CGV – CGU

Partie IV – Hériter
Titre 1 – Les règles de conflit applicables à la succession
Sous-titre 2 – Méthode de traitement d’une succession internationale
Chapitre II – Détermination de la loi applicable à la succession

3377 Pour déterminer la loi applicable à la succession, qui permettra ainsi de dresser la dévolution, il conviendra dans un premier temps de procéder à une vérification impérative : celle de l’existence d’une loi de police.

Une fois cette vérification opérée et sa conclusion étant négative, le notaire devra s’intéresser à la mise en œuvre du mécanisme des règles de conflit.

C’est le raisonnement conflictuel. La première étape à suivre est de mettre en œuvre la règle de conflit de lois dont dispose le for.

En l’occurrence, si le notaire français est saisi d’une succession, il devra appliquer la règle de conflit française. Il est dit qu’il amorce ainsi son raisonnement en se positionnant lege fori.

Ce n’est qu’après application de la règle de conflit française que l’on aboutira le cas échéant à désigner l’ordre juridique d’un État comme applicable à la succession du défunt.

Il faut donc bien garder à l’esprit que c’est le « droit » du pays qui est ainsi désigné (le cas échéant, en ce compris ses règles de droit international privé).

Il conviendra alors d’appliquer en premier lieu, la règle de conflit édictée par le droit international privé de celui-ci, pour vérifier si cet État accepte sa compétence (dans l’affirmative, il sera alors fait application du droit interne de ce pays) ou si celui-ci désigne l’ordre juridique d’un autre État.

La règle française de conflits de loi en matière successorale a évolué dans le temps. Elle dépend de la date du décès du défunt.

Le raisonnement doit s’articuler autour de la date du 17 août 2015, date d’entrée en application du règlement « Successions ».

Section I – Décès intervenu avant le 17 août 2015

3378 Pour les décès intervenus avant le 17 août 2015, la règle de conflit française implique, après la recherche de l’existence d’une loi de police, la mise en œuvre des éléments de rattachement retenus par le droit international privé français qui disposait à l’époque d’un système scissionniste.

Sous-section I – Recherche de l’existence d’une loi de police

3379 La recherche de l’existence d’une loi de police s’avère primordiale puisqu’elle commande d’appliquer la loi du for sans mettre en œuvre le raisonnement conflictuel classique.

Concrètement, « [l]’attention est focalisée sur la loi du for, la loi étrangère désignée par la règle de conflit n’étant pas écartée en raison de son contenu ou du résultat qu’elle produit mais car seule la norme du for convient »487.

L’intérêt étatique étant, selon Francescakis, en jeu, il est cohérent d’appliquer dès le départ la lex fori488.

Une telle pratique permet d’éviter l’écueil de la mise en œuvre de la règle de conflit de lois et de la recherche, souvent délicate, du contenu de la loi étrangère, pour finalement l’écarter par l’usage du mécanisme de l’exception d’ordre public international489.

Les lois de police, aussi appelées lois d’application immédiate, sont définies par Francescakis comme des lois « dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale et économique du pays »490.

Dit autrement, les lois de police sont des lois s’avérant si importantes qu’elles ne peuvent être mises à l’écart, y compris dans une situation à caractère international. Elles interviennent avant tout raisonnement conflictuel dans le but de préserver les intérêts essentiels de l’État en cause.

Aussi, avant de rechercher la loi applicable conformément à la règle de conflit de lois, il conviendra pour le notaire de vérifier s’il existe une loi de police française à vocation internationale.

L’identification des lois de police peut s’avérer complexe. Il existe deux hypothèses.

Première  hypothèse : le législateur qui a adopté une loi délimite lui-même son champ d’application (ce premier cas de figure est cependant rare).

Seconde hypothèse : la jurisprudence recherche la volonté du législateur. Ainsi a-t-il pu être jugé que « les règles relatives à l’attribution préférentielle sont, en raison de leur destination économique et sociale, des lois de police de sorte qu’ont vocation à s’appliquer celles que fixe la loi du lieu de situation de l’immeuble »491.

Dans la plupart des cas, la recherche d’une loi de police s’avérera négative et impliquera la mise en place d’un raisonnement conflictuel.

Sous-section II – Les règles de rattachement prévues par le système de droit international privé français

3380 Le système de droit international privé français applicable aux successions résultant d’un décès intervenu avant le 17 août 2015 est un système scissionniste492.

Il faut alors opérer un raisonnement s’appliquant distinctement à deux types de biens : les biens immobiliers, et les biens mobiliers.

§ I – Loi du dernier domicile du défunt pour les biens mobiliers

3381 Pour une succession ouverte suite à un décès intervenu avant le 17 août 2015, les biens mobiliers sont, depuis l’arrêt de principe Ladeban493, soumis à la loi de l’État sur le territoire duquel le défunt avait son dernier domicile.

La notion de « biens mobiliers » et de « biens immobiliers » sur laquelle est fondée la règle de conflit française, trouve son origine dans l’article 516 du Code civil selon lequel : « Tous les biens sont meubles ou immeubles ». Cet article, qui induit que tous les biens entrent nécessairement dans l’une de ces catégories, implique de définir ce qu’est un meuble et un immeuble. Les articles 517 et suivants du Code civil étayent cette distinction et permettent de classer les biens dans une de ces deux catégories.

Il convient de noter qu’un bien mobilier en droit français constitue une catégorie de bien caractérisée par le fait qu’il peut être déplacé494. Il est rappelé que l’article 529 du Code civil consacre la nature mobilière des parts de sociétés.

Par dernier domicile, il faut retenir la définition civile du domicile, reprise à l’article 102 du Code civil.

Cette définition est différente de celle retenue par la common law495.

Elle ne s’apparente pas non plus à celle de résidence habituelle. En effet, la notion de résidence habituelle ne suppose pas d’élément intentionnel. Cet élément fondamental constitue la pierre angulaire du domicile civil496.

Elle est également distincte de la notion de domicile fiscal qui constitue un rattachement « de pure circonstance et uniquement destiné à satisfaire à une réglementation administrative ».

Enfin, selon Alain Devers, il est important également de ne pas confondre le dernier domicile avec le domicile matrimonial qui « constitue un indice pour déterminer la loi applicable au régime matrimonial d’époux mariés sans contrat avant le 1er septembre 1992 »497.

Il est donc impératif de bien distinguer ces multiples notions constitutives d’éléments de rattachement dans différents ordres juridiques498. On peut penser qu’il faut en fait entendre par cette notion de dernier domicile du défunt, la dernière résidence du défunt, pour éviter toute mauvaise analyse ou confusion avec les notions de domicile qui viennent d’être rappelées à l’instant.

Il serait légitime de penser que la détermination du dernier domicile du défunt peut poser quelques difficultés pour le praticien. En pratique, c’est en réalité peu le cas, la jurisprudence sur ce point reste rare.

§ II – Loi de la lex rei sitae pour les immeubles

3382 Lorsque le décès est intervenu avant le 17 août 2015, les immeubles dépendant de la succession sont régis par la lex rei sitae499. La Cour de cassation a posé ce principe dans l’arrêt Stewart500, qui reprend l’article 3, alinéa 2 du Code civil. Ainsi, si l’immeuble dépendant de la succession se situe en France, il y a donc lieu à lui appliquer le droit matériel français des successions. Également, lorsqu’un immeuble se situe à l’étranger, c’est le droit de l’État dans lequel il se situe qui lui sera appliqué.

Il convient de signaler qu’il existe en pratique très peu de contentieux découlant de l’application de cet élément de rattachement.

Cette différence de rattachement qu’implique cette distinction entre les meubles et les immeubles conduit inévitablement à aborder la question de la qualification.

§ III – La qualification

3383 Celle-ci consiste à déterminer ce qui constitue un bien mobilier ou un bien immobilier.

Cette qualification doit être réalisée en première instance lege fori, c’est-à-dire au regard des définitions juridiques que donne le droit français des meubles et des immeubles.

Une fois la loi successorale applicable déterminée à l’aune de la règle de conflit française, et si celle-ci est une loi étrangère, une certaine correspondance de qualification « mobilière » ou « immobilière » des biens du défunt devra être vérifiée.

3384 – La qualification lege fori et celle de la loi étrangère désignée correspondent. – Dans cette hypothèse, les ordres juridiques en présence (celui du for et celui désigné par la règle de conflit française), qualifient de la même manière les biens.

Les biens qualifiés de meubles dans le pays A sont également qualifiés de meubles dans le pays B.

Les biens qualifiés d’immeubles dans le pays A sont la encore qualifiés d’immeubles dans le pays B.

Il n’y a pas de problème : les qualifications sont concordantes.

3385 – La qualification réalisée au moyen de la loi étrangère ne correspond pas à la qualification lege fori. – Dans cette hypothèse, les ordres juridiques en présence qualifient de manière différente les biens.

Les biens qualifiés de meubles dans le pays A ne sont pas qualifiés de meubles dans le pays B.

Les biens qualifiés d’immeubles dans le pays A ne sont pas qualifiés d’immeubles dans le pays B.

Ce cas est typiquement un cas de conflit de qualification.

Ne pouvant laisser celui-ci sans solution, il sera proposé de s’en tenir à la qualification lege fori : celle de la loi française.

Il y a alors lieu de soumettre l’intégralité de la succession à la loi française conformément au principe de l’application subsidiaire de la loi du for501.

Il convient de garder à l’esprit que cette solution ne sera pas forcément admise par une autorité étrangère qui serait amenée à appréhender la question.

Le conflit de qualifications

Le conflit de qualifications, jusqu’alors rare, est illustré notamment par un arrêt, à propos des fresques de Casenoves502.

Le règlement « Successions », du fait de son élément de rattachement unique, va permettre d’annihiler la plupart de ces conflits de qualification qui, soulignons-le, restent à ce jour marginaux.

Section II – Décès intervenu après l’entrée en application du règlement (UE) n° 650/2012 (17 août 2015)

3386 Pour les décès intervenus à compter du 17 août 2015, il conviendra de déterminer la loi applicable (Sous-section I), puis le cas échéant d’appliquer un certain nombre de correctifs (Sous-section II).

Sous-section I – Déterminer la loi applicable

3387 De façon liminaire, il est ici rappelé que le domaine de la loi successorale, que cette méthode de traitement d’une succession s’attache à déterminer, est délimité par l’article 23 du règlement (UE) n° 650/2012.

L’article 23 dispose que :

1. « La loi désignée en vertu de l’article 21 ou 22 régit l’ensemble d’une succession.

2. Cette loi régit notamment :

les causes, le moment et le lieu d’ouverture de la succession ; ».

Paul Lagarde précise : « L’exclusion du domaine du règlement des questions relatives à la disparition, à l’absence ou à la mort présumée d’une personne physique se limite aux conditions d’établissement de ces situations et non à leurs conséquences successorales »503 ;

« la vocation successorale des bénéficiaires, la détermination de leurs parts respectives et des charges qui peuvent leur être imposées par le défunt, ainsi que la détermination d’autres droits sur la succession, y compris les droits successoraux du conjoint ou du partenaire survivant ;

la capacité de succéder ;

l’exhérédation et l’indignité successorale ;

le transfert des biens, des droits et des obligations composant la succession aux héritiers et, selon le cas, aux légataires, y compris les conditions et les effets de l’acceptation de la succession ou du legs ou de la renonciation à ceux-ci ;

les pouvoirs des héritiers, des exécuteurs testamentaires et autres administrateurs de la succession, notamment en ce qui concerne la vente des biens et le paiement des créanciers, sans préjudice des pouvoirs visés à l’article 29, paragraphes 2 et 3 ;

la responsabilité à l’égard des dettes de la succession ;

la quotité disponible, les réserves héréditaires et les autres restrictions à la liberté de disposer à cause de mort ainsi que les droits que les personnes proches du défunt peuvent faire valoir à l’égard de la succession ou des héritiers ;

le rapport et la réduction des libéralités lors du calcul des parts des différents bénéficiaires ;

le partage successoral ».

Il convient de signaler que Mme Mariel Révillard précise l’ensemble de ces points dans son ouvrage Droit international privé et européen : pratique notariale504.

Le domaine de la loi successorale ainsi déterminé, il convient d’envisager quelle peut être celle-ci.

Il faudra comme au préalable vérifier l’existence d’une loi de police.

Et ce n’est, là encore, qu’en son absence (§ I) qu’il faudra mettre en place le raisonnement conflictuel (§ II).

§ I – Recherche de l’existence d’une loi de police

3388 La recherche de l’existence d’une loi de police en droit successoral « nouveau » s’avère toujours d’un enjeu majeur puisqu’elle commande, là encore, d’appliquer la loi du for sans mettre en œuvre quelque raisonnement conflictuel.

Le règlement (UE) n° 650/2012 ne comporte aucune disposition équivoque relative aux lois de police. Dès lors, il est possible de se demander si ce mécanisme à vocation à jouer en la matière505.

