CGV – CGU

Partie I – Protéger son habitation
Titre 1 – La protection de la résidence principale du propriétaire
Sous-titre 2 – La protection conventionnelle du propriétaire
Chapitre I – La protection à l’encontre de ses créanciers personnels

3084 La protection peut être effectuée lors de l’acquisition de la résidence principale en son nom propre (Section I) et également par la création d’une structure sociale lors de l’acquisition de cette résidence (Section II).

À titre liminaire, nous rappellerons que le créancier bénéficie de l’action paulienne prévue à l’article 1341-2127 du Code civil pour faire déclarer inopposables à son égard les actes accomplis par le débiteur en fraude de ses droits.

Section I – L’acquisition directe de sa résidence principale

3085 La personne qui voudrait dissimuler qu’elle possède un bien à son nom peut souhaiter placer celui-ci au nom d’une autre personne, mais elle peut également procéder à l’acquisition avec une autre personne dans l’espoir de retarder, voire d’interdire la saisie de son bien.

3086 – L’acquisition par un prête-nom. – Elle est en principe valide sous la double condition :

qu’elle n’ait pas pour objet de faire fraude à la loi ;

qu’elle n’ait pas été conclue en vue de causer un préjudice aux tiers128.

Le tableau suivant synthétise les possibilités d’acquisition pour éviter que le bien apparaisse au nom du propriétaire réel avec indication des intérêts se rapportant à ce type de détention et ses limites.

3087 – L’acquisition avec une autre personne. – Elle est valide.

Le tableau suivant résume les possibilités d’acquisition avec une autre personne, avec indication des intérêts au regard du droit de poursuite des créanciers ou du liquidateur dans le cadre d’une procédure judiciaire se rapportant à ce type de détention et ses limites.


Section II – L’acquisition de sa résidence principale par l’entremise d’une structure

3088 Certains clients sont tentés de constituer une société pour y louer des actifs immobiliers, pensant ainsi à la poursuite des créanciers. Nous devons leur rappeler l’illusoire protection d’une structure sociale (Sous-section I). Depuis 2007, la fiducie a fait son apparition dans notre droit positif, son utilisation pourrait connaître un intérêt dans le cadre d’une protection (Sous-section II).

Sous-section I – L’illusoire protection d’une structure sociale

3089 Détenir son logement par l’intermédiaire d’une société civile est relativement fréquent, mais peut-on posséder son logement par l’intermédiaire d’une société de forme commerciale ?

§ I – La société civile

3090 – Un outil adapté. – Au regard de la protection du logement, la société civile peut être un outil efficace vis-à-vis des créanciers au point qu’un précédent congrès l’a très justement qualifié d’insaisissabilité de fait155. En effet, par sa personnalité distincte de celle de ses associés, la société a un patrimoine propre qui échappe au droit de poursuite des créanciers des associés. Ces derniers peuvent uniquement saisir les parts sociales de leur débiteur, lesquelles trouvent peu d’attractivité en cas de mise aux enchères.

Le 110e Congrès des notaires de France avait également rappelé qu’il est possible d’accentuer le caractère peu attractif des parts sociales en prévoyant dans les statuts une révocation du gérant à l’unanimité, par des clauses appropriées : « droit de vote multiple, droit de révocation et de veto des dirigeants, clauses d’agrément de l’adjudicataire ». Le même congrès envisageait la souscription croisée en usufruit et nue-propriété, voire la combinaison avec une clause de tontine, et nous renvoyons les lecteurs à ces travaux.

Un outil à utiliser avec discernement. La constitution d’une société civile n’est pas suffisante pour dissuader un éventuel créancier d’appréhender les biens qui y sont logés. Le risque de fictivité de la société n’est pas à écarter si la société ne tient aucun registre, ne possède aucune comptabilité et ne détient pas de compte bancaire156. Toutefois, la jurisprudence n’est pas toujours très exigeante pour écarter la notion de fictivité. Une société n’ayant tenu aucune comptabilité ni assemblée depuis sa création n’est pas déclarée fictive dès lors qu’elle a été régulièrement constituée, que son objet a été réalisé et que le gérant s’est acquitté de ses taxes157.

