions potentielles à l’égard des conseils dans un contexte fiscal mouvant et incertain ne peut qu’inciter les notaires à la prudence en matière de conseil fiscal, tout en gardant sa pertinence.

La situation du notaire est néanmoins distincte de celle des conseils ci-dessus visés : en effet, l’article 1742 du Code général des impôts rappelle que les dispositions des articles 121-6 et 121-7 du Code pénal, relatives à la complicité, sont applicables aux officiers publics et ministériels. En d’autres termes, le notaire qui a prêté son ministère à un acte qui ressortit de l’abus de droit relevant tant de l’article L. 64 que de l’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales, et lorsque les conditions relatives au montant des pénalités sont remplies, verra automatiquement sa responsabilité pénale engagée au titre de la complicité de fraude fiscale. Si ce délit est retenu à son encontre, il va de soi que le procureur de la République ne manquera pas d’en tirer les conséquences quant au maintien de l’activité professionnelle du notaire ainsi pris en faute.

4401 – Le rescrit et le Comité de l’abus de droit fiscal comme garantie pour le contribuable ? – Le contribuable a la possibilité d’interroger par écrit l’administration fiscale, préalablement à l’opération envisagée, en application de l’article L. 64 B du Livre des procédures fiscales. Il doit, dans ce cas, fournir tous les éléments nécessaires à l’analyse par l’administration fiscale de la nature et de la portée véritable de l’opération. La demande est adressée au service juridique de la fiscalité « Bureau des agréments et rescrits ». Il s’agit de la procédure du rescrit.

En l’absence de réponse dans un délai de six mois à compter de la demande, il y a acceptation tacite de l’administration sur l’opération qui ne pourra plus être remise en cause sur le terrain de l’abus de droit.

L’administration peut également fournir une réponse dans le délai de six mois en n’émettant pas d’objection et se trouve liée par sa réponse. Mais l’administration peut également émettre des réserves et, dans ce cas, si le contribuable réalise l’opération malgré tout, elle pourra le redresser sur le fondement de l’abus de droit.

Même si ce procédé constitue une garantie pour le contribuable, car il permet de sécuriser les opérations complexes à forts enjeux, il n’est que peu utilisé en raison principalement des délais de réponse de l’administration690.

Le contribuable ou l’administration peuvent également soumettre leurs désaccords subsistants sur les redressements notifiés à l’avis du Comité de l’abus de droit fiscal.

Le comité est composé de trois magistrats, d’un universitaire et de trois représentants des professions juridiques (avocat, expert-comptable, notaire). Il procède aux auditions du contribuable et de son conseil ainsi que de l’administration selon la procédure du débat oral et contradictoire.

Depuis le 1er janvier 2019, l’administration supporte la charge de la preuve quel que soit l’avis rendu par le comité, sauf en présence de graves irrégularités comptables. Il peut être opportun de saisir le Comité de l’abus droit fiscal, l’administration s’étant rangée dans près de 60 % des cas aux avis défavorables de l’abus de droit rendus par le comité. L’avis favorable du comité en faveur du contribuable et suivi par l’administration permet de suspendre le recouvrement de l’impôt.

Il est à noter que les rescrits de portée générale et les avis du Comité de l’abus de droit fiscal, ainsi que la position de l’administration suite à ces avis sont publiés au Bulletin officiel des impôts chaque année. En outre, l’administration fiscale publie désormais sur son site impots.gouv.fr une carte des pratiques et montages abusifs, composée de fiches descriptives, dans un but de prévention et de dissuasion.


635) BOI-ENR-DG-20-20-60, 12 sept. 2012, nos 20/30/40/70.
636) Cass. civ., 21 août 1871 : DP 1873, 1, 81 ; S. 1872, 1, 442. – Cass. civ., 5 mars 1907 : DP 1908, 1, 209 ; S. 1909, 1, 46.
637) J. Lafond, Guide de la publicité foncière, LexisNexis, 2018, Fasc. 60 : Acte contenant plusieurs dispositions.
638) Principes et techniques des droits d’enregistrement, Dalloz, 1929, no 601.
639) Laon, 26 sept. 1850 : Journ. enr. 1850, p. 15170 ; Journ. not. 1850, p. 14277. – Saint-Marcellin, 17 mai 1879 : Journ. enr. 1879, p. 21454.
640) CGI, art. 672.
641) J. Lafond, Guide de la publicité foncière, Fasc. 60 : Acte contenant plusieurs dispositions, op. cit..
642) Rép. min. Finances, 23 mai 1932 ; Instr. DGI 4056, § 34.

643) Exemples issus du JCl. Enregistrement Traité, Fasc. 40, Partage : dispositi ons dépendantes et indépendantes, questions diverses, p ar G. Laval et F. Collard.

