3280 Confronté à un divorce contentieux, il convient de déterminer la juridiction qui aura à en traiter. Pour ce faire, la première question à résoudre est de déterminer si le divorce entre dans le champ d’application du règlement dit « Bruxelles II bis »366.
Si tel n’est pas le cas, il convient d’appliquer les règles de droit français transposées à l’ordre international. En application des jurisprudences Pelassa et Scheffel367, les tribunaux français peuvent être compétents notamment sur le fondement de l’article 1070 du Code de procédure civile368.
3281 Afin de déterminer la juridiction compétente, le notaire devra s’assurer de l’applicabilité du règlement Bruxelles II bis.
Son champ d’application matériel est précisé par l’article 1 du règlement qui prévoit qu’il est applicable « au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage »369.
Concernant le champ d’application temporel, le règlement est applicable aux actions intentées à compter du 1er mars 2005370.
Enfin, s’agissant du champ d’application territorial, le règlement Bruxelles II bis s’applique dès lors que le litige se rattache à l’Union européenne soit en raison du domicile du défendeur sur le territoire d’un État membre371, soit en raison de la réalisation sur le territoire d’un État membre d’un chef de compétence exclusive372, soit par la désignation conventionnelle des tribunaux d’un État membre à la condition que l’une des parties soit domiciliée sur le territoire d’un État membre373.
3282 Il faut distinguer entre les articles 3 à 5, et 6 et 7 du règlement.
3283 L’article 3 prévoit des règles à rattachements alternatifs et non hiérarchisés : cela signifie que si une pluralité de chefs de compétence est remplie, le demandeur dispose d’un large choix.
L’article 3 dispose que sont compétentes les juridictions de l’État membre :
« sur le territoire duquel se trouve :
la résidence habituelle des époux, ou
la dernière résidence habituelle des époux dans la mesure où l’un d’eux y réside encore, ou
la résidence habituelle du défendeur, ou
en cas de demande conjointe, la résidence habituelle de l’un ou l’autre époux, ou
la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins une année immédiatement avant l’introduction de la demande, ou
la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins six mois immédiatement avant l’introduction de la demande et s’il est soit ressortissant de l’État membre en question, soit, dans le cas du Royaume-Uni et de l’Irlande, s’il y a son “domicile” ;
b) de la nationalité des deux époux374
ou, dans le cas du Royaume-Uni et de l’Irlande, du “domicile” commun ».
3284 S’agissant de la « résidence habituelle », une difficulté peut se poser quant à sa détermination, le règlement n’en donnant aucune définition.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 14 décembre 2005375, a précisé ce qu’il fallait entendre par résidence habituelle dans le cadre du règlement. Elle a repris la définition de la résidence habituelle dégagée par la Cour de justice et a précisé que la notion de résidence habituelle, notion autonome du droit communautaire, se définit comme le lieu ou l’intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel des ses intérêts. Il s’agit donc d’un raisonnement par faisceaux d’indices.
3285 Du fait des critères de rattachement alternatifs, des situations de litispendance376peuvent se produire.
Si les époux ont saisi deux juridictions différentes, il faut alors déterminer laquelle d’entre elles sera amenée à se prononcer. Sur ce point, l’article 19 du règlement pose le critère priore tempore potior jure377 :
« 1. Lorsque des demandes en divorce, en séparation de corps ou en annulation du mariage sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie.
(…)
3. Lorsque la compétence de la juridiction première saisie est établie, la juridiction saisie en second lieu se dessaisit en faveur de celle-ci »378.
La question est importante en ce que, en cas de litispendance, il incombe aux parties de déterminer la date et l’heure de la saisine des juridictions379pour déterminer laquelle a été saisie en premier.
Puisqu’il faut parfois comparer les heures de saisine, la prise en considération du décalage horaire pose des questions pratiques importantes. Comment, en effet, apprécier l’antériorité de la saisine lorsque face à un cas de litispendance, les juridictions saisies ne sont pas soumises au même fuseau horaire ?
Exemple : Le juge anglais est saisi d’une requête en divorce à 14 h 00, heure locale. L’épouse souhaitant également divorcer saisit le même jour un tribunal bulgare à 15 h 00, heure locale. Précisons qu’entre l’Angleterre et la Bulgarie, le décalage horaire est de deux heures.
Quelle est alors la juridiction première saisie ?
