CGV – CGU

Partie II – La circulation internationale de l’acte
Titre 2 – Les fondements et modalités de la circulation internationale
Sous-titre 2 – La circulation de l’acte en dehors de l’Union européenne
Chapitre I – L’équivalence ou la prise en considération des actes notariés circulants

2402 Si peu d’études portent sur la compétence internationale des actes notariés877, il est encore moins d’études doctrinales recensées qui portent sur la méthode de l’équivalence appliquée à l’acte notarié dans un contexte international878.

D’ailleurs, faut-il plutôt parler d’équivalence, de reconnaissance, ou encore de prise en considération ? L’absence de réflexion sur cette question laisse planer un certain «flottement terminologique et notionnel» sur la matière879.

Cela empêcherait-il pour autant de soulever la question de la prise en considération de l’acte notarié circulant en droit international privé ? L’acte authentique qui retranscrit une situation de droit ou de fait est tout aussi concerné par la circulation internationale qu’une décision de justice.

Si le notaire, lorsqu’il instrumente, est tenu de respecter la lex auctoris880afin que sa manière de rédiger demeure conforme à la loi française, il peut en revanche appliquer une loi étrangère pour la substance de son acte881.

Tenir informés ses clients de la faculté qui leur est offerte de choisir une autre loi que celle avec laquelle il instrumente son acte relève d’ailleurs de son devoir de conseil882.

De même que le juge, l’officier public qu’est le notaire est tenu de mettre en œuvre les règles de droit applicables, et pour cela il ne peut se dispenser de l’application de la règle de conflit883.

Dans ces conditions, lorsqu’une situation de droit est créée dans un État et doit produire ses effets dans un autre État, les autorités de cet autre État doivent-elles apprécier cette situation selon leurs propres règles de conflit, ou bien peuvent-elles la reconnaître en faisant abstraction de leurs règles de conflit ?

Dit autrement, quelle méthode doit prévaloir, entre celle de l’équivalence (ou la reconnaissance) et celle du conflit de loi ?

Si, en doctrine, la distinction entre décision de justice et acte authentique doit être respectée, en pratique, même si l’acte notarié n’a besoin d’aucune procédure de type exequatur pour produire ses effets dans son État d’accueil, il demeure cependant soumis à l’application de vérifications autres que la légalisation ou l’apostille884.

Le notaire doit vérifier la validité et la force probante des actes authentiques étrangers qui lui sont présentés885.

2403 La reconnaissance de l’acte notarié à l’international par la méthode de l’équivalence paraît être la seule susceptible d’être pratiquée en la matière. Il y a alors prise en considération, et «la jurisprudence donne à cette méthode une place de choix en matière d’acte authentique, démarquant celui-ci des jugements»886.

L’équivalence (ou la prise en considération, ou la reconnaissance, les synonymes sont ici possibles)887une fois constatée, l’acte authentique étranger rentre dans le présupposé de la règle, «laquelle va déterminer les effets qu’elle entend faire produire à l’acte. Lesquels sont multiples : validité de l’opération, opposabilité aux tiers d’un droit, force probante de l’acte»888.

C’est ainsi qu’un notaire français a pu procéder à un changement de régime matrimonial permis par la loi de l’État de New York, sans que les époux aient eu à faire homologuer leur contrat : la loi applicable au régime matrimonial des époux étant en effet la loi américaine, qui ne prévoit aucune procédure judiciaire, c’est par conséquent cette dernière qui s’applique pour rendre possible en France le changement de contrat de mariage sans homologation judiciaire889.

Avec la prise en considération, l’acte authentique étranger se trouve assimilé à un acte authentique français correspondant, et il convient dans ces conditions d’en tirer «toutes les conséquences au regard de leur force probante, sans se référer à une loi quelconque»890.

Dans une affaire de 2008891, la Cour de cassation a ainsi rejeté le pourvoi à l’encontre d’un acte de partage amiable dressé en Tunisie devant deux notaires. Le pourvoi soutenait que l’acte reçu par deux notaires tunisiens ne pouvait être établi à l’étranger du fait qu’il portait sur des immeubles situés en France. Les hauts magistrats ont rejeté le pourvoi, considérant que l’acte de partage, même reçu à l’étranger, restait pleinement valable et qu’il obligeait les parties, même si la loi applicable à la succession était la loi française892.

2404 C’est précisément parce que l’acte authentique étranger s’intègre dans l’ordre juridique interne que sa prise en considération lui assure une efficacité internationale.

Une nouvelle tâche incombe alors au notaire, au même titre que celle que connaît le juge : celle de rechercher le contenu du droit étranger, afin de reconnaître dans l’ordre interne la validité de l’acte présenté au regard du droit matériel étranger.


