CGV – CGU

Partie II – Les modes de détention immobilière à l’international
Titre unique – Le choix du mode de détention immobilière à l’international
Sous-titre 1 – La propriété immobilière directe ou indirecte dans un contexte international
Chapitre II – Le choix stratégique lié à l’anticipation de la transmission de l’immeuble

4160 Lorsqu’un acquéreur étranger choisit d’acquérir un bien immobilier en France et rencontre le notaire, il est imprégné de sa propre culture juridique en matière d’investissement immobilier. L’art du notaire consiste à lui apporter des conseils de stratégie patrimoniale adaptés à ses objectifs de transmission successorale et au contexte international. Il peut lui proposer d’investir par le biais d’une société civile immobilière (Section I) ou en son nom personnel (Section II). Quel que soit le mode d’acquisition choisi, le notaire peut donner une valeur ajoutée à son conseil en soumettant à ses clients des propositions de clauses particulières ou des montages juridiques adaptés aux objectifs de ses clients.

Section I – Les techniques historiques d’anticipation successorale via une société

4161 Parfois présenté comme la solution miracle dans un contexte international, l’ameublissement des biens peut néanmoins receler quelques écueils que les notaires doivent aider les acquéreurs étrangers à éviter.

Sous-section I – L’ameublissement du patrimoine

4162 Fréquemment recommandé dans un contexte international afin d’écarter la lex rei sitae éventuellement applicable notamment en matière de successions immobilières, l’ameublissement du patrimoine a vu son intérêt décroître avec l’entrée en vigueur du règlement européen du 4 juillet 2012 en matière de successions, d’inspiration unitaire et qui au surplus permet désormais la professio juris (V. supra, n° a3386). Il reste tout de même un outil utile d’anticipation successorale dans certaines situationsmais à condition d’y recourir avec prudence selon les États de résidence fiscale des associés.

§ I – Les intérêts civils et fiscaux de l’ameublissement

4163 Chaque associé est détenteur de parts de société, qui sont considérées comme des biens meubles. Elles seront donc transmises selon les règles de conflit de lois applicables aux biens mobiliers.

Or, il résulte du règlement européen du 4 juillet 2012 sur les successions internationales que la loi successorale est celle de la résidence habituelle du défunt, sauf professio juris en faveur de la loi nationale du défunt (V. supra, n° a3407). Si les associés ne sont pas de nationalité française et désignent comme loi applicable à leur succession la loi de leur nationalité qui est celle d’un pays considéré comme un État tiers au règlement européen du 4 juillet 2012 ou s’ils résident de façon habituelle dans un État tiers à ce règlement, leurs parts sociales seront transmises selon les règles de conflit de lois de cet État.

Et si cet ordre juridique ne connaît pas la réserve héréditaire telle que le droit français la conçoit, la transmission des parts sociales sera libre ou tout au moins plus libre qu’en application du droit français sur les successions. Il apparaît donc intéressant de proposer un ameublissement du patrimoine à ceux qui souhaitent transmettre leurs biens en évitant la réserve héréditaire, si la loi successorale est plus libérale.

Dans les cas où la loi applicable à la succession suivrait un régime séparatiste entre biens meubles et immeubles, les acquéreurs qui voudraient simplifier les démarches de leurs héritiers en organisant la convergence de la transmission de leurs biens vers une seule loi seront également intéressés par cette option.

Par exemple, un couple de Britanniques résidant au Royaume-Uni acquiert une résidence secondaire en Vendée. Les acquéreurs souhaitent prévoir la transmission de cette maison à leurs deux enfants de sorte que ceux-ci n’aient aucune complication. Leur notaire pourra leur suggérer d’acquérir le bien sous forme d’une SCI. À leur décès, conformément au règlement européen sur les successions, les parts seront dévolues selon la loi de leur résidence habituelle, soit la loi d’Angleterre et du Pays de Galles. Ainsi, c’est la même loi qui régira la transmission de leurs biens situés au Royaume-Uni et en France.

Certes très attractif, l’ameublissement du patrimoine présente tout de même quelques inconvénients que le notaire doit prendre en compte pour conseiller les acquéreurs étrangers.

