CGV – CGU

Partie III – Le financement
Titre 1 – Le financement dans un contexte international
Chapitre III – Les clauses attributives de juridiction

4227 Il est fréquent que les établissements bancaires proposent des clauses attributives de juridiction dans leurs conditions générales. Ces clauses ne reçoivent pas toujours l’attention qu’elles méritent dans la mesure où, d’une part, elles ne sont le plus souvent pas mises en œuvre, et d’autre part, lorsqu’elles le sont, c’est d’une manière différée : les parties ne pensent pas toujours à se projeter dans l’hypothèse de leur application.

Pourtant, il est essentiel pour une meilleure sécurité des parties de maîtriser au mieux la prévisibilité, et donc l’identification de la juridiction qui pourrait avoir à interpréter et statuer sur l’exécution du prêt.

L’identification du juge compétent peut s’avérer décisive en cas de litige dans un contexte international, tant la détermination du for peut avoir d’impact sur la loi applicable et donc l’issue du litige.

Loin de la clause de style, la clause attributive de juridiction, aussi appelée clause « d’élection de for » est un enjeu majeur du contrat, sur lequel le notaire se doit d’attirer l’attention des parties.

Or, la désignation d’une juridiction compétente est soumise à un corps de règles qu’il faut bien connaître (Section I), ce qui permettra de distinguer selon que l’on envisage la compétence de la juridiction d’un État membre soit de l’Union européenne, soit de la convention de Lugano (Section II), ou d’un État tiers (Section III).

Section I – Les sources applicables

4228 Trois cas de figure sont envisageables, selon que la clause attributive de juridiction relève du droit de l’Union européenne (Sous-section I), de la convention de Lugano(Sous-section II) ou de la jurisprudence (Sous-section III).

Sous-section I – Le règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012

4229 La matière est régie en premier lieu par le règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. C’est le règlement dit « Bruxelles I bis » qui est entré en vigueur le 10 janvier 2015260, à l’exception de ses articles 75 et 76 qui étaient entrés en vigueur dès le 10 janvier 2014261.

On peut noter que ce règlement fait suite à la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 (entrée en vigueur le 1er février 1973) concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle qu’adaptée par les conventions d’adhésion lors des élargissements successifs de l’Union européenne. Cette convention fut elle-même remplacée par le règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, que l’on appelait le règlement « Bruxelles I » entré en vigueur le 1er mars 2002.

Comme déjà le règlement Bruxelles I, le règlement Bruxelles I bis se donne pour champ d’application, par son article 1, la matière civile et commerciale, ce qui comprend la matière bancaire.

Il est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans les États membres conformément aux traités.

Depuis l’entrée en application du règlement dit « Bruxelles I bis », toute procédure d’exequatur est supprimée.

Aux termes de son article 73.1, ce règlement n’affecte pas l’application de la Convention de Lugano de 2007 qui constitue également un corps de règles applicables en la matière.

Sous-section II – La convention de Lugano

4230 Le 30 octobre 2007 la Communauté européenne, le Danemark, l’Islande, la Norvège et la Suisse ont signé ensemble la Convention dite « de Lugano » relative à la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Cette convention a remplacé, dès son entrée en vigueur, la précédente Convention de Lugano concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale du 16 septembre 1988 qui a étendu l’application des dispositions de la Convention de Bruxelles de 1968, ci-dessus visée, à certains États membres de l’Association européenne de libre-échange (AELE).

La convention de 2007 s’applique en matière civile et commerciale, ce qui comprend la matière bancaire, et ce quelle que soit la nature de la juridiction. Elle ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives. Sont exclus de l’application de la convention de Lugano :

l’état et la capacité des personnes physiques, les régimes matrimoniaux, les testaments et les successions ;

les faillites, concordats et autres procédures analogues ;

la sécurité sociale ;

l’arbitrage.

Cette convention a pour objectif d’atteindre le même degré de circulation des décisions judiciaires entre les États membres de l’Union européenne, la Suisse, la Norvège et l’Islande.

