CGV – CGU

Partie II – Protéger ses proches par la transmission
Titre 1 – Protéger ses proches selon la loi
Sous-titre 1 – La protection légale et supplétive des proches
Chapitre II – Les compléments protecteurs de la dévolution légale

2177 À elle seule la dévolution légale ne suffit pas à répondre à l’objectif de protection qui lui est assigné. Elle doit forcément être appuyée par deux institutions. L’une correspond au principe d’égalité, l’autre à celui de liberté. Envisageons donc successivement le rapport des libéralités (Section I) et l’option successorale (Section II).

Section I – Le rapport des libéralités : protection de la vocation légale

2178 Étudions brièvement ce que permet le rapport en lui-même (Sous-section I) puis ses limites (Sous-section II).

Sous-section I – La mise en œuvre du rapport

2179 Commençons par définir le rapport (§ I) avant d’en préciser le domaine (§ II) et les modalités (§ III)

§ I – La définition du rapport

2180 – La reconstitution de la masse successorale. – Le rapport est un mécanisme général qui consiste à reconstituer en nature ou en valeur un ensemble de biens à liquider et à partager ou à réaliser279. Appliqué aux successions, car c’est la matière qui nous intéresse ici, le rapport est « l’institution en vertu de laquelle un héritier doit rendre compte à la succession des libéralités qu’il a reçues du de cujus »280. Le rapport a pour objet de conforter la dévolution légale et le principe d’égalité entre les héritiers. L’égalité n’est pas ici considérée dans son sens arithmétique, c’est-à-dire par part virile, mais dans l’idée que chacun reçoit une part égale à sa vocation, à ses droits. Le rapport consiste donc à reconstituer en nature ou en valeur la masse successorale afin de la répartir entre les héritiers conformément à leurs droits tels que définis par la dévolution légale. Le rapport se distingue profondément et par essence de la réduction dont le seul objet est de garantir à l’héritier de percevoir ses droits réservataires. Le rapport est donc inséparable de la dévolution légale dans le sens où sans rapport elle ne serait ni juste ni égalitaire et se détacherait ainsi de ses fondements et du principe d’égalité qui la domine281.

§ II – – Le domaine du rapport

2181 – Les parties au rapport. – Pour être débiteur d’un rapport à une succession, il faut être héritier ab intestat et avoir été personnellement bénéficiaire d’une libéralité de la part du de cujus. Pour être créancier du rapport, il faut être héritier ab intestat et venir en rang utile à la succession. Le rapport a pour vocation de protéger les héritiers qui n’ont pas été gratifiés par le de cujus et qui, pour autant, viennent à la succession alors que d’autres ont déjà reçu des libéralités de sa part.

Les représentants sont-ils débiteurs du rapport ? Une question importante, mais sans réponse…

Cas de figure. L’hypothèse est la suivante : le de cujus a consenti à ses enfants des donations en avancement de part successorale. L’un renonce et est représenté. Qu’en est-il du rapport ?

Avant 2007, la question ne se posait pas car on ne représentait pas un vivant (le renonçant) et, en cas de représentation d’un mort, ses représentants étaient eux-mêmes débiteurs du rapport (C. civ., art. 848). L’hypothèse de ce rapport en cas de représentation d’un enfant prédécédé est prévue à l’article 848 du Code civil. La solution est logique, car ils sont censés avoir hérité des biens de leur auteur mais aussi de cette dette de rapport282. Aujourd’hui la donne a profondément changé car, par hypothèse, le représenté est en vie. Il n’y a pas de multiples possibilités, elles sont au nombre de deux :

soit les représentants deviennent débiteurs de ce rapport ;

soit ils n’en sont pas débiteurs et la créance de rapport disparaît dans la nature.

La discussion est dense, la doctrine divisée, la jurisprudence muette et la pratique désemparée283.

