CGV – CGU

Partie VI – La lutte contre le blanchiment dans un contexte international
Titre 1 – Lutte contre le blanchiment d’argent et extranéité : le notaire est une cible
Chapitre I – Le client présentant un élément d’extranéité

4284 L’identification du client présentant un élément d’extranéité a fait l’objet de développements dans la deuxième commission (V. supra, nos a2114 et s.), auxquels il convient de renvoyer. Reste qu’il faut prendre conscience que le notaire doit se poser un certain nombre de questions lorsqu’il est appelé à réaliser une transaction pour le compte d’un client étranger ou non résident.

Dans l’hypothèse où le notaire se trouve dans l’impossibilité de procéder aux vérifications obligatoires ou d’identifier son client, le doute se transformera en soupçon, et bien plus, le notaire devra s’abstenir de poursuivre la relation d’affaires, de refuser d’instrumenter, et il sera prudent d’accompagner ce refus d’une déclaration de soupçon.

En effet, l’article L. 516-15, IV du Code monétaire financier énonce que toute opération pour laquelle l’identité du donneur d’ordre ou du bénéficiaire effectif ou du constituant d’un fonds fiduciaire ou de tout autre instrument de gestion d’un patrimoine d’affectation restant douteuse malgré les diligences effectuées doit donner lieu à une déclaration de soupçon.

En outre, le dispositif de lutte contre le blanchiment impose une vigilance accrue lorsque le client ou son représentant légal n’est pas physiquement présent aux fins de l’identification369. Et l’article R. 561-20 du Code monétaire et financier précise qu’en l’absence du client, outre l’obtention de la copie d’une pièce d’identité, le notaire doit prendre les dispositions spécifiques et adéquates nécessaires, en adoptant des mesures parmi l’une au moins des quatre catégories de mesures suivantes :

1. obtenir des pièces justificatives supplémentaires permettant d’établir l’identité du cocontractant ;

2. mettre en œuvre des mesures de vérification et de certification de la copie de la pièce officielle d’identité par un tiers indépendant de la personne à identifier ;

3. exiger que le premier paiement des opérations soit effectué par un compte ouvert au nom du client auprès d’un organisme financier établi dans un État membre de la Communauté européenne ou dans un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ;

4. obtenir une attestation de confirmation de l’identité d’un client de la part d’un organisme financier établi dans un État membre de la Communauté européenne ou dans un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen. L’attestation de confirmation est adressée directement par cet organisme à la personne demandant l’identification et précise le nom et les coordonnées du représentant de l’organisme l’ayant délivrée.

4285 Pour les fiducies et les autres structures similaires de gestion d’un patrimoine d’affectation, les bénéficiaires effectifs sont les constituants, les fiduciaires et les bénéficiaires de la structure ainsi que toute personne exerçant un pouvoir de décision sur le fonctionnement de cette structure370.

L’article L. 561-10, 4° du Code monétaire financier impose au notaire une vigilance particulière lorsque la transaction est une opération effectuée avec des personnes physiques ou morales, y compris leurs filiales ou établissements, domiciliées, enregistrées ou établies dans certains territoires. Sont visés les clients établis dans un État ou un territoire dont les insuffisances de la législation ou les pratiques font obstacle à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Dit autrement, sont visés les clients domiciliés, enregistrés ou établis dans des « paradis fiscaux »371.

Il en est notamment ainsi lorsque le client réside dans un État figurant sur la liste des États non coopératifs, liste dressée par l’Union européenne aux termes du règlement délégué (UE) n° 2016/1675 du 14 juillet 2016, mis à jour le 6 mars 2018 par le règlement délégué (UE) n° 2018/212 du 13 décembre 2017. Ces règlements délégués sont consultables sur le portail de l’Union européenne.

À ce jour, les États figurant sur cette liste sont : l’Afghanistan, la Bosnie-Herzégovine, l’Éthiopie, le Guyana, l’Irak, l’Iran, la Corée du Nord, le Laos, le Sri Lanka, la Syrie, Trinidad et Tobago, la Tunisie, l’Ouganda, le Vanuatu et le Yémen.

Il convient de souligner que la liste des pays à risques dressée par le Groupe d’action financière (GAFI), et consultable sur son site372présente quelques différences avec celle de l’Union européenne. Cette liste comprend actuellement : les Bahamas, le Botswana, l’Éthiopie, l’Iran, la Corée du Nord, le Pakistan, la Serbie, le Sri Lanka, la Syrie, Trinidad et Tobago, la Tunisie et le Yémen.

