CGV – CGU

Partie VI – L’assurance vie dans un cadre international
Titre 4 – Assurance vie internationale. Actions judiciaires. Conflits de juridictions
Chapitre II – Actions judiciaires devant les tribunaux français

2684 En droit français, les tribunaux appliquent en matière d’assurance vie des notions tant législatives (les primes manifestement exagérées, ou les donations déguisées) que jurisprudentielles (la réserve alimentaire).

Section I – Primes manifestement exagérées et contrats d’assurance vie souscrits à l’étranger

2685 En droit interne, les stratégies mises en place pour avantager le conjoint survivant, un descendant ou un tiers en cas de décès s’articulent autour des régimes matrimoniaux et des successions, notamment des libéralités.

En droit international privé (DIP), avantager une personne en cas de décès atteint ses limites lorsqu’est envisagé le traitement successoral. En effet en DIP, ce traitement relève de la loi successorale. Or celle-ci couvrant le domaine de la quotité disponible, de la réserve, le rapport et la réduction, il s’ensuit que même consenties dans un cadre international, les libéralités se trouvent enserrées dans le carcan de la loi successorale, avec son arsenal de règles d’ordre public, et sa cohorte de dispositions relatives aux restitutions. Afin d’échapper partiellement à ce carcan, la personne souhaitant avantager au-delà des limites autorisées par la loi française l’un de ses héritiers ou même simplement son conjoint se tourne vers l’assurance vie.

En France, en application de l’article L. 131-12 du Code des assurances, lorsqu’il s’agit d’un contrat avec bénéficiaire désigné, le capital échappe aux règles du rapport et de la réduction. En revanche, il n’ en est pas de même pour les primes versées. Elles n’échappent aux règles du rapport et de la réduction que si elles n’ont pas « été manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur ». L’article L. 132-13 du Code des assurances introduit une limite afin d’éviter l’affectation par l’assuré d’une trop grande partie de son patrimoine. In fine, le juge du fond est souverain pour apprécier le caractère manifestement exagéré des primes versées.

En pratique, il devient de plus en plus fréquent de rencontrer des successions comprenant des contrats d’assurance vie souscrits auprès de compagnies étrangères (type luxembourgeoise ou suisse). Peut-on dans ce cas conseiller aux héritiers « désavantagés » d’agir sur le fondement de l’article L. 131-12 du Code des assurances ? Nous comprenons ici l’enjeu en présence d’enfant.

Pour répondre à cette question, il semble nécessaire de faire une distinction selon le lieu de la résidence habituelle du souscripteur au moment de son décès.

2686 – 1) Si le souscripteur décède en ayant la qualité de résident habituel français. – Dans ce cas, la succession du de cujus relève des règles civiles de la loi successorale française en application de l’article 21-1 du règlement (UE) n° 650/2012 (sauf cas de l’exception de l’article 21-2). Cela est-il suffisant pour que le juge français puisse être compétent et qu’il rende une décision sur la base de l’article L. 132-13 du Code des assurances ?

Dans l’hypothèse d’un contrat souscrit auprès d’une compagnie française et soumis à la loi française, une réponse positive peut être apportée.

Dans l’hypothèse d’un contrat français soumis à une loi étrangère ou d’un contrat souscrit auprès d’une compagnie étrangère et ayant désigné une loi applicable étrangère, la réponse semble moins évidente. Pour certains auteurs1326, que le contrat ait été conclu avant ou après le 17 décembre 2009, on peut penser que l’article L. 132-13 du Code des assurances répond davantage à une qualification successorale que contractuelle. Si nous retenons cette analyse, une action serait possible, quelle que soit la loi du contrat, dès lors que la loi successorale est la loi française.

En sens inverse, si le juge venait à qualifier l’article L. 132-13 du Code des assurances contractuellement, on ne pourrait l’invoquer alors même que la succession du souscripteur serait réglée en France. Cette solution serait en décalage avec les règles actuellement applicables.

2687 – 2) Si le souscripteur décède en ayant la qualité de non-résident habituel français. – Dans ce cas, il faut distinguer deux possibilités :

la loi successorale est la loi française en application de l’article 21-2 du règlement (UE) n° 650/2012 et l’action semblerait alors possible ainsi que développée précédemment ;

la loi successorale est une loi étrangère en application de l’article 21-1 dudit règlement : dans ce cas, pour qu’une action puisse être possible, il faudrait considérer que l’article invoqué a le caractère d’une loi de police ou que la notion de prime manifestement exagérée existe dans cet autre pays (tel est le cas de la Belgique).

À défaut, faut-il considérer que seul le jugement obtenu à l’étranger dans le cadre de l’ordre public international aurait vocation à s’exécuter ?

Il faudrait préalablement pouvoir affirmer que l’article L. 132-13 du Code des assurances relève des lois de police.

On comprend les limites à intenter une action judiciaire en France, en cas de succession régie par une loi étrangère. En effet, quelle serait l’utilité d’obtenir une décision ordonnant la réintégration d’une partie des primes, si les règles successorales du pays compétent pour le règlement civil ne connaissent pas le mécanisme de la réserve ? Dans ce cas, il y aurait lieu de s’abstenir car la réintégration ne profiterait pas aux héritiers réservataires.

