CGV – CGU

Partie I – Préparation et rédaction de l’acte : enjeux et méthodologie
Titre 5 – Ont comparu : les parties à l’acte
Sous-titre 2 – Les autres entités ou institutions originales
Chapitre I – Les personnes morales

2262 Il existe plusieurs catégories de personnes morales de droit privé : en droit français on distingue les sociétés, les associations, les syndicats, les groupements d’intérêt économique et les fondations. La société étant le type le plus courant, on limitera la présente étude à celle-ci. Ne sera développée que l’étude des sociétés revêtues de la personnalité morale636.

La société jouit de la personnalité juridique. En présence d’une société étrangère, on s’interroge sur sa condition en France. Peut-elle exercer en France telle activité ? Quelle sera sa nationalité ? Doit-on lui reconnaître la personnalité juridique ? Et en application de quelles règles son fonctionnement doit-il être assuré ?

Pour répondre à ces questions, on étudiera successivement les étapes de la constitution des sociétés (Section I), leur condition (Section II) et leur fonctionnement (Section III). Enfin, nous rappellerons le processus qui doit être mis en place par les notaires à l’occasion de la comparution d’une société étrangère (Section IV).

Section I – La constitution des sociétés

2263 La reconnaissance par un État d’une société qui réside sur son territoire consiste à admettre que cette société a la personnalité morale et qu’elle a été valablement constituée dans un autre État. À défaut de reconnaissance, la société ne pourrait effectuer aucun acte juridique sur le territoire qui ne l’a pas reconnue et ne pourrait donc s’y établir. L’enjeu de la reconnaissance se définissant comme « l’autorisation d’exercer une activité » sur le territoire de cet État637.

En principe, la personnalité juridique des sociétés étrangères est reconnue de plein droit en France pour les sociétés de personnes étrangères. Cette solution se fonde sur l’article 11 du Code civil qui subordonne la jouissance des droits civils à la réciprocité diplomatique.

Pour les sociétés de capitaux, depuis l’abrogation de la loi du 30 mai 1857 intervenue dans l’article 27 de la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit, toutes les sociétés de capitaux émanant d’autres États sont reconnues en France.

La reconnaissance d’une société comme personne morale dépend toutefois de la régularité de sa constitution. Il faut distinguer entre celles qui sont constituées en France (Sous-section I) ou à l’étranger (Sous-section II).

Sous-section I – Constitution en France

2264 Une société constituée en France en respect des règles posées par le droit français acquiert la personnalité morale à compter de son immatriculation : l’article 1837, alinéa 1er du Code civil dispose que : «Toute société dont le siège social est situé sur le territoire français est soumise aux dispositions de la loi française» , et qu’en vertu de l’article 1842, alinéa 1er du même code, les sociétés jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation.

Peu importe que certains des associés soient des étrangers : la loi française le permet638. Toutefois, en application de l’article R. 313-16 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, les dirigeants ou associés étrangers doivent être titulaires d’une carte de séjour s’ils exercent une activité nécessitant une immatriculation au registre du commerce et des sociétés.

Pour être immatriculée en France, la société doit y avoir son siège statutaire.

Il faut distinguer le siège statutaire du siège social réel. En effet, une société ayant son siège statutaire en France peut parallèlement avoir son siège social réel à l’étranger si le centre des décisions est pris en dehors du territoire français.

Cette situation n’est pas interdite. En revanche, l’immatriculation en France d’une société avec un siège statutaire hors de France n’est pas possible. Exceptionnellement l’immatriculation en France d’une société dont le siège statutaire est à l’étranger est possible si elle exerce en France une activité et si celle-ci est postérieure à sa constitution dans l’État étranger.

Cette immatriculation est réalisée à des fins de publicité639.

Sous-section II – Constitution à l’étranger

2265 Une société valablement constituée à l’étranger selon la loi locale est-elle automatiquement reconnue comme telle en France ? Pour répondre à cette question de la reconnaissance des personnes morales, il faut se placer soit selon les solutions proposées en termes de conflit de lois (§ I), soit en application de la méthode de la reconnaissance (§ II).

§ I – Méthode conflictuelle

2266 Cette méthode de droit international privé pose le principe selon lequel, par extension de la règle posée par l’article 1837, alinéa 1er du Code civil, toute société dont le siège social est situé sur un territoire étranger est soumise aux dispositions de la loi étrangère.

Exemple

Une société dont le siège social est en Italie ne pourra être valablement constituée qu’en application du droit italien.

On tire de cette méthode deux conséquences :

1. si le siège statutaire est en France : la société ne peut être constituée à l’étranger. Selon le point de vue français, dans un tel cas la société ne saurait être reconnue. Cette position ferme la porte à une éventuelle possibilité de mise en œuvre du principe de l’autonomie en matière de constitution des sociétés. Lorsque les associés souhaitent échapper à la loi d’un pays, ils ont la possibilité de créer la société dans un autre pays et d’ y fixer le siège statutaire, alors que le siège réel se situera dans le premier pays. Cette manœuvre permet de constituer une société sous les auspices plus intéressants d’une loi étrangère. Dans un tel cas, le droit positif français refuse de reconnaître la validité d’une telle société. Elle serait considérée comme frauduleuse ;

2. si le siège statutaire de la société est à l’étranger : la société est reconnue seulement si elle a été constituée dans le pays du lieu de son siège social et en application de la loi locale.