§ II – Les écueils et contraintes de l’ameublissement

4164 Si la transmission de biens immobiliers par l’intermédiaire d’une SCI semble séduisante par la liberté qu’elle procure, il convient néanmoins de rappeler que dans de nombreux États qui ne connaissent pas la réserve héréditaire, il existe tout de même une notion d’obligation alimentaire minimale vis-à-vis des héritiers dans le besoin. C’est le cas par exemple au Royaume-Uni.

Ensuite, il ne faut pas occulter la notion de fraude aux intérêts des héritiers. Il a été jugé que l’ameublissement du patrimoine accompagné de manœuvres exécutées dans le seul but d’éviter les droits des héritiers réservataires était frauduleux : c’est l’enseignement de l’arrêt Caron déjà cité189.

Enfin, le notaire qui conseille aux acquéreurs ou aux propriétaires de biens immobiliers de les détenir par l’intermédiaire d’une société civile doit vérifier comment cette modalité de propriété sera accueillie dans leur pays d’origine d’un point de vue civil et fiscal.

En matière de fiscalité, le notaire devra étudier deux aspects : les conséquences fiscales de la mise à disposition du bien immobilier au profit des associés et celles de la perception de revenus immobiliers. En premier lieu, en France, la mise à disposition à titre gratuit au profit des associés ne génère aucune taxation. Néanmoins, le notaire devra s’interroger s’il en va de même dans le pays de résidence fiscale des associés et en informer les associés.

Au Royaume-Uni notamment, en 2005, l’administration fiscale a indiqué qu’elle se réservait le droit de percevoir un impôt sur l’avantage en nature représenté par la mise à disposition du bien immobilier au profit des associés de la société civile française. Cette position a été confirmée dans le manuel interne HMRC190.

Néanmoins, il est admis que si les recommandations ci-après sont suivies, il est possible d’échapper à la taxation (les critères étant cumulatifs) :

si les associés de la SCI sont tous des personnes physiques ;

si le gérant est un associé de la SCI ;

si la SCI ne détient qu’un seul bien immobilier ;

et si l’objet de la SCI est uniquement à but familial et patrimonial.

Le mode de financement de l’acquisition du bien immobilier peut également être contrôlé afin de confirmer que l’investissement est réellement d’ordre privé, familial.

En second lieu, il convient de vérifier si les associés vont bénéficier dans leur pays de résidence fiscale de la semi-transparence qui est l’une des caractéristiques des sociétés civiles en France, où l’on considère que la société civile a une personnalité distincte de celle de ses associés. Ce caractère translucide n’est pas toujours reconnu à l’étranger. Il est donc important de rechercher si les associés seront imposés sur les revenus et profits immobiliers retirés de l’immeuble détenu en France par la société ou s’ils seront imposés à l’impôt sur les sociétés dans leur pays d’origine.

D’autres techniques juridiques de transmission des biens existent en droit français. Dans quelle mesure le notaire peut-il les proposer à ses clients évoluant dans un contexte international ?

Sous-section II – Les aménagements statutaires adaptés à l’international

4165 Dans un contexte international, le notaire doit analyser si les solutions juridiques qu’il propose aux Français résidant en France peuvent être utilisées pour les étrangers ou si elles doivent être adaptées selon les éléments d’extranéité. Il existe des aménagements possibles dans les statuts et des solutions externes à envisager selon les situations.

Les associés étrangers d’une société civile immobilière n’ont pas toujours les mêmes objectifs : certains privilégient la protection du conjoint survivant, d’autres la transmission de leurs biens au sein des autres membres de leur famille, et d’autres encore visent prioritairement l’optimisation fiscale en France et dans leur pays d’origine dans la préparation de leur succession. Diverses clauses peuvent être proposées aux associés étrangers lors de l’établissement de la société ou en cours de vie sociale.