L’existence de liens familiaux entre les associés, spécialement lorsqu’il s’agit de mineurs peut faire douter du sérieux de la société158. Pourtant la Cour de cassation a refusé de déclarer fictive pour défaut d’affectio societatis une société civile immobilière constituée entre des époux et un tiers pour l’achat d’une villa, alors que la femme et l’ami n’avaient libéré leurs apports qu’avec un chèque du mari159. Il est vrai qu’il s’agissait alors de s’opposer à la demande du mari et non de répondre à une demande d’un créancier de l’un des associés.

Les créanciers disposent également de l’action paulienne. Ainsi la Cour de cassation a approuvé une cour d’appel d’avoir caractérisé la fraude et déclaré inopposable au créancier l’apport de biens à une société civile dont les statuts contenaient une clause d’accroissement160.

Enfin, on rappellera que la Cour de cassation a écarté l’application des dispositions de l’article 215 du Code civil lorsque le logement de la famille est détenu par une société civile161.

L’article 1860 du Code civil prévoit que la déconfiture de l’un des associés entraîne le remboursement des droits sociaux de l’associé, lequel perd alors la qualité d’associé. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 4 janvier 1978, il n’est plus mis fin d’une manière automatique à la société ; celle-ci continue d’exister (à moins que les associés ne décident de sa dissolution), mais elle doit rembourser les droits sociaux de l’intéressé.

Cette disposition est d’ordre public et impérative. La perte de la qualité d’associé n’est pas laissée à la discrétion de la société. « Il doit en conséquence être procédé à l’expertise prévue par l’article 1843-4 du Code civil pour déterminer la valeur des droits sociaux »162.

§ II – La société commerciale

3091 Ce type de détention est à manier avec précaution pour des raisons qui tiennent à la fois du droit fiscal et du droit des sociétés.

Le droit fiscal prévoit au II de l’article 15 du Code général des impôts que les revenus des logements dont le propriétaire se réserve la jouissance ne sont pas soumis à l’impôt sur le revenu. Or les sociétés commerciales relèvent en principe de l’impôt sur les sociétés, et à ce titre la mise à disposition du logement aux associés ainsi que le faible montant du loyer constituent des avantages en nature qui entrent dans les recettes de la société.

Le droit des sociétés n’est pas adapté à la détention du logement puisque, même si l’objet de la société est civil, celle-ci doit tenir une comptabilité régulière avec l’obligation d’établir des comptes annuels (bilan, compte de résultat et une annexe), ce qui représente un coût pouvant être important.

De plus, l’utilisation de l’actif de la société dans l’intérêt personnel du dirigeant est constitutive d’un abus de bien social puni d’un emprisonnement de cinq ans et de 375 000 € d’amende163.

§ III – La société ayant son siège à l’étranger

3092 L’actualité récente nous a rappelé l’intérêt d’une domiciliation à l’étranger d’une société pour dissimuler à ses créanciers et à l’administration fiscale une partie de son patrimoine164.

La domiciliation à l’étranger du siège de la société détentrice du logement n’est pas en soi illicite, mais tout notaire chargé d’instrumenter pour le compte d’un client qui effectue l’acquisition de son logement en France par l’intermédiaire d’une société ayant son siège à l’étranger a une obligation de vigilance qui peut aller jusqu’à une obligation de déclaration de soupçon au procureur de la République par l’intermédiaire de la cellule Tracfin165.

Le 115e Congrès des notaires de France166, spécialement sa quatrième commission, s’est penché sur cette question au regard des vérifications à opérer par le notaire chargé de recevoir une acquisition ou une vente d’un bien immobilier détenu par une société de droit étranger et nous renvoyons à ces travaux sur ce point167.

Néanmoins, nous rappelons le conseil de nos confrères « d’obtenir un affidavit d’un juriste étranger confirmant l’existence de la société, que celle-ci a la personnalité juridique, qu’elle n’est pas soumise à une procédure de redressement ou liquidation judiciaire, qu’elle a le droit de vendre ou acquérir un bien immobilier, que la décision d’acquérir ou de vendre a été valablement prise, et que le représentant de la société a le pouvoir de la représenter et de l’engager vis-à-vis des tiers ».