Le notaire doit également penser à la liste publiée par l’OCDE, recensant les pays dont les programmes « d’obtention de la résidence ou de la nationalité par l’investissement présentent de hauts risques » d’être détournés de leur objet par les blanchisseurs. Il s’agit ici de lutter contre la vente de « passeports dorés », qui a pris une ampleur considérable ces dernières années373dans le but de faciliter les opérations de blanchiment d’argent ou d’échapper à l’impôt.

En soi, l’obtention d’un passeport ou d’une nationalité peut se justifier par le fait de pouvoir voyager plus librement ou de profiter d’un cadre politique stable.

4286 Mais il peut également s’agir d’un détournement du programme ayant pour finalité d’échapper aux échanges automatiques de données entre les autorités fiscales. Ainsi, selon l’article susvisé, « un riche citoyen français qui aurait acheté une deuxième nationalité auprès de Sainte-Lucie et voudrait dissimuler l’argent en Suisse n’aurait qu’à présenter ce second passeport caribéen au banquier suisse pour éviter d’être repéré. Au lieu d’être adressée à la France et au fisc français, l’information sur son compte suisse le serait à Sainte-Lucie… qui s’empresserait de l’enterrer. La France, elle, ignorerait tout du stratagème ».

On devine aisément que la plupart des États listés par l’OCDE se situent dans les îles caribéennes (Antigua-et-Barbuda, les Bahamas, la Barbade, la Dominique, Grenade, Montserrat, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, les îles Turques-et-Caïques), ou bien dans les océans Indien et Pacifique (les Seychelles, l’île Maurice, et l’archipel du Vanuatu). Mais figurent également sur la liste : les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Qatar, la Colombie, la Malaisie et le Panama. La surprise vient de ce que trois pays européens sont pointés du doigt : Monaco, Chypre et Malte.

Dans un tout autre registre, le dispositif impose au notaire une vigilance renforcée lorsque le client est une personnalité particulièrement exposée.

L’article L. 561-10, 2° du Code monétaire et financier indique qu’il s’agit du client qui est une « personne résidant dans un autre État membre de l’Union européenne ou un pays tiers et qui est exposée à des risques particuliers en raison des fonctions politiques, juridictionnelles ou administratives qu’elle exerce ou a exercées pour le compte d’un autre État ou de celles qu’exercent ou ont exercées des membres directs de sa famille ou des personnes connues pour lui être étroitement associées ».

La notion de personnalité particulièrement exposée a été précisée par la directive 2006/70/CE du 1er août 2006. Aux termes de ce texte, les personnes visées comprennent : les chefs d’État, les chefs de gouvernement, les ministres, ministres délégués et secrétaires d’État ; les parlementaires ; les membres des cours suprêmes, des cours constitutionnelles ou d’autres hautes juridictions dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours ; les membres des cours des comptes ou des conseils des banques centrales ; les ambassadeurs, les chargés d’affaires et les officiers supérieurs des forces armées ; les membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance des entreprises publiques.

En ce qui concerne les membres directs de la famille, il s’agit du conjoint, de tout partenaire considéré par le droit interne comme l’équivalent d’un conjoint, les enfants et leurs conjoints ou partenaires et les parents.

Enfin, les personnes connues pour être étroitement associées comprennent : toute personne physique connue pour être le bénéficiaire effectif d’une personne morale ou d’une construction juridique conjointement avec une personne particulièrement exposée ou pour entretenir toute autre relation d’affaires étroite avec une telle personne ; toute personne physique qui est le seul bénéficiaire effectif d’une personne morale ou d’une construction juridique connue pour avoir été établie au profit de facto de la personne particulièrement exposée.

Le décret d’application nécessaire à la mise en œuvre de cette disposition est toujours attendu. Mais le notaire devine combien il pourra être difficile de vérifier si le client entre ou pas dans la catégorie de la personne particulièrement exposée, notamment du fait de l’absence de registre ou de base de données recensant, pour les États membres de l’Union européenne et les pays tiers, les personnes exerçant ou ayant exercé des fonctions susceptibles de les placer parmi les personnes particulièrement exposées.

En pratique, le notaire ne pourra faire l’économie de quelques vérifications sur internet afin de vérifier si le nom du client est ou non trouvé par les moteurs de recherche. Ces investigations ne seront guère facilitées lorsque les pages trouvées par le moteur de recherche ne seront ni rédigées en français ni en une langue connue du notaire.


369) C. monét. fin., art. L. 561-10, 1°.
370) C. monét. fin., art. R. 561-3, 4°.
371) C. monét. fin., art. L. 561-15, VI°.
372) www.fatf-gafi.org
373) V. J.-B. Chastand, L’OCDE épingle vingt et un pays qui vendent leur nationalité : Le Monde 16 oct. 2018.
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