CGV – CGU

Partie V – ANTICIPER
Titre 1 – Les institutions juridiques : import et export
Chapitre II – S’assurer de l’efficacité juridique à l’étranger des solutions proposées

3545 Certaines institutions sont si familières aux notaires et présentent tant d’avantages que l’on aurait tendance à les proposer presque systématiquement. Pourtant, parfois, leur exportation dans certains pays s’avère difficile, inefficace, voire totalement impossible. Il en est ainsi notamment de la donation entre époux dont la règle de conflit oscille entre la loi successorale et la loi des effets du mariage suivant les décisions rendues et la qualification retenue. Dans certains cas, elle peut même tout simplement ne pas être admise par l’État de réception.

Section I – La donation entre époux

3546 En préambule, il y a lieu de définir la loi applicable à la donation entre époux. S’il s’agit d’une donation de biens présents entre époux, sa validité et sa révocabilité relèveront de la loi régissant les effets personnels du mariage : loi nationale des époux en cas de nationalité commune, à défaut loi du domicile commun.

Quant à la donation entre époux de biens à venir, celle-ci relève de la loi successorale au titre de l’article 25 du règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012680.

La donation entre époux de biens à venir est prohibée dans de nombreux pays, dont certains très proches de la France (Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Équateur, Honduras, Italie, Maurice, Paraguay, Uruguay, Venezuela, Slovaquie, République tchèque, Hongrie, Pologne, Roumanie, Liban, Côte d’Ivoire, ex-Yougoslavie, pays musulmans…), de sorte que la protection souhaitée en faveur du conjoint survivant pourra s’avérer inexistante à l’ouverture de la succession si elle est soumise à la loi de l’un de ces États, sauf exception et notamment accueil de l’institution étrangère conformément aux dispositions du règlement « Successions » en ce qui concerne les États de l’Union européenne liés par ledit règlement.

Dans les États ne pouvant réceptionner la donation entre époux, pour assurer la protection du conjoint, il faudra alors recourir à d’autres institutions comme le legs verbal s’il est connu de la législation étrangère, et recueillir l’accord de tous les héritiers, ce qui n’est pas garanti. Parfois il n’y aura aucun substitut à la donation entre époux.

3547 Afin d’éviter cette difficulté, il est souvent plus simple de recourir à un testament, outil universellement reconnu.

La ratification par quarante et un États (dont seize de l’Union européenne) de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961681aidera à la validation en la forme dudit testament.

En effet, en vertu de l’article premier de la convention, une disposition testamentaire est valable quant à la forme si celle-ci répond à la loi interne :

du lieu où le testateur a disposé, ou

d’une nationalité possédée par le testateur, soit au moment où il a disposé, soit au moment de son décès, ou

d’un lieu dans lequel le testateur avait son domicile, soit au moment où il a disposé, soit au moment de son décès, ou

du lieu dans lequel le testateur avait sa résidence habituelle, soit au moment où il a disposé, soit au moment de son décès, ou

pour les immeubles, du lieu de leur situation.

L’article 75, § 1, alinéa 2 du règlement « Successions » précise que les États membres qui sont parties à la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 continuent à appliquer les dispositions de cette convention au lieu de l’article 27 pour ce qui est de la validité en la forme du testament et des testaments conjonctifs682.

3548 Le notaire pourra également recourir au testament international institué par la Convention de Washington du 26 octobre 1973 entrée en vigueur en France depuis le 1er décembre 1994 ainsi qu’en Australie, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Canada (provinces de Québec, Manitoba, Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve, Alberta, Ontario, Saskatchewan, Colombie-Britannique et île du Prince Édouard), Chine, Chypre, Croatie, États-Unis (Alaska, Arizona, Californie, Colorado, Connecticut, Delaware, District of Columbia, Floride, Hawaï, Idaho, Illinois, Maine, Massachusetts, Michigan, Minnesota, Montana, Nebraska, New Hampshire, New Jersey, New Mexico, Dakota du Nord, Oregon, Pennsylvanie, Caroline du Sud, Dakota du Sud, Utah, Virginie, Vermont, Wisconsin, et les Îles vierges Américaines), Équateur, Iran, Italie, Laos, Libye, Niger, Portugal, République tchèque, Russie, Royaume-Uni, Saint-Siège (Vatican), Sierra Léone, Slovaquie, Slovénie683.

C’est pour tenter de résoudre les difficultés de reconnaissance des testaments entre les États que l’Institut international pour l’unification du droit privé (Unidroit) a élaboré cette convention visant à créer une forme de testament commune au droit interne des différents États, et permettant de ne plus passer par le détour de la convention de La Haye pour valider la forme du testament.

Ce testament écrit (pas nécessairement par le testateur) en une langue quelconque, à la main ou par un autre procédé, fait l’objet d’une déclaration du testateur en présence de deux témoins ou d’une personne habilitée indiquant que ce testament est bien le sien et qu’il en connaît le contenu.

Selon la loi du 29 avril 1994, la France a désigné comme personnes habilitées à instrumenter en matière de testament international les notaires sur le territoire de la République française et les agents diplomatiques et consulaires français à l’égard des Français de l’étranger684.