Toutefois, bien que la terminologie employée diverge de celle habituellement retenue, ce règlement fait une place implicite aux lois de police. L’article 30, qui a pu être qualifié en doctrine de « clause spéciale d’application des lois de police »506, est pertinent et dispose : « Lorsque la loi de l’État dans lequel sont situés certains biens immobiliers, certaines entreprises ou d’autres catégories particulières de biens comporte des dispositions spéciales qui, en raison de la destination économique, familiale ou sociale de ces biens, imposent des restrictions concernant la succession portant sur ces biens ou ayant une incidence sur celle-ci, ces dispositions spéciales sont applicables à la succession dans la mesure où, en vertu de la loi de cet État, elles sont applicables quelle que soit la loi applicable à la succession ».

Ce texte peut être lu de concert avec le considérant 54 qui permet de clarifier quelque peu la façon dont doit être compris l’article 30507.

En pratique, l’identification des lois de police ne sera pas simple.

Trois conditions doivent être cumulativement réunies afin que les règles internes entrent dans le champ d’application de l’article 30.

D’abord, cet article précise que seules les lois de l’ordre juridique du lieu de situation des biens en cause ont vocation à intervenir.

Ensuite, la loi interne en cause doit imposer « des restrictions concernant la succession portant sur ces biens ou ayant une incidence sur celles-ci ». La loi interne doit donc concerner la succession et prévoir un traitement particulier pour certains biens.

En outre, ces règles doivent être applicables « quelle que soit la loi applicable à la succession ». Dit autrement, « il doit s’agir de lois de police dans leur propre système juridique »508.

L’arrêt du 10 octobre 2012 concernant les règles relatives à l’attribution préférentielle a été perçu comme rendu au prisme du règlement « Successions », bien que non encore applicable à l’époque, et peut ainsi constituer une illustration de ce que pourrait être la mise en œuvre de son article 30509.

Selon M. Perreau-Saussine, d’autres règles françaises ont vocation à recevoir la qualification de loi de police, telles les règles relatives à la transmission des sépultures, ou au droit au logement temporaire du conjoint survivant prévues aux articles 763 et suivants du Code civil.

Il est toutefois possible de se demander si l’application des lois de police en matière de succession reste désormais enfermée dans le carcan strict déterminé par l’article 30 du règlement (UE) n° 650/2012510.

Dans la grande majorité des cas, la recherche d’une loi de police s’avérera négative.

Il y a aura donc lieu de mettre en place le raisonnement conflictuel.

À ce titre, depuis le 17 août 2015, la règle de conflit française, intégrant la disposition du règlement (UE) n° 650/2012, dispose de la mise en œuvre d’un élément de rattachement unique alternatif.

Il convient de signaler que le droit international privé « nouveau » français, de fait, n’implique plus de problème de conflit de qualification puisqu’il met en œuvre un élément de rattachement unique. L’ordre juridique ainsi désigné aura vocation à s’appliquer à tous les biens du défunt.

Depuis l’entrée en application du règlement (UE) n° 650/2012, l’élément de rattachement unique peut avoir été décidé volontairement par le défunt (il s’agira d’un choix de loi opéré par celui-ci), ou s’appliquer de façon subsidiaire à défaut de manifestation de volonté de la part du défunt préalablement à son décès.

§ II – En présence d’un choix de loi : la professio juris

3389 La loi applicable à la succession du défunt peut résulter d’une manifestation de volonté de celui-ci antérieure ou postérieure au 17 août 2015. Le défunt peut avoir désigné comme loi applicable à sa succession la loi de sa nationalité. Il est dit qu’il réalise une professio juris.

Cette place donnée à l’autonomie de la volonté au sein de la matière successorale par le règlement poursuit l’objectif sous-jacent de garantir la prévisibilité et la stabilité de la loi successorale résultant du choix du disposant.

La professio juris va également permettre de régler la problématique du conflit mobile. En cas de déplacements transfrontaliers successifs, l’anticipation successorale devient en effet délicate du fait du nouvel élément de rattachement que retient le règlement en l’absence de choix511. La professio juris va permettre de figer la loi qui sera applicable à la succession au moment du choix. À noter que le disposant conservera la possibilité de révoquer son choix s’il l’estime opportun.

Il convient dans un premier temps de vérifier la validité de la forme du choix (A), avant d’envisager la validité au fond de celui-ci (B).

A/ Validité en la forme du choix de loi

3390 En cas de disposition antérieure au 17 août 2015, il convient de se référer à l’article 83, paragraphe 3 du règlement qui prévoit qu’« une disposition à cause de mort prise avant le 17 août 2015 est recevable et valable quant au fond et à la forme si elle remplit les conditions prévues au chapitre III ou si est recevable sur le fond et en la forme en application des règles de droit international privé qui étaient en vigueur, au moment où la disposition a été prise, dans l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle, dans tout État dont il possédait la nationalité ou dans l’État membre de l’autorité chargée de régler la succession ».

En cas de disposition postérieure au 17 août 2015, l’article 22-2 du règlement (UE) n° 650/2012, dispose que « le choix est formulé de manière expresse dans une déclaration revêtant la forme d’une disposition à cause de mort ou résulte des termes d’une telle disposition ».

Il convient de souligner que le même article, dans son 4, précise que « la modification ou la révocation du choix de loi satisfait aux exigences de forme applicables à la modification ou à la révocation d’une disposition à cause de mort ».

Comme le soulignent Mes Jean Gasté et Xavier Ricard512, le règlement ne donne pas de définition précise de la disposition à cause de mort, il se contente d’énumérer le type d’acte dont il s’agit. Selon l’article 3-1, d) il peut s’agir « d’un testament, d’un testament conjonctif ou d’un pacte successoral ».

I/ L’ instrumentum du choix
a) Une disposition testamentaire autre qu’un pacte successoral

3391 Lorsque le choix de loi a pour instrumentum une disposition testamentaire, il convient de s’assurer de la validité formelle de celle-ci.

En la matière il faut, dans un premier temps, s’intéresser à la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires.

Le texte de cette convention est un des points clés du droit international privé positif français.

la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 a été ratifiée par la République d’Afrique du Sud, l’Albanie, Antigua et la Barbade, l’Arménie, l’Allemagne, l’Australie, l’Autriche, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, le Botswana, le Brunei, la République populaire de Chine, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, l’ex-Yougoslavie, Fidji, la Finlande, la France, la Grèce, Grenade, l’Irlande, Israël, l’Italie513, le Japon, le Lesotho, le Monténégro, le Luxembourg, l’île Maurice, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal514, la Moldavie, le Royaume-Uni, la Serbie, la Slovénie, la Suède, la Suisse, le Swaziland, le Tonga, la Turquie et l’Ukraine.

La convention de La Haye a adopté une position dont l’objectif est la reconnaissance in favorem des dispositions testamentaires laissées par le défunt.

L’article 1er de la convention de La Haye dispose d’un véritable catalogue de cas dans lesquels le testament devra être considéré comme valable en la forme.

« Article premier

Une disposition testamentaire est valable quant à la forme si celle-ci répond à la loi interne :

du lieu où le testateur a disposé, ou

d’une nationalité possédée par le testateur, soit au moment où il a disposé, soit au moment de son décès, ou

d’un lieu dans lequel le testateur avait son domicile, soit au moment où il a disposé, soit au moment de son décès, ou

du lieu dans lequel le testateur avait sa résidence habituelle, soit au moment où il a disposé, soit au moment de son décès, ou

pour les immeubles, du lieu de leur situation.

Aux fins de la présente Convention, si la loi nationale consiste en un système non unifié, la loi applicable est déterminée par les règles en vigueur dans ce système et, à défaut de telles règles, par le lien le plus effectif qu’avait le testateur avec l’une des législations composant ce système.

La question de savoir si le testateur avait un domicile dans un lieu déterminé est régie par la loi de ce même lieu. »

L’article 4 de la convention de La Haye, précise : « La présente Convention s’applique également aux formes des dispositions testamentaires faites dans un même acte par deux ou plusieurs personnes ». Elle s’applique donc aussi aux testaments conjonctifs.

L’article 27 du règlement (UE) n° 650/2012 intègre les dispositions de la convention de La Haye.

L’article 3 du règlement (UE) n° 650/2012 définit les termes utilisés dans le corps du texte qui le constitue.

Le c) du 1 de cet article 3 définit le testament conjonctif comme « un testament établi par deux ou plusieurs personnes dans le même acte ».

Pour l’appréciation de la validité de la forme, le testament conjonctif est donc assimilé au testament.

Il convient donc de retenir que :

la France et les pays ayant ratifié la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 considéreront comme valable en la forme la disposition testamentaire (testament et testament conjonctif) rédigée par le défunt si elle l’a été conformément à une des dispositions alternatives ci-dessus relatées à l’article premier de la convention de La Haye ci-dessus littéralement rapporté ;

les autres États membres non parties à la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 considéreront comme valable une telle disposition si elle a été rédigée conformément à une des dispositions alternatives relatées à l’article 27 du règlement.

Le testament conjonctif

En droit interne français, le testament rédigé par plusieurs personnes sur un seul et même support en France n’est pas valide.

L’article 968 du Code civil dispose de la prohibition de cet instrument en stipulant que : « Un testament ne pourra être fait dans le même acte par deux ou plusieurs personnes soit au profit d’un tiers, soit à titre de disposition réciproque ou mutuelle ».

En France, cette prohibition trouve sa justification dans le fait que la liberté individuelle d’établir un testament ne doit souffrir d’aucune influence extérieure.

La Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 31 mars 2016, réaffirme ce principe et entache un tel testament de nullité. Elle précise également que les écrits postérieurs ne peuvent faire revivre le premier testament, car ils ne le reprennent pas en termes exprès.

En revanche, un testament conjonctif rédigé à l’étranger, selon les formes du droit interne, sera considéré comme valable en la forme (sans préjuger de la validité au fond) par la législation française, conformément à la convention de La Haye à laquelle elle est soumise.

b) Le pacte successoral

3392 L’article 27 du règlement (UE) n° 650/2012 étend l’esprit de la convention de La Haye aux pactes successoraux.

« Article 27 – Validité quant à la forme des dispositions à cause de mort établies par écrit

1. Une disposition à cause de mort établie par écrit est valable quant à la forme si celle-ci est conforme à la loi :

a) de l’État dans lequel la disposition a été prise ou le pacte successoral a été conclu ;

b) d’un État dont le testateur ou au moins une des personnes dont la succession est concernée par un pacte successoral possédait la nationalité, soit au moment où la disposition a été prise ou le pacte conclu, soit au moment de son décès ;

c) d’un État dans lequel le testateur ou au moins une des personnes dont la succession est concernée par un pacte successoral avait son domicile, soit au moment où la disposition a été prise ou le pacte conclu, soit au moment de son décès ;

d) de l’État dans lequel le testateur ou au moins une des personnes dont la succession est concernée par un pacte successoral avait sa résidence habituelle, soit au moment de l’établissement de la disposition ou de la conclusion du pacte, soit au moment de son décès ; ou

e) pour les biens immobiliers, de l’État dans lequel les biens immobiliers sont situés.

Pour déterminer si le testateur ou toute personne dont la succession est concernée par un pacte successoral avait son domicile dans un État particulier, c’est la loi de cet État qui s’applique.

2. Le paragraphe 1 s’applique également aux dispositions à cause de mort modifiant ou révoquant une disposition antérieure. La modification ou la révocation est également valable quant à la forme si elle est conforme à l’une des lois en vertu desquelles, conformément au paragraphe 1, la disposition à cause de mort modifiée ou révoquée était valable.

3. Aux fins du présent article, toute disposition légale qui limite les formes admises pour les dispositions à cause de mort en faisant référence à l’âge, à la nationalité ou à d’autres qualités personnelles du testateur ou des personnes dont la succession est concernée par un pacte successoral, est considérée comme relevant du domaine de la forme. Il en est de même des qualités que doit posséder tout témoin requis pour la validité d’une disposition à cause de mort. »

Selon l’article 3-1, b), le pacte successoral est « un accord, y compris un accord résultant de testaments mutuels, qui confère, modifie, ou retire, avec ou sans contre-prestation, des droits dans la succession future d’une ou plusieurs personnes partie au pacte ».

Il convient donc de retenir que pour la validité formelle des pactes successoraux, le texte applicable dans les États membres est l’article 27 du règlement (UE) n° 650/2012.

II/ L’expression du choix

3393 Le règlement prévoit que le choix peut être formulé de manière expresse (a) ou de façon implicite (b).

a) Le choix exprès

3394 Il y a lieu de distinguer selon que la disposition a été prise par le défunt avant (ii) ou après (i) le 17 août 2015.

i) Disposition prise à compter du 17 août 2015

3395 L’article 22-2 du règlement (UE) n° 650/2012 dispose : « Le choix est formulé de manière expresse dans une déclaration revêtant la forme d’une disposition à cause de mort…) ».