§ I – La clause de tontine

4166 Souvent prisée par la clientèle anglo-saxonne, voire demandée par elle191, une clause de tontine peut être préconisée dans un contexte international pour converger avec la culture des investisseurs étrangers en France. Ceux-ci sont fréquemment avides de solutions qui leur permettront de transmettre leur patrimoine au conjoint survivant sans subir les contraintes de la réserve héréditaire. Cette mesure sera particulièrement adaptée aux époux mariés sous un régime de type séparatiste puisqu’ils bénéficieront des dispositions issues de la loi TEPA. Traitée fiscalement comme une transmission de biens à titre gratuit, l’application de la clause de tontine n’entraînera pas de paiement de droits de mutation à titre gratuit entre les époux.

L’adoption d’une clause de tontine est plus judicieuse dans un contrat de société que dans un acte d’acquisition immobilière en direct. Dans cette seconde hypothèse en effet, à défaut d’accord des deux époux en cas de séparation, elle subsistera jusqu’au décès. Publiée avec l’acte authentique de vente, elle ne pourra être annulée que dans un autre acte, qui devra être publié au service de la publicité foncière. En revanche, en cas de clause prévue dans les statuts de la SCI qui acquiert le bien, il peut tout à fait être prévu dans les statuts qu’en cas de divorce, cette clause prendra fin.

La clause de tontine est une disposition selon laquelle un associé est titulaire de ses parts dans la société sous la condition suspensive de sa survie et la condition résolutoire de son décès avant ses associés. Pour qu’elle soit licite, il faut que chaque associé ait réellement une chance de survie à l’autre ou aux autres associés. Il doit également exister un aléa économique : l’investissement initial et l’espérance de gain doivent être équitablement répartis entre les associés. Si l’intention libérale de celui qui a investi le plus dans la société peut être prouvée, la tontine sera remise en cause : elle sera entachée de simulation et la donation déguisée sera caractérisée192. C’est le cas par exemple lorsqu’un associé établit un testament quelques semaines avant son décès au profit des bénéficiaires de la clause de tontine.

Il est bon de rappeler que la clause de tontine est avantageuse pour les concubins qui ne veulent pas conclure de pacte civil de solidarité et souhaitent éviter la taxation au taux de 60 %. Au décès de l’un d’entre eux, la transmission des parts sera soumise au droit de vente et non aux droits de mutation à titre gratuit.

Il existe d’autres clauses statutaires qui organisent la transmission des parts sociales et sont particulièrement intéressantes pour les personnes non mariées ayant un élément d’extranéité.

§ II – Les clauses de participations croisées

4167 En vue de diminuer la fiscalisation de la transmission des biens situés en France entre concubins, partenaires hétérosexuels souvent exclus des dispositifs des partenariats étrangers193ou dans le but de protéger tant le conjoint survivant non marié que les intérêts des héritiers, le notaire peut soumettre l’idée de constituer dans un premier temps une SCI entre deux personnes, en prévoyant une répartition équitable des parts sociales, puis dans un second temps de réaliser un échange de l’usufruit des parts de chaque titulaire.

Exemple de participation croisée

Voici l’exemple d’un couple belge (A.1 et A.2) non marié avec deux enfants, acquéreur d’un bien immobilier d’une valeur de 350 000 € ; ils créent une SCI avec un capital de 1 000 € constitué de 100 parts de 10 € chacune.

 1°) Constitution de la SCI : chaque associé détient 50 parts : A.1, les parts nos 1 à 50, A.2, les parts nos 51 à 100.

 2°) Échange de l’usufruit des parts : A.1 cède l’usufruit des parts 1 à 50 et reçoit l’usufruit des parts 51 à 100 ; A.2 cède l’usufruit des parts 51 à 100 et reçoit l’usufruit des parts 1 à 50.

Un droit de mutation de 5 % est dû sur la valeur du lot le plus élevé, établie sur la base de l’article 670 du Code général des impôts.

Au décès de A.1, A.2 consolide sa propriété des parts nos 1 à 50 et conserve l’usufruit des parts 51 à 100 ; les enfants reçoivent la nue-propriété des parts 51 à 100. Au décès de A.2, les enfants héritent de la totalité des parts nos 1 à 50 et sont automatiquement propriétaires des parts 51 à 100. La succession sera taxable sur la nue-propriété transmise aux enfants et non sur la valeur des parts en pleine propriété ; la charge fiscale du conjoint survivant sera donc annulée. Les enfants devront régler la succession seulement sur la moitié des parts (nos 1 à 50), au deuxième décès.