1) Arguments en faveur de la première thèse284 :

elle est fondée sur une répartition de la succession par souche. Le représenté ayant reçu le bien donné qui, très probablement adviendra aux représentants, il est donc normal qu’ils soient débiteurs de ce rapport ;

elle permet de préserver les droits des autres héritiers et de maintenir l’égalité entre les souches, ce qui est le fondement de la représentation ;

l’article 954, alinéa 2 du Code civil, en prévoyant que cette donation s’impute sur la part de réserve de la souche, ne revient-il pas à dire que la donation est rapportable par la souche ?

2) Ceux en sa défaveur peuvent être résumés ainsi :

les représentants vont être débiteurs d’un rapport correspondant à un bien qu’ils ne détiennent pas. Ils sont donc privés du droit d’en effectuer le rapport en nature. Comment rapporter un bien que l’on n’a pas ?

ils peuvent être débiteurs de la valeur d’un bien qu’ils ne recueilleront peut-être jamais si le représenté l’a aliéné ou l’a consommé. Cet argument ne semble pas pertinent, car en cas de représentation d’un mort le rapport est dû et la situation peut être identique.

Les défenseurs de cette thèse avancent les arguments suivants285 :

l’article 848 du Code civil est issu d’un texte datant de 1804 n’envisageant que la représentation d’une personne décédée. Il ne peut être applicable à la succession d’un vivant ;

on ne peut faire rapporter un bien que l’on n’aura peut-être jamais.

Arguments en défaveur de cette thèse :

ne rien faire rapporter à la souche du renonçant est extrêmement favorable à cette souche, elle gagne quelque part sur les deux tableaux ;

avant la réforme de 2006, les représentants n’avaient aucun droit. Ici, c’est leur donner encore davantage…

2182 – Les libéralités rapportables. – Seules sont rapportables les donations faites par le de cujus (C. civ., art. 850). Celles faites par l’ascendant du de cujus (sauf cas de la donation-partage transgénérationnelle) ne sont pas rapportables. La donation portant sur un bien commun ne sera donc rapportable que pour moitié, sauf si dans la donation il a été stipulé une clause de rapport intégral au décès de l’un des donateurs (clause dite « d’imputation sur la succession du prémourant » ou « d’imputation sur la succession du survivant »). Les incidences de ces clauses sont liquidatives et peuvent permettre d’aménager les droits du conjoint survivant286. Les donations sont présumées rapportables et donc consenties en avancement de part successorale (quelles que soient les formes de la donation) sauf dispense de rapport consentie par le de cujus (donation hors part successorale). Les legs sont, quant à eux, présumés hors part successorale, c’est-à-dire non rapportables, mais libre au de cujus de prévoir dans son testament que le legs fait s’imputera sur la part légale du légataire. Enfin la question du rapport de la donation-partage ne se pose pas, car un tel acte n’est jamais sujet à rapport puisqu’il constitue en lui-même une opération de partage287. Toutes les donations sont rapportables, qu’elles soient ostensibles sous forme de dons manuels, indirectes ou déguisées288.

§ III – Les modalités du rapport

2183 – En moins prenant, en nature ou en valeur. – L’héritier qui est débiteur d’un rapport se verra déduire de son lot dans le partage de la succession la valeur du bien qu’il a déjà reçu. C’est le rapport en moins prenant (C. civ., art. 858). Le rapport peut se faire en nature, c’est-à-dire que l’héritier va restituer le bien à la masse successorale pour être partagé, il pourra être attribué à un autre. Le rapport en nature est une possibilité toujours offerte à l’héritier qui en est débiteur, à la condition que le bien rapporté ne soit pas grevé de charge ou d’occupation autres que celles qui existaient au jour de la donation (C. civ., art. 859). Cette règle est protectrice du débiteur du rapport en lui permettant de ne pas se voir infliger le paiement d’une indemnité de rapport qu’il ne pourrait supporter. Le rapport en valeur est devenu le principe, et cette indemnité de rapport est calculée selon la règle de la dette de valeur rappelée à l’article 860 du Code civil.