Le choix de loi peut donc être formulé de manière expresse dans une disposition à cause de mort.

L’article 3 du règlement (UE) n° 650/2012 dans son d) précise qu’il faut entendre par « disposition à cause de mort : un testament, un testament conjonctif, ou un pacte successoral ».

Il convient de signaler que la validité formelle du choix ne s’apprécie que dans le respect des conditions de validité de la disposition à cause de mort, et non dans son intitulé « testament », « testament conjonctif » ou « pacte successoral ». Par ailleurs, le choix peut être valablement exprimé de manière autonome sans être compris dans un testament, un testament conjonctif ou un pacte successoral comprenant d’autres dispositions d’ordre dévolutif.

ii) Disposition prise antérieurement au 17 août 2015

3396 L’article 83-2 du règlement (UE) n° 650/2012 dispose : « Lorsque le défunt avait, avant le 17 août 2015, choisi la loi applicable à sa succession, ce choix est valable s’il remplit les conditions fixées au chapitre III ou s’il est valable en application des règles de droit international privé qui étaient en vigueur, au moment où le choix a été fait, dans l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle ou dans tout État dont il possédait la nationalité ».

Cet article permet donc une validation rétroactive d’un choix de loi antérieur au 17 août 2015.

b) Le choix implicite

3397 Là encore, il y a lieu de distinguer selon que la disposition a été prise par le défunt avant (ii) ou après (i) le 17 août 2015.

i) Disposition prise à compter du 17 août 2015

3398 Selon l’article 22-2 in fine du règlement (UE) n° 650/2012, le choix de loi implicite peut résulter des termes d’une disposition à cause de mort.

Force est de constater que les articles du règlement ne donnent pas de précisions sur ce qu’il faut entendre par un choix de loi implicite.

En revanche, le considérant 39 précise que : « Le choix de la loi devrait être formulé de manière expresse dans une déclaration revêtant la forme d’une disposition à cause de mort ou résulter des termes d’une telle disposition. Le choix de la loi pourrait être considéré comme résultant d’une disposition à cause de mort dans le cas où, par exemple, dans sa disposition, le défunt avait fait référence à des dispositions spécifiques de la loi de l’État de sa nationalité ou dans le cas où il avait mentionné cette loi d’une autre manière ».

Le manque de clarté du choix ou le caractère équivoque de celui-ci peut entraîner un aléa quant à la reconnaissance de la validité en la forme de celui-ci.

Il semble évident que, bien que l’esprit du règlement dispose d’une reconnaissance in favorem des dispositions à cause de mort, il faille, pour éviter toute dérive et divergence d’interprétation, ne pas pour autant laisser cours à des interprétations extensives de la volonté implicite du défunt.

À ce titre, plusieurs questions peuvent émerger :

le choix implicite doit-il être admis par toute autorité saisie d’une succession ?

Il semble cohérent de penser qu’une autorité saisie d’une succession, dépendant d’un État qui ne reconnaît pas la professio juris dans son droit interne, ne doit pas pouvoir reconnaître la validité d’un choix de loi. Seules les autorités d’un État membre ou d’un État tiers dont le droit interne autorise la professio juris doivent pouvoir valider un tel choix515 ;

le choix de loi implicite peut-il découler de la simple utilisation de la langue utilisée par le disposant ?

Certains praticiens arguent du fait que la langue choisie par le défunt pour disposer vaudrait professio juris implicite pour la loi de sa nationalité si elle correspond à cette langue.

Cette position ne paraît pas être admissible. En effet, un tel postulat risquerait d’aboutir à des résultats inattendus, incohérents par rapport à la situation d’espèce, voire à des situations insolubles. Dans le cas d’un testament rédigé en anglais par exemple, la langue anglaise correspond-elle à la nationalité britannique ou bahamienne du défunt binational ?

Le 115e Congrès des notaires de France invite à ne pas valider cette analyse visant à déduire un seul choix de loi de la langue de rédaction de la disposition, en ce qu’elle risque d’aboutir à des incohérences, voire à des dérives de l’institution de la professio juris telle qu’elle a été mise en place par le règlement (UE) n° 650/2012.

La langue ne peut constituer qu’un indice permettant avec d’autres de valider le choix de loi ;

l’utilisation d’un outil, un instrument, une institution propre à la loi interne d’un État peut-elle être assimilée à une professio juris implicite ?

Par exemple, en dehors des considérations de validité, l’utilisation d’une donation entre époux, bien connue du droit français, ou d’un trust bien connu du droit anglo-saxon, peut-elle être assimilée à une désignation de loi applicable ?

Là encore, la prudence impose de ne considérer l’instrumentum que comme un indice, qui, s’il converge avec d’autres, permet de reconnaître un choix de loi implicite.

Également, il faudra de surcroît vérifier que l’autorité saisie, qui aura à apprécier la validité de la professio juris implicite, est une autorité d’un État membre ou d’un État tiers dont le droit interne reconnaît la possibilité pour le défunt d’avoir opéré préalablement à son décès une désignation de loi applicable.

L’autorité saisie d’une succession internationale comportant un choix de loi implicite devra donc apprécier in concreto, au vu de l’ensemble de ces éléments, la disposition à cause de mort dont il pourrait être déduit un choix de loi implicite pour se prononcer cas par cas. Le faisceau d’indices aboutissant à une validation de la professio juris implicite devra faire l’objet d’un exposé détaillé dans l’acte que le praticien dressera.

ii) Disposition prise antérieurement au 17 août 2015

3399 L’article 83-4 du règlement (UE) n° 650/2012 dispose : « Si une disposition à cause de mort, prise avant le 17 août 2015, est rédigée conformément à la loi que le défunt aurait pu choisir en vertu du présent règlement, cette loi est réputée avoir été choisie comme loi applicable à la succession ».

Cet article invite à s’interroger sur la problématique suivante : le défunt doit-il avoir eu conscience qu’il avait le choix entre plusieurs lois au moment où il a régularisé la disposition à cause de mort, pour que la professio juris implicite puisse être validée ?

Il n’existe pas à ce jour de position uniforme de la doctrine et de la pratique internationale sur ce point.

Dans un contexte particulier, celui d’une disposition à cause de mort qui serait invalide conformément à la loi objectivement applicable, et, au contraire, valide et efficace si c’est le cas conformément à la loi qui serait choisie implicitement, certains pays comme la Suisse et l’Allemagne reconnaissent la validité de la professio juris implicite en l’absence de conscience du disposant de la faculté de choisir qui lui était offerte, en fondant leur argumentation sur la théorie de la favour validatis516.

Encore, comme le soulignent très justement Me Jean Gasté et Xavier Ricard, il ne semble pas possible de considérer qu’une donation entre époux régularisée en France avant le 4 juillet 2012 puisse induire un choix implicite pour la loi française, puisqu’à l’époque, la professio juris n’était pas un mécanisme reconnu par le droit français.

Il semble en outre prudent de retenir que la forme britannique d’un testament ne permet pas d’appliquer la présomption édictée par l’article 83-4 du règlement. Par analogie, l’expression « ou résulte des termes d’une telle disposition » employée dans l’article 22 du règlement laisse entendre que le choix de loi applicable doit résulter directement et seulement du contenu même de l’acte. Toute référence à des éléments extrinsèques doit être écartée517.

L’établissement du testament en langue anglaise ou encore la forme dactylographiée constituent des éléments extrinsèques qui ne présument pas de la volonté du défunt de soumettre sa succession à la loi anglaise.

Encore, la constitution d’un trust ou une référence aux dispositions de la Society of trust and estate practionners ne semble également pas suffisante pour induire l’existence d’un choix de loi en faveur de la loi anglaise. Il n’existe à ce jour pas de jurisprudence en la matière, mais cette analyse ne semble pas pouvoir emporter la conviction du praticien.

En effet, il convient de noter que, notamment pour les dispositions antérieures au 4 juillet 2012, le texte du règlement « Successions » était loin d’être finalisé et, comme aujourd’hui, le droit britannique n’offrait pas la possibilité d’option au défunt en faveur de la loi successorale de l’État de sa nationalité. Il est possible de noter de surcroît que la possibilité d’un choix de loi tacite prévu à l’actuel article 22 du règlement ne figurait pas dans la proposition de règlement de 2009. Dans ces conditions, il paraît inconcevable de présumer un choix tacite en faveur de la loi nationale du défunt alors que le droit positif en vigueur lors de la rédaction du testament n’offrait pas cette option.

iii) Position conseillée

3400 Par mesure de prudence, le 115e Congrès des notaires invite à ne retenir la validité du choix implicite que dans les cas suivants :

le choix implicite doit découler uniquement des termes de la disposition à cause de mort ;

il ne peut être validé que par une autorité (dont le notaire) dont le système juridique reconnaît le choix de loi ;

il doit être apprécié au vu d’un faisceau de plusieurs indices concordants et convergents qui permettront de conclure qu’il est clair et univoque ;

le choix de loi implicite ne doit être retenu que s’il permet une unicité de loi applicable à la succession, ou tout au moins s’il facilite le règlement de celle-ci conformément au principe de prévisibilité et de stabilité de la loi successorale dont dispose le règlement ;

la personne qui effectue le choix doit avoir eu conscience de l’existence d’un potentiel conflit de lois, et de la possibilité qui lui est offerte d’opter pour une d’entre elles. Ainsi pour les États ne reconnaissant pas le choix de loi dans leur droit interne, il faudra proscrire la professio juris implicite si l’instrumentum est antérieur à la date de ratification du règlement (UE) n° 650/2012.

B/ Validité au fond du choix de loi

3401 La validité au fond du choix de loi applicable doit être appréciée au regard de trois aspects.

I/ Reconnaissance de la professio juris par l’autorité saisie

3402 Le praticien saisi du règlement d’une succession internationale devra appartenir à un ordre juridique reconnaissant le principe même de la professio juris.

Il est possible de dénombrer trois groupes d’États :

les États membres : pour lesquels le règlement « Successions » prévoit la reconnaissance de la professio juris à l’article 22 ;

les États tiers dont le droit interne prévoit la possibilité de réaliser une professio juris.

Les États prévoyant le choix de loi en faveur de la loi nationale en matière successorale sont les suivants : Arménie, Bénin, Biélorussie, Burkina Faso, Canada (Ontario et Québec), Corée du Sud, Kazakhstan, Kirghizistan, Liechtenstein, Monaco, République dominicaine, Suisse et Ukraine (certains États des États-Unis reconnaissent la professio juris : New York [en faveur de la loi new-yorkaise], l’État du Delaware) ;

les États tiers dont le droit interne ne prévoit pas cette possibilité.

En présence d’un État du troisième groupe, dans le cadre d’un estate planning international, l’utilisation de la professio juris sera déconseillée.

II/ Le choix ne peut viser que la loi de la nationalité de la personne l’ayant effectué

3403 Le choix de loi contenu dans une disposition à cause de mort ne peut porter que sur la loi de la nationalité du disposant.

La détermination de la nationalité du disposant, au moment de la rédaction de la professio juris ou lors de l’ouverture de la succession du disposant, doit impérativement faire l’objet d’une vérification préliminaire.

Selon l’article 22-1 du règlement (UE) n° 650/2012, « une personne peut choisir comme loi régissant sa succession, la loi de l’État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès ».

Il n’est pas possible de faire porter ce choix sur un autre élément de rattachement.

Ainsi, un choix de loi réalisé en faveur de ce que le disposant identifierait comme être sa résidence habituelle ne pourra pas recevoir une quelconque validité. La « confirmation de résidence habituelle » n’est donc pas valable.

Il en est de même pour un choix de loi qui viserait à soumettre certains biens à leur lieu de situation.

Si le choix de loi doit porter sur la nationalité, force est de constater qu’il ne peut porter que sur une nationalité :

que « possède » le disposant.

Ce qui induit que si le disposant est un plurinational, une option lui est offerte.

Il n’existe dans ce cas pas de hiérarchie entre les différentes nationalités. Le choix est indifféremment alternatif, il n’y a pas lieu de rechercher la nationalité la plus effective.

Par suite, un choix de loi réalisé au profit d’une nationalité non effectivement acquise doit être considéré comme invalide.

Lorsqu’un individu choisit la nationalité d’un État doté d’un système plurilégislatif, il est fortement conseillé, pour plus de pertinence, que celui-ci précise notamment le système législatif qu’il entend désigner (par ex. : la loi de l’État de Floride, et non la loi américaine) ;

« au moment où [le disposant] fait ce choix ou au moment du décès ».

Cette préposition implique que le choix au profit d’une nationalité reste valable quand bien même la situation du disposant évoluerait du fait d’un changement, d’une perte ou d’une déchéance de nationalité518.

III/ Validité au fond de la disposition contenant le choix

3404 Il convient d’opérer une distinction entre les dispositions contenant le choix de loi consistant en une disposition testamentaire (regroupant les testaments et les testaments conjonctifs), et celles ayant pour support un pacte successoral.