La convention s’est alignée sur le cadre juridique de la Communauté, qu’était alors le règlement dit « Bruxelles I ». À cet effet, la convention et le règlement dit « Bruxelles I » suivent exactement la même trame jusqu’à leurs articles 61 inclus. Le règlement dit « Bruxelles I » compte soixante-seize articles et la convention soixante-dix-neuf articles. Les règles sont donc similaires dans l’Union européenne, en Suisse, en Norvège et en Islande. De plus, la reconnaissance mutuelle et l’exécution des décisions rendues par leurs tribunaux nationaux sont désormais facilitées. Ainsi, la convention prévoit de manière générale que les personnes domiciliées sur le territoire d’un des États signataires seront attraites devant la juridiction de cet État, quelle que soit leur nationalité. Pour certaines matières, la convention précise toutefois des compétences spéciales. Par exemple en matière contractuelle, il s’agit du tribunal du lieu où l’obligation a été ou doit être exécutée. De plus, des compétences spécifiques sont réglées en matière notamment de contrats conclus par les consommateurs. Pour les droits réels immobiliers et baux d’immeubles, ce sont les tribunaux de l’État signataire où l’immeuble se trouve qui ont la compétence exclusive d’en juger. Sont annexés à la convention plusieurs protocoles visant, entre autres, à assurer une interprétation uniforme.

La convention désigne par l’expression « État lié par la présente convention » tout État qui en est partie contractante ou tout État membre de l’Union européenne. Ce terme peut également désigner l’Union européenne elle-même. Les États liés par la convention sont les suivants : les États membres de l’Union européenne, le Danemark, les États membres de l’Association européenne de libre-échange (AELE) à l’exception du Liechtenstein. L’AELE, créée en 1960 comme union purement économique en réaction à la création d’une Communauté économique européenne (CEE) plus politique, a perdu en importance au fur et à mesure que ses membres rejoignaient l’Union européenne. L’AELE ne compte plus aujourd’hui que quatre États membres que sont l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse. Les anciens pays membres de l’AELE sont les suivants : l’Autriche (de 1960 à 1995), le Danemark (de 1960 à 1973), la Finlande (de 1986 à 1995), le Portugal (de 1960 à 1986), le Royaume-Uni (de 1960 à 1973) et la Suède (de 1960 à 1995).

La convention est entrée en vigueur :

entre l’Union européenne, le Danemark et la Norvège, le 1er janvier 2010 ;

entre l’Union européenne et la Confédération suisse le 1er janvier 2011 ;

entre l’Union européenne et l’Islande le 1er mai 2011.

4231 Une fois entrée en vigueur, les pays suivants peuvent également adhérer à la convention :

les futurs membres de l’Association européenne de libre-échange (AELE) ;

les États membres de l’Union européenne agissant pour le compte de certains territoires non européens faisant partie de leur territoire ou dont les relations extérieures relèvent de leur responsabilité ;

tout autre État, sous réserve de l’accord unanime des parties contractantes.

Sous-section III – Le droit commun issu de la jurisprudence française

4232 En dehors du champ d’application du règlement Bruxelles I bis ou de la convention de Lugano, il demeure que le droit interne s’est également penché sur la licéité des clauses attributives de juridiction en matière internationale.

À l’opposé de la prohibition a priori – sauf le cas des conventions entre commerçants – des clauses dérogatoires à la compétence territoriale des juridictions262qui prévaut à l’intérieur des frontières, le principe en matière internationale est au contraire la licéité des clauses attributives de juridiction ou, pour parler comme la Cour de cassation, des clauses qui « prorogent la compétence internationale ». Ce principe fut en particulier affirmé par un arrêt du 17 décembre 1985263.

Il résulte de cette décision que les clauses prorogeant la compétence internationale sont en principe licites à la condition de respecter deux critères : il doit s’agir, d’une part, d’un litige international (la Cour vérifie ce point, ce qui implique que le caractère international doit être bien réel et non « monté » pour les besoins de la cause) et, d’autre part, la clause ne doit pas faire échec à la compétence territoriale impérative d’une juridiction française ce qui, on le verra, définit le champ d’application de cette jurisprudence (V. infra, n° a4227).

Section II – La clause au profit de la juridiction d’un État membre de l’Union européenne ou lié par la convention de Lugano

4233 Le règlement Bruxelles I bis, comme la convention de Lugano, ne régissent que les clauses attributives de juridiction devant désigner les juridictions d’un État membre de l’Union européenne ou d’un État lié par la convention de Lugano. Les sections 4 du règlement et de la convention régissent la compétence en matière de contrat conclu avec une contrepartie qualifiée de consommateur (§ I), les sections 7 du règlement et de la convention régissent la compétence en matière de contrat conclu avec une contrepartie autre, et donc notamment avec un professionnel (§ II).