2184 – Le calcul de l’indemnité de rapport : le bien appartient encore à l’héritier débiteur. – En application de l’article 860 du Code civil, l’indemnité de rapport est égale à la valeur du bien au jour du partage, mais dans son état au jour de la donation. Il s’agit de reconstituer en valeur l’actif successoral comme si la donation n’avait pas eu lieu. Il est donc nécessaire d’apprécier l’état du bien au jour de la donation et au jour du partage. Les plus-values fortuites doivent profiter à tous les héritiers, tout comme ils doivent subir les moins-values également fortuites. Par contre, celles qui sont le fait du donataire ne doivent pas influencer leurs droits289.

2185 – Le bien a été aliéné par le débiteur du rapport : la subrogation dans la dette de valeur. – Si le bien a été aliéné (vendu, échangé, donné, etc.) par le donataire, alors l’indemnité de rapport dont il est débiteur est égale à la valeur du bien au jour de cette aliénation dans son état au jour de la donation. Si aucun bien ne lui a été subrogé (remploi du prix ou échange), alors l’indemnité de rapport est définitivement fixée et ne sera pas réévaluée jusqu’au partage. Par contre s’il y a subrogation, l’indemnité de rapport sera égale à la valeur du bien ou de la quote-part de ce nouveau bien subrogé. Si le bien acquis est un bien de consommation, alors la subrogation en valeur ne joue pas et c’est la valeur du bien donné au jour de son aliénation qu’il faut prendre en compte. Cette subrogation peut se répéter et donc jouer à l’infini.

Le rapport, la cigale mieux traitée que la fourmi

Un homme a quatre enfants et, sur une même période, il fait à chacun d’eux une donation de biens de valeur égale en dehors de toute donation-partage (c’est son tort) :

À Anne : il donne 100 000 qu’elle consomme dans de somptueux voyages, et au décès de son père il ne reste plus rien. Elle doit donc rapporter le nominal reçu, car aucun bien n’est venu remplacer cette somme. Le rapport sera donc de 100 000. La succession a fait la banque mais sans intérêt !

À Cyrille : il donne un appartement à Nantes qui vaut 100 000 au jour de la donation. Cyrille le conserve, et au décès l’appartement vaut, dans le même état, 150 000. Le rapport de Cyrille est donc de 150 000. La solution ne choque pas, le bien est toujours là et s’il n’avait pas été donné il figurerait à l’actif.

Jean-Pierre reçoit une somme de 100 000 avec laquelle, flairant la bonne affaire, il achète un appartement à Toulouse dans un quartier promis à une belle évolution urbaine. Au décès, ce bien ainsi acquis vaut le double, soit 200 000. Son rapport s’applique au bien subrogé. Il est donc de 200 000 et son bon placement profite à ses frère et sœurs.

Quant à Élisabeth, elle a reçu par donation une petite villa qui valait 100 000 au jour de la donation. Elle l’a revendue 150 000, puis a réinvesti la totalité du prix de manière un peu risquée dans des parts de société qui, au décès, ne valent plus que 70 000 qui devient le montant à rapporter.

Si la succession ne comprend pas d’autres biens que ces indemnités de rapport, alors l’actif total à partager est de 520 000, dont un quart revient à chacun, soit 130 000.

Au final : Cyrille doit verser 20 000 à ses frère et sœurs et Jean-Pierre 70 000 !

La solution est-elle satisfaisante ? Anne qui a tout consommé va bénéficier des placements des autres et Jean-Pierre va non seulement partager sa plus-value, mais également subir la moins-value d’Élisabeth. La morale de cette fable est donc qu’il vaut mieux être cigale que fourmi ! Voire débiteur qu’héritier, car le rapport de la dette se fait au nominal même si l’héritier débiteur a acquis un bien avec la somme prêtée par son auteur290.

