CGV – CGU

Partie III – La fiscalité internationale
Titre 1 – Principes généraux
Chapitre III – La double imposition

2465 Le développement des échanges internationaux est à l’origine de la création de la fiscalité internationale. À l’époque elle souhaitait apporter une réponse à l’émergence d’une double imposition.

Juridiquement il n’existe aucun droit à l’élimination d’une double imposition. Toutefois, la France a conclu de nombreuses conventions1057pour éviter que les contribuables ne subissent celle-ci. La France, l’Angleterre et les États-Unis sont les pays qui disposent des meilleurs réseaux du monde en matière de conventions. Toutefois, la France peut encore améliorer la zone de couverture, notamment en Amérique latine et en Afrique anglophone.

Il convient de classifier (Section I) les cas de double imposition avant d’étudier les solutions proposées pour les éliminer (Section II).

Section I – Classification de la notion de double imposition

2465-1 Cette notion peut être classifiée sous deux catégories : les doubles impositions juridiques (§ I) et les doubles impositions économiques (§ II).

§ I – Les doubles impositions juridiques

2466 La double imposition juridique est l’hypothèse pour un même contribuable d’être imposé sur la même base de revenu ou de fortune par plus d’un État.

Cette situation se rencontre en présence d’une double résidence fiscale, et si chacun des États considère qu’un contribuable est domicilié fiscalement sur son territoire. Dans ce cas particulier, on sera en présence d’une double imposition des revenus tirés de ces deux États, mais également des revenus provenant d’États tiers (double imposition des revenus mondiaux).

Il existe également une double imposition juridique en cas de dualité entre la source et la résidence ; c’est le cas en présence d’un non-résident français ayant un revenu que la France se considère en droit d’imposer en qualité de pays de la source (la France considérant que les personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal en France sont assujetties à l’impôt sur le revenu de source française1058. L’idée est que la France impose les revenus qui ont été rendus possibles par l’utilisation des infrastructures et services publics français, même si le contribuable n’est pas domicilié en France.

Tel est le cas des revenus fonciers qui sont imposables dans l’État de la source (lieu de situation de l’immeuble correspondant au territoire dans lequel les revenus naissent).

§ II – Les doubles impositions économiques

2467 La double imposition économique regroupe les situations dans lesquelles deux contribuables sont imposables au titre du même revenu. Tel est le cas des dividendes (l’impôt est payé par deux contribuables différents ; la société et ensuite l’actionnaire).

Section II – Les solutions pour éliminer la double imposition

2467-1 Pour éviter une double imposition partielle ou totale, et en l’absence de convention fiscale, il n’existe en droit interne que deux textes applicables : l’article 784 A du Code général des impôts, qui n’est applicable qu’en matière de droits de succession et de donation, et l’article 980 du même code en matière d’impôt sur la fortune immobilière. Pour l’étude de ces mécanismes, on renvoie le lecteur infra , aux nos a2523 et a3510. En présence d’une convention, la double imposition est éliminée par des mécanismes appelés «méthode de l’exonération», laquelle est fréquemment couplée avec la règle du taux effectif (§ I) ou de l’imputation (dite également «méthode du crédit d’impôt») (§ II).

Une même convention peut retenir ces deux méthodes : l’exonération pour un État, l’imputation pour son cocontractant.

§ I – Méthode de l’exonération

2468 Ce mécanisme consiste à retirer le droit d’imposer à l’un des deux États afin d’éviter une double imposition. Il existe deux méthodes d’exonération : l’exonération intégrale (A) et l’exonération avec progressivité, dite «méthode du taux effectif» (B).

A/ Méthode de l’exonération totale

2469 Un des deux États (celui de la source ou celui de la résidence selon les cas) n’a pas le droit d’imposer les revenus qui ont été perçus dans l’autre État.

En pratique c’est plus souvent l’État de la source qui applique l’exonération intégrale.

B/ Méthode de l’exonération avec progressivité (ou méthode du taux effectif)

2470 Dans ce cas, l’État qui exonère d’imposition certains revenus conserve le droit de calculer l’impôt afférent aux revenus dont l’imposition lui est réservée, d’après le taux moyen qui serait applicable s’il était tenu compte de l’ensemble des revenus qui seraient imposables d’après sa législation interne.