644) Rép. min. no 4813 : JOAN 18 mai 1960, p. 909-1, M. Beaugritte ; BOI-ENR-PTG-10-10, BOI-ENR-PTG-10-10, 3 sept. 2015, no 65.
645) Rép. min. no 9548 : JOAN Q 2013, p. 825, Cl. Valter : JCP N 2013, no 5, act. 223.
646) S. Lamiaux, Enregistrement, partage et licitation en droits d’enregistrement : existe-t-il une différence ? : JCP N 2 sept. 2016, no 35, 1252.
647) R. Gentilhomme et M. Hérail, Fiscalité des mutations à titre gratuit et des partages, Defrénois.
648) S. Lamiaux, Enregistrement, partage et licitation en droits d’enregistrement : existe-t-il une différence ? : JCP N 2 sept. 2016, no 35, 1252.
649) BOI-ENR-PTG-20-10, 29 janv. 2013, § 60.
650) BOI-ENR-PTG-10-10-20150903, § 90.
651) E. Simon-Michel, Le droit de partage dans tous ses états (première partie) : RFP févr. 2019, cah. prat. no 2.
652) BOI-ENR-PTG-10-20, § 1.
653) BOI-ENR-PTG-20-20, § 1.
654) S. Lamiaux, Enregistrement, partage et licitation en droits d’enregistrement : existe-t-il une différence ? : JCP N 2 sept. 2016, no 35, 1252.
655) BOI-ENG-PTG-10-20, 12 sept. 2012, § 270.
656) BOI-ENR-PTG-20-20, 12 sept. 2012, § 50.
657) RES no 2006/34 TCA, 12 sept. 2006.
658) V. Kerrest, CGI, art. 257 bis : aspects pratiques : Cah. Cridon Lyon nov. 2016, no 77, Droit fiscal.
659) Rép. min. Gérard no 90962, 8 mars 2016, p. 2040.
660) Application du rescrit no 2008-4 (TCA) repris au BOFiP sous le no BOI-TVA-CHAMP-10-10-50-10-201221001, no 30 aux termes duquel l’administration refuse l’application de la dispense de TVA « en cas de cession isolée d’un immeuble (…) affecté jusqu’alors de manière partielle à une activité locative au titre de laquelle les loyers perçus étaient en tout ou partie soumis effectivement à la TVA ».
661) BOI-TVA-IMM-10-20-10-20160302.
662) Http://taximmo.fr/category/formulaire-257-bis.
663) M. Giray, Le notaire et l’optimisation fiscale : JCP N 14 févr. 2014, no 7.
664) J. Prieur, Patrimoine professionnel : contractualisation et sécurité juridique. Rapport de synthèse. Journées notariales du patrimoine, 29-30 sept. 2008 : JCP N 2008, no 49, 1352.
665) Clauses anti-abus spéciales ou générales dans les conventions internationales.
666) Clauses anti-abus spéciales ou générales dans les directives européennes et principe général du droit de l’Union européenne de prohibition de l’abus de droit, en matière de TVA (CJUE, 21 févr. 2006, aff. C-255/02, Halifax) et d’impôts directs (CJUE, Gde ch., 26 févr. 2019, aff. jtes C-16 et s.).
667) L. no 2018-898, 23 oct. 2018 et L. fin. pour 2019.
668) JCl. Ingénierie du patrimoine, Fasc. 200, Abus de droit fiscal.
669) L. Guilmois, Le notaire et l’abus de droit fiscal : JCP N 31 août 2018, no 356.
670) CE, 9 avr. 2014, no 353822 : JurisData no 2014-008219. – CE, 28 mai 2014, no 359911. – CE, 19 nov. 2014, no 370564 : JurisData no 2014-028381.
671) CE, 30 déc. 2011, no 330940 : JurisData no 2011-031696.
672) CE, 14 nov. 2014, nos 369908 et 361482.
673) CE, 9e et 10e ch. réunies, 10 févr. 2017, no 387960 : JurisData no 2017-002348.
674) S. Lamiaux, Enregistrement, partage et licitation en droits d’enregistrement : existe-t-il une différence ? : JCP N 2 sept. 2016, no 35, 1252.
675) CE, 9 avr. 2014, no 3533822 : JurisData no 2014-008219.
676) Analyse détaillée comparative dans le colloque de l’Association Rencontres Notariat-Université (ARNU) « L’abus de droit et la pratique notariale », Paris, 14 oct. 2019, propos de F. Deboissy et G. Bonnet.
677) Loi de finances pour 2019 : une réforme contestable de l’abus de droit : JCP N 4 janv. 2019, no 1, act. 101.
678) CGI, art. 1729, a.
679) Loi de finances pour 2019 : une réforme contestable de l’abus de droit : JCP N 4 janv. 2019, no 1, act. 101.
680) Rép. min. Procaccia no 09965 : JO Sénat Q 13 juin 2019.
681) Rép. min. Malhuret no 08670 : JO Sénat Q 27 juin 2019.
682) BOI-CF-IOR-30, no 50.
683) CADF, 29 janv. 2015, aff. 2014-33, SCI X.
684) Réponse négative de l’administration : BOI-CF-IOR-30, nos 80 à 100.
685) Réponse positive du Comité de l’abus de droit fiscal : une instruction fiscale n’est pas au nombre des décisions visées par l’article 64 du Livre des procédures fiscales : CADF, 6 nov. 2015, avis no 2015-09.
686) M. Giray, Le notaire et l’optimisation fiscale : JCP N 14 févr. 2014, no 7, F. Fruleux.
687) Pour les délits visés à l’article 1741 du Code général des impôts.
688) Publiée au JO 24 oct. 2018.
689) C. Giuliani, Chronique droit fiscal : nouvelles sanctions administratives, fiscales, sociales applicables à l’encontre des conseils : Cah. Cridon Lyon mars 2019, no 83.
690) Quarante-sept rescrits abus de droit en 2016 ; trente-trois en 2017 ; trente en 2018 surtout en matière d’IR ou IS/RCM et plus marginalement en matière d’enregistrement.
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