CGV – CGU

Partie VI – L’assurance vie dans un cadre international
Titre 2 – L’assurance vie sous l’angle fiscal
Sous-titre 3 – Les enjeux d’une stratégie : clause bénéficiaire démembrée et quasi-usufruit
Chapitre II – Assurance vie, démembrement, quasi-usufruit et créance de restitution

2650 En matière d’assurance vie, le démembrement peut se retrouver à différentes strates :

lors de la conclusion du contrat par une souscription en démembrement que nous qualifierons d’ab initio ou démembrement « à l’entrée » ;

lors du décès du souscripteur, en cas de souscription en pleine propriété et si au décès de ce dernier le contrat ne se trouve pas dénoué (hypothèse où le souscripteur n’aurait pas la qualité d’assuré). À cette occasion, la créance pourrait être transmise en démembrement aux héritiers ;

enfin le démembrement peut concerner le capital dû lors du dénouement aux bénéficiaires (clause bénéficiaire démembrée). Dans ce cas, le démembrement ne concerne plus le contrat d’assurance mais le capital qui est qualifié de bien incorporel (une somme d’argent). C’est le démembrement « à la sortie ».

Section I – La souscription du contrat en démembrement

2651 – Introduction. – La souscription démembrée d’un contrat d’assurance vie se présente souvent suite à la vente d’un actif démembré. Le produit de cession est alors employé dans cette structure juridique pour offrir une double optimisation de la fiscalité des revenus et de la transmission grâce à la clause bénéficiaire. Le souscripteur bénéficie d’un droit de créance contre l’assureur. La doctrine a validé l’usufruit de créance1301.

2652 Deux hypothèses :

§ I – Décès du souscripteur en usufruit

2653 Cette hypothèse oblige à distinguer si le souscripteur en usufruit est ou non l’assuré.

A/ Dans l’hypothèse où le souscripteur a cette double qualité de souscripteur et d’assuré

2654 – Civilement. – Le décès de l’assuré, qui est également l’usufruitier, met un terme au contrat. Il va se dénouer au décès de l’usufruitier souscripteur. Attention, car le nu-propriétaire, s’il n’a pas été désigné bénéficiaire, perd son droit au bénéfice d’un tiers1302.

2655 – Fiscalement. – Les règles des articles 990 I ou 757 B du Code général des impôts tel qu’expliqué ci-avant ont vocation à s’appliquer sur le capital revenant aux bénéficiaires.

B/ Dans l’hypothèse où le souscripteur en usufruit n’est pas l’assuré

2656 – Civilement. – Le contrat ne se dénoue pas. Par conséquent, le souscripteur en nue-propriété devient l’unique souscripteur survivant et devient l’unique et plein propriétaire de la créance contre l’assureur.

2657 – Fiscalement. – En France : en application de l’article 1133 du Code général des impôts, « la réunion de l’usufruit à la nue-propriété ne donne ouverture à aucun impôt ou taxe lorsque cette réunion a lieu par l’expiration du temps fixé pour l’usufruit ou par le décès de l’usufruitier ».

À l’étranger : la réunion de l’usufruit à la nue-propriété n’est pas exonérée d’imposition dans tous les pays. Les pays anglo-saxons ne connaissent pas la notion de démembrement. Dans certains cas, ils pourraient analyser le démembrement comme étant une indivision et l’assiette évaluée par les règles matérielles fiscales de leur pays seront retenues, sous réserve que ce capital soit imposable. Dans ce cas, le praticien doit alerter le souscripteur nue-propriété de ce risque potentiel de taxation à l’étranger.

§ II – Décès du souscripteur en nue-propriété

2658 Cette hypothèse oblige également à distinguer si le souscripteur nu-propriétaire est ou non l’assuré.

A/ Dans l’hypothèse où le souscripteur a la double qualité de nu-propriétaire et d’assuré

2659 – Civilement. – Le contrat se dénouera à son décès.

2660 – Fiscalement. – Les règles des articles 990 I ou 757 B du Code général des impôts telles qu’expliquées précédemment ont vocation à s’appliquer sur le capital revenant aux bénéficiaires.

B/ Dans l’hypothèse où le souscripteur n’a pas la double qualité de nu-propriétaire et d’assuré

2661 – Civilement. – Le contrat ne se dénouera pas à son décès et les héritiers du souscripteur seront subrogés dans les droits personnels du défunt.

2662 – Fiscalement. – En France : les héritiers deviendront redevables des droits de mutation à titre gratuit sur la valeur des droits transmis.

À l’étranger : les héritiers doivent payer les droits selon les règles internes fiscales du ou des pays concernés. Dans cette hypothèse comme dans la première hypothèse précédente, l’élimination éventuelle d’une double imposition sera régie par les règles internes des pays en l’absence de convention ou par les règles conventionnelles. À défaut, nous pourrions être en présence d’une double imposition.

Section II – La convention de quasi-usufruit faisant suite au dénouement d’une clause bénéficiaire démembrée

2663 La présente étude se limite au cas du quasi-usufruit lors du dénouement d’un contrat d’assurance vie. Pour simplifier l’analyse, nous considérerons que le bénéficiaire en usufruit est le conjoint survivant et que les bénéficiaires en nue-propriété sont les enfants.