3549 Par ailleurs, le notaire doit veiller à l’inscription d’un tel testament, encore plus importante dans un contexte international. La Convention de Bâle du 16 mai 1972, relative à l’établissement d’un système d’inscription des testaments, est entrée en vigueur en France le 20 mars 1976. À ce jour, cette convention s’applique aussi à Chypre, en Turquie, en Belgique, en Espagne, en Estonie, en Italie, en Lituanie, au Luxembourg, aux Pays-Bas, au Portugal et en Ukraine685.

Cette convention impose aux États contractants de créer ou de désigner des organismes chargés d’inscrire les dispositions et de délivrer les réponses aux demandes de renseignements, ainsi que des organismes de liaisons internationales. En France, le Fichier central des dispositions de dernières volontés fonctionne sous la responsabilité du Conseil supérieur du notariat.

3550 Par ailleurs, l’association du réseau européen des registres testamentaires (ARERT), association à but non lucratif de droit belge créée en 2005 par les notariats belge, français et slovène, permet aux États disposant d’un registre des dispositions de dernières volontés et adhérents à l’ARERT, d’interconnecter ces registres et de permettre ainsi aux personnes intéressées et habilitées de découvrir les dispositions testamentaires laissées par un défunt, quelque soit le pays où les dispositions à cause de mort ont été inscrites. À ce jour seize registres se sont interconnectés : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, l’Estonie, la France, la Grèce, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie et Saint-Pétersbourg686.

De façon générale, il sera toujours de bonne pratique de vérifier la forme exigée par les pays mis à contribution pour le règlement de la succession (ceux dans lesquels des biens sont situés) afin de conseiller au mieux les clients, d’éviter une nullité en la forme de la disposition à cause de mort, et de procéder à l’inscription du testament.

Section II – La donation-partage

3551 La donation-partage reçoit en droit interne français la faveur des praticiens en raison notamment de la détermination de la valeur des biens attribués au jour de la donation-partage dans les opérations de calcul de la quotité disponible après le décès du donateur. Véritable partage anticipé de la succession (pour partie du patrimoine le plus souvent), il est perçu comme un outil de transmission assurant les paix des familles.

Dans un contexte international il convient, avant de conseiller la donation-partage, de vérifier la loi applicable et son contenu. L’article 25 du règlement « Successions » permet d’affirmer que la donation-partage ou partage d’ascendant relève en droit international privé français de la loi successorale. Si cette loi successorale se trouve morcelée par le jeu du renvoi aux règles de conflit de lois d’un État tiers, les avantages de la donation-partage peuvent s’en trouver affectés.

Ainsi, une donation-partage consentie sur des biens immobiliers situés en France et à New York par un Français résidant habituellement à New York où il décède ne sera pas traitée au vu du seul droit français. En effet, la règle de conflit de lois en matière successorale à New York soumet les biens immobiliers à la loi du lieu de leur situation.

Il conviendra de s’assurer, lors de l’établissement d’un acte de donation-partage, de l’identité de traitement au décès des différentes attributions dès lors que les biens compris dans le partage d’ascendant se trouvent situés dans différents pays (en fonction en particulier de la loi du lieu de situation de l’immeuble).

Depuis l’entrée en vigueur du règlement « Successions », la donation-partage sera accueillie dans les pays liés par le règlement au titre de l’article 3-1, b) régissant les pactes successoraux, ce qui permettra d’en valider les effets.

Section III – Le démembrement de propriété à l’export : une fausse bonne idée

3552 L’usufruit ne s’exporte pas toujours bien. Peu connu à l’échelle mondiale, sa mise en œuvre pourrait s’avérer très délicate et compliquée dans les pays ignorant cette institution.

Après avoir déterminé la loi applicable : loi successorale en ce qui concerne un legs d’usufruit, loi du régime matrimonial en ce qui concerne un avantage matrimonial en usufruit (V. toutefois infra, n° a3553, l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 1er mars 2018, qui pourrait faire douter du rattachement à la loi du régime matrimonial), le notaire doit s’assurer de la bonne réception de cet usufruit et de sa possible mise en œuvre sur les biens situés à l’étranger concernés par cet usufruit.

Aussi, préconiser un usufruit au profit de son conjoint portant sur des biens situés dans un pays ignorant cette institution posera des difficultés de mise en œuvre à terme. Il conviendra alors de se renseigner sur des institutions équivalentes et bien connues de l’État du lieu de situation des biens afin de conseiller au mieux le client et de faciliter la mise en œuvre de la protection du conjoint le moment venu.

Bien souvent les législations confèrent (dans les successions ab intestat) au conjoint survivant une part en pleine propriété et lui accordent une protection au regard du logement de la famille et des meubles et objets s’y trouvant.

De façon générale, les besoins des populations sont les mêmes partout : protection du logement en faveur du conjoint, transmission équilibrée de ses biens entre le conjoint et les enfants ; il serait surprenant qu’aucune institution ne puisse assurer ces besoins.

