3012 Longtemps d’origine prétorienne, le droit international privé de la filiation a été modifié et a fait l’objet d’une consécration législative par la réforme du 3 janvier 1972.
Avant cette réforme, les règles de conflit étaient différentes selon que l’on se trouvait en présence d’une filiation légitime ou d’une filiation naturelle.
La filiation légitime était établie conformément à la loi des effets du mariage des parents de l’enfant. La filiation naturelle relevait de la loi nationale de l’enfant.
La réforme pose le principe d’égalité des filiations. Il convient désormais de s’attacher à l’établissement de la filiation biologique, qu’elle soit légitime ou naturelle.
Les questions de droit international privé se poseront lorsque parents et enfants sont de nationalité différente (dans le cas contraire, il est fait application de règles générales relatives au statut personnel, c’est-à-dire la loi matérielle de la loi nationale commune), ou lorsque la nationalité de l’enfant n’est pas déterminée (celle-ci pouvant dépendre de l’établissement de la filiation).
3013 En la matière, les règles de conflit de lois sont énoncées aux articles 311-14 à 311-18 du Code civil.
Plusieurs méthodes ont été choisies en matière de filiation : le droit international privé français retient trois règles de conflits.
Concernant l’établissement de la filiation par la loi, elle consiste en une règle de conflit savignienne16classique, à caractère bilatéral. Cette règle fait état d’éléments de rattachement neutres qui désignent objectivement tant la loi française que la loi étrangère.
L’article 311-14 du Code civil peut être perçu comme la règle « de droit commun » relative à la filiation par le sang.
Ce texte dispose que : « La filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant ; si la mère n’est pas connue, par la loi personnelle de l’enfant ».
Retenir la loi nationale de la mère permet, dans la majorité des cas, d’appliquer une loi unique, que la filiation soit légitime ou naturelle (on évite ainsi toute discrimination selon que l’enfant est né dans ou hors mariage).
Dans l’hypothèse où la mère a une double nationalité, si parmi ces nationalités se trouve la nationalité française, c’est celle-ci qui prévaudra en France. Si la mère a deux nationalités étrangères, il faudra se référer à la nationalité la plus effective17.
En présence d’une personne apatride ou réfugiée, il faudra faire application de la loi du pays dans lequel cette personne est domiciliée ou réside. Il est intéressant de noter qu’une telle déduction découle de l’article 12 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés18 ainsi que de l’article 12 de la Convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides19.
À ce sujet, Mme Mélina Douchy-Oudot précise, fort justement, que « la compatibilité de ce rattachement sexué (la loi nationale de la mère), avec le principe d’égalité ou de non-discrimination n’est pas acquise (…). À l’heure où les mécanismes de contrôle de la conformité des lois se développent, notamment avec la question prioritaire de constitutionnalité, il n’est pas exclu de voir un jour un plaideur, sans doute un homme, remettre en cause ce texte »20.
Ce texte prévoit un second rattachement, subsidiaire afin de pallier la situation dans laquelle la nationalité de la mère ne serait pas connue21. Sera alors applicable la loi personnelle de l’enfant (il s’agira ainsi de la loi nationale du père si le lien de filiation est établi envers lui ; de la loi française si l’enfant n’a aucun lien de filiation établi).
3014 Lors de l’introduction de cet article dans le Code civil, le législateur ne s’est pas prononcé sur le domaine de la loi applicable. En effet, il n’est pas indiqué si la loi matérielle désignée par la règle de conflit s’applique uniquement à l’établissement de la filiation en tant que telle, ou si elle régit également la procédure.
Généralement, les questions de preuve sont liées à la procédure et, comme telles, soumises à la loi du for. Mais, en matière de filiation, les règles de fond sont très liées aux questions de preuve. De même les questions de forme et de fond sont très imbriquées.
On peut raisonnablement penser qu’il faut maintenir les solutions antérieures, d’origine jurisprudentielle.
La loi ainsi définie a un domaine d’application très large :
elle régit tout mode d’établissement de la filiation qui ne fait pas l’objet d’une règle spéciale : elle s’applique notamment aux actions en recherche de paternité et de maternité, à la contestation de la paternité légitime… ;
elle s’applique également aux règles de preuve ou de procédure qui régissent l’établissement de la filiation : l’objet et la charge de la preuve, les délais et la recevabilité des actions, le jeu de la présomption, l’exigence de l’authenticité pour une reconnaissance volontaire…
La question du domaine de la loi applicable conduit à se poser celles du conflit mobile et du renvoi. Il convient de garder à l’esprit que l’ordre public international peut toutefois apporter des tempéraments à ces règles.
3015 Le législateur a, le 3 janvier 1972, réglé la question du conflit mobile directement dans le texte de l’article 311-14 du Code civil. Celui-ci précise en effet qu’il faut se référer « au jour de la naissance de l’enfant ». Il convient cependant de signaler qu’un tel rattachement peut être source de difficultés. Sur ce point, Mme Mélina Douchy-Oudot, ci-dessus citée, précise : « En effet, si la mère de l’enfant acquiert la nationalité française postérieurement à la naissance de l’enfant, le juge, ou le ministère public auquel les dossiers de filiation sont communiqués, peut aisément ne pas remarquer l’élément d’extranéité (…) ».
Le juge ou le ministère public risqueront d’appliquer par erreur la loi française en lieu et place de la loi étrangère. Or, dans un tel cas, le « sauvetage » de la décision réalisé par l’application de la loi du for ne s’avère pas envisageable, puisque le droit en cause est un droit indisponible.
3016 Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 3 janvier 1972, le renvoi était très favorablement admis en matière de filiation. Depuis, la question du renvoi est controversée en la matière22.
Les opinions doctrinales majoritaires considéreraient que le recours au renvoi doit être admis dès lors que celui-ci atténue les effets préjudiciables à l’enfant que pourrait entraîner l’application de la loi personnelle de la mère, et également lorsqu’il est favorable à l’enfant en ce qu’il permettrait l’établissement de sa filiation.
À l’inverse, une partie de la doctrine estime que le renvoi n’a pas lieu de jouer en matière de filiation. Il convient de signaler que cette position semble être celle retenue par la jurisprudence23.
3017 L’exception d’ordre public international peut mener à écarter une loi étrangère applicable qui serait contraire à nos conceptions les plus fondamentales. Ainsi, est contraire à l’ordre public international français la loi étrangère qui interdirait à un enfant d’établir sa filiation, si cet enfant est de nationalité française ou réside habituellement sur le territoire français. Il s’agit là d’une mise en application de l’ordre public de proximité24.
Il convient de noter que la Cour de cassation semble avoir écarté cette exigence de proximité. Par un arrêt du 26 octobre 2011, la première chambre civile évince la loi ivoirienne interdisant l’action en recherche de paternité, sans référence à un quelconque lien de proximité avec la France25.
À côté des situations qui viennent ici d’être examinées, où la filiation résulte de la simple application de la loi, le législateur français a permis l’expression d’une démarche volontaire : il s’agit de la reconnaissance.