Traditionnellement, le gérant d’une SCI dispose de pouvoirs d’administration mais doit obtenir l’accord des autres associés pour signer des actes de disposition. Habitués à user de pouvoirs étendus dans leurs sociétés étrangères, les investisseurs souhaitent parfois que leurs pouvoirs de décision soient étendus.

§ III – Le renforcement des pouvoirs des gérants et l’élargissement de l’objet social

4168 Selon l’article 1848, alinéa 3 du Code civil, il est possible d’aménager les articles des statuts des sociétés civiles relatifs aux pouvoirs du ou des gérants et à l’objet de la société. Ainsi, des pouvoirs élargis peuvent être attribués au gérant et aux cogérants.

Constitué dans un but de gestion du patrimoine, ce type de société dite « patrimoniale » présente un premier avantage : son objet social est d’ordre immobilier, mobilier et financier. Ainsi, en cas d’investissement en France par un étranger, l’ameublissement des parts sociales évoqué ci-dessus pourra permettre d’inclure la transmission des comptes bancaires et autres contrats financiers situés en France avec celle des parts sociales.

Ensuite, dans ce type de société civile, il est possible de prévoir que le ou les gérants seront titulaires de pouvoirs étendus. Ils pourront ainsi décider de la vente ou de l’affectation hypothécaire d’un bien immobilier sans avoir à convoquer une assemblée générale des associés. Ce type de clause séduit particulièrement les étrangers qui souhaitent maîtriser totalement la gestion de leurs biens, comme ils en ont l’habitude dans leur pays. Il est conseillé de prévoir que certaines décisions telles que la vente d’un bien immobilier ou la souscription d’un emprunt devront être prises par les deux cogérants.

Section II – Les techniques classiques en cas de détention en direct

4169 Le droit français recèle des techniques juridiques d’anticipation successorale qui peuvent s’avérer très utiles dans un contexte international. Certaines d’entre elles sont liées au droit des contrats, d’autres à la mutabilité des régimes matrimoniaux, et d’autres enfin aux dispositions à cause de mort. Le notaire devra toujours se montrer vigilant sur l’accueil qui peut être réservé à ces mesures à l’étranger.

4170 Le pacte tontinier. Envisagée précédemment en tant que clause contenue dans les statuts d’une société civile immobilière, la tontine peut également être prévue directement dans un acte de vente. Institution bien maîtrisée par le notaire français, celui-ci doit veiller à en faire un bon usage dans un contexte international et s’assurer qu’elle sera reconnue et appliquée à l’étranger. Il peut aussi être amené à appliquer des institutions d’estate planning étrangères proches du pacte tontinier lorsqu’il prépare la transmission des biens immobiliers situés en France.

§ I – Définition et conditions du pacte tontinier

4171 Le notaire doit présenter les caractéristiques civiles et fiscales aux acquéreurs de biens immobiliers situés en France afin de contrôler que cette mesure correspond à leurs attentes en matière d’anticipation successorale.

A/ Les aspects civils du pacte tontinier

4172 Inscrite dans un acte de vente immobilière, la tontine est une clause selon laquelle le survivant des acquéreurs est considéré comme ayant été le seul propriétaire du bien immobilier dès l’acquisition. Chacun est propriétaire sous la condition suspensive de sa survie et la condition résolutoire de son décès. Si elle est établie dans le respect de l’article 1304 du Code civil, elle sera valable. Pour cela, il doit exister un aléa et il faut que la transmission du bien soit un événement futur et dont la date est incertaine. Elle n’est donc pas adaptée aux acquéreurs qui ont entre eux un écart d’âge important.

L’application de la tontine permet de soustraire le bien immobilier à la succession du prémourant : la clause résolutoire a pour effet de considérer que le bien n’a jamais fait partie de son patrimoine ; aucune transmission de propriété à ses héritiers ne doit être constatée. Cela simplifie le processus de transmission en cas de décès et évite toutes les questions relatives à la détermination de la loi successorale ou à la détermination et l’application de la réserve héréditaire. Le pacte tontinier peut permettre au conjoint survivant d’éviter de se retrouver en indivision avec les enfants d’une première union de l’époux ou du partenaire prédécédé. Il est aussi intéressant lorsque les acquéreurs souhaitent que le survivant puisse être seul propriétaire du bien et s’assurer que celui-ci ne sera transmis aux enfants communs qu’au décès du conjoint survivant.