Dans les deux cas, il conviendra de procéder à une lecture combinée de l’article 26 du règlement (UE) n° 650/2012 avec l’article dédié à l’instrumentum retenu pour opérer le choix de loi.

« Article 26 – Validité au fond des dispositions à cause de mort

1. Aux fins des articles 24 et 25, les éléments ci-après relèvent de la validité au fond :

la capacité de la personne qui dispose à cause de mort de prendre une telle disposition ;

les causes particulières qui empêchent la personne qui prend la disposition de disposer en faveur de certaines personnes ou qui empêchent une personne de recevoir des biens successoraux de la personne qui dispose ;

l’admissibilité de la représentation aux fins de l’établissement d’une disposition à cause de mort ;

l’interprétation de la disposition ;

la fraude, la contrainte, l’erreur ou toute autre question relative au consentement ou à l’intention de la personne qui dispose.

2. Lorsqu’une personne a la capacité de disposer à cause de mort en vertu de la loi applicable conformément à l’article 24 ou 25, une modification ultérieure de la loi applicable n’affecte pas sa capacité de modifier ou de révoquer une telle disposition. »

L’article 24 a trait aux dispositions testamentaires, l’article 25 quant à lui traite des pactes successoraux.

a) Validité au fond des dispositions autres que les pactes successoraux

3405 En la matière, c’est une lecture combinée des articles 24 et 26 du règlement (UE) n° 650/2012 qui permet d’appréhender la règle.

Il convient ici, par dérogation au plan choisi, d’analyser la recevabilité au fond des dispositions à cause de mort d’une façon globale (en présence ou en l’absence d’un choix de loi).

L’article 24 précise :

« 1. La recevabilité et la validité au fond d’une disposition à cause de mort autre qu’un pacte successoral sont régies par la loi qui, en vertu du présent règlement, aurait été applicable à la succession de la personne ayant pris la disposition si elle était décédée le jour de l’établissement de la disposition.

2. Nonobstant le paragraphe 1, une personne peut choisir comme loi régissant sa disposition à cause de mort, quant à sa recevabilité et à sa validité au fond, la loi que cette personne aurait pu choisir en vertu de l’article 22, selon les conditions qui y sont fixées.

3. Le paragraphe 1 s’applique, selon le cas, à la modification ou à la révocation d’une disposition à cause de mort autre qu’un pacte successoral. En cas de choix de loi effectué conformément au paragraphe 2, la modification ou la révocation est régie par la loi choisie ».

En présence d’un choix de loi, c’est donc à la loi choisie par le défunt que devra répondre le fond de la disposition testamentaire.

En l’absence d’un choix de loi, c’est la loi découlant de l’application de l’élément de rattachement prévu par l’article 21, celle de la résidence habituelle519ou exceptionnellement celle de l’État avec lequel le défunt entretenait des liens manifestement plus étroits520, qui s’appliquerait pour préjuger de la validité au fond de la disposition. Dans un tel cas, la recherche de la loi applicable doit être fictivement effectuée comme si le disposant était décédé le jour où il a établi la disposition à cause de mort.

b) Validité au fond des dispositions constituant un pacte successoral

3406 En droit français interne, un pacte successoral est une convention portant sur la totalité ou une partie des biens qui dépendront de la masse successorale d’une personne vivante.

Le pacte sur succession future est caractérisé s’il réunit quatre éléments :

il doit être irrévocable ;

il doit porter sur tout ou partie d’une succession ;

la succession ne doit pas être encore ouverte, en ce que le décès n’est pas encore intervenu ;

il confère un droit éventuel à une personne.

Les pactes successoraux étaient de principe prohibés en France521, et ce dans l’objectif de garantir aux individus la possibilité de déterminer jusqu’à leur mort les personnes qui recueilleront leur patrimoine.

Au fil du temps, le législateur a concédé un certain nombre d’exceptions à la règle de la prohibition. On retiendra parmi elles certains pactes autorisés par le droit des sociétés522, et d’autres permettant d’organiser sa succession, comme l’action en renonciation anticipée à l’action en réduction, la donation-partage, la donation entre époux de biens à venir, la convention d’indivision prévoyant une faculté de rachat de la part d’un indivisaire par ses coïndivisaires523, la libéralité graduelle524, la libéralité résiduelle525.

L’article 25 du règlement (UE) n° 650/2012 est consacré aux pactes successoraux.

Pour appréhender la validité au fond d’un choix de loi contenu dans un pacte successoral, il convient de combiner l’article 25 avec l’article 26 sus-relaté.

Là encore, par dérogation au plan choisi, pour une meilleure compréhension il convient d’analyser la recevabilité au fond du pacte successoral dans globalité (en présence ou en l’absence d’un choix de loi).

« Article 25 – Pacte successoral

1. Un pacte successoral qui concerne la succession d’une seule personne est régi, quant à sa recevabilité, sa validité au fond et ses effets contraignants entre les parties, y compris en ce qui concerne les conditions de sa dissolution, par la loi qui, en vertu du présent règlement, aurait été applicable à la succession de cette personne si elle était décédée le jour où le pacte a été conclu.

2. Un pacte successoral qui concerne la succession de plusieurs personnes n’est recevable que s’il l’est en vertu de chacune des lois qui, conformément au présent règlement, aurait régi la succession de chacune des personnes concernées si elles étaient décédées le jour où le pacte a été conclu.

Un pacte successoral qui est recevable en vertu du premier alinéa est régi, quant à sa validité au fond et à ses effets contraignants entre les parties, y compris en ce qui concerne les conditions de sa dissolution, par celle des lois visées au premier alinéa avec laquelle il présente les liens les plus étroits.

3. Nonobstant les paragraphes 1 et 2, les parties peuvent choisir comme loi régissant leur pacte successoral, quant à sa recevabilité, sa validité au fond et ses effets contraignants entre les parties, y compris en ce qui concerne les conditions de sa dissolution, la loi que la personne ou l’une des personnes dont la succession est concernée aurait pu choisir en vertu de l’article 22, selon les conditions qui y sont fixées. »

En présence d’un choix de loi, c’est donc au regard de la loi choisie par le défunt que sera analysée la validité au fond du pacte successoral.

En l’absence de choix de loi, il convient de distinguer selon que le praticien est en présence d’un pacte successoral concernant la succession d’une personne ou de plusieurs personnes.

Si le pacte a trait à la succession d’un seul individu, la validité au fond de celui-ci sera appréciée au regard de la loi qui découlerait de l’application des éléments de rattachement prévus à l’article 21 du règlement (résidence habituelle, ou exceptionnellement loi du pays avec lequel le défunt entretenait des liens manifestement plus étroits), si le disposant était décédé le jour de la conclusion du pacte.

Si le pacte gouverne la succession de plusieurs personnes, la validité au fond de celui-ci sera appréciée au regard de chacune des lois qui auraient régi la succession de chacun des disposants s’ils étaient décédés le jour de la conclusion du pacte. Dans ce cas, le cumul des lois applicables aboutit à reconnaître la validité du pacte au fond uniquement si toutes les lois en présence s’y accordent.

Il convient de signaler que ces règles sont applicables à la validité au fond des pactes, mais aussi à leur recevabilité et leurs effets contraignants, en ce compris les conditions de leur dissolution.

L’étude de la validité au fond des dispositions à cause de mort, qui aurait dû être uniquement présentée conformément au plan retenu, sous l’angle du choix de loi, mais qui pour des raisons de meilleure compréhension a été appréhendée dans son ensemble, permet en fait l’introduction de la règle d’application de l’élément de rattachement subsidiaire dont dispose le règlement (UE) n° 650/2012 à défaut de choix de loi : il s’agit de la résidence habituelle du défunt.

§ III – En l’absence d’un choix de loi : loi de la résidence habituelle

3407 L’article 21 du règlement (UE) n° 650/2012, énonce : « 1. Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à l’ensemble d’une succession est celle de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès (…) ».

À défaut de choix, la loi applicable à la succession du défunt sera celle de la résidence habituelle de ce dernier.

Il convient de remarquer que la nationalité du défunt est indifférente. Elle n’est absolument pas prise en considération.

L’élément unique à retenir est la résidence habituelle.

La notion de résidence habituelle n’est pas définie par le règlement et est par conséquent difficile à appréhender.

Il est intéressant de noter que les considérants 23526, 24527et 25528apportent des informations qui permettent de mieux l’appréhender.

Ceux-ci préconisent une approche in concreto, devant permettre de mettre en exergue l’existence d’un « lien étroit et stable avec l’État concerné », en privilégiant la méthode du faisceau d’indices. Ils préconisent également, dans certains cas complexes mettant en jeu des déplacements fréquents et des liens étroits avec au moins deux États, que certains critères (telle la nationalité par exemple) puissent revêtir un caractère prépondérant, susceptible d’emporter l’adhésion du choix du praticien.

On notera que la Convention de La Haye du 1er août 1989 sur la loi applicable aux successions, texte précurseur du règlement (UE) n° 650/2012, prévoyait une utilisation combinée de la nationalité et d’une notion de durée pour déterminer la résidence habituelle529. Ces critères n’ont pas été repris stricto sensu par le règlement. Les considérants susvisés commandent néanmoins de garder à l’esprit ces notions pour parvenir à la détermination de la résidence habituelle.

Il est important de rappeler qu’en droit international privé, la notion de résidence habituelle530n’est pas transposable d’une matière à une autre531.

Il en découle alors la nécessité de rechercher les éléments permettant d’établir un lien étroit et stable avec un État.

Mes Jean Gasté et Xavier Ricard532ont dressé un tableau d’indices objectifs permettant de comparer les liens existant entre les différents États en cause et le défunt, et de procéder ainsi à une comparaison.

Il convient de noter que la liste des indices y figurant n’est qu’une proposition d’éléments pouvant être pris en compte, elle ne constitue aucunement une liste exhaustive.

Tableau d’aide à la détermination de la résidence habituelle

Il existe des cas dans lesquels il sera difficile de déterminer la résidence habituelle du défunt, notamment en présence de travailleurs frontaliers, d’étudiants réalisant des études à l’étranger, de personnes placées en maisons de retraite à l’étranger, etc.

Des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour de cassation sont attendues à ce sujet.

Si, après cette analyse, la détermination de la résidence habituelle demeure impossible ou si elle aboutit à l’application d’une loi inadéquate, au regard de la situation d’espèce du défunt, il conviendra d’appliquer la clause d’exception prévue au 2 de l’article 21 du règlement.

§ IV – Détermination de la loi applicable par le jeu de la clause d’exception

3408 L’article 21-2 du règlement (UE) n° 650/2012, dispose : « 2. Lorsque, à titre exceptionnel, il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que, au moment de son décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un État autre que celui dont la loi serait applicable en vertu du paragraphe 1, la loi applicable à la succession est celle de cet État ».

Aussi baptisée « clause de sauvegarde », cette clause d’exception est fondée sur la théorie anglo-saxonne du forum non conveniens533.

Elle ne peut jouer que lorsque le défunt n’aura pas effectué de choix de loi.

Cette clause de sauvegarde ne doit pas être utilisée comme « un facteur de rattachement subsidiaire dès que la détermination de la résidence habituelle du défunt au moment de son décès s’avère complexe » ainsi que le précise le considérant 25.

Elle présente l’intérêt de permettre d’éviter l’application de la loi de résidence habituelle lorsqu’il résulte de celle-ci un résultat manifestement inapproprié.

Cependant, il convient de garder à l’esprit que cette clause d’exception peut avoir l’effet pervers d’anéantir la planification successorale qui avait été mise en place, et donc devenir source d’insécurité.

Plus généralement, il peut lui être fait le reproche de s’avérer contraire au principe de prévisibilité de la loi successorale sur lequel se fonde le règlement.

Il en découle que l’utilisation de cette clause doit donc être absolument exceptionnelle.

Elle ne sera possible que :

parce que le praticien se trouve dans l’impossibilité de déterminer la résidence habituelle ;

ou parce que le rattachement à la résidence habituelle du défunt conduit à des résultats non satisfaisants eu égard au contexte en présence. Là encore, le praticien devra appliquer la méthode du faisceau d’indices pour déterminer que l’ensemble des circonstances de la cause implique la désignation d’une loi applicable plus adéquate que celle qui découlerait de l’application de la loi de résidence habituelle du défunt.

Le notaire choisissant d’avoir recours à la clause d’exception prévue à l’article 21-2 du règlement (UE) n° 650/2012 devra motiver sa décision de manière étayée et exhaustive.

Attention

Un accord unanime des héritiers au terme duquel le notaire serait requis d’appliquer la clause d’exception ne pourrait être validé s’il n’existe pas de circonstances exceptionnelles permettant son application.