L’une des solutions serait de prendre en compte l’heure de chaque pays, sans considérer le décalage horaire, c’est-à-dire 14 h 00 pour l’Angleterre et 15 h 00 pour la Bulgarie. De la sorte, il faudrait conclure à la compétence du juge anglais. Une telle solution présente des désavantages évidents pour les plaideurs établis sur le sol d’États situés géographiquement à l’est de l’Union européenne.
Une autre solution serait de déterminer l’heure de saisine en se basant sur une heure GMT0 ou UTC0, cela dans le but de ne pas favoriser outre mesure les États situés à l’ouest. Le fuseau horaire de l’Angleterre, actuellement (heure d’été), est de GMT+1 ; celui de la Bulgarie GMT+3. Ainsi, il faudrait reculer l’horaire anglais d’une heure et l’horaire bulgare de trois heurespour arriver à un point GMT0 et obtenir une équivalence, de sorte que, dans le présent exemple, le juge anglais serait réputé saisi à 13 h 00 et le juge bulgare à 12 h 00 : l’exception de litispendance jouerait alors en faveur du juge bulgare qui pourrait ainsi se prononcer sur le divorce.
Le notaire, amené à conseiller son client en amont de la procédure de divorce, devra lui indiquer que l’heure de la saisine doit être portée sur les documents constitutifs de l’acte introductif d’instance pour se ménager une preuve.
Si l’article 3 du règlement Bruxelles II bis ne permet pas de fonder la compétence d’un juge d’un État membre, il faut vérifier si d’autres dispositions dudit règlement sont susceptibles de fonder une telle compétence.
3286 L’article 4, relatif à la demande reconventionnelle, et l’article 5, afférent à la conversion de la séparation de corps en divorce, du règlement Bruxelles II bis sont également susceptibles de fonder la compétence du juge d’un État membre.
Aux termes de ces textes, il apparaît que :
Article 4 : « La juridiction devant laquelle la procédure est pendante en vertu de l’article 3, est également compétente pour examiner la demande reconventionnelle, dans la mesure ou celle-ci entre dans le champ d’application du présent Règlement ».
Article 5 : « La juridiction de l’État membre qui a rendu une décision sur la séparation de corps est également compétente pour convertir cette décision en divorce, si la loi de cet État membre le prévoit ».
Force est de constater qu’en pratique le notaire sera rarement confronté à l’application de ces textes, les situations entraînant leur application étant peu fréquentes380.
3287 En pratique, l’article 6 du règlement n° 2201/2003 s’avère d’une utilisation fréquente.
Selon cet article : « Un époux qui : a) a sa résidence habituelle sur le territoire d’un État membre, ou b) est ressortissant d’un État membre ou, dans le cas du Royaume-Uni et de l’Irlande, a son “domicile” sur le territoire de l’un de ces États membres, ne peut être attrait devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des articles 3, 4 et 5 ».
Cet article 6 prévoit une règle selon laquelle les défendeurs protégés ne peuvent pas être attraits devant les juridictions d’un État membre en vertu du droit national des États. Implicitement, les règles de droit commun sont donc exclues.
En d’autres termes, les articles 3 à 5 du règlement Bruxelles II bis ont un caractère exclusif. Il n’est donc possible de revenir au droit commun français que si aucune de ces règles ne donne compétence au juge d’un État membre. Il s’agit de la compétence subsidiaire du droit commun français.
Par ailleurs, l’article 7 du règlement Bruxelles II bis prévoit que :
« 1. Lorsque aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des articles 3, 4 et 5, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État.
2. Tout ressortissant d’un État membre qui a sa résidence habituelle sur le territoire d’un autre État membre peut, comme les nationaux de cet État, y invoquer les règles de compétence applicables dans cet État contre un défendeur qui n’a pas sa résidence habituelle dans un État membre et qui ou bien n’a pas la nationalité d’un État membre ou, dans le cas du Royaume-Uni et de l’Irlande, n’a pas son “domicile” sur le territoire de l’un de ces États membres ».
X, de nationalité suisse, et Y, de nationalité franco-suisse, se sont mariés en Suisse où ils résident dans deux cantons différents. Ils sont propriétaires de biens immobiliers situés en France et en Suisse, acquis pendant le mariage. X souhaite divorcer. Il dépose une requête en divorce devant le juge français le 15 septembre 2017. À l’occasion d’une visite en France, Y ayant reçu l’assignation, consulte son notaire le 24 novembre 2017 et l’interroge sur la compétence de la juridiction saisie.