Au Royaume-Uni, la règle de conflit de lois en matière successorale soumet les immeubles à la loi du lieu de leur situation et les meubles à la loi du domicile. L’usufruit étant méconnu au Royaume-Uni, ce serait inutilement compliquer le traitement de la succession que de conseiller un usufruit sur des biens immobiliers régis par la loi anglaise, y compris dans le cadre d’une succession que le notaire français soumettrait au droit français en raison de la résidence habituelle du défunt en France. Dans ce cas, l’approche du notaire français se doit d’être pragmatique. Il devra travailler de concert avec un juriste anglais compétent en la matière, qui mettra en place un système visant à conférer la jouissance du bien immobilier situé en Angleterre et les revenus de ce bien au conjoint survivant, si telle est la volonté du testateur. Généralement le montage passera par la mise en place d’un trust sur ce bien.

Dans de nombreux États de civil law, la jouissance du logement de la famille en faveur du conjoint survivant est assurée au moyen d’un droit d’habitation, de sorte qu’il sera possible de lui attribuer ce droit concordant dans les législations française et étrangère et, pour pallier l’absence de revenus qu’il aurait reçus en qualité d’usufruitier, lui allouer un capital lui permettant d’assumer le paiement des charges liées au logement peut s’avérer une solution plus sûre dans sa mise en œuvre.

Section IV – Les avantages matrimoniaux

3553 L’avantage matrimonial pourrait être défini comme un profit retiré par l’un des conjoints au moyen d’une clause stipulée dans son contrat de mariage. Différentes formes d’avantages matrimoniaux existent : préciput, clause de prélèvement, stipulation de parts inégales, clause d’attribution intégrale de la communauté. Ces avantages ne sont pas admis par toutes les législations et ne subissent pas le même traitement fiscal. Par ailleurs, certains pays exigent le respect des règles successorales réservataires au titre de l’ordre public et ne feront pas produire d’effet à l’attribution intégrale des biens de communauté au profit du conjoint survivant. En droit international privé français, l’avantage matrimonial relève de la loi du régime matrimonial, alors que l’action en retranchement relève de la loi successorale.

Ainsi que le souligne Mme Sara Godechot-Patris : « La possibilité d’inclure une clause de préciput dans le contrat de mariage ou de prévoir un partage inégal relève donc de la compétence de la loi du régime. Toutefois, cette loi doit s’effacer devant la loi successorale toutes les fois que se pose la question de la protection des enfants d’un précédent lit, en d’autres termes dès lors que l’action en retranchement peut trouver à s’appliquer »687.

Certains États pourront rattacher l’avantage matrimonial à la loi successorale, et ce rattachement pourra parfois aboutir à priver le conjoint survivant de la protection initialement prévue.

Récemment la Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 1er mars 2018, a dû qualifier la règle de l’article 1371 du BGB prévoyant l’octroi au profit du conjoint survivant d’une part majorée sur l’héritage en cas de dissolution du régime matrimonial par décès. Elle précise que cette « disposition n’apparaît pas avoir pour finalité principale la répartition des éléments du patrimoine ou la liquidation du régime matrimonial, mais plutôt la détermination du quantum de la part de succession à attribuer au conjoint survivant par rapport aux autres héritiers ».

Elle conduit, par cette décision, à rattacher cette disposition de la législation allemande au droit successoral, alors qu’en Allemagne tant la doctrine que la jurisprudence rattachent cette notion aux régimes matrimoniaux.

La règle de rattachement traditionnellement retenue se trouve donc balayée par cette décision, ce qui rend l’anticipation plus difficile à mettre en œuvre. Comme le souligne Mme Sara Godechot-Patris : « Forcément une telle solution à rebours des principes traditionnellement enseignés à l’échelle nationale interroge sur nos propres mécanismes : quel pourrait être demain le sort des avantages matrimoniaux ? Peut-on craindre que la Cour de justice n’y voie qu’un mécanisme de droit successoral ? ».

En tout état de cause, le notaire français qui conseillerait un avantage matrimonial à ses clients dans un contexte international se devra de vérifier son efficacité à l’étranger tant sur le plan civil que sur le plan fiscal.

Si l’exportation d’institutions juridiques françaises à l’étranger pose difficulté, il en est de même de l’importation de certaines institutions étrangères. Comment seront appréhendées ces institutions propres à d’autres droits tels le trust ou le pacte successoral ? Le notaire se devra également d’être vigilant au regard de l’ordre public et des lois de police dont l’objectif est de faire respecter notre conception de la société, et par conséquent certaines de nos règles juridiques.


680) V. supra, n° 3406a3406.
681) V. supra, n° a3391.
682) V. supra, n° a3391.
683) V. infra, tableau synoptique, n° 3541a3541.
684) À moins que la disparition des fonctions notariales des postes consulaires à compter du 1er janvier 2019 n’entraîne avec elle la disparition de cette compétence.
685) V. infra, tableau synoptique, n° 3541a3541.
686) V. infra, tableau synoptique, n° 3541a3541.
687) Sol. Not. hebdo 13 sept. 2018, n° 28.
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