L’application de l’ensemble des règles de conflit du for (qualification et éléments de rattachement) qui vient d’être exposé, auquel sera lié le notaire français, permet de déterminer l’ordre juridique d’un État. Cette désignation d’un ordre juridique peut faire apparaître l’utilisation de correctifs par le praticien.

Sous-section II – Mise en œuvre du rattachement : les correctifs

3409 Plusieurs correctifs peuvent venir modifier l’application des règles découlant de l’ordre juridique désigné par le rattachement mis en place par la règle de conflit française.

Il s’agit de la fraude à la loi (§ I), du renvoi (§ II) et de l’ordre public (§ III).

§ I – La fraude à la loi

3410 En droit international privé, la fraude à la loi repose sur une modification de l’élément de rattachement qui détermine la loi applicable dans le seul but de soustraire la situation à l’application de celle-ci pour échapper à une disposition nationale défavorable.

Pour que la fraude soit caractérisée, il faut la réunion de trois éléments :

un élément matériel qui consiste en la modification de l’élément de rattachement ;

un élément moral : il faut caractériser la volonté de fausser la règle de conflit ;

un élément légal : une personne recherchant l’application d’une loi plus favorable tente par conséquent d’échapper à la loi dont l’application de la règle de conflit aboutit à la désignation.

On ne distingue plus selon que cette manœuvre aboutit à l’application ou à l’éviction de l’application de la loi française.

En matière successorale, dans le cadre de décès intervenus avant l’entrée en vigueur du règlement « Successions », la fraude à la loi a été caractérisée dans l’arrêt Caron534, affaire au cours de laquelle un bien immobilier a été régulièrement ameubli dans le seul et unique but d’éviter l’application de la réserve héréditaire prévue par la loi française qui devait normalement s’appliquer conformément à une utilisation régulière de la règle de conflit.

Une telle fraude demeure exceptionnelle en ce qu’en l’espèce, la fraude aux droits des héritiers réservataires était flagrante (il existait en l’espèce une preuve tangible de l’intention fraudeuse).

Il convient de ne pas considérer systématiquement que l’apport ou la vente d’un immeuble situé en France à une société française ou étrangère constitue une fraude à la loi, dans la mesure où ce type d’opérations peut être motivé valablement par des circonstances familiales, économiques ou fiscales découlant notamment d’une stratégie d’estate planning535.

Notamment, la Cour de cassation l’a récemment rappelé dans les arrêts Jarre et Colombiers, dont il sera question ci-après536.

L’entrée en application du règlement (UE) n° 650/2012, qui conduit à ne plus opérer de distinction entre les biens mobiliers et les biens immobiliers dépendant de la succession, comme il sera expliqué ci-après, suscite nécessairement des interrogations sur la possibilité de voir en pratique intervenir une fraude à la loi.

En effet la jurisprudence, en matière successorale, ne vise à ce jour qu’une manipulation, sans infraction légale, des critères de rattachement ayant pour but de faire migrer un bien de nature immobilière vers une nature mobilière pour échapper à une loi plus défavorable qui serait normalement applicable.

Ainsi la fraude à la loi, en matière successorale, ne pourrait aujourd’hui être caractérisée que par un déplacement de résidence habituelle ou un choix de nationalité, réalisé légalement, dans le seul but de soustraire la succession du défunt à la loi normalement compétente.

Mme Marie-Laure Niboyet et M. Géraud de Geouffre de la Pradelle précisent que « l’exception de fraude à la loi est donc un instrument judiciaire de moralisation des comportements des parties pour empêcher que celles-ci ne profitent de la dimension internationale de la situation pour se jouer de l’autorité des lois »537.

Les hypothèses de fraude à loi aboutissent à une application immédiate de la loi contournée par la fraude, et sont à ce jour extrêmement rares.

Beaucoup plus fréquemment intervient un autre correctif : le renvoi.

§ II – Le renvoi

3411 Le renvoi, qui trouve son origine dans l’arrêt Forgo538, est admis en droit français, en matière de succession, de statut personnel et de divorce. Il n’est pas admis en matière de contrats, de forme des contrats et de régime matrimonial. Il est discuté au sujet de la filiation.

Il résulte nécessairement d’un conflit de loi négatif, c’est-à-dire lorsque les États en présence ont chacun des éléments de rattachement qui désignent le système juridique de l’autre539.

En matière successorale, il convient d’envisager le renvoi autour de la date charnière du 17 août 2015.

A/ Le renvoi dans le cadre d’un décès intervenu avant le 17 août 2015

3412 Lorsque le renvoi intervient dans le cadre d’une succession faisant suite à un décès intervenu avant le 17 août 2015, il faut distinguer deux cas.

I/ Le renvoi au premier degré

3413 L’État désigné comme compétent par la règle de conflits française (par ex., lex rei sitae) renvoie, par le jeu de la mise en œuvre de l’élément de rattachement de sa règle de conflit locale (par ex. : loi de nationalité, ou loi de dernier domicile), au droit français.

Le droit français accepte alors sa compétence, car le jeu des règles de conflits des États intéressés par la situation aboutit à l’unicité de la succession. Il convient de noter que l’application de la loi du for facilite de surcroît le règlement de la succession.

Cette construction est d’origine doctrinale et jurisprudentielle.

Depuis l’arrêt Riley du 11 février 2009540, le renvoi est admis en matière successorale par le droit français lorsqu’il aboutit à éviter le morcellement et qu’il assure ainsi une unicité de loi applicable.

Cette solution concernait une succession immobilière, elle a été étendue aux successions mobilières dans un arrêt du 23 juin 2010541et confirmée encore récemment le 15 mai 2018542.

II/ Le renvoi au second degré

3414 L’État désigné comme compétent par la règle de conflit française renvoie, par le jeu de la règle de conflit locale, à l’ordre juridique d’un troisième État.

Le renvoi au second degré trouve son origine dans l’arrêt de Marchi Della Costa543.

Il convient alors d’envisager deux cas de figure :

a) Acceptation de l’offre de compétence

3415 Le troisième État, ainsi désigné, accepte sa compétence. Si ce renvoi facilite le règlement de la succession du défunt en ce qu’il tend vers une unicité de la loi applicable à la succession de ce dernier, il serait possible de penser que le droit français accepte alors ce renvoi et décline ainsi sa compétence du for. Il n’existe pas à ce jour de jurisprudence concernant cette hypothèse.

b) Refus de l’offre de compétence

3416 Pour le cas où ce renvoi au second degré n’est pas accepté par le troisième État désigné, il y aura lieu de constater l’échec du raisonnement conflictuel.

On se trouve alors dans l’hypothèse du « cercle vicieux ».

Le droit international du troisième État renvoie :

soit au droit international privé du second État, il en ressort un phénomène de va-et-vient incessant ;

soit au droit international privé d’un quatrième État.

De tels cas sont jusqu’alors purement théoriques en ce qu’ils n’ont, à ce jour, jamais donné lieu à des décisions jurisprudentielles.

Plusieurs solutions sont envisageables pour résoudre la difficulté ainsi soulevée. Il sera possible :

d’appliquer la loi matérielle du for, en invoquant la théorie du forum necessitatis qui donne une vocation subsidiaire de la loi du for. Il sera alors fait application de la loi matérielle française à l’ensemble de la succession. L’objectif d’unicité de la succession est ainsi assuré. Certains reprochent cependant à cette solution d’être teintée d’unilatéralisme ;

de forcer la règle de conflit, et d’appliquer ainsi la loi successorale matérielle de l’État désigné par la règle de conflit du deuxième État, lui-même désigné par la règle de conflit française. Dans cette hypothèse, le droit international privé du troisième État n’est pas appliqué. Il peut être opposé à cette solution une certaine automaticité et objectivité qui peuvent contrevenir au principe de recherche de la proximité de rattachement ;

de « s’en remettre au système de droit international privé de la loi désignée par la règle de conflit du for. Si celui-ci écarte le renvoi, on appliquera la loi qu’il désigne. S’il accepte au contraire le renvoi qui lui est fait par la loi tierce, on appliquera sa propre loi »544. Cette solution est préconisée par les professeurs Henri Batiffol et Paul Lagarde, elle présente l’intérêt d’être plus modérée ;

d’appliquer la loi matérielle de l’État désignée par la règle de conflit française. Cette solution est fondée sur le principe que l’essence même du renvoi est de poursuivre un objectif de coordination. Si le jeu du renvoi n’assure pas celui-ci, il convient de l’écarter et d’appliquer ainsi la loi matérielle désignée par la règle de conflit française.

Dans un tel contexte et face à ces différentes options n’ayant fait l’objet d’aucune prise de position jurisprudentielle, il semble prudent de considérer que le praticien devra appliquer l’analyse permettant d’aboutir à l’unicité de la loi applicable.

La solution ainsi dégagée devra faire l’objet d’un exposé dans les actes que dressera le praticien, afin d’attirer l’attention des parties sur le fait qu’en cas de contentieux, il existe un aléa sur la détermination de la loi applicable ainsi retenue du fait de l’absence actuelle de jurisprudence.

B/ Le renvoi dans le cadre d’un décès intervenu après le 17 août 2015

3417 Le règlement (UE) n° 650/2012 assure une convergence des règles de conflit de lois. Il ne peut donc pas y avoir de cas de renvoi entre les États membres.

Le renvoi ne peut plus se présenter qu’en présence d’un État tiers.

Le règlement encadre ces cas de renvoi. Son article 34 dispose en effet :

« 1. Lorsque le présent règlement prescrit l’application de la loi d’un État tiers, il vise l’application des règles de droit en vigueur dans cet État, y compris ses règles de droit international privé, pour autant que ces règles renvoient :

à la loi d’un État membre ; ou

à la loi d’un autre État tiers qui appliquerait sa propre loi ».

Le règlement prévoit deux hypothèses :

celle du renvoi à la loi d’un État membre.

Dans ce cas, le renvoi peut être appliqué jusqu’au deuxième degré. Le jeu du renvoi peut ainsi aboutir à une application tant de la loi matérielle du for que de celle d’un autre État membre ;

celle du renvoi à la loi d’un État tiers qui accepte sa compétence.

Il n’y a alors pas de difficulté. C’est la loi matérielle de cet État tiers qui est appliquée.

Il existe cependant plusieurs exceptions à ce principe, visées par le 2 : « 2. Aucun renvoi n’est applicable pour les lois visées à l’article 21, paragraphe 2, à l’article 22, à l’article 27, à l’article 28, point b), et à l’article 30 ».

Il résulte des termes l’article 34 du règlement n° 650/2012, et plus généralement de l’analyse qui précède dans ce rapport que le renvoi ne trouvera pas application dans cinq cas :

en présence d’une loi de police545 ;

lorsque la loi désignée est celle d’un État tiers, et que celui-ci n’accepte pas sa compétence546 ;

en matière de validité des actes juridiques547 ;

lorsque la loi désignée l’a été au moyen de l’utilisation de la clause d’exception548 ;

quand le défunt a réalisé un choix de loi549.

Lorsque l’État tiers n’accepte pas sa compétence, une analyse plus approfondie s’impose. En effet, la réaction de l’État qui subit le rejet du renvoi doit être prise en compte.

Deux cas de figure sont alors à envisager :

l’État qui subit le rejet du renvoi prévu par l’article 34 du règlement accepte sa compétence de manière subsidiaire.

À titre d’exemple, la Grande-Bretagne renvoie la compétence à la loi française pour les immeubles, la France rejette le renvoi du fait de l’application de l’article 34, pour le cas où le défunt a réalisé une professio juris. La Grande-Bretagne acceptera de traiter l’intégralité de la succession du défunt du fait qu’elle accepte sa compétence de manière subsidiaire dans les situations de blocage.

Il n’y a alors pas de problème. On notera que l’article 34 assure ainsi son objectif d’unicité de la succession ;

l’État qui subit le rejet du renvoi prévu par l’article 34 du règlement rejette sa compétence, car il n’est pas prévu de compétence subsidiaire dans son ordre juridique.

Sur le fondement de la théorie du forum necessitatis, il sera alors permis à la loi française de trouver application en vertu de la compétence subsidiaire du for que prévoit le règlement.

Cette analyse invite à considérer que le renvoi n’est pas un mécanisme obligatoire. Il doit être écarté lorsqu’il aboutit à une rupture du principe d’unité dont dispose le règlement (UE) n° 650/2012.

Le professeur Johanna Guillaumé estime que « de la même façon que le juge français ne fait jouer le renvoi que s’il parvient à atteindre un certain résultat matériel, le juge ou le notaire qui applique le règlement ne devrait le faire jouer que s’il permet de respecter l’unité juridictionnelle et législative, d’une part, et l’unité de la loi applicable, d’autre part »550. Il y a lieu de noter que le considérant 57 du règlement poursuit l’objectif d’éviter le dépeçage de la succession et précise qu’il y a lieu « d’accepter ce renvoi, afin de garantir une cohérence au niveau international ».