Le notaire vérifie dans un premier temps que les trois champs d’application du règlement Bruxelles II bis sont réunis (il s’agit bien d’une demande en divorce après le 1er mars 2005 mettant en cause un époux de nationalité française, la France étant un État membre). Il en conclura donc à son applicabilité.
Le notaire devra alors examiner les articles 3 à 5 du règlement afin de déterminer si, au vu de ces règles de compétence générale, le juge français (juridiction d’un État membre) pouvait être valablement saisi.
La réponse est en l’espèce négative, aucun des chefs de compétence de l’article 3 n’étant satisfait. Il convient de signaler en outre que cet article ne donne compétence, dans le cas présent, à aucun autre juge d’un État membre (la Suisse étant pour rappel un État tiers).
De plus, s’agissant d’un divorce et non d’une demande reconventionnelle ou d’une conversion de séparation de corps en divorce, les articles 4 et 5 du règlement ne permettent pas de fonder la compétence d’un juge d’un État membre.
Il est donc impératif de s’assurer si Y est un défendeur protégé au sens de l’article 6 du règlement.
En l’espèce, ayant la double nationalité, dont la nationalité française, Y bénéficie du statut de « défendeur protégé » dont dispose l’article 6 du règlement.
Dès lors, Y ne peut être attrait que devant les tribunaux de l’État faisant de lui un défendeur protégé : en l’occurrence l’ordre juridique français.
Enfin, afin de déterminer la juridiction compétente au sein de cet ordre, il convient d’appliquer les règles de droit commun français.
NB : Le juge suisse pourrait également être fondé à reconnaître sa compétence en vertu des règles de droit international privé suisse, ce qui pourrait en cas de saisine de la juridiction suisse par Y aboutir à un cas de litispendance.
3288 Dans l’hypothèse où il y a lieu de revenir à l’application du droit commun français, diverses dispositions sont potentiellement applicables.
En matière de divorce, les articles 14 et 15 du Code civil sont d’application résiduelle. Ils n’ont en effet vocation à s’appliquer que si l’article 1070 du Code de procédure civile ne permet pas d’aboutir à la compétence d’une juridiction française. Ces règles françaises peuvent être étendues aux litiges internationaux en vertu des jurisprudences Pelassa et Scheffel précitées.
L’article 1070 du Code de procédure civile dispose que : « Le juge aux affaires familiales territorialement compétent est :
le juge du lieu où se trouve la résidence de la famille ;
si les parents vivent séparément, le juge du lieu de résidence du parent avec lequel résident habituellement les enfants mineurs en cas d’exercice en commun de l’autorité parentale, ou du lieu de résidence du parent qui exerce seul cette autorité ;
dans les autres cas, le juge du lieu où réside celui qui n’a pas pris l’initiative de la procédure.
En cas de demande conjointe, le juge compétent est, selon le choix des parties, celui du lieu où réside l’une ou l’autre ».
Il convient de vérifier ces critères un à un. Si cet article ne permet pas de désigner le juge français comme compétent, les privilèges de juridiction prévus aux articles 14381et 15382du Code civil peuvent justifier la compétence du juge français si soit le demandeur soit le défendeur a la nationalité française.
3289 Lorsque deux époux de nationalité différente, ou demeurant dans un pays différent de leur nationalité, divorcent en Europe, il faut se poser la question du tribunal compétent.
Comme il a été indiqué dans la première section, le règlement Bruxelles II bis organise une compétence alternative : ainsi les juges de plusieurs États membres pourront-ils être compétents.
Compte tenu de cette pluralité de compétences, est né le forum shopping383qui est, pour le futur divorcé, la possibilité de choisir le pays dont la législation lui sera la plus favorable ou dont il pense que le juge rendra une décision la plus conforme à ses intérêts.
Bien entendu le choix de la juridiction n’est pas le seul élément pouvant entrer en confédération.
En effet, il faut aussi envisager quelles seront les lois qui seront appliquées par le tribunal choisi :
s’agissant des causes du divorce, le juge d’un État membre appliquera le règlement Rome III s’il fait partie des dix-sept États liés par ce règlement384 ;
s’agissant des effets pécuniaires du divorce, le juge appliquera le règlement « Aliments » du 18 décembre 2008.
Au-delà de l’application des textes, le juge va rendre une décision en fonction de sa propre tradition juridique.