2186 – Fondement et appréciation de la règle. – On justifie cette subrogation de la même manière que la dette de valeur elle-même : éviter une déperdition économique de la dette. L’idée est d’indexer cette dette sur la valeur des biens qui sont entrés dans le patrimoine du débiteur grâce à cette donation.

Cette subrogation dans la dette de valeur peut se révéler injuste, car les bons placements d’un héritier profitent aux autres alors qu’il peut lui-même subir leurs mauvais investissements.

Qu’en penser ? La subrogation n’est-elle pas allée un peu trop loin dans la dette de valeur ? Ne pousse-t-elle pas la fictivité des opérations de liquidation à l’extrême ? Car tant le rapport que la réduction procèdent de l’idée de reconstituer le patrimoine du défunt comme s’il n’avait rien donné. Or ici, avec la subrogation, on va beaucoup plus loin en intégrant aux masses (soit de calcul de la quotité disponible, soit à partager) la valeur de biens totalement étrangers au de cujus. Comment justifier que celui qui a fait un bon investissement parce qu’il s’est montré prudent ou particulièrement avisé fasse profiter ses cohéritiers de ses bons placements, et corrélativement soit handicapé par les mauvaises affaires des autres ? La règle n’encourage pas vraiment au bon investissement.

Sous-section II – La paralysie du rapport par la renonciation

2187 – Le donataire n’est plus héritier. – Le rapport de la donation faite à un héritier a pour seul but de tenir compte, dans ses droits successoraux, de ce qu’il a reçu. L’élément perturbateur de ce dessein en est la renonciation. En effet, il y a eu donation rapportable, il s’agissait donc d’un acompte sur la succession, mais le donataire par sa renonciation n’est plus héritier ; il n’est donc en principe plus tenu au rapport et la donation devient forcément préciputaire (C. civ., art. 845, al. 1). C’était la solution générale antérieure à la réforme de 2006 qui, si elle pouvait paraître injuste, avait l’avantage de la simplicité. La loi du 23 juin 2006 (entrée en vigueur le 1er janvier 2007) a augmenté le nombre de solutions, car le renonçant peut désormais être représenté ou s’être vu imposé dans la donation une clause de rapport en cas de renonciation. En l’absence de représentation et de clause de rapport, alors la donation reçue, initialement rapportable, va s’imputer en totalité sur le disponible qu’elle épuisera à concurrence de sa valeur. Cela a pour conséquence que les libéralités suivantes, qui devaient s’imputer sur ce disponible, ne s’exécuteront que partiellement, voire pas du tout… Les prévisions du de cujus et l’égalité initialement voulue par lui ne seront pas respectées291.

2188 – La parade imparfaite de la clause de rapport en cas de renonciation. – L’article 845 du Code civil autorise le disposant à imposer le rapport en cas de renonciation. En réalité il ne s’agit pas d’un véritable rapport, mais plutôt d’une forme de compensation des héritiers lésés par la renonciation. Les modalités d’application de cette clause sont complexes et n’apportent qu’une satisfaction relative sur le plan de la protection. Nous l’aborderons dans la partie consacrée à l’aménagement des donations.

Section II – L’option successorale : protection de la liberté individuelle de l’héritier

2189 L’option successorale engage l’héritier. Elle l’engage dans l’ampleur de ses droits, soit par rapport aux biens recueillis, soit par rapport au passif qui lui est transmis (Sous-section I). L’acceptation pure est simple est irrévocable, c’est donc une certaine gravité qui la caractérise. Par contre, la renonciation est quant à elle révocable. Ces traits de l’option successorale souffrent quelques tempéraments qui la rendent plus douce et protègent ainsi l’héritier pour qui elle peut s’avérer trop rude (Sous-section II).