Il convient de rappeler que si des époux souhaitent adopter un pacte tontinier, il est nécessaire qu’ils soient mariés sous un régime matrimonial séparatiste ou assimilable, car la tontine n’est pas adaptée à un régime de communauté : il est impossible de constater qu’un bien commun est rétroactivement transmis à l’un des époux dès l’acquisition par l’application d’une clause contractuelle comprise dans une vente. En présence d’un élément d’extranéité, la détermination du régime matrimonial des époux et des concubins soumis à un contrat civil de partenariat sera donc primordiale de ce point de vue.

La clause de tontine contenue dans un acte de vente immobilière présente l’inconvénient majeur de ne pas pouvoir être supprimée sans l’accord des deux propriétaires. Si ceux-ci veulent vendre une quote-part indivise entre eux ou au profit d’un tiers ou se partager le bien objet de la tontine, celle-ci subsistera, sauf accord exprès pour la supprimer. Cette notion d’impossibilité de révocation unilatérale est surprenante pour les acquéreurs anglo-saxons en particulier. Elle doit donc être tout particulièrement bien expliquée.

B/ Les aspects fiscaux du pacte tontinier

4173 D’un point de vue fiscal, le régime du pacte tontinier relève de l’article 754 A du Code général des impôts194.

Selon cet article, en principe, le transfert de propriété entre les parties au pacte tontinier est soumis aux droits de mutation à titre gratuit applicables en matière de succession. Il en résulte donc que ce pacte est particulièrement adapté aux personnes mariées ou soumises à un partenariat valablement signé en France ou dans leur pays d’origine. Il existe néanmoins une situation qui soumettra le transfert de propriété aux droits de mutation à titre onéreux : lorsque le bien objet du pacte tontinier était l’habitation principale commune des acquéreurs et que celle-ci a une valeur vénale inférieure à 76 000 €. Le marché immobilier a évolué à la hausse en France ces dernières années, mais il subsiste quelques villages qui pourraient receler des biens immobiliers concernés par cette règle. Il est permis de rappeler que les conjoints qui seraient dans cette situation ont le droit d’opter pour l’application du régime plus favorable des droits de succession depuis la loi de finances pour l’année 2010.

Après avoir étudié les intérêts et inconvénients du pacte tontinier en droit français, il semble nécessaire de s’interroger sur l’accueil qui lui est réservé par les systèmes juridiques étrangers.

§ II – La tontine à l’international

4174 Le conseil du notaire doit s’appuyer sur la vérification de la bonne applicabilité du pacte tontinier dans les pays qui seront concernés par une autre partie du patrimoine international. Si le transfert de propriété est traité hors succession en France, en sera-t-il de même à l’étranger ? Par ailleurs, il existe une institution proche de la tontine qu’il est important de connaître afin de ne pas la confondre avec elle : le joint tenancy. Peut-il être reconnu et appliqué dans le cadre d’une détention immobilière en France ?

A/ L’accueil d’une tontine française à l’étranger

4175 Le pacte tontinier prévu dans un acte de vente immobilière est une technique employée dans d’autres pays européens tels que la Belgique, où l’on parle de clause d’accroissement.

Il sera donc aisément reconnu dans ce pays. Fiscalement, le transfert de propriété sera traité en France, lieu de situation de l’immeuble, selon le barème des droits de mutation en cas de succession, conformément à la convention fiscale franco-belge195.

En effet, en France, le transfert de propriété est en principe soumis aux droits de mutation à titre gratuit ; cependant, s’agit-il des droits français ou belges ? Selon la convention fiscale précitée, la taxation est opérée dans l’État de situation du bien, soit en France et selon le tarif français.