Concrètement, en présence d’une convention en matière de succession, l’impôt est calculé sur le montant total des biens du défunt, mais il n’est dû qu’en proportion de la part que représentent les biens effectivement soumis à l’imposition dans le montant total des biens.

En pratique, il s’agit souvent de l’État de la résidence du contribuable qui peut utiliser cette méthode, car il a connaissance des revenus mondiaux du contribuable pour fixer le taux effectif, ce qui serait plus difficile en pratique pour l’État de la source.

La méthode du taux effectif est utilisée en matière de convention traitant de l’impôt sur le revenu et en matière de succession et de donation. Cette méthode permet d’appliquer une progressivité constante et illimitée. Elle permet de conserver une égalité entre les résidents français en matière de taux d’imposition.

L’État français, avant les années 1980, avait la préférence pour le mécanisme du taux effectif, mais il lui est désormais préféré le mécanisme du crédit d’impôt égal à l’impôt français.

Dans le cadre des conventions en matière de succession (ou de donation) signées par la France, le taux de l’impôt est calculé suivant la règle du taux effectif, à raison des successions qu’elles visent, que le défunt (ou le donateur) soit domicilié ou non en France au moment du décès (ou de la donation).

En effet, à la différence de l’impôt sur le revenu, il n’y a, du côté français, en matière de droits de mutation à titre gratuit, aucune restriction à l’application du taux effectif à l’égard des personnes n’ayant pas leur domicile fiscal en France.

Exemple

Exemple d’exonération avec progressivité : un défunt, domicilié en France, décède en laissant un enfant marié sans enfant. Les actifs successoraux comprennent : un appartement en Espagne évalué à 300 000 €, le mobilier le garnissant pour 80 000 €, un fonds de commerce en France pour 500 000 €, un immeuble en France pour 800 000 €, le mobilier le garnissant pour 120 000 €, des valeurs mobilières françaises évaluées 30 000 €, du numéraire (au domicile) pour 20 000 €. Soit un actif brut total de 1 850 000 €.

La succession est grevée d’un passif déductible de 80 000 € garanti pour 30 000 € par l’appartement situé en Espagne et afférent pour 50 000 € au fonds de commerce en France.

Détermination de la cotisation de base : on calcule un impôt théorique sur la part nette recueillie par l’ayant droit, en considération de la loi française applicable en l’absence de convention franco-espagnole ; soit une base imposable de 1 770 000 € (actif brut de 1 850 000 € moins le passif déductible pour 80 000 €). Il y a lieu de déduire l’ abattement de 100 000 €, soit une part nette imposable de 1 670 000 € et un impôt théorique de 520 678 €.

Détermination du taux moyen d’imposition : on divise le montant de la cotisation de base par le montant de la part successorale nette qui aurait été imposable en France en l’absence de convention, mais avant déduction des abattements personnels qui sont considérés comme des éléments du tarif, déjà déduit pour le calcul de la cotisation de base. Soit un taux moyen d’imposition de 520 678 € / 1 770 000 × 100 =  29,42 %.

Calcul de l’impôt exigible : on applique le taux moyen à la part nette des seuls biens imposables en France eu égard aux dispositions de la convention, sans déduction des abattements personnels, déjà pris en compte pour le calcul de la cotisation de base et donc pour la détermination du taux moyen de l’impôt, selon la convention :

Biens imposables en France en application de la convention franco-espagnole du 8 janvier 1963 :

le fonds de commerce (art. 31-1-a) ;

l’immeuble en France (art. 30) ;

le mobilier le garnissant (art. 33) ;

les valeurs mobilières françaises (art. 34) ;

le numéraire (art. 33).

Soit un actif brut de 1 470 000 €.

Le passif déductible est de 50 000 € (fonds de commerce en France, art. 35-1).

Soit un actif net de 1 420 000 €.

Impôt exigible ; taux moyen de 29,42 % sur 1 420 000 € =  417 764 €

Comparons avec la simple application du tarif aux seuls biens imposables en France :

Les biens imposables sont de 1 470 000 € et le passif déductible est de 50 000 €. Soit un actif imposable de 1 420 000 €. À cette somme il y a lieu de déduire l’abattement1059pour 100 000 €, soit une part taxable de 1 320 000 €. Soit après application du barème d’un impôt de 380 678 €.