Sous-section I – Brefs rappels sur l’option successorale

2190 – L’option successorale : une liberté protectrice des héritiers. – Une véritable protection de l’individu pris en sa qualité d’héritier ne se conçoit que s’il lui est conféré la liberté fondamentale d’accepter ou de renoncer à un héritage, principe traduit dans l’ancien adage : « Nul n’est héritier qui ne veut »292. On ne doit pas être contraint d’acquérir un bien par le seul fait du décès de son auteur. Par ailleurs, l’héritage reçu, par le passif qu’il transmet, ne doit pas non plus faire courir trop de risques à celui qui hérite, plus spécialement sur le reste de son patrimoine. La volonté individuelle permet donc à celui qui vient à la succession d’exercer une option quant à la succession qui lui échoit293.

2191 – Les branches de l’option : un éventail dans la protection. – Il existe trois branches dans l’option successorale294 : l’acceptation pure et simple, la renonciation et l’acceptation à concurrence de l’actif net (C. civ., art. 768). L’acceptation pure et simple transmet à l’héritier, sans réserve, tout l’actif mais aussi tout le passif. La renonciation, quant à elle, écarte complètement de la succession à laquelle son auteur devient totalement étranger. L’acceptation à concurrence de l’actif net permet à l’héritier de ne pas être tenu du passif de succession dépassant l’actif. Nous ne reviendrons pas sur les formes de l’option successorale, bien qu’elles se soient quelque peu assouplies lors de l’entrée en vigueur de la loi du 16 novembre 2016295. Nous souhaitons simplement rappeler deux types de règles qui, en elles-mêmes, sont source de protection, car elles atténuent les effets radicaux de l’option successorale. Ces deux règles sont des exceptions au caractère définitif et indivisible de l’option.

Sous-section II – L’assouplissement protecteur de la rigueur de l’option successorale
§ I – Les atténuations protectrices de la rigueur de l’option

2192 – Le droit de repentir du renonçant. – Si l’acceptation pure et simple est en principe irrévocable, la renonciation à succession peut être révoquée par son auteur si certaines conditions sont remplies (C. civ., art. 807). Ainsi l’héritier, après avoir renoncé, pourra accepter la succession si :

la prescription du droit d’option n’a pas été accomplie. Cette révocation ne peut donc avoir lieu plus de dix ans après la date d’ouverture de la succession (C. civ., art. 780) ;

la succession ne doit pas avoir été acceptée par un autre successeur et l’État ne doit pas avoir été envoyé en possession. C’est une question de sécurité juridique et de respect des droits acquis par d’autres sur la succession. Ce repentir ne doit pas préjudicier aux autres.

Aucune forme particulière n’est prescrite pour l’acceptation pure et simple296. Par contre, en cas d’acceptation à concurrence de l’actif net, l’héritier devra se conformer aux règles de formes et de publicité (C. civ., art. 788 et s.). Il devra également dresser l’inventaire obligatoire297.

2193 – La décharge de l’héritier acceptant pur et simple d’une partie du passif. – On sait que l’acceptation pure et simple engage l’héritier à supporter tout le passif de la succession sans aucune distinction. Toutefois, l’article 786 du Code civil apporte une dérogation. En effet, l’héritier qui a accepté purement et simplement peut être déchargé de tout ou partie de son obligation à une dette successorale. Cette exception à l’obligation au passif est soumise à des conditions cumulatives strictes298 :

l’héritier doit ignorer l’existence de la dette en question299 (le fait que le montant soit inconnu ne semble pas suffire)300. C’est la condition d’ignorance ;

la dette doit non seulement être ignorée, mais rien ne doit permettre, au décès, de penser qu’elle pouvait exister. C’est la condition de légitimité ;

celui qui demande à être déchargé en toute ou partie de la dette doit démontrer que son paiement obérerait gravement son patrimoine personnel. Cette appréciation est faite in concreto. Le juge doit non seulement prendre en considération les éléments de patrimoine de l’héritier, les biens qu’il a reçus de la succession, mais aussi sa situation personnelle et familiale301 actuelle et prévisible. C’est la condition de gravité ;

enfin la dernière condition tient au délai, l’héritier devant introduire l’instance dans les cinq mois du jour où il a connu cette dette302. C’est la condition de sécurité juridique.