Sous-section II – L’absence d’intérêt de la fiducie

3093 Le contrat de fiducie, qui figure aux articles 2021 à 2030 du Code civil depuis la loi du 19 février 2007168, et spécialement la fiducie-gestion, est un moyen intéressant pour protéger son patrimoine personnel de ses créanciers169.

En effet, cette institution permet de transférer la propriété du logement au fiduciaire tout en conservant l’usage et la jouissance de ce bien. Mais le coût de cet acte, constitué par la publication du transfert de propriété au service de la publicité foncière et par les honoraires du fiduciaire, ne peut rivaliser avec une simple déclaration d’insaisissabilité.

Par ailleurs, la fiducie ne fait pas obstacle à l’appréhension du logement par le liquidateur si le constituant fait l’objet d’une procédure collective. Le droit des procédures collectives permet au liquidateur d’agir :

soit au titre de la période suspecte en application de l’article L. 632-1, 9o du Code de commerce ;

soit au titre de la résiliation de plein droit de la fiducie, si le constituant est le seul bénéficiaire de celle-ci, en application de l’article L. 641-12-1 du Code de commerce170.

Enfin, nous rappellerons que le contrat de fiducie doit être publié au Fichier national des fiducies171, déclaré au service des impôts du siège du fiduciaire (Direction des impôts des non-résidents s’il est domicilié à l’étranger) et que cette entité est assujettie à la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles qu’elle possède172.


127) C. civ., ancien art. 1167.
128) Cass. civ., 8 mai 1872 : DP 1872, I, p. 348.
129) Jurisprudence constante depuis : Cass. 1re civ., 9 janv. 1979 : Defrénois 1980, art. 32174, A. Ponsard.
130) Cass. civ., 25 févr. 1946 : D. 1946, 254.
131) Même lorsque le créancier n’invoque pas la fraude (Cass. 3e civ., 4 juin 2003 : JCP N 2004, 1269, note Dagot) et même si le droit des créanciers est né après l’acte simulé (Cass. 1re civ., 17 sept. 2003, no 01-11.318).
132) Par ex., Cass. 1re civ., 19 sept. 2007, no 06-14.550. L’acquisition d’une maison de vacances effectuée au nom des enfants mineurs avec l’autorisation initiale du juge de tutelles, mais dont le père conservait la maîtrise et l’usage du fait du bas âge des enfants avec lesquels il était lié par une communauté d’intérêt.
133) L’opération par laquelle une personne achète à son nom l’immeuble dont le prix d’acquisition est payé par un tiers s’analyse en un contrat de prête-nom (Cass. com., 17 févr. 2009 : Bull. civ. 2009, IV, no 24).
134) À ce titre, la simulation est illicite comme causant un préjudice aux tiers.
135) J.-F. Sagaut, La déontologie notariale, éd. La Baule, 1999, p. 47.
136) C. civ., art. 215, al. 3.
137) C. civ., art. 1413.
138) C. civ., art. 815-17.
139) Dans ce cas, il est peu probable que le créancier trouve acquéreur d’une quote-part indivise. V. 112e Congrès des notaires de France, Nantes, 2016, La propriété immobilière, entre liberté et contrainte, 3e commission, no 3526, par T. Vaillant et A. Muzard.
140) Idem et Cass. com., 20 sept. 2017, no 16-14.295 : JCP N 2017, no 39 pour une demande du liquidateur en procédure judiciaire.
141) Cass. 1re civ. 17 mai 1982, no 81-12.312, publié au bulletin.
142) Cass. 1re civ., 3 avr. 2019, no 18-15.177 : JCP N 2019, no 16, p. 11, note S. Bernard.
143) Cass. 2e civ., 4 oct. 2001, no 00-11.126 : RTD civ. 2002, p. 151, obs. R. Perrot.
144) C. civ., art. 815-3.
145) C. civ., art. 815-17.
146) Cass. 1re civ., 20 oct. 1982, no 81-15.560 : Defrénois 1983, art. 33027, no 26, p. 396, obs. J.-L. Aubert.
147) C. civ., art. 815-5 applicable immédiatement depuis la loi no 87-498 du 6 juill. 1987.
148) Chacun des deux acquéreurs achète la nue-propriété d’une moitié indivise et l’usufruit de l’autre moitié indivise. Technique présentée au Congrès régional des notaires de la cour d’appel de Reims ayant pour thème « L’union libre et le droit », tenu en septembre 1984.
149) Pour une étude complète V. 112e Congrès des notaires de France, Nantes, 2016, La propriété immobilière, entre liberté et contrainte, 4e commission, no 4233, par S. Sabot-Barcet et V. Trambouze-Livet.
150) Cass. 1re civ., 17 oct. 2012, no 11-25.252.
151) JCl. Civil Code, Fasc. Contrats aléatoires, no 80, par B.-H. Dumortier.
152) Ibid., no 85.
153) CA Fort-de-France, 12 juill. 2013, no 12/OO284.
154) Cass. 3e civ., 14 févr. 1996, no 93-21.558.
155) 110e Congrès des notaires de France, Marseille, 2014, Vie professionnelle et famille, place au contrat, 2e commission, no 2274, par O. Gazeau, S. Blin et C. Sardot.
156) Cass. 3e civ., 10 oct. 2007 : JurisData no 2007-041457.
157) Cass. com., 15 nov.2017, no 16-20.193 : JurisData no 2017-025502.
158) Cass. com., 10 déc. 1957 : Bull. civ. 1957, III, no 353.
159) Cass. 1re civ., 23 mai 1977 : D. 1978, p. 89, note M. Jeantin.
160) Cass. 3e civ., 14 févr. 1996, no 93-21.558.
161) Cass. 1re civ., 14 mars 2018, no 17-16.482 : Dr. famille juin 2018, no 6, comm. S. Torricelli-Chrifi.
162) CA Paris, 3e ch. A, 13 déc. 1983, Sté Pierre Baron Investissements et a. : JCP N 1er févr. 1985, no 5, 100152.
163) C. com., art. L. 241-3.

