CGV – CGU

Chapitre I – L’évolution législative de l’autorité parentale et l’administration légale

Partie II – Le traitement de la vulnérabilité
Titre 1 – Le traitement de la vulnérabilité des mineurs
Sous-titre 1 – La vulnérabilité ordinaire du mineur
Chapitre I – L’évolution législative de l’autorité parentale et l’administration légale

1334 – Une instabilité législative. – De 1804 à 1964, il n’y a eu quasiment aucune modification du régime de protection des mineurs mis en place par les rédacteurs du Code civil. Après quelques retouches438 vint le temps des réformes439. La loi du 14 décembre 1964 constitue la première des grandes réformes contemporaines du droit de la famille (la première loi Carbonnier). Cette loi avait pour ambition de rénover le dispositif de protection des mineurs en l’adaptant à la société et à ses nouvelles mœurs.

Cette réforme a ouvert la voie à bien d’autres qui ont suivi. Depuis, nous comptons jusqu’à ce jour, sauf erreur ou omission, vingt-neuf lois ou ordonnances qui ont réformé ou modifié le régime de la minorité, de l’autorité parentale, de l’administration légale ou de la tutelle :

loi no 64-1230 du 14 décembre 1964 « Tutelle et émancipation » ;

loi no 70-459 du 4 juin 1970 « Autorité parentale » ;

loi no 72-3 du 3 janvier 1972 « Sur la filiation » ;

loi no 74-631 du 5 juillet 1974 « Fixant à dix-huit ans l’âge de la majorité » ;

loi no 85-1372 du 23 décembre 1985 « Égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs » ;

loi no 87-570 du 22 juillet 1987 « Exercice de l’autorité parentale » ;

loi no 89-487 du 10 juillet 1989 « Protection de l’enfance » ;

loi no 93-22 du 8 janvier 1993 « État civil, famille et droits de l’enfant, juge aux affaires familiales » ;

loi no 96-604 du 5 juillet 1996 « Adoption » ;

loi no 96-1238 du 30 décembre 1996 « Maintien des liens entre frères et sœurs » ;

loi no 2002-305 du 4 mars 2002 « Autorité parentale » ;

loi no 2004-1 du 2 janvier 2004 « Accueil et protection de l’enfance » ;

ordonnance no 2005-759 du 4 juillet 2005 « Réforme de la filiation » ;

loi no 2007-293 du 5 mars 2007 « Protection de l’enfance » ;

loi no 2007-297 du 5 mars 2007 « Prévention de la délinquance » ;

loi no 2007-308 du 5 mars 2007 « Réforme de la protection juridique des majeurs » ;

loi no 2008-776 du 4 août 2008 « Modernisation de l’économie » ;

loi no 2009-61 du 16 janvier 2009 « Modification de l’ordonnance no 2005-759 du 4 juillet 2005 portant ‘Réforme de la filiation et modifiant ou abrogeant diverses dispositions relatives à la filiation’ » ;

loi no 2009-526 du 12 mai 2009 « Simplification et clarification du droit et allègement des procédures » ;

loi no 2010-658 du 15 juin 2010 « Entrepreneur individuel à responsabilité limitée » ;

loi no 2010-769 du 9 juillet 2010 « Violences faites spécifiquement aux femmes, violences au sein des couples et incidences de ces dernières sur les enfants » ;

loi no 2011-525 du 17 mai 2011 « Simplification et amélioration de la qualité du droit » ;

loi no 2013-404 du 17 mai 2013 « Ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe » ;

loi no 2014-873 du 4 août 2014 « Égalité réelle entre les femmes et les hommes » ;

ordonnance no 2015-1288 du 15 octobre 2015 « Simplification et modernisation du droit de la famille » ;

loi no 2016-297 du 14 mars 2016 « Protection de l’enfant » ;

loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 « Modernisation de la justice du xxie siècle » ;

loi no 2017-86 du 27 janvier 2017 « Égalité et citoyenneté » ;

loi no 2019-222 du 23 mars 2019 « Programmation 2018-2022 et de réforme de la justice ».

1335 – La passion de la réforme. – Que signifient cette frénésie législative, cette passion de la réforme et de ces retouches permanentes ?

Sur la forme, cette pratique législative, prolixe et instable, révèle un manque de cap et de méthode. Les lois sont constamment remises en chantier440. Certaines semblent édictées à l’essai, pour voir quels effets elles peuvent produire. Pour d’autres, l’œuvre législative est scindée en deux étapes, la première pour poser le principe et la seconde, quelques années plus tard, pour en tirer toutes les conséquences. L’évolution législative se réalise à tâtons et la qualité rédactionnelle de la loi se ressent de ces réécritures permanentes et ponctuelles. La loi oscille entre une surabondance de textes méticuleux441 et des incantations sans portée normative.

Sur le fond, le législateur a adapté le droit à l’évolution de la société et de ses mœurs. Sur ce point, en quarante ans, le droit de la famille a connu bien plus qu’une réforme, une révolution. Derrière l’apparence d’un désordre législatif se dessine en réalité une trajectoire très nette vers l’individualisme, l’égalitarisme et le libéralisme. Le droit de la famille et singulièrement de la protection des mineurs a plié sous l’effet de deux forces, l’une interne provenant de la sociologie familiale et l’autre externe provenant des conventions internationales.

