CGV – CGU

Partie I – Préparation et rédaction de l’acte : enjeux et méthodologie
Titre 8 – Electio juris

2304 Peut-on choisir en matière contractuelle la juridiction d’un pays comme compétente en cas de litige ?

Dans les litiges internationaux, les parties sont confrontées à une concurrence de compétences juridictionnelles. Le choix du tribunal est un avantage stratégique, que les parties peuvent ne pas vouloir laisser au hasard. Il peut être dangereux d’attendre qu’un litige survienne, et que le demandeur sélectionne discrétionnairement, parmi les juridictions compétentes, celle de son choix. Les parties peuvent sélectionner le tribunal en amont, d’un commun accord, en insérant une clause attributive de juridiction ou une clause d’élection du for.

– La clause attributive de juridiction. – Il existe des matières ou le régime de compétence juridictionnelle est exclusif (cas en matière immobilière et en matière d’exécution)696. Dans ces cas, aucune dérogation à cette compétence, voulue par les parties, ne peut être admise. Les parties ne peuvent donc valablement conclure une clause attributive de juridiction faisant échec à une compétence exclusive ; la règle est prévue tant par le droit européen697que par le droit commun français698.

Exemple

Tel serait le cas d’un acquéreur de nationalité américaine qui achèterait un appartement à Paris et qui souhaiterait qu’en cas de litige les tribunaux de l’État de Floride soient compétents. Le notaire français ne peut accepter d’insérer une clause prévoyant la compétence de ces derniers.

Si une telle clause était insérée et que les tribunaux étrangers venaient à rendre une décision, alors la France n’aurait qu’un moyen indirect de sanction : elle refuserait de reconnaître, dans son ordre juridique, les effets du jugement rendu en violation de cette compétence exclusive par les tribunaux d’un autre État.

L’effectivité de cette sanction dépend donc du lieu où le jugement litigieux doit produire ses effets.

Dans l’Union européenne, dans un tel cas, les juridictions des États membres ont l’obligation de se déclarer incompétentes, le cas échéant d’office699.

En matière contractuelle, il existe dans les contrats internationaux un principe général de licéité des clauses attributives de juridiction. Le droit commun français est fixé en ce sens : l’arrêt Compagnie des Signaux700pose une règle matérielle de droit international privé de licéité de la clause, mais subordonne celle-ci à deux conditions : le litige doit être relatif à un contrat international et il ne faut pas faire échec à une compétence territoriale impérative des juridictions françaises. Attention, elles ne peuvent déroger aux règles de compétence exclusive, ni à celles des compétences protectrices des parties faibles.

– Clause d’élection de for. – Dans cette clause, les parties déterminent et désignent, parmi les différents juges étatiques internationalement compétents, celui qui pourra connaître des litiges qui naîtront de leur relation. Cette clause est différente de celle attributive de juridiction, même si en pratique elle est utilisée comme notion équivalente. En effet, la clause attributive de juridiction ne se borne pas à sélectionner un juge parmi les juges compétents, mais elle attribue compétence au juge qu’elle désigne.

La clause attributive de juridiction est le plus souvent exclusive. Elle confère compétence au juge élu, et lui seul. Cette compétence exclusive du juge se traduit concrètement par l’interdiction faite aux parties de saisir un autre juge que le juge élu, et par l’interdiction théorique faite aux autres juges de se déclarer compétents en violation de la clause.

On distinguera ces clauses de la clause compromissoire qui, en revanche, doit être différenciée des deux précédentes (V. infra, n° a2310), car elle désigne un juge privé plutôt qu’un juge étatique et elle prive les juges étatiques de toute compétence.

En droit international privé, les clauses ou conventions attribuant une compétence juridictionnelle sont dénommées « conventions d’élection de for ». Elles sont très largement admises en matière internationale. Ces conventions sont appréhendées par le droit de l’Union européenne701, mais également par la Convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for. Ces conventions doivent être conclues par écrit pour garantir que les parties ont réellement donné leur consentement à la clause. Toutefois, dans le système Bruxelles, cette clause est également valable si elle est conclue « verbalement avec confirmation écrite »702.

Elle peut être insérée dans une transmission électronique permettant de la consigner703.

La clause d’élection de for, lorsqu’elle est insérée dans un contrat international, est autonome par rapport au contrat substantiel qui la reçoit704.

Par conséquent, la nullité éventuelle du contrat principal n’entache pas la clause attributive de juridiction.