Le juge peut alors décharger l’héritier de cette dette soit en totalité, soit en partie. Le créancier ne pourra le poursuivre pour le montant de la dette dont il a été déchargé. C’est une mesure protectrice de l’héritier et de ses proches, manifestation du pouvoir protecteur du juge (clause de sauvegarde ou de dureté).

§ II – L’aménagement protecteur de l’acceptation : le cantonnement

2194 – Une exception à l’indivisibilité de l’option. – On enseigne que l’option successorale est indivisible en ce sens que le successeur, en vertu de la même qualité, ne peut prendre des partis différents sur tel ou tel bien. À cette règle ancienne, le législateur a apporté une véritable exception303 : le cantonnement304. En effet, le gratifié à cause de mort pourra limiter son émolument (les droits à lui légués) à tel ou tel bien. Cette faculté peut être véritablement protectrice pour le successeur. Avant d’aborder ses effets (B), précisons ses conditions (A)305.

A/Les conditions du cantonnement

2195 Les quatre conditions du cantonnement sont les suivantes :

la faculté de cantonnement n’est ouverte qu’au légataire (C. civ., art. 1002-2) ou au conjoint bénéficiaire d’une donation de bien à venir (C. civ., art. 1094-1)306. Le cantonnement n’a donc pas vocation à s’appliquer dans la dévolution légale ;

la succession doit avoir été acceptée par au moins un successeur ab intestat autre que l’État. En effet, l’État n’a pas à récupérer les biens dont personne ne veut (friches industrielles, biens sans valeur ou de valeur négative, etc.)307 ;

le disposant ne doit pas avoir privé le gratifié de la faculté de cantonner son émolument. Ainsi le de cujus, dans son testament, peut imposer à son légataire soit de tout prendre, soit de ne rien prendre (par ex., dans l’hypothèse où il lègue des liquidités en vue de payer les droits de succession sur la vieille bâtisse également léguée, le légataire ne peut prendre l’argent et laisser l’immeuble qui ne l’intéresse pas) ;

la faculté de cantonnement doit être exercée en même temps que l’acceptation de la succession avec laquelle elle forme un tout, dans la mesure où elle est une modalité de celle-ci.

B/Les effets et les utilités du cantonnement

2196 Le bénéficiaire de la libéralité va donc pouvoir limiter son émolument à certains biens. Il va pouvoir choisir dans l’actif successoral ceux qui l’intéressent ou qui lui sont utiles.

2197 – Les limites au cantonnement. – Toutefois, le cantonnement subit plusieurs restrictions. Il ne saurait permettre de modifier un droit. Ainsi un gratifié en pleine propriété d’un bien ne saurait cantonner son legs à l’usufruit du même bien308. De la même manière, un légataire universel, par l’effet du cantonnement, ne pourrait transformer son legs en legs à titre universel ou particulier en se soustrayant aux règles du partage et des attributions.

2198 – Les conséquences du cantonnement sur le passif de succession. – Sur le plan du passif de succession, la question est complexe et non tranchée. S’agissant de la contribution à la dette, le cantonnement devrait pouvoir produire ses effets en ce sens que le gratifié supportera le passif proportionnellement à son émolument. Par contre, s’agissant de l’obligation à la dette, celle-ci doit être définie par la nature initiale de la libéralité309.

2199 – L’atout protecteur du cantonnement. – La faculté de cantonnement a un réel intérêt, même pour un héritier ab intestat, car il ajoute cette faculté à la dévolution légale. Pour conférer la faculté de cantonnement à un héritier légal, il suffit de l’instituer légataire universel. C’est un avantage important conféré au conjoint survivant bénéficiaire d’une donation de biens à venir, puisqu’il dispose de droits successoraux « à la carte » et pourra ainsi choisir les biens dont il aura besoin. Par contre, la faculté de cantonnement est une forme de non-respect des dernières volontés du de cujus, et là aussi son usage peut changer ses prévisions. En ce cas, il lui sera conseillé d’exclure cette faculté de cantonner l’émolument.