La règle du taux effectif génère une imposition supplémentaire (417 764 € – 380 678 €) de 37 086 € au titre de la progressivité.

§ II – Méthode de l’imputation

2471 Dans cette hypothèse, la convention fiscale ne réserve pas le droit d’imposer à un État en particulier. Les deux États vont imposer le revenu et la double imposition est évitée au moyen d’un crédit d’impôt. Le contribuable peut déduire de l’impôt qu’il doit dans l’État de sa résidence, un crédit d’impôt représentatif de l’impôt payé dans l’autre État. Il s’agit du montant effectivement acquitté et non celui qui serait théoriquement dû.

Le système français réserve le système de l’imputation aux revenus qui font l’objet d’une imposition à la source, tels que les dividendes, intérêts et redevances ou pour les revenus artistiques et sportifs.

L’imputation d’un crédit d’impôts n’est possible que si une convention fiscale l’autorise1060. En l’absence de convention, aucun crédit d’impôt n’est imputable. Toutefois, dans ce cas particulier, le montant de l’impôt payé à l’étranger devient déductible des revenus sur le fondement des articles 13 et 122 du Code général des impôts.

À titre exceptionnel, et en dehors du domaine conventionnel, le droit interne a prévu deux champs d’application du mécanisme de crédit d’impôt : l’impôt sur la fortune immobilière et les droits de mutation à titre gratuit.

Étudions, dans un premier temps les différentes façons d’appliquer la méthode de l’imputation, qui peut être partielle (A), intégrale (B) ou forfaitaire (C) puis, dans un second temps, les caractéristiques du crédit d’impôt français (D).

A/ Imputation partielle

2472 En cas d’imputation partielle, le crédit d’impôt est plafonné au montant de l’impôt dû dans cet État sur les revenus qui ont leur source dans l’autre État. Cette solution, qui en pratique a la préférence des États, s’explique par l’acceptation par ces derniers d’annuler leur propre impôt, mais par le refus de rembourser au contribuable un impôt payé à l’étranger. Dans ce cas, il persiste une légère double imposition.

B/ Imputation intégrale

2473 Cette méthode est peu utilisée, car les États utilisent plus volontiers l’imputation partielle. Elle consiste à autoriser la déduction de la totalité de l’impôt payé dans l’autre État.

C/ Imputation forfaitaire

2474 Ce mécanisme consiste en la possibilité pour un contribuable de profiter d’un crédit d’impôt dans l’État de sa résidence, même s’il n’y a eu aucun impôt prélevé à l’étranger, ou de profiter d’un crédit d’impôt supérieur au taux de droit commun (applicable dans le pays de la retenue à la source).

Il faut préciser que ce mécanisme de crédit d’impôt forfaitaire n’est plus utilisé dans les nouvelles conventions et que son application se restreint au fur et à mesure de la renégociation des conventions. Cette technique était utilisée par la France pour les conventions qu’elle ratifiait avec les pays en développement.

L’État en voie de développement, pour attirer les investisseurs sur son territoire, réduit son imposition ou ne prélève aucun impôt. Cet État fait un effort, mais l’investisseur n’en profiterait pas1061car l’État français a vocation à taxer les revenus mondiaux. L’État en voie de développement perçoit moins d’impôts et l’État développé en perçoit davantage. Par conséquent, le fait d’accorder une imputation forfaitaire corrige ce mécanisme fiscal. Cela permet au contribuable de payer au total moins d’impôts. La mesure spéciale pour encourager les investissements dans le pays à développer retrouve alors de son efficacité1062.

La France ayant dans certaines anciennes conventions prévu l’imputation d’un crédit forfaitaire, on devra examiner l’article traitant de l’élimination des doubles impositions. Cette technique était prévue en matière de revenus tels que les intérêts et les redevances. Pour les conventions avec certains États d’Afrique francophone, on devra appliquer une «décote africaine»1063qui se calcule à l’aide d’une formule qui permet de déterminer directement le crédit d’impôt.

D/ Les caractéristiques du crédit d’impôt français

2475 On pourrait trouver cela surprenant, mais le crédit d’impôt est un revenu. Le contribuable qui profite d’un crédit d’impôt doit l’ajouter à son produit lors de l’établissement de sa déclaration de revenus. Juridiquement il est propriétaire d’une créance contre le Trésor public.

