3161 Avant de se lancer dans la détermination du régime matrimonial, il apparaît nécessaire dans un chapitre préliminaire de rappeler les différentes règles de conflit pouvant régir cette matière.
Trois règles de conflit de lois sont applicables en fonction de la date du mariage : les règles ont tout d’abord été déterminées par la jurisprudence, puis par la Convention de La Haye du 14 mars 1978, enfin par le règlement européen n° 2016/1103 du 24 juin 2016.
3162 Les époux mariés avant le 1er septembre 1992 (date de l’entrée en vigueur en France de la Convention de La Haye du 14 mars 1978) sont soumis à une règle de conflit de lois déterminée par la jurisprudence qui a consacré l’autonomie de la volonté.
Cette règle remonte à la célèbre consultation de l’avocat parisien Charles Dumoulin rendue en 1525, lorsqu’il fut saisi de la question de la détermination du régime matrimonial des époux de Ganay, mariés sans contrat. Ceux-ci demeuraient à Paris et possédaient des biens tant à Paris que dans le Lyonnais. À l’époque, plusieurs règles avaient vocation à s’appliquer : les immeubles étaient soumis à la coutume du lieu de leur situation (Le Lyonnais et Paris) et les meubles étaient soumis à la coutume du domicile matrimonial (Paris).
Me Dumoulin analysa le régime matrimonial comme un contrat tacite : en matière de régime matrimonial les époux, à défaut de contrat de mariage, ont tacitement choisi de se soumettre à la coutume de leur domicile. Cette solution fut consacrée par le Parlement de Paris en 1529.
Cette règle continue de s’appliquer aux époux mariés avant le 1er septembre 1992. Ainsi, des époux mariés le 13 août 1992 qui divorceraient ou décéderaient en 2022, après trente ans de vie commune, verraient la loi applicable à leur régime matrimonial déterminée par les règles jurisprudentielles.
C’est pourquoi ces règles seront encore analysées ci-après.
Cette autonomie de la volonté permettant de déterminer le régime matrimonial peut résulter :
d’une volonté expresse ou implicite ;
et à défaut d’expression de volonté d’un choix tacite.
3163 La Convention de La Haye sur les régimes matrimoniaux du 14 mars 1978 est entrée en vigueur en France le 1er septembre 1992 suite à sa ratification par trois États : la France, le Luxembourg et les Pays-Bas.
3164 Contrairement au règlement du 24 juin 2016, la convention de La Haye n’a pas défini la notion de régime matrimonial.
Plusieurs matières sont exclues :
soit expressément : les obligations alimentaires, les droits successoraux du conjoint survivant ;
soit implicitement : le régime primaire et les contrats entre époux.
3165 L’article 21 de la convention prévoit qu’elle s’applique dans chaque État contractant aux époux mariés après son entrée en vigueur (soit pour la France le 1er septembre 1992) et aux époux qui souhaitent au cours de leur mariage changer de loi applicable à leur régime matrimonial.
Compte tenu de l’entrée en vigueur du règlement du 24 juin 2016 sur les régimes matrimoniaux, la Convention de La Haye du 14 mars 1978 s’applique en réalité aux époux mariés entre le 1er septembre 1992 et le 28 janvier 2019, et l’article 6 de la convention de La Haye s’appliquait aussi aux époux mariés avant le 1er septembre 1992.
3166 La convention s’applique dès lors que la situation des époux présente un élément d’extranéité : nationalité, lieu de résidence ou lieu de célébration du mariage.
L’article 2 de la convention précise qu’elle « s’applique même si la nationalité ou la résidence habituelle ou la loi applicable en vertu des articles ci-dessous ne sont pas celles d’un État contractant ». Elle a un caractère universel.
Ainsi la convention a un très large domaine d’application, et ce malgré le fait qu’elle n’ait été ratifiée que par trois États. Le notaire français appliquera donc la loi désignée par la convention alors même qu’il ne s’agit pas de la loi d’un État contractant.
La Cour de cassation l’a précisé en 2009 en rappelant que la convention s’applique même si la nationalité, la résidence habituelle des époux ou la loi applicable en vertu de cette convention ne sont pas celles d’un État contractant235.
3167 Le règlement européen n° 2016/1103 du 24 juin 2016 « mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux » vient achever l’européanisation du droit patrimonial de la famille. En effet, avec le règlement sur les effets des partenariats enregistrés de la même date, il fait suite à ceux déjà adoptés en matière de divorce236, de pensions alimentaires237et de succession238.
La gestation de ce règlement a été longue : un livre vert a été publié en 2006 et deux propositions de règlement en date du 16 mars 2011 ont été soumises aux États membres de l’Union européenne. À la fin de l’année 2015, il a été constaté qu’aucun accord unanime ne pouvait être trouvé. Il faut souligner à cet égard que la matière relative aux régimes matrimoniaux est sensible et que les règles dégagées par chacun des États sont très diverses, ce qui ne facilite pas un consensus entre les États.
Pour contrer ces blocages, une coopération renforcée a été mise en place à l’initiative de dix-huit États membres dont la France239.