§ I – Les prêts au profit d’une personne physique qualifiée de consommateur

4234 Dans leurs sections 4 respectives, le règlement et la convention édictent des règles de compétence spéciales en matière de contrats conclus avec les consommateurs. Le règlement, dans son article 17, et la convention, dans son article 15, précisent la notion de consommateur (A). Les articles 18 et 19 du règlement et 16 et 17 de la convention définissent alors strictement les juridictions compétentes (B).

A/ Définition des contrats conclus par les consommateurs

4235 – Le consommateur. – Il faut tout d’abord préciser que le consommateur doit être entendu comme étant une personne physique.

Le règlement comme la convention ne le précisent pas expressément au moyen des termes utilisés : « En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur (…) ».

Il convient cependant de faire le parallèle avec le règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations contractuelles (règlement dit « Rome I ») qui, s’agissant des contrats de consommation, précise en son article 6.1 qu’il s’agit « d’un contrat conclu par une personne physique ». Dès lors, toute personne morale doit être exclue de la qualification de consommateur pour l’application du règlement comme de la convention264.

De la même manière, ni le règlement ni la convention ne précisent la qualité du cocontractant du consommateur.

Le règlement dit « Rome I » précise en son article 6.1 qu’il s’agit d’une personne « agissant dans l’exercice de son activité professionnelle ».

L’article 17.1 du règlement et l’article 15.1 de la convention déterminent enfin deux conditions pour la qualification de contrat de consommation, l’une au regard de son objet et l’autre au regard de la nature du contrat conclu.

4236 La première condition concerne l’objet du contrat.

Le consommateur est défini comme une personne concluant un « contrat pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle ». Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, il résulte du libellé et de la fonction de cette disposition que celle-ci ne vise que le consommateur final privé, non engagé dans des activités commerciales ou professionnelles265.

La Cour a ainsi pu préciser : « Afin d’établir la qualité de consommateur d’une personne, notion qu’il convient d’interpréter de manière restrictive, il y a lieu de se référer à la position de cette personne dans un contrat déterminé, en rapport avec la nature et la finalité de celui-ci, et non pas à la situation subjective de cette même personne. Une seule et même personne peut être considérée comme un consommateur dans le cadre de certaines opérations et un opérateur économique dans le cadre d’autres opérations. Par conséquent, seuls les contrats conclus aux fins de satisfaire aux propres besoins de consommation privée d’un individu relèvent des dispositions protectrices du consommateur en tant que partie réputée économiquement plus faible. La protection particulière voulue par ces dispositions ne se justifie pas en cas de contrats ayant comme but une activité professionnelle, fût-elle prévue pour l’avenir, étant donné que le caractère futur d’une activité n’enlève rien à sa nature professionnelle. Il est ainsi conforme tant à la lettre qu’à l’esprit ainsi qu’au but des dispositions considérées de conclure que le régime particulier de protection institué par elles vise uniquement les contrats conclus en dehors et indépendamment de toute activité ou finalité professionnelle, actuelle ou future »266.

4237 La deuxième condition concerne la nature du contrat conclu.

Le règlement comme la convention visent trois types de contrats :

les ventes à tempérament où le vendeur accorde des facilités de règlement à l’acheteur ou l’octroi d’un crédit. Ce type de vente concerne les biens meubles corporels ou les prestations de services. Il implique que l’achat fasse l’objet d’un règlement en plusieurs échéances, comme un crédit-bail par exemple ;

les prêts liés au financement de la vente d’objets mobiliers, donc tout prêt bancaire destiné au financement d’objets mobiliers ;

tous les autres contrats dont l’activité est exercée en France ou dirigée vers la France, ce qui couvre toute opération de financement bancaire qui concernera ainsi le notaire face à un contrat de prêt.

4238 Deux critères permettent la protection du consommateur :

activité exercée en France : la banque étrangère dispose en France d’une succursale à partir de laquelle elle exerce son activité et propose ses offres de service ;

activité dirigée vers la France : il va s’agir de l’hypothèse d’une banque étrangère exerçant son activité et proposant ses services depuis son siège à l’étranger en direction de la France267.