279) G. Cornu (ss dir.), Vocabulaire juridique, Association H. Capitant, PUF, 2018, V. ce mot.
280) M. Grimaldi, Droit des successions, LexisNexis, 7e éd. 2018, no 724.
281) Cette égalité est la même que celle qui préside aux opérations de partage (C. civ., art. 826). Sur l’égalité dans le partage : C. Pérès et C. Vernières, Droit des successions, PUF, 2018, nos 782 et s. – F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Les successions. Les libéralités, Dalloz, 4e éd. 2013, nos 1101 et s. et 1136 et s. (sanction de l’égalité). – M. Grimaldi, Droit des successions, op. cit., nos 974 et s.
282) L’art. précise qu’il est débiteur du rapport même s’il a renoncé à la succession du représenté.
283) Sur un exposé précis de cette discussion théorique aux enjeux pratiques importants : Ph. Potentier, in Renonciations et successions, quelles pratiques !, ss dir. C. Pérès, Defrénois, 2017, nos 371 et s. – C. Pérès et C. Vernières, Droit des successions, préc., spéc. no 673.
284) Favorables à cette thèse : S. Gaudemet, La représentation successorale au lendemain de la loi du 23 juin 2006 : Defrénois 2006, art. 38447. – F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Les successions. Les libéralités, préc., spéc. no 1053. – Ph. Malaurie et Cl. Brenner, Droit des successions et des libéralités, LGDJ, 8e éd. 2018.
285) M. Grimaldi, Droit des successions, op. cit., no 732. – D. Vigneau, Les rapports des articles 845 et 848 du Code civil en cas de représentation d’un donataire renonçant. Un rapport peut-il en cacher un autre ? : JCP N 2008, no 18, 1193.
286) Sur ces clauses : M. Grimaldi, Droit des successions, préc., spéc. no 736.
287) Pour un rappel du principe, V. Cass. 1re civ., 20 mars 2013, no 11-21.368 : JurisData no 2013-005025.
288) Pour un exemple, Cass. 1re civ., 11 juill. 2019, no 18-19.415 : RTD civ. 2019, p. 634, obs. M. Grimaldi.
289) F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Les successions. Les libéralités, op. cit., nos 1073 et s. – C. Pérès et C. Vernières, Droit des successions, op. cit., nos 682 et s. – M. Grimaldi, Droit des successions, op. cit., no 760.
290) M. Grimaldi, Droit des successions, op. cit., no 988.
291) F. Letellier, Le rapport à l’épreuve de la renonciation : JCP N 2019, no 1314.
292) Coutume de Paris, art. 316 ; Coutume d’Auvergne, art. 59 ; Coutume d’Auvergne, par C. Du Moulin, éd. P. Viallanes, 1770.
293) Sur l’option héréditaire : C. Pérès et C. Vernières, Droit des successions, op. cit., nos 478 et s.
294) Sur les branches de l’option successorale : C. Pérès et C. Vernières, Droit des successions, op. cit., nos 515 et s.
295) Depuis la loi no 2016-1547 entrée en vigueur le 1er novembre 2017, les renonciations à succession ou les acceptations à concurrence de l’actif peuvent être faites devant notaire. Sur la déjudiciarisation de l’option : F. Letellier, Successions : 1er novembre 2017, le nouveau rôle du notaire est arrivé ! : JCP N 2017, 1301. Sur les formes de l’option : M. Grimaldi, Droit des successions, op. cit., nos 488 et s.
296) Elle pourrait même avoir lieu sous forme tacite ou être la conséquence d’un recel de succession. Sur ce point, F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Les successions. Les libéralités, op. cit., no 778 in fine.
297) On peut s’interroger sur la fiabilité d’un inventaire dressé plusieurs années après le décès.