3290 – Cas particuliers des divorces « Thalys ». – Les époux français qui résident en Belgique peuvent, au choix, saisir la juridiction française ou la juridiction belge pour statuer sur leur divorce, en vertu du règlement Bruxelles II bis. À défaut d’option pour la loi française, la loi applicable aux causes de leur divorce sera la loi belge, loi de la résidence commune désignée par le règlement Rome III.
Les obligations alimentaires sont également soumises à la loi belge, loi de la résidence habituelle du créancier d’aliments.
Il y a lieu de rechercher en droit belge les modalités de versements entre les ex-époux : en Belgique, il n’existe pas de prestation compensatoire. Cependant, l’un des époux peut être tenu de verser une pension alimentaire à celui qui se trouve dans une situation économique inférieure et qui est en situation de besoin. Celui-ci doit par ailleurs établir que sa situation est la conséquence d’une décision commune des époux et que les circonstances qui y ont conduit persistent au jour où il formule sa demande. Il doit par ailleurs démontrer que ce sont les besoins de la famille qui sont à l’origine de la décision commune. Contrairement à la prestation compensatoire du droit français, la pension alimentaire post-divorce du droit belge n’a pas pour vocation de compenser la disparité de situation des époux, mais la couverture de l’état de besoin. Elle ne peut, en vertu de l’article 301, alinéa 2 du Code civil belge, excéder le tiers des revenus de l’époux débiteur ni la durée du mariage, sauf circonstances exceptionnelles.
Ainsi un époux plus fortuné pourra-t-il avoir intérêt à saisir la juridiction belge qui connaît mieux la législation belge et qui en fera une exacte application. À l’inverse, l’époux le moins fortuné peut avoir intérêt à saisir une juridiction française, ne serait-ce que pour bénéficier de mesures provisoires plus avantageuses et espérer que le juge français fera une application plus généreuse du droit belge.
Reste donc à déterminer qui a intérêt en premier de saisir un juge et de prendre éventuellement le premier Thalys pour le faire…
– Cas particulier du divorce « Eurostar ». – De l’autre côté de la Manche, les différences peuvent être encore plus importantes.
Un couple de Français expatriés en Angleterre aura le choix, en vertu du règlement Bruxelles II bis, de saisir les juridictions françaises ou anglaises qui rendront des décisions sensiblement différentes.
Tout d’abord, le juge anglais n’est pas nécessairement tenu de reconnaître un contrat de mariage conclu en France. Partant, il n’est pas nécessairement tenu de reconnaître le régime matrimonial choisi385.
Ensuite, les conséquences financières de la séparation sont différentes s’agissant de la prestation compensatoire qui a pour objet de compenser la disparité engendrée par la rupture du mariage dans les conditions de vie respectives des époux.
En France, les juges la déterminent au regard des besoins du créancier et des ressources du débiteur et ils allouent une prestation compensatoire destinée à compenser les disparités existantes. Ils tiennent notamment compte de la situation présente et future des époux, de leur situation personnelle et professionnelle, de leurs revenus, leur patrimoine, ou encore des charges qu’ils supportent. La prestation prend généralement la forme d’un capital et seulement exceptionnellement celle d’une rente.
En Angleterre, en règle générale les juges sont plus généreux dans la détermination du montant de la prestation compensatoire. Pour eux, le critère déterminant lors de la fixation de la prestation est celui de l’équité (fairness). Le système anglais est l’un des plus favorables au monde en ce qui concerne l’époux le moins fortuné. Plusieurs facteurs permettent d’expliquer cette situation : le juge anglais ne tient en principe pas compte des contrats de mariage qui ont pu être signés, et par conséquent n’est pas lié par le régime matrimonial des époux. De plus, il prend en compte tous les biens détenus par les époux, incluant ceux qu’ils détenaient avant le mariage, ainsi que les biens dont chaque époux hérite. Il accorde aussi de manière régulière des rentes viagères.
William Healing, avocat spécialiste du droit de la famille au cabinet Kingsley Napley, considère que « saisir Londres pour divorcer, c’est le jackpot pour l’époux le plus faible, le plus souvent la femme. La juridiction anglaise est très généreuse et laisse une vaste marge de manœuvre au juge ». Selon lui, même les accords prénuptiaux signés au Royaume-Uni peuvent être contournés par le juge et une jurisprudence White versus White de 2000 a établi le principe de la répartition à parts égales d’une fortune amassée durant des années d’union.
Pour l’époux le moins fortuné, et si les époux sont mariés sous le régime de la séparation des biens, il est donc souvent plus intéressant de saisir la juridiction anglaise. D’où la course à la saisine du juge.