877) Pour les rares références bibliographiques, V. supra, n° a2050, les notes y afférentes.

878) En doctrine, à l’exception de l’article de fond de Mme Marie Goré ayant pour sujet de réflexion l’acte authentique en droit international lors d’une communication au Comité français de droit international privé et de la thèse de M. Pierre Callé portant sur l’acte public en droit international privé à l’Université de Caen, les auteurs se sont surtout concentrés sur les décisions de justice ou le statut personnel en matière de reconnaissance.

Concernant les articles dédiés à la pratique notariale, il est possible de citer : G. Khairallah et J.-F. Gojon, La force probante internationale de l’acte notarié : JCP N 1er févr. 2013, n° 5, 1017, p. 46. – R. Crône, La réception d’un acte authentique étranger en France, in Mél. en l’honneur de M. Revillard, Liber amicorum, Defrénois, 2007, p. 77 et s. – P. Callé, Le notaire, les actes notariés et le droit international privé, in Mél. à la mémoire de P. Courbe, Dalloz, 2012, p. 75 et s. – A. Meier-Bourdeau, La réception des actes authentiques étrangers en France : JCP N 18 juill. 2014, n° 29, 1253, p. 38 et s. – G. Bonnet et D. Vincent, Les actes solennels dans l’espace international, Guide pratique de la recherche de l’équivalence : JCP N 1er mai 2015, n° 18, 1145, p. 41 et s. – J.-D. Rumpf, La réception à l’étranger de l’acte authentique français : JCP N 18 juill. 2014, n° 29, 1254, p. 43 et s.

879) C. Nourissat, Union européenne et droit international privé : relire le Doyen Savatier 60 ans après, in Mél. en l’honneur du Professeur B. Ancel, LGDJ, 2018, p. 1225. L’auteur utilise cette expression pour évoquer le rapport existant en son temps entre le traité de Rome et le droit international privé. L’ambiguïté qui pouvait exister dans certaines matières à l’origine se retrouve encore exister aujourd’hui dans de nouvelles.
880) Pour une définition du principe : V. supra, n° a2051.
881) P. Callé, Le notaire, les actes notariés et le droit international privé, in Mél. à la mémoire de P. Courbe, Dalloz, 2012, p. 86 ; en outre, pour une proposition de clause de désignation de loi applicable, V. supra, n° a2303.
882) Cependant, si l’obligation incombant au notaire est de tenir informés ses clients de la faculté de choisir une autre loi que celle du for, le notaire n’a pas, en vertu de ce devoir de conseil, l’obligation de connaître et encore moins de maîtriser les droits matériels auxquels les parties peuvent et veulent se soumettre. Il s’agira alors pour les parties d’aller consulter un juriste local.
883) P. Callé, art. préc., p. 86. – H. Péroz et E. Fongaro, Droit international privé patrimonial de la famille, LexisNexis, coll. «Pratique notariale», 2e éd. 2017, p. 15, n° 21.
884) V. supra, Chapitre I, L’acceptation de l’acte notarié en droit international privé, nos a2382 et s.
885) H. Péroz et E. Fongaro, op. cit., p. 2, n° 2.
886) M. Goré, L’acte authentique en droit international, Travaux comité fr. DIP, 14e année, 1998-2000-2001, p. 26.
887) La circulation internationale étant ici envisagée hors Union européenne, ce qui sera différent au sein de l’Union (V. infra, n° a2420), lorsque la distinction entre reconnaissance des jugements et acceptation des actes authentiques sera déterminante.
888) M. Goré, art. préc., p. 29.
889) Cass. 1re civ., 19 mars 2008, n° 06-19.103, F-P+B. – J.-M. Jacquet, Conflit de loi – Régimes matrimoniaux – Changement de régime matrimonial : JDI avr. 2008, n° 2, comm. 7.
890) M. Goré, art. préc., p. 29.
891) Cass. 1re civ., 19 nov. 2008, n° 05-16.203 : JurisData n° 2008-045872 ; Rev. crit. DIP 2009, p. 295, note B. Ancel.

892) Si dans la rigueur des principes ce raisonnement tenu en 2008 reste toujours valide, il convient cependant de s’interroger aujourd’hui sur l’efficacité d’un tel acte établi à l’étranger au regard des dispositions issues de la loi du 28 mars 2011 et contenues dans l’article 710-1 du Code civil prévoyant la possibilité d’accomplir les formalités de publicité foncière pour les actes reçus en la forme authentique exclusivement par un notaire français exerçant en France.

Autrement dit, bien que toujours valable aujourd’hui, cet acte serait cependant inefficace pour la publication au service de la publicité foncière.

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