164) Récemment le scandale de Panama Papers a révélé que Mme Leticia Montaya était à la tête de plus de 11 000 sociétés en sa qualité de salariée du cabinet d’avocat Mossak Fonseca. Celle-ci faisant écran aux porteurs de parts de ces sociétés.

De même, le parquet national financier a requis le renvoi de M. Rifaat al-Assad, oncle du dictateur syrien Bachar al-Assad, devant le tribunal correctionnel pour y répondre de blanchiment de détournement de fonds publics et de fraude fiscale aggravée. Les journaux Libération du 2 avr. 2019 et Le Parisien du 20 avr. 2019 nous apprennent que les acquisitions étaient effectuées par des sociétés domiciliées au Luxembourg, Curaçao, Liechtenstein et Antilles néerlandaises.

Citons également les époux Balkany pour lesquels les juges d’instruction ont utilisé vingt et une commissions rogatoires internationales (quatre en Suisse, trois au Liechtenstein, une à Saint-Martin, une en République dominicaine, quatre au Maroc, trois en Égypte, trois à Singapour, deux au Liban) pour démonter les structures mises en place par l’avocat du couple (Les Échos 13 mai 2019).

165) C. monét. fin., art. L. 561-1 et L. 561-2.
166) Bruxelles, 2 au 5 juin 2019, L’international.
167) 4e commission, Contracter : Acquérir et financer dans un contexte international, par A. Desnuelle et C. Sainte-Cluque-Godest, spéc. nos 4178 et s.
168) L. no 2007-211, 19 févr. 2007.
169) V. sur ce point 110e Congrès des notaires de France, Marseille, 2014, Vie professionnelle et famille, place au contrat, 2e commission, no 2266, par O. Gazeau, S. Blin et C. Sardot.
170) Ord. no 2008-1345, 18 déc. 2008.
171) C. civ., art. 2020.
172) CGI, art. 990 D.
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