C/ Le renvoi en matière successorale : droit comparé

3418 Mme Mariel Revillard précise qu’il ressort soit de la législation interne, soit de la jurisprudence locale des États concernés, que le renvoi est :

exclu par les États suivants : Algérie, Brésil, Canada, Québec, Chine, Danemark, Égypte, Émirats arabes unis, Grèce*, Irak, Jordanie, Koweït, Liban, Libye, Maroc, Norvège, Pays-Bas*, Pérou, République dominicaine, Somalie, Soudan, Suède*, Syrie, Tunisie ;

admis au premier degré dans les États suivants : Albanie, Argentine, Belgique*, Congo, Cuba, Espagne*, Estonie*, Hongrie*, Japon, Liechtenstein, Lituanie*, Luxembourg*, Mexique, Pologne*, Portugal*, Roumanie*, Russie, Sénégal, Suisse, Thaïlande, Togo, Vietnam ;

admis au premier et au second degré dans les États suivants : les États membres** adhérant au règlement (UE) n° 650/2012, l’Allemagne*, l’Autriche*, le Burkina Faso, la Finlande*, la France*, l’Italie*, le Royaume-Uni, la Turquie, le Venezuela.

* Avant l’entrée en application du règlement  (UE) n° 650/2012.

** Depuis l’entrée en application du règlement  (UE) n° 650/2012.

Pour certains États, le renvoi n’est admis que dans certaines conditions uniquement, il convient donc par prudence de se reporter à son ouvrage551.

C’est au moyen de l’ensemble des règles de qualification et de conflit qui viennent d’être exposées que la loi matérielle applicable à la succession peut être déterminée.

Si le raisonnement aboutit à l’application de la loi française, le notaire, après avoir fait l’exposé de la détermination de la loi applicable ayant conduit à l’application de la loi française, devra utiliser les règles successorales bien connues de la pratique notariale pour déterminer qui sont les héritiers du défunt. Il n’y a alors aucune difficulté dans cette situation.

En revanche, lorsque le raisonnement conflictuel mené à son terme aboutit à la désignation d’une loi matérielle étrangère, il conviendra de vérifier la compatibilité de celle-ci avec l’ordre public du for.

§ III – L’application de la loi matérielle étrangère : la question de l’ordre public international

3419 Dans l’hypothèse où la loi matérielle devant s’appliquer à la succession du défunt est une loi étrangère, le notaire sera confronté à la recherche du contenu de celle-ci.

Une fois le contenu de celle-ci appréhendé, le notaire français devra s’assurer que ce contenu ne heurte pas l’ordre public du for.

Il est ici primordial de rappeler que l’ordre public international ne doit pas être confondu avec l’ordre public de droit interne. En droit interne, l’expression « règles d’ordre public » vise des règles d’application impérative, auxquelles les parties ne peuvent pas se soustraire conventionnellement.

L’article 35 du règlement (UE) n° 650/2012, dispose : « L’application d’une disposition de la loi d’un État désignée par le présent règlement ne peut être écartée que si cette application est manifestement incompatible avec l’ordre public du for ».

Le considérant 50 du présent règlement apporte la précision suivante : « La loi qui, en vertu du présent règlement, régira la recevabilité et la validité au fond d’une disposition à cause de mort ainsi que, en ce qui concerne les pactes successoraux, les effets contraignants d’un tel pacte entre les parties, devrait être sans préjudice des droits de toute personne qui, en vertu de la loi applicable à la succession, peut prétendre à une réserve héréditaire ou jouit d’un autre droit dont elle ne peut être privée par la personne dont la succession est concernée ».

Il convient de noter que le règlement vise indifféremment les dispositions de toutes lois étrangères, qu’il s’agisse de celles d’un État membre ou celles d’un État tiers. Il est également possible d’en déduire que l’application de la loi étrangère doit être appréciée au regard du respect de l’ordre public international du for indifféremment selon qu’elle ait été choisie par le défunt (dans le cadre d’un choix de loi) ou qu’elle résulte de l’application de l’élément de rattachement s’appliquant en l’absence de choix.

Dans une opération d’estate planning, l’opportunité de l’utilisation de la professio juris au profit d’une loi étrangère devra donc être appréciée notamment au regard de l’ordre public international du pays dans lequel cette loi a vocation à produire des effets.

En pratique, il sera rare que la loi d’un État membre heurte l’ordre public international d’un autre État membre.

En effet, d’une part, les États membres, parce qu’ils sont membres de l’Union européenne, bien que présentant de nombreuses différences, sont régis par les mêmes grands principes qui assurent de fait une certaine harmonisation des concepts culturels, politiques et sociologiques au sein de ce groupe. Ils ont notamment tous adhéré à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et sont tous parties à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

D’autre part, le règlement (UE) n° 650/2012 assure une convergence entre le for et le jus, en ce qu’il réalise une unité entre la compétence de juridiction et la loi applicable. Ce qui par là même réduit considérablement le jeu de l’exception de l’ordre public entre États membres.

La réaction de l’ordre public est plus fréquente lorsque la loi matérielle applicable s’avère être celle d’un État tiers. Plus les valeurs fondamentales dont dispose la loi applicable sont éloignées de celles du for, plus le seuil de réaction de l’ordre public international du for est bas.

En matière successorale, dans les cas où la loi étrangère semble faire réagir l’ordre public international français, le notaire peut avoir à mener plusieurs analyses.

A/ Rejet d’une loi matérielle qui viendrait contrarier l’ordre juridique du for

3420 Lorsque la loi étrangère est reconnue compétente, et que son contenu contrarie l’ordre public international français, elle peut être écartée.

C’est l’exception d’ordre public international.

Ce mécanisme d’éviction ne peut jouer :

qu’à l’issue du raisonnement conflictuel ;

qu’au profit de l’application de la loi matérielle française ;

que de façon exceptionnelle après qu’une appréciation in concreto du résultat découlant de l’application de la loi matérielle étrangère a été réalisée ;

et par voie de conséquence, elle ne joue que contre le résultat qui découle de la loi matérielle étrangère applicable et non contre la loi étrangère elle-même.

L’exception d’ordre public international est une construction jurisprudentielle ; elle impose aux juges et, par voie de conséquence, selon l’esprit du règlement (UE) n° 650/2012, à la juridiction saisie ou au notaire552en charge du règlement de la succession, un travail d’évaluation de l’atteinte à l’ordre public que provoquerait l’application de la loi étrangère.

Il faut rappeler que, selon l’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ».

Ainsi, le droit français reconnaît :

le principe d’égalité des époux553 ;

le principe d’égalité des parents554 ;

le principe du droit à une filiation555 ;

le principe d’ordre public alimentaire556 ;

le principe d’indisponibilité de l’état des personnes557.

Également, comme à l’occasion de l’arrêt Mazurek558rendu en matière successorale, il peut être retenu pour fondement l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit toute distinction fondée notamment sur « le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».

Est également admise à faire jouer l’exception d’ordre public l’application de lois étrangères aboutissant à des situations faisant état de discriminations liées à la race, au sexe559, ou à la religion560.

Parfois le notaire peut avoir à mener une analyse différente.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, il semble prudent d’utiliser le mécanisme de l’exception d’ordre public international dans les cas suivants :

succession dans laquelle le défunt est musulman, si la loi matérielle étrangère aboutit à exhéréder les héritiers non-musulmans par application du privilège de religion applicable dans cet État ;

succession dans laquelle le défunt est musulman, si la loi matérielle étrangère aboutit à allotir dans une moindre proportion les héritiers de sexe féminin, sauf prise en compte de l’atténuation de l’ordre public international dont il sera question ci-après ;

succession appliquant le droit d’aînesse : idem.

B/ Accueil dans certaines circonstances des effets d’une loi matérielle jugée habituellement contraire à l’ordre public international du for : l’ordre public atténué

3421 Dans certaines circonstances fondées sur le principe de la continuité du statut juridique des personnes dont la situation a déjà été tranchée, le résultat de la loi applicable pourtant contraire à l’ordre public international du for ne sera pas écarté.

C’est l’ordre public atténué ou l’ordre public de proximité.

Cet effet atténué consiste à dire que l’ordre public peut ne pas s’opposer à l’effet en France de situations créées à l’étranger alors qu’il s’opposerait à la création de ces situations en France.

Cet effet atténué revient à considérer que l’ordre public français peut ne pas s’opposer à l’effet de situations ayant régulièrement pris naissance à l’étranger, bien qu’il s’opposerait à la création de ces situations sur le territoire français.

Cet effet atténué est consacré par l’arrêt Rivière561dans l’un de ses attendus : « La réaction à l’encontre d’une disposition contraire à l’ordre public n’est pas la même suivant qu’elle met obstacle à l’acquisition d’un droit en France ou suivant qu’il s’agit de laisser produire en France les effets d’un droit acquis, sans fraude, à l’étranger et en conformité de la loi ayant compétence en vertu du droit international privé français ».

L’ordre public atténué ne peut jouer qu’exceptionnellement et à trois conditions :

il s’agit d’un droit acquis sans fraude ;

à l’étranger ;

et en conformité par rapport à la loi applicable selon le droit français.

Dans une autre matière, la Cour de cassation a accepté que la seconde épouse d’un mariage polygame obtienne une pension alimentaire alors que le mariage polygamique est interdit en France : « Lorsqu’il s’agit de reconnaître des droits acquis à l’étranger, l’effet de la situation qui y a déjà produit ses effets est moins perturbateur pour l’ordre juridique français. Dans ce cas, seul un degré élevé de contrariété de la loi étrangère aux conceptions françaises justifie une intervention de l’ordre public. Celui-ci produit alors un effet atténué, cette moindre réaction étant, notamment, fonction du temps passé entre la situation juridique cristallisée à l’étranger et la reconnaissance en France de ses effets ».

L’intervention de l’ordre public international nécessite des liens de rattachement suffisants entre le for et la situation juridique en présence. Lorsque la première chambre civile se réfère à la nationalité française ou à la résidence habituelle sur le territoire français de l’une des parties, elle pose le principe d’une exigence de proximité.

La Cour de cassation a ainsi jugé562que l’ordre public international ne s’oppose pas à l’acquisition de droits en France à l’occasion d’un mariage polygamique valablement célébré à l’étranger, alors qu’un tel mariage serait interdit en France, alors même que la conception française de l’ordre public international « s’oppose à ce que le mariage polygamique contracté à l’étranger par celui qui est encore l’époux d’une Française produise ses effets à l’encontre de celle-ci »563.

À la lumière de ce qui vient d’être développé, il semble qu’il puisse être préconisé de façon innovante, en matière successorale, d’utiliser de l’ordre public international atténué, dans le cas suivant :

– succession dans laquelle le défunt est musulman, la loi matérielle étrangère aboutit à allotir dans une moindre proportion les héritiers de sexe féminin, à la condition qu’il n’y ait pas eu rupture des liens patrimoniaux et familiaux de l’héritier de sexe féminin avec le pays musulman.

Les critères pris en compte pour mesurer le caractère acceptable de l’application de loi étrangère en France seront :

la géolocalisation du centre des intérêts de vie de la personne en cause ;

la densité des liens avec la France ;

et les mesures prises à l’intérieur du système juridique étranger pour corriger l’inégalité successorale (dot, donations, vocation successorale supplémentaire inconnue du droit français…).

L’analyse de l’ensemble de ces situations, notions et grands principes induit que l’ordre public international, s’il permet d’accueillir un effet d’une loi étrangère dans sa version atténuée, ou d’évincer celui-ci lorsqu’il est fait utilisation de l’exception dont il dispose, est amené à évoluer au fil du temps, notamment parce que la société et les mœurs changent.

Au cœur de ces changements, en matière successorale, la position de l’ordre public international vis-à-vis de la réserve héréditaire fut récemment sujet d’actualité.

C/ Ordre public international et réserve héréditaire

3422 À l’occasion de deux décisions du 27 septembre 2017564, la Cour de cassation affirme, mettant fin à une controverse doctrinale, que la réserve héréditaire ne fait pas partie de l’ordre public international français.

Dans une situation internationale, le résultat d’une loi étrangère applicable à une succession ne saurait donc être écarté au seul motif que cette loi ne connaît pas la réserve.

Cette décision s’inscrit dans le prolongement de la brèche qu’avait ouverte en France la réforme du droit des successions du 23 juin 2006, instituant la possibilité pour les futurs héritiers de formuler une action en renonciation anticipée à l’action en réduction.

Le règlement (UE) n° 650/2012, quant à lui, prévoit dans son article 35 que la loi étrangère déterminée à l’issue du conflit de lois ne peut être écartée que si elle est « manifestement » incompatible avec l’ordre public international de l’État dans lequel cette loi doit être appliquée.

Cette disposition du règlement traduit clairement la volonté du législateur européen d’éviter l’éviction de la loi étrangère au seul motif qu’elle ignore la réserve héréditaire.