Afin de déterminer si un commerçant, dont l’activité est présentée sur son site internet ou sur celui d’un intermédiaire, peut être considéré comme « dirigeant » son activité vers l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile au sens de l’article 15, § 1, sous c), du règlement n° 44/2001, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, il convient de vérifier si, avant la conclusion éventuelle d’un contrat avec le consommateur, il ressort de ces sites internet et de l’activité globale du commerçant que ce dernier envisageait de commercer avec des consommateurs domiciliés dans un ou plusieurs États membres, dont celui dans lequel ce consommateur a son domicile, en ce sens qu’il était disposé à conclure un contrat avec eux. Les éléments suivants, dont la liste n’est pas exhaustive, sont susceptibles de constituer des indices permettant de considérer que l’activité du commerçant est dirigée vers l’État membre du domicile du consommateur, à savoir la nature internationale de l’activité, la mention d’itinéraires à partir d’autres États membres pour se rendre au lieu où le commerçant est établi, l’utilisation d’une langue ou d’une monnaie autres que la langue ou la monnaie habituellement utilisées dans l’État membre dans lequel est établi le commerçant avec la possibilité de réserver et de confirmer la réservation dans cette autre langue, la mention de coordonnées téléphoniques avec l’indication d’un préfixe international, l’engagement de dépenses dans un service de référencement sur internet afin de faciliter aux consommateurs domiciliés dans d’autres États membres l’accès au site du commerçant ou à celui de son intermédiaire, l’utilisation d’un nom de domaine de premier niveau autre que celui de l’État membre où le commerçant est établi et la mention d’une clientèle internationale composée de clients domiciliés dans différents États membres. Il appartient au juge national de vérifier l’existence de tels indices.

En revanche, la simple accessibilité du site internet du commerçant ou de celui de l’intermédiaire dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur est domicilié est insuffisante. Il en va de même de la mention d’une adresse électronique ainsi que d’autres coordonnées ou de l’emploi d’une langue ou d’une monnaie qui sont la langue ou la monnaie habituellement utilisées dans l’État membre dans lequel le commerçant est établi268.

D’un point de vue pratique, il convient de s’attacher à l’action active ou passive du consommateur dans la réalisation du contrat hors de France.

Si l’initiative a été prise par l’établissement bancaire, le consommateur français sera passif et bénéficiera de l’application du régime protecteur des sections 4 du règlement et de la convention.

Si l’initiative a été prise spontanément par le consommateur français et que l’établissement bancaire étranger ne peut être considéré comme dirigeant son activité vers la France, le consommateur ne pourra pas se prévaloir du régime protecteur.

B/ Les clauses d’élection de for possibles

4239 L’article 18 du règlement et l’article 16 de la convention édictent une règle de compétence stricte.

La personne physique qualifiée de consommateur a le choix d’intenter une action soit :

devant la juridiction du lieu du domicile du prêteur ;

devant la juridiction du lieu de son propre domicile.

Le prêteur ne peut quant à lui intenter une action que devant la juridiction du lieu du domicile du consommateur.

En pratique, le consommateur pouvant potentiellement invoquer les juridictions de plusieurs États alors que la banque ne peut elle invoquer que les juridictions du lieu de domicile du consommateur, il convient pour le notaire de s’assurer que l’établissement bancaire qui va rédiger le cadre du contrat de prêt désigne les juridictions du lieu de domicile du consommateur pour des questions de prévisibilité et de sécurité juridique.

Les articles 19 du règlement et 17 de la convention prévoient cependant la possibilité de déroger par conventions à cette règle de compétence stricte à la condition que ces conventions dérogatoires soient postérieures à la naissance du différend, et qu’elles permettent au consommateur de saisir d’autres juridictions que celles indiquées aux articles précédents.

§ II – Les prêts au profit d’une contrepartie française qualifiée de professionnelle

4240 Si la contrepartie au contrat (l’emprunteur français) n’est pas un consommateur, le règlement dans son article 25 et la convention dans son article 23 prévoient alors des règles que l’on pourrait qualifier de droit commun. Il convient d’identifier le champ d’application de ces textes (A) avant de préciser les conditions de validité des clauses attributives de juridiction auxquelles ils s’appliquent (B).

A/ Le champ d’application des articles 25 du règlement et 23 de la convention

4241 L’article 23 de la convention de Lugano prévoit comme première condition que l’une des parties ait son domicile sur le territoire d’un État lié par la convention.

Le règlement Bruxelles I le prévoyait également en son article 23269, mais cette condition de domiciliation a disparu de l’article 25 du règlement Bruxelles I bis : ce dernier s’appliquera toujours à un emprunteur français.

Une deuxième condition concerne la désignation, dans la clause, d’une juridiction d’un État membre de l’Union européenne ou d’un État lié par la convention.

Cette condition sera naturellement satisfaite si l’établissement étranger prêteur a son siège dans l’un de ces États, car il aura tendance à appliquer la « loi de la banque » c’est-à-dire la loi de son propre pays quelle que soit la nationalité de sa contrepartie.