L’administration française plafonne les crédits d’impôt au montant de l’impôt français sur les revenus auxquels ils sont attachés1064. En cas d’excès de crédit d’impôt non imputable, celui-ci n’est pas déductible. Certaines conventions fiscales le précisent clairement. À défaut, l’excédent est peut-être déductible1065.

Depuis la fin des années 1980, la France favorise, à l’occasion de la renégociation des conventions, la méthode du crédit d’impôt. Ce crédit d’impôt est égal à l’impôt français.

Le crédit d’impôt égal à l’impôt français se rapproche du mécanisme du taux effectif en ce qu’il permet que le taux moyen d’imposition du contribuable ne soit pas inférieur à celui d’un autre contribuable français qui ne percevrait que des revenus de source française.

Dans le cas du crédit d’impôt égal à l’impôt français :

dans le pays étranger : le contribuable paye l’impôt sur les revenus de source étrangère ;

dans le pays de résidence (France) : l’administration calcule un impôt théorique sur une assiette comprenant tant les revenus de source étrangère que les revenus de source française. Puis elle calcule un crédit d’impôt en multipliant l’impôt théorique par le nombre cent et en le divisant par le montant cumulé des revenus français et ceux de cet État étranger. Enfin, l’impôt éligible est égal à l’impôt théorique auquel on déduit le montant du crédit d’impôt ainsi déterminé.

Ce système donne des résultats d’imposition très proches de celui du taux effectif. Toutefois il est moins intéressant pour le contribuable pour deux raisons :

en cas de revenu déficitaire à l’étranger, ce déficit n’est pas pris en compte, contrairement au système du taux effectif ;

selon la rédaction des conventions, le crédit d’impôt peut ne pas être applicable si le contribuable n’est pas soumis à l’impôt dans le pays étranger (dit «pays de la source»)1066. Dans ce cas particulier, le crédit d’impôt est alors égal au montant de l’impôt étranger qui est nul. Le mécanisme du taux effectif aurait dans ce cas précis permis une exonération d’imposition des revenus étrangers même en l’absence d’impôts étrangers.

Focus

Désormais la France prévoit dans les nouvelles conventions une combinaison entre la méthode du crédit égal à l’impôt français et celle du crédit égal à l’impôt étranger, dans un but de lutte contre l’évasion fiscale1067. On tient compte des revenus français et étrangers pour le calcul de l’impôt français, si le contribuable est un résident de France, sauf si ces revenus sont exonérés en droit interne (français).

En conclusion

L’absence de convention est la pire des solutions, car nous sommes en présence d’une double imposition. À l’opposé, en présence d’une convention, la méthode la plus avantageuse pour le contribuable est celle de l’exonération intégrale.


1057) Plus de cent vingt conventions et accords fiscaux liant la France à plus d’une centaine de pays, dont trente-sept en matière de successions, dix pour les donations ; la liste en est donnée au BOI-ANNX-000306.
1058) CGI, art. 4 A.
1059) CGI, art. 779-I.
1060) Il existe toutefois une exception pour les revenus de source danoise qui sont imputables hors champ d’une convention ; BOI-INTER-CVB-DNK, nos 170 et s.
1061) Sauf à appliquer le mécanisme de l’imputation forfaitaire.
1062) Ce mécanisme peut aussi prendre la forme d’une réduction de quelques points du taux d’imposition applicable à la source et parallèlement d’un crédit d’impôt calculé sur la base d’une imposition qui resterait calculée avant application de cette réduction. Ainsi la charge fiscale totale pour le contribuable est inférieure à ce qu’elle serait en l’absence de crédit d’impôt forfaitaire.
1063) On utilise cette formule sur la base brute des dividendes et on obtient un pourcentage qui sera le résultat de la formule suivante ; 100 – (t + 25) / 2 ; t est le taux de l’impôt prélevé à l’étranger.
1064) Le crédit d’impôt est plafonné à un montant égal au revenu net étranger auquel est appliqué le taux de droit commun, c’est-à-dire au taux de 33,1/3 % pour l’impôt sur les sociétés et barème progressif pour l’impôt sur le revenu.
1065) Le juge n’a pas tranché de façon indiscutable ce point.
1066) Tel est le cas pour la convention fiscale franco-chinoise.
1067) Tel est le cas de la convention franco-chilienne.
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