1336 – La transformation de la structure familiale. – La première force qui a travaillé le droit de la famille est sociologique et s’appuie sur la transformation de la structure familiale. La loi de 1964442, qui était une loi de modernisation et d’adaptation du droit, continuait à se fonder sur la famille légitime qui demeurait le modèle de référence. Or ce modèle n’existe plus. Les familles sont fractionnées et la cellule familiale est protéiforme. La diversité de la structure familiale se révèle par la coexistence des familles légitimes dites « classiques », des familles naturelles, séparées, recomposées, monoparentales, homoparentales…

Face à cette diversité de situations familiales, il est difficile de constituer un corpus juridique cohérent qui permette de toutes les traiter de manière satisfaisante. D’autant plus que certaines personnes présentent le paradoxe de cultiver leur différence tout en revendiquant la banalisation et l’égalité de droits. La loi doit être conçue en des termes généraux pour s’appliquer à tout un chacun. Elle doit également être concrète pour être efficace, car elle ne peut se limiter à des déclarations de principes et des incantations.

La première équation est donc posée : comment légiférer de manière efficace et pragmatique pour tout le monde en intégrant cette diversité ? Comment intégrer cette diversité sans discriminer ?

1337 – Les conventions internationales. – La seconde force qui a miné les fondements de notre droit de la famille et de la protection des mineurs puise sa vitalité dans les conventions internationales et spécialement dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950 ratifiée par la France en 1973 et dans la Convention internationale des droits de l’enfant (ou Convention de New York) du 20 novembre 1989 ratifiée le 26 janvier 1990.

Sur le fondement de l’article 55 de notre Constitution, ces conventions conclues entre États sont entrées de manière insidieuse dans notre droit interne en le soumettant. Rédigées en des termes généraux, elles posent des principes et protègent des droits fondamentaux de l’homme et de l’enfant en engageant les États à les garantir. Les juridictions ont pu en déduire l’existence de droits individuels qui trouvent des déclinaisons très concrètes. L’application directe de ces conventions dans notre droit interne l’a modifié substantiellement.

Ainsi, par voie d’interprétation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour de Strasbourg s’est arrogé le pouvoir de développer et d’innover en matière de droits individuels. Un corps de droit autonome s’est constitué de manière jurisprudentielle et empirique, notamment en droit de la famille et de l’enfance443. Cette création jurisprudentielle pèche cependant par son manque de clarté, de cohérence et de lisibilité. Mais lorsqu’un État se trouve sanctionné pour violation de la Convention sur une question particulière, il est sommé de mettre son droit interne en conformité.

La Convention de New York concerne spécifiquement les droits de l’enfant. Elle n’est pas adossée à une juridiction supranationale chargée de veiller à son application et à l’unification de son interprétation. Chaque État l’applique selon ses règles internes. En France, la Cour de cassation a, dans un premier temps, refusé l’application directe de cette convention ; sans la médiation de la loi, la convention demeurait sans effet direct et immédiat. Puis, reconnaissant la supériorité des traités internationaux dans la hiérarchie des normes, la cour a fini par accepter son application directe en droit interne444.

L’application directe et concrète de ces traités internationaux en droit interne pose problème car ils sont souvent conclus en des termes généraux ; ils manient des concepts mal définis tels que l’intérêt supérieur de l’enfant et ils sont souvent le fruit de compromis entre des États de systèmes juridiques différents et de cultures différentes. Ces conventions internationales ont dénaturé notre droit car elles sont axées sur la défense des droits subjectifs de la personne. La promotion des droits de l’homme et de l’enfant a exacerbé l’individualisme. Cet élément a contribué à déstructurer la famille en opposant les intérêts de l’individu aux intérêts collectifs de la famille et en opposant, au sein de la famille, les droits individuels de chacun de ses membres. Ces dernières décennies, beaucoup de lois ont été présentées comme de simples mesures techniques de mise en conformité de notre droit avec ces normes supérieures alors qu’en réalité, elles opéraient des réformes en profondeur affectant la nature et les principes directeurs de notre droit.

Or, pour reprendre l’analyse du doyen Carbonnier, ces droits venus d’ailleurs sont en réalité des droits venus de nulle part445. Ils ne sont que des concepts, des abstractions, des droits sans histoire, sans territoire, sans culture. Ils n’ont aucune adhérence dans la société. Ces conventions conclues en réaction aux totalitarismes du xxe siècle pour garantir des droits humains fondamentaux ont été détournées de cette mission universelle. Elles sont devenues le terreau des revendications de droits individuels opposés aux intérêts collectifs représentés par la République et la famille. Le doyen Carbonnier avait déjà signalé en 1996 que « la Cour de Strasbourg est sortie de son lit » et que « l’ennui est que l’on ne voit pas comment l’y faire rentrer »446. Aujourd’hui, certains auteurs ont pu qualifier, non sans paradoxe, la Cour européenne des droits de l’homme de « juridiction tyrannique »447.