S’il s’agit d’un établissement bancaire ayant son siège hors de l’Union européenne et en dehors de l’un des États liés par la convention de Lugano, le choix d’une juridiction autre sera naturel. Pour autant, ni le règlement ni la convention n’interdisent les clauses attributives de juridiction au profit de tribunaux de pays tiers270.

Dans une telle hypothèse, le cocontractant français pourrait saisir une juridiction française qui devra alors statuer sur sa propre compétence en application du droit français.

Face à ces incertitudes, et pour une meilleure prévisibilité, le notaire ne peut que recommander à ses clients de désigner la juridiction d’un État membre ou d’un État lié par la convention de Lugano.

B/ Les conditions de validité des clauses attributives de juridiction

4242 Dans l’ordre interne, l’article 48 du Code de procédure civile limite la possibilité de stipuler une clause attributive de juridiction aux contrats « entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant ». Il ajoute toutefois une précision capitale : il faut que la clause « ait été spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie à qui elle est opposée ».

Le règlement Bruxelles I bis, moins restrictif quant aux parties susceptibles de stipuler une telle clause, montre toutefois en son article 25 un même souci de clarté en posant des conditions de forme. Il faut tout d’abord un écrit, soit dès l’origine, soit lorsque la convention est verbale, sous forme d’un écrit confirmatif.

Il convient ensuite que cet écrit prenne une forme « qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles » ou « qui soit conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée ».

Ce souci évident de clarté et de caractère non ambigu de la formulation de cette clause particulière n’interdit pas pourtant, entre professionnels, une certaine souplesse271.

Section III – La clause au profit de la juridiction d’un État tiers

4243 Tout établissement prêteur aura pour intérêt de désigner, au titre de la « loi de la banque » la juridiction de l’État dont il relève.

Lorsque cet État sera un État tiers à l’Union européenne ou à la convention de Lugano, il n’y aura plus de lien avec le cadre juridique français ou européen. Le règlement et la convention ne s’appliquent plus à cette hypothèse, car la clause aura désigné la compétence de la juridiction d’un État tiers.

Néanmoins, la seule hypothèse qui puisse concerner la vision du notaire français, en présence d’un litige transfrontalier, est celle qui impliquerait un cocontractant français.

Ce dernier pourrait saisir les juridictions françaises pour faire trancher un litige.

Les juridictions françaises saisies apprécieront alors la validité de la clause attributive de juridiction non pas au regard des règles édictées par le règlement ou la convention, qui ne s’appliquent que dès lors que les tribunaux d’un État membre de l’Union européenne ou d’un État lié par la convention ont été désignés, mais au regard du droit commun français272.

Ceci pourrait à terme concerner le Royaume-Uni, qui est un partenaire majeur du système bancaire européen, à l’issue de la procédure de Brexit.

Mais qu’en est-il d’un cocontractant non Français, par exemple un emprunteur russe qui emprunterait à une banque russe pour financer l’achat d’un bien en France ?

Il convient à nouveau d’opérer une distinction selon que le cocontractant est un consommateur (§ I) ou un professionnel (§ II).

§ I – Le prêt au profit d’un consommateur résidant en France

4244 Le consommateur résidant en France est protégé par les dispositions du Code de la consommation relatives aux clauses abusives, c’est-à-dire celles qui « ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat »273.

Parmi elles, le code présume expressément comme abusives274les clauses conclues entre un professionnel et un consommateur qui ont pour objet ou pour effet de « supprimer ou entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d’arbitrage non couverte par des dispositions légales ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges »275.

Signe de la sensibilité du code au sujet, son article L. 232-1 vient encore préciser, d’une façon on ne peut plus explicite : « Nonobstant toute stipulation contraire, le consommateur ne peut être privé de la protection que lui assurent les dispositions prises par un État membre de l’Union européenne en application de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lorsque le contrat présente un lien étroit avec le territoire d’un État membre ».

La conséquence de telles dispositions est particulièrement importante, car la clause abusive se trouve réputée non écrite, le contrat restant valable dans toutes ses autres dispositions276.

Ces dispositions protectrices sont impératives. En outre, il appartient au juge national d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause attributive de juridiction lorsqu’il examine la recevabilité d’une demande277.

Cette protection, dirigée en faveur du consommateur, ne se retrouve pas lorsque le cocontractant est un professionnel.