Cette clause est licite et s’applique même si elle permet aux parties de contourner l’impérativité des lois de police du for705 : en pratique, l’État dont les lois de police sont applicables peut refuser de reconnaître les décisions de justice étrangères qui ont omis d’appliquer ces lois de police. On remarque toutefois en France un terrain propice à la réception des jugements étrangers. Ce type de refus devient exceptionnel.

La clause attributive de juridiction est licite en matière contractuelle. Sous l’influence du droit européen, la matière familiale est désormais ouverte aux justiciables. Ils peuvent désormais choisir la juridiction compétente, sous réserve que cette juridiction entretienne des liens suffisants avec le cas d’espèce. Tel est le cas pour le règlement «Successions»706, le règlement «Régimes matrimoniaux» et le règlement «Effets patrimoniaux des partenariats».

Attention

Les époux ne peuvent pas choisir la juridiction qui serait appelée à connaître de leur divorce : le règlement Bruxelles II bis n’a pas introduit cette possibilité.

La clause attributive de juridiction peut avoir deux effets : attribuer compétence aux juridictions élues et/ou conférer compétence exclusive au juge désigné en rendant incompétente toute autre juridiction707.

La clause d’élection de for va attribuer une compétence internationale générale aux juridictions de l’État désigné, par exemple les tribunaux français, mais elle peut également conférer une compétence internationale seulement à une juridiction spécialement désignée (les tribunaux de Paris). Si la clause fait référence aux tribunaux français, il y aura lieu d’appliquer les règles de compétence territoriale interne à la France pour identifier la juridiction territorialement compétente.

En cas de litige à propos de l’existence d’une clause attributive de juridiction, quelle sera la loi applicable ?

La clause attributive de juridiction dépend, pour sa validité, d’une loi étatique. Cette loi applicable a pour objet de définir, à travers ses règles matérielles, les conditions de validité au fond. Pour déterminer la loi applicable, il faut consulter le droit international privé de l’État dont les juridictions ont été élues.

Il est conseillé aux notaires souhaitant insérer une clause attributive de juridiction dans un acte de préciser « les questions », « le domaine », que les parties entendent soumettre à la compétence exclusive du tribunal désigné. Par exemple : l’ensemble des litiges dérivant du contrat, ou les seuls litiges relatifs à l’exécution du contrat.

Clause type

Choix de juridiction compétente / Élection de for

Conformément aux dispositions du règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, dit «Rome I», les parties désignent le tribunal de grande instance du ressort du lieu de situation de l’immeuble pour juger de tout contentieux à venir intéressant le présent contrat.


696) Cass. 1re civ., 27 mai 1970, Weiss : Rev. crit. DIP 1971, 113, note H. Batiffol.
697) Règl. Bruxelles I, art. 23-5 et 25-4.
698) Cass. 1re civ., 17 déc. 1985, Cie des signaux : Rev. crit. DIP 1986, 537, note H. Gaudemet-Tallon.
699) Règl. Bruxelles I, art. 25 et 27.
700) Cass. 1re civ., 17 déc. 1985, Cie des signaux : Rev. crit. DIP 1986, 537, note H. Gaudemet-Tallon. L’arrêt précise en outre que si les parties procèdent à la désignation globale des juridictions d’un État étranger, sans indiquer le tribunal spécialement compétent, il sera nécessaire que le droit interne de cet État permette de déterminer le tribunal spécialement compétent.
701) Règl. Bruxelles I, art. 23 et Règl. Bruxelles I bis, art. 25.
702) Cass. com., 21 févr. 2012, n° 11-16.156 : Rev. crit. DIP 2012, 63, note D. Bureau.
703) Règl. Bruxelles I, art. 23, a ; Règl. Bruxelles I bis, art 25. a ; Conv. La Haye 30 juin 2005, art. 3, C, i.
704) Conv. La Haye 30 juin 2005, art. 3, d, et Règl. Bruxelles I bis, art. 25-5.
705) Cass. 1re civ., 22 oct. 2008 : Bull. civ. 2008, I, n° 233 ; Rev. crit. DIP 2009, 69 ; JDI 2009, 11, M.-N. Jobart-Bachelier et F.-X. Train.
706) Les articles 5 et 7 b du règlement «Successions» n° 650/2012 prévoient que les juridictions de l’État membre dont la loi a été choisie par le défunt sont compétentes si les parties leur ont attribué compétence selon une convention d’élection de for. Ces articles permettent donc de lier compétence juridictionnelle et loi applicable.
707) Pour approfondissement, lire S. Clavel, Droit international privé, Dalloz, 4e éd. 2016, p. 219 et s.
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