Aux Pays-Bas, la clause de tontine n’est pas insérée dans un contrat de vente, mais une clause de survie peut être prévue « dans un contrat de mariage, de cohabitation ou un contrat de société en nom collectif »196. En présence de ressortissants néerlandais qui résident habituellement aux Pays-Bas et qui seront donc à ce titre soumis à la loi successorale de cet État, il conviendra donc d’approfondir les conditions de reconnaissance de la tontine française : considérera-t-on que puisque la clause est contenue dans le contrat de vente, elle s’applique automatiquement et soustrait le bien à la loi successorale néerlandaise ? Ou celle-ci ne connaissant pas ce type de clause, devra-t-on inclure le bien immobilier français dans la masse successorale ? A priori, il est permis de penser que la première option sera plus logique. Le contrat de vente comprend une clause qui s’applique immédiatement en cas de décès. Le bien ne rentre pas dans la succession. D’un point de vue fiscal, il n’existe pas de convention entre la France et les Pays-Bas en matière de successions et de donations. Le transfert de propriété sera donc traité en France suivant l’article 750 ter du Code général des impôts et le barème fiscal français.

En Espagne, selon Guillaume Soudey, le pacte tontinier est connu mais peu utilisé197.

Dans les pays de common law, il existe une technique de transmission très proche mais qui diverge sur plusieurs points cruciaux : le joint tenancy. Détaillé ci-après, sa proximité avec le pacte tontinier laisse supposer que le mécanisme de la tontine française ne verra pas d’opposition dans les pays qui le pratiquent. Inversement, la question de l’accueil de cette institution étrangère dans le système juridique français peut aussi être posée.

B/ L’accueil en France d’une institution étrangère proche de la tontine : le joint tenancy

4176 La tontine a été beaucoup conseillée, dans le cadre des acquisitions immobilières réalisées par des acquéreurs anglo-saxons en France, par les solicitors qui voyaient en elle une mesure proche du joint tenancy. Celui-ci est cependant différent, car il s’agit d’une institution correspondant à une forme de détention d’un bien immobilier et non une construction conventionnelle insérée dans un contrat de vente. Cette institution permet à deux personnes ou plus (les joint tenants) d’acquérir un bien immobilier en indivision puis de le transférer lors du décès de l’une ou l’autre d’entre elles. Le dernier joint tenant survivant sera considéré automatiquement comme ayant été le seul propriétaire de la totalité du bien rétroactivement depuis l’acquisition, de sorte qu’aucune succession ne sera ouverte sur le bien objet du joint tenancy. Une condition déterminante pour que la clause de survie appelée right of survivorship s’applique est que le bénéficiaire du joint tenancy ait un intérêt pécuniaire et affectif à recueillir le bien immobilier, appelé life interest. Cet intérêt commun doit être complété par une unité d’intérêt, de possession, de titre et de temps : l’acquisition par tous les joint tenants doit être réalisée dans le même acte, en même temps et en vue de la détention conjointe du même bien. Cet acte peut être réalisé après l’acquisition du bien immobilier en France.

Le joint tenancy est révocable de façon unilatérale par l’un des joint tenants, sans que cela entraîne de requalification en donation et que le bien soit réintégré dans la succession du prémourant. L’institution devient alors simplement une tenancy in common : une indivision sans clause de survie.

Il peut être conclu entre personnes appartenant à des générations différentes et être transmis à titre gratuit ou onéreux.

Dans quelle mesure le joint tenancy peut-il être appliqué en France ? Quel serait l’impact fiscal d’une telle option ?

C’est une disposition qui est inconnue du droit français. Dès lors peut-elle être conseillée à des acquéreurs anglais ou américains ? Selon Esther Bendelac198, il serait possible de l’intégrer comme une technique d’anticipation et d’optimisation successorales dès lors qu’il a été valablement constitué dans un pays de common law qui connaît cette institution. Il faudrait alors que ce pays soit celui de la nationalité des acquéreurs ou leur lieu de résidence habituelle. Il est permis de penser que s’il est valablement constitué à l’étranger, il ne pourra pas être remis en cause lors de l’ouverture de la succession. La transmission du bien immobilier ne relevant pas du droit successoral, il ne sera pas rapportable ni inclus dans la masse de calcul de la réserve héréditaire199.