3168 L’objectif du règlement du 24 juin 2016 a été d’instaurer un ensemble complet de règles de droit international privé traitant des régimes matrimoniaux. Il a donc un champ d’application plus large que celui de la convention de La Haye qui ne vise que la loi applicable aux régimes matrimoniaux.
Il est précisé dans l’article premier du règlement : « Le présent règlement s’applique aux régimes matrimoniaux » et dans l’article 3 : « Aux fins du présent règlement, on entend par :
“régime matrimonial”, l’ensemble des règles relatives aux rapports patrimoniaux entre époux et dans leurs relations avec des tiers, qui résultent du mariage ou de sa dissolution ;
“convention matrimoniale”, tout accord entre époux ou futurs époux par lequel ils organisent leur régime matrimonial (…) ».
Cette notion est très vaste et a conduit une large partie de la doctrine à considérer que le régime primaire entrait dans le champ d’application du règlement. À tout le moins les règles du régime primaire et se rapportant aux rapports patrimoniaux entre les époux et avec les tiers240.
3169 Sont en revanche exclues du règlement du 24 juin 2016 :
la capacité juridique des parties ;
l’existence, la validité ou la reconnaissance du mariage241 : le législateur a ainsi évité de définir le mariage, garantissant de la sorte aux États membres de ne poser aucune norme européenne concernant cette institution242.
Le règlement a préféré laisser cette matière sous le contrôle de chacun des États membres, qui ont alors toute liberté d’accepter ou non un mariage célébré à l’étranger qui pourrait ne pas être conforme à leur propre conception du mariage243 :
les obligations alimentaires : cette matière relève du règlement n° 4/2009 du 18 décembre 2008244 ;
la succession du conjoint décédé : la matière relève du règlement n° 650/2012 sur les successions ;
les questions relatives à la sécurité sociale, aux pensions de retraite et d’invalidité ;
la nature des droits réels portant sur un bien et la publicité de ces droits ;
les matières fiscales, douanières et administratives.
3170 Le règlement est entré en vigueur le 28 juillet 2016 et est en application depuis le 29 janvier 2019. Plus précisément, il s’applique :
concernant la compétence juridictionnelle : à toutes les actions intentées à compter du 29 janvier 2019 et, sous certaines conditions, aux instances engagées avant cette date mais dont la décision aura été rendue après ;
concernant la question relative à la détermination de la loi applicable : aux couples mariés à compter du 29 janvier 2019 ainsi qu’aux couples mariés avant cette date souhaitant modifier leur régime matrimonial.
Par conséquent, la détermination de la loi applicable au régime matrimonial résultera de trois corps de règles selon la date de célébration du mariage :
mariages célébrés avant le 1er septembre 1992 : règles jurisprudentielles ;
mariages célébrés entre le 1er septembre 1992 et le 28 janvier 2019 (et époux mariés avant le 29 janvier 2019 ayant modifié la loi applicable à leur régime matrimonial avant cette date) : application de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 ;
mariages célébrés à compter du 29 janvier 2019 (et époux mariés avant le 29 janvier 2019 ayant modifié la loi applicable à leur régime matrimonial après cette date) : application du règlement n° 2016/1103.
Les praticiens devront, pour quelques dizaines d’années encore, être à même de jongler entre les différentes règles. Quelques exemples simples peuvent éclairer cette superposition des règles :
des époux mariés en 1969 souhaitant changer de loi applicable à leur régime matrimonial :
ils auront pu le faire jusqu’au 28 janvier 2019 en vertu de l’article 6 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978,
ils pourront le faire à compter du 29 janvier 2019 en vertu de l’article 22 du règlement n° 2016/1103 ;
des époux mariés sans contrat en 1995 pourront, même après 2019, se voir appliquer la mutabilité automatique de leur régime matrimonial en vertu de l’article 7 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978.
Il faut signaler que, contrairement au règlement relatif aux successions, il n’y a pas d’application anticipée du règlement s’agissant du choix de loi.
3171 Le champ d’application du règlement du 24 juin 2016 est très large : il s’applique de façon obligatoire dans tous les États membres qui participent à la coopération renforcée. En outre, compte tenu de son caractère universel245, la loi désignée s’appliquera même si ce n’est pas celle d’un État membre ayant participé à la ratification.
L’article 62 du règlement a envisagé le cas particulier des conventions internationales existantes246.
Ainsi :
la Convention de La Haye du 14 mars 1978 n’est plus applicable depuis le 29 janvier 2019 (mais des cas de mutabilité automatique prévus par la convention de La Haye peuvent encore surgir après le 29 janvier 2019) ;
les conventions bilatérales conclues par la France avec des pays non signataires du règlement continuent à s’appliquer247.
246) « 1. Le présent règlement est sans incidence sur l’application des conventions bilatérales ou multilatérales auxquelles un ou plusieurs États membres sont parties lors de l’adoption du présent règlement (…) et qui concernent des matières régies par le présent règlement, (…)
2. Nonobstant le paragraphe 1, le présent règlement prévaut, entre les États membres, sur les conventions conclues entre eux dans la mesure où ces conventions concernent des matières régies par le présent règlement. »