§ I – En droit interne
A/ Civilement

2664 Lorsque le décès du souscripteur assuré survient, le contrat se dénoue. Les capitaux reviennent en usufruit au conjoint, et en nue-propriété aux enfants. Sous réserve que l’usufruitier ait été dispensé de faire emploi des deniers, cet usufruit se transforme en quasi-usufruit au sens de l’article 587 du Code civil1303. Il jouira du capital « comme un propriétaire », c’est-à-dire comme s’il avait été désigné « seul bénéficiaire de premier rang ». Au décès de l’usufruitier, les enfants sont créanciers de la restitution. À défaut de dispense dans la clause bénéficiaire de faire emploi des deniers, le conjoint n’aura droit qu’aux intérêts de la somme placée.

En droit français, il est judicieux de régulariser une convention de quasi-usufruit lors du dénouement du contrat. Elle facilitera le mécanisme de la créance de restitution au décès du survivant des époux (preuve, indexation et détermination du montant de cette créance) et déterminera les garanties dont les créanciers bénéficieront à l’encontre du quasi-usufruitier et les modalités de la restitution en fin d’usufruit.

Dans la convention de quasi-usufruit, les parties stipulent que l’acte vaut inventaire, conformément aux dispositions des articles 600 du Code civil1304.

B/ Fiscalement

2665 L’administration fiscale présume fictives les dettes consenties par le défunt au profit de ses héritiers. Le nu-propriétaire est titulaire d’une créance dite « de restitution » à faire valoir dans le patrimoine de l’usufruitier à son décès. Il convient alors de faire la distinction entre les dettes conventionnelles et les dettes d’origine légale.

Pour la dette légale (par ex., le quasi-usufruit qui naît d’une succession), les dispositions de l’article 773-2 du Code général des impôts ne s’appliquent pas. Il ne s’agit pas d’une dette consentie.

Pour les dettes d’origine conventionnelle, les nus-propriétaires devront rapporter la preuve de la réalité et de la sincérité de la dette au moyen d’un acte authentique.

Dans la convention de quasi-usufruit, les parties stipulent que l’acte vaut preuve de la créance conformément aux dispositions de l’article 773, 2° du Code général des impôts1305.

Le montant de la créance de restitution sera par conséquent déductible de l’actif successoral lors du décès du « quasi-usufruitier », sans contestation possible de la part de l’administration fiscale dès lors qu’une convention de quasi-usufruit authentique aura été régularisée.

La convention de quasi-usufruit permet également de combattre plus facilement la présomption de propriété de l’article 751 du Code général des impôts1306.

§ II – En droit international

2666 La convention de quasi-usufruit n’est pas une notion utilisée dans les pays de la common law. L’intérêt de celle-ci est relative et elle doit être utilisée avec beaucoup de précaution. Son usage ne peut être préconisé que dans le cadre d’un dossier ayant un élément d’extranéité dont les effets du démembrement de la clause bénéficiaire auront une incidence fiscale en France au moment du décès du quasi-usufruitier.


1301) B. Delmas et V. Cornilleau, Pratique du démembrement de propriété, Litec, 2e éd. 2009, p. 153, § 4.
1302) Cette option se rencontre très peu en pratique, car en général l’usufruitier est le plus âgé. Attention, car cette option pourrait alors rendre applicable l’article 757 B du Code général des impôts, ce qui serait alors pénalisant.
1303) C. civ., art. 587 : « Si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution ».
1304) C. civ., art. 600 : « L’usufruitier prend les choses dans l’état où elles sont, mais il ne peut entrer en jouissance qu’après avoir fait dresser, en présence du propriétaire, ou lui dûment appelé, un inventaire des meubles et un état des immeubles sujets à l’usufruit ».
1305) CGI, art. 773, 2° : « (…) 2° Les dettes consenties par le défunt au profit de ses héritiers ou de personnes interposées. Sont réputées personnes interposées les personnes désignées dans l’article 911, dernier alinéa, du Code civil. Néanmoins, lorsque la dette a été consentie par un acte authentique ou par un acte sous seing privé ayant date certaine avant l’ouverture de la succession autrement que par le décès d’une des parties contractantes, les héritiers, donataires et légataires, et les personnes réputées interposées ont le droit de prouver la sincérité de cette dette et son existence au jour de l’ouverture de la succession ».
1306) CGI, art. 751 : « Est réputé, au point de vue fiscal, faire partie, jusqu’à preuve contraire, de la succession de l’usufruitier, toute valeur mobilière, tout bien meuble ou immeuble appartenant, pour l’usufruit, au défunt et, pour la nue-propriété, à l’un de ses présomptifs héritiers ou descendants d’eux, même exclu par testament ou à ses donataires ou légataires institués, même par testament postérieur, ou à des personnes interposées, à moins qu’il y ait eu donation régulière et que cette donation, si elle n’est pas constatée dans un contrat de mariage, ait été consentie plus de trois mois avant le décès ou qu’il y ait eu démembrement de propriété effectué à titre gratuit, réalisé plus de trois mois avant le décès, constaté par acte authentique et pour lequel la valeur de la nue-propriété a été déterminée selon le barème prévu à l’article 669. La preuve contraire peut notamment résulter d’une donation des deniers constatée par un acte ayant date certaine, quel qu’en soit l’auteur, en vue de financer, plus de trois mois avant le décès, l’acquisition de tout ou partie de la nue-propriété d’un bien, sous réserve de justifier de l’origine des deniers dans l’acte en constatant l’emploi. Sont réputées personnes interposées les personnes désignées dans l’article 911, deuxième alinéa, du Code civil ».
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