Le coin du praticien

Voici un exemple de joint tenancy qui pourrait être signé aux USA :

« Between the undersigned : Joint tenant 1 … Joint tenant 2 … As joint tenants all the real property located in the City of Paris (France), described as follows (+ description of the property). The said property to be owned in joint tenancy by Mr … joint tenant 1 and Mrs … joint tenant 2.

Date and signature ».

Fiscalement, il est probable que ce joint tenancy serait traité comme une clause de tontine lors du décès du premier joint tenant.

Quel est l’intérêt de prendre en compte un tel mécanisme plutôt qu’un pacte tontinier mentionné dans un acte d’achat ? Il semble que l’intérêt soit d’éviter la situation de blocage que peut générer la clause de tontine en cas de séparation ou divorce des acquéreurs. Le joint tenancy peut être unilatéralement annulé dans le pays d’origine, ce qui permet d’éviter l’un des écueils de la tontine.

Il est à noter que cette institution pourrait aussi être combinée avec l’acquisition sous forme de société civile immobilière pour éviter la réserve héréditaire et tout blocage en cas de séparation, et ainsi optimiser la transmission du bien fiscalement.

Les autres outils juridiques d’anticipation de la transmission successorale ont été développés supra : le changement volontaire de la loi matrimoniale, la rédaction d’un testament avec éventuellement professio juris, la souscription d’une assurance vie.

Nombre de personnes qui ne sont pas de nationalité française veulent utiliser leur société étrangère pour investir en France. Souvent préconisée par leurs conseils juridiques et fiscaux étrangers, cette solution est-elle néanmoins judicieuse lorsqu’elle est confrontée aux règles du droit français ? Ne vaut-il pas mieux opter pour une société française ?


189) V. les analyses de cet arrêt supra, nos a1085, a1108 et a3410.
190) Par référence à l’étude rédigée par G. Micolau, Fiscalité de l’investissement immobilier en France par des non-résidents, via une SCI : RFP mai 2018, n° 5, étude 11 : Manuel interne HMRC internal manual, INTM 180030, 9 janv. 2018.
191) Par référence à la pratique bien connue localement du joint tenancy, analysé infra, n° a4176.
192) P. Camelo Cassan, Du bon usage de la roulette russe dans le contrat de société : tontine, aléa et abus de droit : Dr. fisc. 2016, n° 28, 408. – Comité de l’abus de droit fiscal, avis nos 2015-21 et 2015-22, 31 mars 2016 : Dr. fisc. 14 juill. 2016, n° 28, 410.
193) V. supra, n° a3082.
194) CGI, art. 754 A, mod. par L. n° 2009-1673, 30 déc. 2009, art. 33. Les biens recueillis en vertu d’une clause insérée dans un contrat d’acquisition en commun selon laquelle la part du ou des premiers décédés reviendra aux survivants de telle sorte que le dernier vivant sera considéré comme seul propriétaire de la totalité des biens sont, au point de vue fiscal, réputés transmis à titre gratuit à chacun des bénéficiaires de l’accroissement. Cette disposition ne s’applique pas à l’habitation principale commune à deux acquéreurs lorsque celle-ci a une valeur globale inférieure à 76 000 €, sauf si le bénéficiaire opte pour l’application des droits de mutation par décès.
195) Convention entre la France et la Belgique tendant à éviter les doubles impositions et à régler certaines autres questions en matière d’impôts sur les successions et de droits d’enregistrement, art. 4.
196) G. Soudey, L’estate planning. Optimisation civile et fiscale d’une succession internationale, Lexis Nexis, 2011, n° 143, p. 100. L’auteur ajoute que « les biens acquis entrent dans la masse de calcul des parts successorales et réservataires et [que] la tontine est réductible ».
197) G. Soudey, L’estate planning. Optimisation civile et fiscale d’une succession internationale, op. cit., n° 143, p. 100.
198) Guide pratique d’une institution d’estate planning : le joint tenancy : JCP N 12 févr. 2016, n° 6, 1084.
199) On rappellera ici que les atteintes à la réserve ne semblent pas contraires à l’ordre public international français (V. supra, n° a3422), sauf cas de fraude (V. supra, n° a3410).
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