Ainsi, il semble possible de déduire des ces décisions que :

les étrangers qui vivent en France ou les Français qui s’installent à l’étranger ont potentiellement plus de liberté testamentaire que les Français résidant sur notre territoire ;

qu’à l’avenir, la professio juris, dans le cadre d’une succession soumise à la loi française, pourra être utilisée par les binationaux ou les étrangers comme un moyen de contournement de la réserve héréditaire.

Il convient néanmoins d’analyser ces deux décisions, pour y apporter prudence et tempérament.

Les deux décisions traitent de cas similaires :

Il s’agit d’un Français installé depuis plusieurs dizaines d’années aux États-Unis, en Californie, ayant constitué un trust dans lequel il loge l’intégralité de son patrimoine composé de biens situés en France et aux États-Unis, et dont il désigne pour bénéficiaire sa dernière épouse, qui s’avère ne pas être la mère de ses enfants qui sont majeurs au moment de son décès.

Au décès de ce dernier, les enfants sont privés de tous droits successoraux du fait de l’application de la loi californienne. Ils contestent de ce fait les dispositions prises par le défunt, s’estimant lésés.

Dans leur pourvoi, les enfants soutiennent notamment que la loi désignée par la règle française de conflit de lois, à savoir la loi successorale de Californie, loi du dernier domicile du défunt, est contraire à l’ordre public international français car elle ignore la réserve.

La Cour de cassation écarte cet argument pour le motif suivant : « Attendu qu’une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels », et la cour d’ajouter que : « Les parties ne soutiennent pas se trouver dans une situation de précarité économique ou de besoin ».

Appliquant un raisonnement qui semble se rattacher à la notion d’ordre public atténué, la Cour de cassation encadre l’application d’une loi étrangère ayant pour résultat une atteinte à la réserve héréditaire :

l’atteinte à la réserve ne doit pas s’accompagner de la violation d’un principe du droit français considéré comme essentiel ;

les juges motivent leur décision en indiquant que l’installation du défunt en Californie était « ancienne et durable », et par là même excluent le cas de l’application d’une loi étrangère résultant d’une fraude ;

la privation de l’application de la réserve doit mettre les héritiers « dans une situation de précarité ou de besoin ».

Il semble alors légitime de devoir se poser un certain nombre de questions :

la Cour de cassation rend une décision en présence d’héritiers majeurs, celle-ci aurait-elle été identique en présence d’héritiers mineurs ?

qu’est-ce qu’une situation précaire ? Comment apprécie-t-on le niveau de besoin ? Quelle est la conséquence s’il y a apparition d’une situation précaire : réinstaure-t-on la réserve ?

comment devient-on en état de dépendance économique ? Celle-ci doit-elle être une conséquence directe de la succession, ou peut-elle lui préexister ?

à qui incombent la recherche et l’appréciation de cet état de dépendance ? Le notaire doit-il se livrer à l’exercice périlleux que représente cette appréciation ?

Dans l’affirmative, il appartiendrait à ce dernier de devoir rechercher dans la loi étrangère désignée s’il existe un seuil financier défini en deçà duquel une personne est considérée dans le besoin ou dans une situation précaire.

Certains États disposent d’éléments de référence pouvant servir d’indices (par ex., loi californienne : family provisions ; loi britannique : provision for dependents, etc.)

En l’absence de telles références, une solution pourrait consister à demander un affidavit à un professionnel étranger dans lequel il serait établi que, dans tel ou tel cas qui a été jugé, il a été décidé par la cour que le seuil était de tel ou tel montant.

Pour conclure, en matière de réserve héréditaire, lorsque la loi matérielle française successorale est applicable, les héritiers spoliés par un legs auront une action en réduction.

Lorsque la loi étrangère est applicable, les héritiers auront une action en aliments contre les légataires.

3423

Illustration

M. A est britannique. Il laisse un testament (que l’on supposera valable en la forme) dans lequel il institue Mlle B, sa concubine, comme légataire universelle. Il a deux enfants d’un premier lit. Il est propriétaire d’un immeuble en France. Il réside habituellement à Londres lors de son décès intervenu le 4 août 2018.

Hypothèse 1

M. A n’a pas fait de professio juris. À l’issue du raisonnement conflictuel, il y a aura lieu d’appliquer à l’immeuble français la loi française.

Le notaire devra donc dans ses actes faire un exposé relatant le raisonnement ayant abouti à la détermination des lois applicables à la succession de M. A. Il donnera application au legs de M. A au profit de Mlle  B et avertira la veuve du risque d’action en réduction du legs par les enfants de M. A privés de leur réserve héréditaire.

L’application de la loi française aboutit à une potentielle action en réduction du legs pour atteinte à la réserve.

Hypothèse 2

M. A a fait une professio juris au profit de la loi britannique. À l’issue du raisonnement conflictuel, il y a aura lieu d’appliquer à l’immeuble français la loi britannique.

Le notaire devra donc dans ses actes faire un exposé relatant le raisonnement ayant abouti à la détermination de la loi applicable à la succession de M. A. Il donnera application au legs de M. A au profit de Mlle  B et avertira la veuve du risque « d’action en aliments » par les enfants de M. A dans l’hypothèse où la privation de leur réserve héréditaire les mettrait dans « une situation de précarité ou de besoin ».