Ces alluvions de droit international ont, par certains aspects, enrichi notre droit et permis de déverrouiller certains blocages de notre société. Sur bien d’autres sujets, ils l’ont abâtardi en le dénaturant, en lui faisant perdre son identité et sa cohérence.

1338 – De l’ordre public au libéralisme. – Le régime de protection des mineurs issu de la loi de 1964 qui se fondait sur la structure familiale légitime se concevait globalement et avait sa cohérence. Le droit de la famille et de la protection des vulnérables se caractérisait par l’ordre public. La loi de 1964 a créé le juge des tutelles. Par le contrôle de ce nouveau juge, l’État était entré dans les familles. Il avait pénétré ce sanctuaire privé pour imposer son ordre et sa protection aux mineurs.

Puis le paradigme a changé. L’ordre public a reculé. Le cadre protecteur mais rigide de la société et de la famille a éclaté pour laisser la place à la promotion des droits individuels. Ainsi pour adapter le droit à l’évolution de la société, spécialement à l’éclatement des familles recomposées en différentes cellules et pour se conformer aux injonctions des traités internationaux, le législateur a œuvré à tâtons, modifiant successivement et ponctuellement le régime de protection des mineurs. Il a peiné à trouver l’équilibre entre les principes classiques, d’ordre public, guidant la matière et les principes de liberté et d’égalité qui dominent aujourd’hui le droit des personnes et de la famille.

Par exemple l’ordonnance du 15 octobre 2015 dite de « simplification et de modernisation du droit de la famille »448, se fondant sur le principe d’égalité des familles a supprimé la distinction entre l’administration légale pure et simple et l’administration légale sous contrôle judiciaire jugée discriminatoire pour les familles monoparentales, pour ne retenir qu’un régime unique d’administration légale. Pour corriger une différence considérée comme une inégalité entre les parents selon la structure familiale, le législateur a supprimé toute différence de régime, créant de manière incidente une inégalité de protection entre les enfants.

La même ordonnance, se fondant sur le principe de liberté, a allégé considérablement le contrôle judiciaire sur la gestion des biens des mineurs. Le législateur a pris le parti, très louable, de faire confiance aux familles449. Il n’en demeure pas moins que la liberté sans contrôle peut aboutir à des abus.

Sous l’apparence de modifications techniques et de simplification du droit pour épouser les mœurs du temps, le législateur a modifié substantiellement le régime de protection des mineurs qui se caractérise aujourd’hui par le libéralisme. Les juristes nomment ce mouvement législatif la déjudiciarisation ou la contractualisation du droit de la famille.

Nous observons qu’en France, la protection des enfants est, en principe, assurée par la famille et par l’État. Les familles sont aujourd’hui fractionnées, voire mises en pièces et les enfants en sont souvent les premières victimes. Parallèlement l’État se retire. Il renonce à ses missions pour les transférer aux familles ; l’intervention de l’État ne serait plus limitée qu’aux cas les plus graves de défaillance familiale. Les deux acteurs et garants de la protection des mineurs sont donc fragilisés ou en retrait. L’avenir nous dira si ce choix législatif de libéralisation du droit a été pertinent et un bilan pourra être dressé.

1339 Dans l’attente de la prochaine réforme ou retouche législative, nous présentons le régime juridique applicable à ce jour aux mineurs dans la pratique notariale.


438) L. 2 juill. 1907, relative à la tutelle exercée sur les enfants naturels. – L. 6 avr. 1910, précisant les pouvoirs de l’administrateur légal.
439) B. Teyssié, Droit des personnes, LexisNexis, 20e éd. 2018, no 655, p. 394.
440) J.-P. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civil, Précis Dalloz, 2e éd. 2010, no 78, p. 68.
441) Par ex., la loi du 3 janvier 1972 sur la filiation remplace soixante et un articles du Code civil par cent trente-neuf.
442) Ph. Malaurie et L. Aynès, Droit des personnes – La protection des mineurs et des majeurs, LGDJ, 10e éd. 2018, no 620, p. 304.
443) A. Gouttenoire et F. Marchadier, La famille dans la jurisprudence de la CEDH (novembre 2017-avril 2018) : Dr. famille juill. 2018, nos 7-8, chron. 2.
444) Cass. 1re civ., 18 mai 2005, no 02-16.336. – Cass. 1re civ., 14 juin 2005, no 04-16.942.
445) J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Ve République, Flammarion, 1996, p. 48.
446) J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Ve République, préc., p. 56.
447) Colloque « La CEDH et le droit de la famille », IODE – Institut de l’Ouest : Droit et Europe, à la Faculté de droit et de sciences politiques de Rennes, 16 mai 2019.
448) S. Le Chuiton, Le point sur la réforme de la gestion des biens des mineurs et majeurs protégés par l’ordonnance du 15 octobre 2015 : Actes prat. strat. patrimoniale janv.-févr.-mars 2016, p. 52.
449) N. Peterka, Déjudiciarisation de l’administration légale et renforcement du rôle de la famille dans la protection des majeurs : JCP G 26 oct. 2015, no 44, p. 1971.


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