298) M. Grimaldi, Droit des successions, op. cit., no 614. – F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Les successions. Les libéralités, op. cit., no 918.
299) Cette faveur protectrice est d’interprétation stricte. Elle ne s’applique pas aux charges de la succession (nées postérieurement au décès) puisque les héritiers ne peuvent les ignorer (en ce sens au sujet d’une récupération de créance d’aide sociale, Cass. 1re civ., 7 févr. 2018, no 17-10.818 : Defrénois 26 juill. 2018, no 135, note F. Sauvage ; Dr. famille 2018, no 135, note M. Nicod).
300) M. Grimaldi, Droit des successions, op. cit., no 615.
301) Sur la nécessité de ce constat : Cass. 1re civ., 4 janv. 2017, no 16-12.293 : Defrénois 2017, 383, obs. Brémond ; JCP N 2017, no 1187, note F. Sauvage.
302) Le juge compétent est le tribunal de grande instance dans le ressort duquel la succession a été ouverte et non pas celui saisi par le créancier : Cass. 1re civ., 4 juill. 2018, no 17-20.570 : Dr. famille 2018, no 246, obs. A. Tani ; D. 2018, 2384, obs. S. Godechot-Patris.
303) L. no 2006-728, 23 juin 2006.
304) Sur la faculté de cantonnement : C. Bahurel, Les volontés des morts, thèse, Paris 2, LGDJ, coll. « Bibl. de droit privé », 2014, t. 557, no 739. – F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Les successions. Les libéralités, op. cit., nos 472 et s. – 108e Congrès des notaires de France, Montpellier, 2012, La transmission, nos 3445 et s. – M. Giray, Le cantonnement de l’émolument du conjoint survivant par le nouvel article 1094 al. 2 C. civ. : JCP N 2007, 1067. – P. Malaurie et C. Brenner, Droit des successions et des libéralités, op. cit., no 617. – C. Pérès et C. Vernières, Droit des successions, op. cit., nos 498 et s. et no 511. – B. Vareille, Renonciation et cantonnement : abandonner sans donner : JCP N 2016, 1201. – R. Dupuy-Bernard, Organiser le cantonnement : JCP N 2016, 1061. – P. Murat, Les choix des héritiers quant à l’objet reçu : l’exemple du cantonnement : Defrénois 2017, 17 ; Mémento Lefebvre Successions – Libéralités 2019, ss dir. B. Vareille, nos 35800 et s. – M. Grimaldi, Droit des successions, op. cit., no 527.
305) Cette faculté relativement récente a rencontré un certain succès en pratique, surtout lorsqu’il s’agit de libéralités faites au conjoint survivant (qui peut ne pas être intéressé par les propres du prédécédé ou par la résidence secondaire par exemple). Sur la pratique du cantonnement : C. Vernières, in Renonciations et successions : quelles pratiques ?, ss dir. C. Pérès, Defrénois, 2017, nos 208 et s.
306) Peu importe que la libéralité soit antérieure au 1er janv. 2007, date d’entrée en vigueur de la réforme. La seule date qui compte est celle de l’ouverture de la succession, donc celle du décès. Cette faculté est aussi ouverte aux institués contractuels par contrat de mariage (donation aux futurs époux), mais ces derniers sont rares en pratique (M. Grimaldi, op. cit., no 527, spéc. note 112).
307) Sur cette condition : M. Grimaldi, Droit des successions, op. cit., no 527, spéc. 2).
308) M. Grimaldi, Droit des successions, op. cit., no 527, 3). V., à ce sujet, la proposition du 112e Congrès des notaires de France (Nantes, 2016, La propriété immobilière, entre liberté et contraintes) visant à permettre de cantonner à l’usufruit une libéralité en pleine propriété.
309) M. Grimaldi, Droit des successions, op. cit., no 527, préc.
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