487) N. Nord, Ordre public et loi de police en droit international privé, thèse dactyl. Strasbourg III, 2003, spéc. § 14, p. 9. Thèse disponible à l’adresse suivante : http://cdpf.unistra.fr.
488) Francescakis, Rép. dr. int. Dalloz, 1969, V° Conflits de lois (principes généraux), n° 122 ; Quelques précisions sur les lois d’application immédiate : Rev. crit. DIP 1966, 1, spéc. p. 12-13 ; Lois d’application immédiate et règles de conflit : Rev. crit. DIP 1967, p. 691 ; Y a-t-il du nouveau en matière d’ordre public ?, Travaux comité fr. DIP, 1966-1969, p. 149 et s., spéc. p. 165.
489) Il faut cependant noter que les mécanismes de loi de police et d’exception d’ordre public international ne se confondent pas. Sur cette distinction, V. N. Nord, Ordre public et loi de police en droit international privé, thèse préc.
490) Francescakis, Rép. dr. int. Dalloz, préc., spéc. n° 137 ; Y a-t-il du nouveau en matière d’ordre public ?, communication préc., spéc. p. 165. D’autres auteurs ont pu retenir d’autres définitions des lois de police. À titre d’illustration, peut être citée la définition de Pierre Mayer pour qui les lois de police sont des « règles impératives qui, selon le droit du pays dont elles émanent, sont applicables quelle que soit la loi désignée par la règle de conflit de ce pays » : P. Mayer, Rép. dr. int. Dalloz, V° Lois de police, n° 1.
491) Cass. 1re civ., 10 oct. 2012 : JCP G 2012, 1368, note L. Perreau-Saussine ; JCP N 2013, n° 13, 1069, note S. Godechot-Patris ; JDI 2013, p. 119, concl. P. Chevalier, note E. Fongaro ; RD rur. 2013, n° 412, comm. 77, J. Foyer.
492) Sur la justification de ce choix, Hélène Péroz et Éric Fongaro précisent : « Certains auteurs ont souligné qu’il y a plus d’avantages à une scission de la règle de conflit en matière de succession internationale. Pour Jacques Héron, la succession peut être abordée sous deux angles. Dans la liaison horizontale, les héritiers succèdent au patrimoine de leur auteur, c’est donc l’ensemble des biens qui doit être pris en compte, ce qui tend à désigner une loi unique applicable à l’ensemble du patrimoine. La liaison verticale met en évidence la cohérence du règlement de la succession dans un ordre juridique, de la détermination des successibles, jusqu’à son partage. Il faut alors raisonner bien par bien afin de respecter cette cohérence dans le règlement de la succession et accepter le morcellement de la succession. Selon, l’auteur, le respect de la liaison verticale, doit être préféré à celui de la liaison horizontale, et doit donc conduire pour les immeubles à l’application de la lex rei sitae. Le système de la scission est donc privilégié, même si on reconnaît les risques d’incohérence auxquels il peut conduire ». V. supra, n° a3360.
493) Cass. civ., 19 juin 1939 : DP 1939, 1, 97, note L.-P. ; S. 1940, 1, 49, note Niboyet ; Rev. crit. DIP 1939, 481, note Niboyet.
494) C. civ., art. 528.
495) V. supra, n° a3361.
496) Cass. 1re civ., 7 déc. 2005, n° 02-15.418 : Bull. civ. 2005, I, n° 484.
497) V. supra, no a3221.
498) A. Martin-Serf, Du domicile à la résidence : RTD civ. 1978, 535.
499) C. civ., art. 3, al. 2 : « Les immeubles, même ceux possédés par les étrangers, sont régis par la loi française ».
500) Cass. civ., 14 mars 1837. V. aussi not. Cass. 1re civ., 21 mars 2000, n° 98-15.650 : Bull. civ. 2000, I, n° 96. – Cass. 1re civ., 20 juin 2006, n° 05-14.281 : Bull. civ. 2006, I, n° 321.
501) En ce sens : arrêt de principe Caraslanis, Cass. 1re civ., 22 juin 1955 : GAJFDIP, n°27.
502) Cass. ass. plén., 15 avr. 1988, nos 85-10.262 et 85-11.198 : Bull. civ. 1988, ass. plén., n° 4, p. 5.
503) Rev. crit. DIP 2012, 691, note 34.
504) Defrénois, 9e éd. 2018, p. 656, nos 1124 et s.
505) V., sur ce point, N. Nord, Quelles limites dans l’optimisation d’une succession internationale ? : Dr. et patrimoine 2013, n° 226, p. 56 et s., spéc. p. 57-58 et, pour un traitement approfondi de cette question, N. Nord, Les lois de police, une conception classique ou restrictive ? : Dr. et patrimoine 2014, n° 236, p. 56 et s.
506) S. Godechot-Patris, Le nouveau droit international privé des successions : entre satisfactions et craintes : D. 2012, p. 2462 et s., spéc. p. 2467. – N. Nord, Les lois de police, une conception classique ou restrictive ? : Dr. et patrimoine 2014, n° 236, p. 56 et s., spéc. p. 56.
507) Règl. (UE) n° 650/2012, consid. 54 : « En raison de leur destination économique, familiale ou sociale, certains biens immobiliers, certaines entreprises et d’autres catégories particulières de biens font l’objet, dans l’État membre de leur situation, de règles spéciales imposant des restrictions concernant la succession portant sur ces biens ou ayant une incidence sur celle-ci. Le présent règlement devrait assurer l’application de ces règles spéciales. Toutefois, cette exception à l’application de la loi applicable à la succession requiert une interprétation stricte afin de rester compatible avec l’objectif général du présent règlement. Dès lors, ne peuvent être considérées comme des dispositions spéciales imposant des restrictions concernant la succession portant sur certains biens ou ayant une incidence sur celle-ci ni les règles de conflits de lois soumettant les biens immobiliers à une loi différente de celle applicable aux biens mobiliers, ni les dispositions prévoyant une réserve héréditaire plus importante que celle prévue par la loi applicable à la succession en vertu du présent règlement ».
508) N. Nord, Quelles limites dans l’optimisation d’une succession internationale ? : Dr. et patrimoine 2013, n° 226, p. 56 et s., spéc. p. 57 et 58.
509) V., en ce sens, N. Nord, Quelles limites dans l’optimisation d’une succession internationale ? : Dr. et patrimoine 2013, n° 226, p. 56 et s., spéc. p.  et 58. – L. Perreau-Saussine, Les règles relatives aux attributions préférentielles sont des lois de police, note ss Cass. 1re civ., 10 oct. 2012 : JCP G 2012, 1368.
510) Sur cette question, V. N. Nord, Les lois de police, une conception classique ou restrictive ? : Dr. et patrimoine 2014, n° 236, p. 56 et s. Pour M. Nord, seul l’article 30 permet la mise en œuvre de loi de police en matière de successions (V. spéc. p. 59 et 60).
511) Sur la résidence habituelle, V. infra, n° a3407.
512) J. Gasté et X. Ricard, Questions-réponses pratiques : Defrénois 14 sept. 2017, n° 18, pratique.
513) Convention signée uniquement, cependant sans incidence du fait que l’Italie est un État membre du règlement (UE) n° 650/2012 qui reprend dans son article 27 les dispositions de l’article 1 de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961.
514) Convention signée uniquement, cependant sans incidence du fait que la Pologne est un État membre du règlement (UE) n° 650/2012 qui reprend dans son article 27 les dispositions de l’article 1 de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961.
515) V. infra, n° a3402.
516) Extension jurisprudentielle allemande des dispositions de l’article 2084 du BGB, selon laquelle il conviendra de préférer en cas de pluralité d’interprétations d’une disposition testamentaire laissant planer un doute sur un choix de loi, celle permettant de retenir la validité et l’efficacité de la disposition (BGB, § 2084 : « lässt der inhalt einer letztwilligen verfügung verschiedene auslegung zu, soi st im zweifel diejenige auslegung vorzuziehen, bei welcher die verfügung erfolg haben kann »).
517) M. Goré : Defrénois 30 août 2012, nos 15-16, p. 762.
518) C’est l’hypothèse du conflit mobile.
519) V. infra, n° a3407.
520) V. infra, n° a3408.
521) C. civ., art. 1130 ancien.
522) Pour les sociétés civiles : C. civ., art. 1870 ; pour les sociétés en nom collectif : C. com., art. L. 221-15 ; pour les sociétés en commandite simple : C. com., art. L. 222-10, al. 2.
523) C. civ., art. 1873-3.
524) L’article 1048 du Code civil dispose qu’« une libéralité peut être grevée d’une charge comportant l’obligation pour le donataire ou le légataire de conserver les biens ou droits qui en sont l’objet et de les transmettre, à son décès, à un second gratifié, désigné dans l’acte ».
525) L’article 1057 du Code civil prévoit qu’« il peut être prévu dans une libéralité qu’une personne sera appelée à recueillir ce qui subsistera du don ou legs fait à un premier gratifié à la mort de celui-ci ».
526) Règl. (UE) n° 650/2012, consid. 23 : « Compte tenu de la mobilité croissante des citoyens et afin d’assurer une bonne administration de la justice au sein de l’Union et de veiller à ce qu’un lien de rattachement réel existe entre la succession et l’État membre dans lequel la compétence est exercée, le présent Règlement devrait prévoir que le facteur général de rattachement aux fins de la détermination, tant de la compétence que de la loi applicable, est la résidence habituelle du défunt. Afin de déterminer la résidence habituelle, l’autorité chargée de la succession, devrait procéder à une évaluation d’ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt d’ans l’État concerné, ainsi que les conditions et les raisons de cette présence. La résidence habituelle ainsi déterminée devrait révéler un lien étroit et stable avec l’État concerné, compte tenu des objectifs spécifiques du présent Règlement ».
527) Règl. (UE) n° 650/2012, consid. 24 : « Dans certains cas, il peut s’avérer complexe de déterminer la résidence habituelle du défunt. Un tel cas peut se présenter, en particulier, lorsque, pour des raisons professionnelles ou économiques, le défunt était parti vivre dans un autre État pour y travailler, parfois pendant une longue période, tout en ayant conservé un lien étroit et stable avec son État d’origine. Dans un tel cas, le défunt pourrait, en fonction des circonstances de l’espèce, être considéré comme ayant toujours sa résidence habituelle, dans son État d’origine, dans lequel se trouvait le centre des intérêts de sa vie familiale et sociale. D’autres cas complexes peuvent se présenter lorsque, le défunt vivait de façon alternée dans plusieurs États ou voyageait d’un État en un autre sans s’être installé de façon permanente dans un État. Si le défunt était ressortissant de l’un de ses États ou y avait l’ensemble de ses principaux biens, sa nationalité ou le lieu de situation de ces biens pourrait constituer un critère particulier pour l’appréciation globale de toutes les circonstances de fait ».
528) Le considérant 25 du règlement (UE) n° 650/2012 est relatif à la loi applicable à la succession. Il est toutefois intéressant d’en prendre connaissance, la détermination de la résidence habituelle étant l’élément de rattachement pertinent pour déterminer la loi applicable en vue d’assurer l’unité des compétences juridictionnelle et législative. Ainsi, ce considérant énonce : « En vue de déterminer la loi applicable à la succession, l’autorité chargée de la succession peut, dans des cas exceptionnels où, par exemple, le défunt s’était établi dans l’État de sa résidence habituelle relativement peu de temps avant son décès et que toutes les circonstances de la cause indiquent qu’il entretenait manifestement des liens plus étroits avec un autre État, parvenir à la conclusion que la loi applicable à la succession ne devrait pas être la loi de l’État de résidence habituelle du défunt mais plutôt celle de l’État avec lequel le défunt entretenait manifestement des liens plus étroits. Les liens manifestement les plus étroits ne devraient toutefois pas être invoqués comme facteur de rattachement subsidiaire dès que la détermination de la résidence habituelle du défunt au moment de son décès s’avère complexe ».
529) Conv. La Haye, art. 3 : « La succession est régie par la loi de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès, lorsque le défunt possédait alors la nationalité de cet État » ; « La succession est également régie par la loi de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès, s’il avait résidé dans cet État pendant une période d’au moins cinq ans précédant immédiatement son décès (…) ».
530) Sur la notion de résidence habituelle en matière successorale : M. Da Lozzo, Vers une spécialisation de la notion de résidence habituelle: les précisions du nouveau règlement succession (www.gdr-elsj.eu/2012/08/15/cooperation-judiciaire-civile/vers-une-specialisation-de-la-notion-de-residence-habituelle-les-precisions-du-nouveau-reglement-successions/).
531) Sur l’impossibilité de transposer la définition de la notion de « résidence habituelle » d’une matière à une autre, V. CJCE, 2 avr. 2009, aff. C-523/07, spéc. pts 36-39 : « La jurisprudence de la Cour relative à la notion de résidence habituelle dans d’autres domaines du droit de l’Union européenne (…) ne saurait être directement transposée dans le cadre de l’appréciation de la résidence habituelle des enfants, au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement. La “résidence habituelle” de l’enfant, au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement, doit être établie sur la base d’un ensemble de circonstances de fait particulières à chaque cas d’espèce. Outre la présence physique de l’enfant dans un État membre, doivent être retenus d’autres facteurs susceptibles de faire apparaître que cette présence n’a nullement un caractère temporaire ou occasionnel et que la résidence de l’enfant traduit une certaine intégration dans un environnement social et familial. Doivent être notamment pris en compte la durée, la régularité, les conditions et les raisons du séjour sur le territoire d’un État membre et du déménagement de la famille dans cet État, la nationalité de l’enfant, le lieu et les conditions de scolarisation, les connaissances linguistiques ainsi que les rapports familiaux et sociaux de l’enfant dans ledit État ». Sur cet arrêt, V. not. Ph. Guez : Gaz. Pal. 2009, nos 331-332, p. 15.
532) J. Gasté et X. Ricard, Règlement Successions : les questions à se poser : Defrénois 14 sept. 2017, n° 18, p. 15 et s.
533) Pouvoir discrétionnaire du juge dans les pays de common law de décliner sa compétence s’il estime ne pas être le juge le mieux placé pour statuer sur un litige international. Ce principe du forum non conveniens, fondé sur la recherche du for de proximité, a notamment été consacré par l’arrêt Spiliada. Certains auteurs voient en lui un instrument de correction des règles de compétence juridictionnelle ou encore une arme anti forum shopping. Sur le forum non conveniens, V. C. Chalas, L’exercice discrétionnaire de la compétence juridictionnelle en droit international privé, PUAM, 2000, p. 346 et 753.
534) Cass. 1re civ., 20 mars 1985. – Ph. Francescakis, Rép. dr. int. Dalloz, V° Fraude à la loi, n° 6. – B. Audit : JCl. Droit international, Fasc. 535. – G. Droz et M. Revillard : JCl. Droit international, op. cit., Fasc. 557-10, nos 99 et s.
535) En français : planification patrimoniale.
536) V. infra, n° a3422.
537) Droit international privé, LGDJ/Lextenso, 6e éd., p. 291, n° 391.
538) Cass. civ., 24 juin 1878, Forgo : DP 1879, I, 56 ; S. 1878, I, 429 ; GAJFDIP, 5e éd. 2006, nos 7-8, B. Ancel et Y. Lequette.
539) Par opposition au conflit positif dans lequel chaque État en présence dispose d’un élément de rattachement lui donnant compétence. Il n’y a alors pas de problème de renvoi. L’autorité saisie appliquera purement et simplement sa loi matérielle de son ordre juridique.
540) Cass. 1re civ., 11 févr. 2008, Horace et Charles Riley c/ Richard Riley : D. 2009, p. 1658, note G. Lardeux ; AJF 2009, p. 356, obs. A. Boiché. En matière de succession immobilière, le renvoi opéré par la loi de la situation de l’immeuble ne peut être admis que s’il assure l’unité de la succession et l’application d’une même loi aux meubles et aux immeubles.
541) Cass. 1re civ., 23 juin 2010, n° 09-11.901, PS-P+B+L : Defrénois 2010, 1805, note P. Callé ; JCP N 2010, 1308, note A. Devers ; JDI 2010, 1263, note M. Péroz.
542) Cass. 1re civ., 15 mai 2018, n° 17-11.571.
543) Cass. civ., 7 mars 1938, de Marchi Della Costa : Rev. crit. DIP 1938, p. 472, note H. Batiffol.
544) V. Batiffol et Lagarde, t. I, n° 308.
545) V. supra, nos  a3379 et a3388.
546) Art. 34-1, b) a contrario.
547) Disposition à cause de mort, déclaration concernant l’acceptation ou la renonciation à une succession.
548) Il serait alors incohérent de faire jouer le renvoi, qui aboutirait probablement à désigner la loi d’un autre État présentant des liens moins étroits. Les impératifs de proximité justifiant le jeu de la clause d’exception seraient alors anéantis.
549) Le choix de loi porte nécessairement sur la loi matérielle du système choisi. V. infra, n° a3389.
550) J. Guillaumé, Le droit international privé en tableaux, Ellipses, coll. « Le droit en fiches et en tableaux », 2017, p. 353, tableau 168.
551) M. Revillard, Droit international privé et européen : pratique notariale, préf. P. Lagarde, Defrénois, 9e éd. 2018, p. 649, 1118.

552) Le notaire assimilé à une juridiction : Règl. (UE) n° 650/2012, art. 3-2 : « Aux fins du présent règlement, le terme “juridiction” désigne toute autorité judiciaire, ainsi que toute autre autorité et tout professionnel du droit compétents en matière de successions qui exercent des fonctions juridictionnelles ou agissent en vertu d’une délégation de pouvoirs d’une autorité judiciaire ou sous le contrôle d’une autorité judiciaire, pour autant que ces autres autorités et professionnels du droit offrent des garanties en ce qui concerne leur impartialité et le droit de toutes les parties à être entendues, et que les décisions qu’ils rendent en vertu du droit de l’État membre dans lequel ils exercent leurs fonctions :

a) puissent faire l’objet d’un recours devant une autorité judiciaire ou d’un contrôle par une telle autorité ; et

b) aient une force et un effet équivalents à une décision rendue par une autorité judiciaire dans la même matière.

Les États membres notifient à la Commission les autres autorités et professionnels du droit visés au premier alinéa conformément à l’article 79 ».

553) Cass. 1re civ., 17 févr. 2004, n° 01-11.549 : Bull. civ. 2004, I, n° 47 et Cass. 1re civ., 17 févr. 2004, n° 02-11.618 : Bull. civ. 2004, I, n° 48 ; D. 2004, p. 824.
554) Cass. 1re civ., 4 nov. 2010, n° 09-15.302 : Bull. civ. 2010, I, n° 218.
555) Cass. 1re civ., 10 févr. 1993, n° 89-21.997 : Bull. civ. 1993, I, n° 64.
556) Cass. 1re civ., 16 juill. 1992, n° 91-11.262 : Bull. civ. 1992, I, n° 229 ; Rev. crit. DIP 1993, p. 269, note P. Courbe.
557) Cass. ass. plén., 31 mai 1991, n° 90-20.105 : Bull. civ. 1991, ass. plén., n° 4.
558) CEDH, 1er févr. 2000, Mazurek c/ France : D. 2000, 626, note B. Vareille.
559) T. civ. Alger, 3 févr. 1922 : Jurispr. Cour d’Alger 1922, 122. – T. civ. Blois, 30 nov. 1925 : Rev. crit. DIP 1929, 614.
560) Cass. 1re civ., 17 nov. 1964 : JCP 1965, II, 13978, concl. Lindon ; Rép. Commaille 1965, 249, note G. Droz.
561) Cass. 1re civ., 17 avr. 1953.
562) Cass. 1re civ., 3 janv. 1980, n° 78-13.762 : Bull. civ. 1980, I, n° 4.
563) Cass. 1re civ., 6 juill. 1988, n° 85-12.743 : Rev. crit. DIP 1989, p. 71.
564) Cass. 1re civ., 27 sept. 2017, 2 arrêts, nos 16-13.151 et 16-17.198 (10005 FS-P+B+R+I et 10004 FS-P+B+R+I). – G. Khairallah, La réserve héréditaire et les exigences de l’ordre public international : Bull. Cridon Paris 2 oct. 2017 ; Defrénois flash 2017, n° 40, p. 1, 141w8. – M. Grimaldi, La réserve à la casse ? : Defrénois 2017, n° 22, p. 1. – M. Goré, Requiem pour la réserve héréditaire : ibid., p. 26.
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