§ II – Le prêt au profit d’une contrepartie professionnelle résidant en France

4245 Les textes qui viennent d’être analysés protègent exclusivement le consommateur. Le professionnel, lui, ne bénéficie pas de cette protection. Il se trouve donc soumis au principe précédemment rappelé (V. supra, n° a4232) de licéité des clauses attributives de juridiction dans un contexte international, en l’absence de la compétence territoriale impérative d’une juridiction française.


260) Règl. (UE) n° 1215/2012, art. 81.
261) Règl. (UE) n° 1215/2012, art. 66.
262) CPC, art. 48.
263) Cass. 1re civ., 17 déc. 1985 : D. 1986, inf. rap. 265, obs. Audit ; Rev. crit. DIP 1986, 537, note H. Gaudemet-Tallon.
264) PE et Cons. CE, règl. (CE) n° 593/2008, 17 juin 2008, consid. 7, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) : JO n° L 177, p. 6.
265) CJUE, 19 janv. 1993, aff. C-89/91, Shearson Lehman Hutton Inc. c/ TVB Treuhandgesellschaft für Vermögensverwaltung und Beteiligungen mbH, ECLI:EU:C:1993:15.
266) CJUE, 3 juill. 1997, aff. C-269/95, Benincasa, ECLI:EU:C:1997:337.
267) CJUE, Gde ch., 7 déc. 2010, aff. jtes C-585/08 et C-144/09, Pammer c/ Reederei Karl Schlüter GmbH & Co. KG et Hotel Alpenhof GesmbH c/ Oliver Heller.
268) Le considérant 24 du règlement Rome I est rédigé comme suit : « S’agissant plus particulièrement des contrats de consommation, (…) [l]a cohérence avec le règlement [Bruxelles I] exige, d’une part, qu’il soit fait référence à la notion d'”activité dirigée” comme condition d’application de la règle de protection du consommateur et, d’autre part, que cette notion fasse l’objet d’une interprétation harmonieuse dans le règlement [Bruxelles I] et le présent règlement, étant précisé qu’une déclaration conjointe du Conseil et de la Commission relative à l’article 15 du règlement [Bruxelles I] précise que “pour que l’article 15, paragraphe 1, point c), soit applicable, il ne suffit pas qu’une entreprise dirige ses activités vers l’État membre du domicile du consommateur, ou vers plusieurs États dont cet État membre, il faut également qu’un contrat ait été conclu dans le cadre de ces activités”. La déclaration rappelle également que ‘le simple fait qu’un site internet soit accessible ne suffit pas pour rendre applicable l’article 15, encore faut-il que ce site [I]nternet invite à la conclusion des contrats à distance et qu’un contrat ait effectivement été conclu à distance, par tout moyen. À cet égard, la langue ou la monnaie utilisée par un site [i]nternet ne constitue pas un élément pertinent ».
269) Ce sont les articles 62 et 63 du règlement Bruxelles I et les articles 59 et 60 de la convention qui définissent le domicile ou le siège social des cocontractants.
270) P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, Montchrestien, 10e éd. 2010, n° 350 : « Lorsque la clause désigne les tribunaux d’un État non membre, l’article 23 n’est pas (…) applicable. La validité de la clause sera examinée selon le droit commun du tribunal saisi. Si elle est admise, la clause dérogera à la compétence qui résulte du règlement (…) sauf si elle est exclusive ou protectrice ».
271) Par ex., CJUE, 21 mai 2015, aff. C-322/14, Jaouad El Majdoub c/ CarsOnTheWeb.Deutschland GmbH, où la Cour admet la validité entre professionnels d’une clause attributive de juridiction figurant dans les conditions générales de vente d’un site internet, conditions approuvées par l’acquéreur par un simple « clic » sans qu’il soit obligatoire pour ce faire d’afficher la page où figurait le texte de cette clause.
272) JCl. Droit international, note 44, p. 170, Droit des opérations bancaires transfrontalières.
273) C. consom., art. L. 212-1.
274) La présomption est simple : « sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire », C. consom., art. R. 212-2.
275) C. consom., art. R. 212-2, 10°.
276) C. consom., art. L. 241-1.
277) CJCE, 27 juin 2000, aff. C-240/98 à C-244/98, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores : Rec. CJCE 2000, I, p. 4941 ; LPA 24 juill. 2001, note S. Hourdeau ; JCP G 2001, II, 10513, note M. Carballo Fidalgo et G. Paisant ; RTD civ. 2001, p. 878, obs. J. Mestre et B. Fages.
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