CGV – CGU

Partie IV – Hériter
Titre 1 – Les règles de conflit applicables à la succession
Sous-titre 2 – Méthode de traitement d’une succession internationale

3366 Le raisonnement du notaire français confronté à une succession dite « internationale » devra intervenir en plusieurs étapes.

Il devra, dans un premier temps, s’assurer que le traitement de cette succession nécessite de mettre en place un raisonnement juridique de droit international privé.

Dans l’affirmative, il devra ensuite déterminer la ou les lois applicables à la succession. Pour ce faire, il devra, préalablement à tout raisonnement, identifier si une loi de police entre en jeu, puis mettre en place un raisonnement conflictuel, c’est-à-dire appliquer les éléments de rattachement des États concernés par la situation d’espèce. La mise en œuvre de ce rattachement va permettre de désigner le système juridique dont va découler l’application de la loi matérielle qui permettra de dresser la dévolution successorale. À cette occasion, il se peut alors qu’il ait à appliquer un certain nombre de correctifs parmi lesquels figurent la fraude à la loi et le renvoi.

De plus, il conviendra pour le notaire français de vérifier le contenu de la loi. Si cette loi est la loi étrangère, il devra vérifier si celle-ci ne heurte pas les valeurs de l’ordre juridique français : l’ordre public français en matière internationale. Certains mécanismes aboutiront à rejeter les dispositions de cette loi, d’autres au contraire à la laisser produire des effets. À l’issue de ces étapes, la loi ou les lois selon lesquelles la dévolution successorale doit être établie seront déterminées.

Une fois la dévolution établie, se posera ensuite au praticien la question d’assurer l’efficacité des actes qu’il aura pu dresser. Il devra ainsi s’interroger sur l’opportunité de rédiger un type d’acte plutôt qu’un autre. Il lui incombera de déterminer les actes qu’il devra rédiger en vue de leur faire produire des effets à l’étranger et ceux qu’il convient de recueillir des autorités compétentes étrangères, en vue de leur faire produire des effets sur le territoire français.

Enfin, dans l’éventualité d’un contentieux ou parce qu’il peut en être de l’intérêt des héritiers, le notaire devra vérifier la potentielle compétence juridictionnelle des États concernés par la situation (tout au moins celle des juridictions françaises).

Ce raisonnement s’articulera autour d’une date cruciale, qu’il convient de retenir en droit international des successions : celle de l’entrée en application de la quasi-totalité des dispositions du règlement (UE) n° 650/2012 du 17 août 2015.

3367 De façon à répondre à la mobilité croissante des individus et à proposer une simplification du traitement des successions au-delà des frontières, chaque État appliquant des règles différentes dont les racines sont parfois éloignées, le règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, a été adopté le 4 juillet 2012.

Ce texte, aussi appelé règlement « Successions » ou « Brussels IV »481, inspiré de la convention de La Haye du 1er août 1989 sur la loi applicable aux successions482, constitue le droit positif des successions internationales applicables dans tous les États membres de l’Union européenne, à l’exception du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark483.

Il est entré en vigueur le 16 août 2012484, et en application le 17 août 2015, à l’exception de certaines dispositions485.

Le règlement comporte des dispositions transitoires, parmi lesquelles l’article 83, 1 prévoit qu’il s’applique au décès de toute personne intervenu à compter du 17 août 2015. Le même article, dans ses 2, 3 et 4, prévoit la possibilité de donner effet au choix de loi et aux pactes successoraux mis en place antérieurement par le défunt, à la condition que le décès soit intervenu le 17 août 2015 ou ultérieurement.

Il comporte quatre-vingt-trois considérants et quatre-vingt-quatre articles, qui ont vocation à apporter une technique de résolution simplifiée applicable aux successions des personnes ayant des intérêts patrimoniaux situés dans au moins deux pays. Le règlement, du fait de son caractère « universel », est applicable quand bien même l’un des deux États en jeu ne serait pas un État signataire.

Le règlement offre, au moyen de l’article 22, une place jusqu’alors jamais encore égalée dans cette matière à l’autonomie de la volonté des individus. En effet, chaque personne a désormais la possibilité de choisir la loi de sa nationalité ou d’une de ses nationalités comme applicable à la succession de l’intégralité de son patrimoine. Elle pourra effectuer ce choix en régularisant une professio juris.

À défaut d’un tel choix, poursuivant un objectif d’harmonisation entre le for et le jus486, le règlement met en place un élément de rattachement unique, celui de la résidence habituelle du défunt, qui donne compétence d’application à la loi de l’État dans lequel elle se trouve.

Ce principe est posé par l’article 21.

Combinée au principe d’application universelle dont dispose l’article 20, la loi ainsi désignée s’applique, qu’il s’agisse de celle d’un État membre ou d’un État tiers, à l’intégralité des biens du défunt, sans qu’il soit nécessaire de distinguer entre la nature juridique des biens.

Enfin, le règlement dispose, au paragraphe 2 de l’article 21, d’un correctif appelé « clause de sauvegarde », qui, il faut le souligner, doit rester d’utilisation absolument exceptionnelle, et qui permet, dans le cas où lors du décès, le défunt entretenait des liens manifestement plus étroits avec un autre État que celui de sa résidence habituelle, d’appliquer la loi de cet État.

Bien que le règlement s’applique à toute la matière successorale (lieu d’ouverture, dévolution ab intestat ou volontaire, liquidation, partage et administration), l’article 1, 2 de ce dernier exclut expressément de son champ d’application matériel certains domaines tels que notamment : les donations, les contrats d’assurance vie, les tontines, les trusts, les régimes matrimoniaux, à matière fiscale, les obligations alimentaires…

Le règlement met également en place un outil européen normalisé, appelé « certificat de succession européen », permettant aux héritiers de faire valoir leurs qualités héréditaires au sein des États membres.

C’est à l’aune de ce règlement européen que le notaire devra mettre en place un raisonnement lui permettant de résoudre efficacement une succession laissant apparaître un ou plusieurs éléments d’extranéité.


481) Par la communauté anglo-saxonne.
482) Ce texte n’est pas entré en vigueur en France. Il dispose d’un élément de rattachement unique combinant la résidence habituelle et la nationalité du défunt, d’un choix de loi alternatif entre ces deux éléments, de dispositions spécifiques relatives aux successions contractuelles.
483) Le Royaume-Uni, l’Irlande, le Danemark et les États hors Union européenne seront appelés « États tiers » dans les développements consacrés à ce rapport.
484) Conformément à son article 84, alinéa 1.
485) Les articles 77 et 78 sont applicables depuis le 16 janvier 2014, et les articles 79, 80, et 81 depuis le 5 juillet 2012.

486) For vient du latin. Chez les Romains, le tribunal siégeait sur la place publique dénommée le forum. Il s’emploie dans certaines expressions juridiques telles que « la loi du for », traduction de lex fori utilisée en particulier en droit international pour exprimer que la loi qui doit être appliquée à une situation déterminée est la loi du lieu où la juridiction qui a été saisie est en vigueur (www.dictionnaire-juridique.com/definition/for.php).

Jus: à Rome, ensemble des règles qui régissaient les rapports des hommes entre eux (www.larousse.fr/encyclopédie/divers/jus/63597).

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