Par conséquent, une action judiciaire basée sur la théorie des primes manifestement exagérées ne doit être envisagée que si le pays en question prévoit le mécanisme de la réserve héréditaire et que le jugement français a vocation à s’exécuter en vertu des règles de circulation des décisions judiciaires.

Qu’en serait-il de la procédure de requalification en donation déguisée ?

Section II – Requalification en donation déguisée ou indirecte d’un contrat d’assurance international

2688 Le principe même de requalification d’une opération d’assurance vie réalisée en France en donation déguisée ou indirecte ne va pas de soi. La jurisprudence est sur ce moyen restrictive. En effet, toute donation suppose, par application de l’article 894 du Code civil, un dépouillement actuel et irrévocable du donateur. La notion de dépouillement irrévocable est peu compatible avec le droit de rachat.

La Cour de cassation1327a toutefois admis que cette qualification peut être retenue dès lors que la proximité séparant la souscription du décès du souscripteur assuré rend la faculté de rachat « illusoire ». La jurisprudence est également constante pour requalifier le contrat en donation indirecte ou déguisée en cas de désignation tardive du bénéficiaire1328.

Dans le cadre d’un contrat d’assurance vie, cette procédure de requalification aura pour effet de réintégrer la somme dans l’actif successoral et d’appliquer le mécanisme du rapport et éventuellement de la réduction. Il n’existe un intérêt que si le souscripteur décède en ayant la qualité de résident habituel français ou si le souscripteur décède dans un pays de droit latin appliquant le jeu de la réserve et de la réduction, sous réserve que l’éventuelle décision judiciaire française qui serait favorable puisse circuler et être appliquée dans cet autre pays.

À cela s’ajoutera le risque que le bénéficiaire dilapide les capitaux entre le versement des fonds et l’aboutissement de la procédure. En pratique, il est très difficile de porter des actions judiciaires sur des contrats d’assurance souscrits à l’étranger. En effet, les moindres sommations ou actes conservatoires sont d’un coût exorbitant. Ces procédures s’accompagnent des services d’avocats spécialisés et donc plus onéreux et nécessitent une avance de trésorerie dont les clients ne disposent pas toujours, perdant alors une chance certaine.

Section III – Action judiciaire fondée sur la notion de précarité économique ou de besoin

2689 La Cour de cassation1329, dans l’affaire Maurice Jarre, soulève la notion de précarité économique ou de besoin.

Dans cette affaire, il a été retenu subsidiairement1330le caractère d’ordre public d’une réserve minimale au titre de la réserve alimentaire. Dans ce dossier, le règlement civil de la succession connaissait le principe de la scission, car le règlement européen en matière de succession n’était pas entré en vigueur et le règlement civil de la succession dépendait pour les biens immobiliers situés en France de la loi successorale française.

Rappelons que l’assurance vie a été exclue du champ d’application du règlement européen des successions. Par conséquent, pour pouvoir retenir le principe de la réserve alimentaire dans cette matière, les juges vont devoir s’inspirer de l’arrêt Jarre par analogie. Cela reviendra-t-il à écarter la loi applicable, en prétextant qu’elle prive les héritiers de cette réserve minimale ?

En principe une clause attributive de juridiction est indiquée dans le contrat d’assurance vie. On peut alors s’interroger sur l’interférence de ces contrats avec la notion de réserve alimentaire : est-elle d’ordre public international ? Si les tribunaux français confirment l’application de celle-ci vis-à-vis de l’assurance vie, qu’en sera-t-il des pays tiers ?

Supposons que cette réserve minimale au titre de la réserve alimentaire soit confirmée par la jurisprudence et soit étendue aux assurances vie : se posera alors la question de définir cette notion de précarité et de décider s’il est opportun de réintégrer les donations déjà effectuées.

Si cette réserve minimale alimentaire est confirmée par le juge français et est étendue aux capitaux provenant du débouclement d’une assurance vie, alors se posera le besoin de définir économiquement les seuils financiers de cette notion de précarité économique et de besoin. Nous supputons que celle-ci devra être encadrée par le législateur, car elle peut être retenue aussi bien largement que restrictivement. Subsidiairement, faudra-t-il considérer comme opportun de réintégrer les donations déjà effectuées avant de fixer le montant de celles-ci ?

Le juge français devra justifier sa compétence dans le règlement Bruxelles I bis1331.

Section IV – Les autres actions

2690 Les héritiers pourraient être tentés d’agir contre le contrat d’assurance vie pour obtenir sa caducité sur d’autres fondements.

Le non-respect des obligations relatives à l’information précontractuelle et au devoir de conseil de l’assureur serait alors une nouvelle piste. En effet, les héritiers sont soumis à la loi française si le contrat a été souscrit en France.

Les tribunaux, qu’ils soient français ou étrangers, devront annuler le contrat si la loi française applicable n’a pas été respectée.


1326) É. Fongaro, La protection du conjoint survivant en droit international privé. De quelques stratégies de transmission hors libéralités, in Mél. J. Combret, Defrenois, 2017.
1327) Cass. ch. mixte, 21 déc. 2007 : RJF 1/2008, n° 370.
1328) Pour approfondissement, F. Fruleux : JCl. Enregistrement Traité, V° Succession, fasc. 48.
1329) Cass. 1re civ., 27 sept. 2017, n° 16-17.198.
1330) Principalement il était question de faire reconnaître que la réserve héréditaire était d’ordre public international.
1331) Art. 7-1.
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