En pratique, en matière de sociétés anonymes étrangères, la reconnaissance était soumise à une condition supplémentaire tenant à l’existence d’un décret pris en Conseil d’État. Elles ne pouvaient ester en justice en France dans le cadre de la défense de leurs intérêts et de leurs biens, car elles n’étaient pas visées par ce décret. La Cour de cassation a fait prévaloir l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme afin d’autoriser ces sociétés à ester en justice en France640.

Cette approche issue de la méthode conflictuelle est aujourd’hui discutée par une partie de la doctrine qui considère désormais qu’il est préférable d’utiliser la méthode de la reconnaissance notamment, en lien avec l’ordre juridique européen.

§ II – Méthode de la reconnaissance des situations

2267 Cette méthode, sous l’influence des règles supranationales, tend à progresser car elle est plus adaptée aux problématiques existantes. En effet, ces règles imposent parfois de reconnaître les sociétés régulièrement constituées à l’étranger (A), ou exigent une adaptation de la méthode de la reconnaissance à certaines situations afin de permettre des solutions plus adaptées (B).

A/ La reconnaissance imposée par les règles européennes

2268 Le principe posé par le traité de Rome est celui de la reconnaissance pleine et entière des sociétés valablement constituées sur le territoire d’un État membre. Cependant, le traité de Rome laisse aux États le soin de fixer le critère de rattachement de ces sociétés : la diversité est donc présente.

On peut ainsi dresser un état des lieux des règles applicables :

I/ La règle française : lieu du siège social

2268-1 La règle française prévoit qu’une société est valablement constituée dès lors qu’elle a été constituée dans le pays du lieu de son siège social. Celle-ci est partagée par d’autres pays en Europe, notamment par l’Allemagne et le Danemark.

II/ La règle de l’incorporation : lieu du pays d’enregistrement

2968-2 D’autres pays européens considèrent que la société doit être constituée selon les règles du pays d’enregistrement (i.e. les règles de l’État où les formalités de constitution sont effectuées quel que soit l’endroit du siège). Il s’agit de la théorie dite «de l’incorporation»641.

Dans ce cas, on accepte qu’une société puisse être constituée et immatriculée dans un État alors que son siège social serait situé à l’étranger. Cette théorie est utilisée notamment aux Pays-Bas, en Suisse et plus généralement dans les pays de common law642. Ce système plus libéral favorise la loi d’autonomie.

En effet, les constituants maîtrisent dans la durée la loi applicable à leur société.

Exemple

M. Paris est Français, il souhaite constituer une société avec son ami chinois M. Pékin. Ils veulent constituer la société So Net et la soumettre à la loi de l’État du Delaware, aux États-Unis. Le siège effectif sera en France. Les deux associés ont convenu que M. Pékin conserve l’intégralité des bénéfices.

Le Delaware reconnaît le principe de l’incorporation. Sa législation est particulièrement libérale. Ils constituent la société dans l’État du Delaware pour échapper à la prohibition des clauses léonines en France643.

La divergence de traitement de la reconnaissance des sociétés au sein des pays de l’Union européenne selon le droit international privé des États a pour effet de reconnaître certaines des sociétés du point de vue d’un État alors qu’elle ne le serait pas pour un autre.

On comprend que cela puisse être restrictif au principe de reconnaissance mutuelle.

Certains critères (notamment ceux retenus par la France) créent aux yeux de l’Europe une entrave à la liberté d’établissement.

La Cour de justice de l’Union européenne a jugé qu’une société régulièrement constituée du point de vue de la législation d’un État membre doit être reconnue dans l’espace de l’Union européenne. Cette société doit pouvoir y exercer son activité. L’obligation pour les États membres, fondée sur les principes de liberté d’établissement et de non-discrimination, de reconnaître les sociétés régulièrement constituées dans les autres États membres, nonobstant l’éventuelle irrégularité de ces sociétés au regard de leurs propres règles de conflit, a été affirmée par l’arrêt Centros644et confirmée depuis. Ces arrêts posent le principe d’autonomie que le droit international privé français avait écarté.

Il existe toutefois des limites : celle de la liberté de rattachement, par un État, d’une société à son propre ordre juridique. En effet, une société reconnue souhaitant transférer son siège dans l’un des États de l’Union européenne peut rencontrer des difficultés ; celui-ci n’est pas tenu d’enregistrer cette société ou de conserver son enregistrement.

Exemple

Exemple consacré par l’arrêt Cartésio645 : une société a été régulièrement constituée en Hongrie. Ce pays retient le principe du siège social réel. Elle souhaite transférer son siège social en Italie, mais souhaite également conserver son statut de société hongroise et rester par conséquent immatriculée en Hongrie. Cet arrêt retient le principe selon lequel l’État hongrois n’a pas l’obligation d’accepter de maintenir sur le registre des sociétés hongroises une société qui, si elle avait lors de sa constitution selon le droit hongrois son siège social réel sur le territoire hongrois, ne remplit plus cette condition en conséquence d’un transfert de ce siège en Italie.

B/ Adaptation de la méthode de la reconnaissance à certaines situations

2269 Cette adaptation consiste à considérer qu’une société existant à l’étranger est reconnue dans l’ordre juridique du for pour peu que cet alignement ne soit pas inacceptable en raison d’une fraude des parties (i.e. qu’une société étrangère est reconnue du point de vue de l’ordre juridique français dès qu’elle est reconnue par cet ordre juridique étranger. Par conséquent, le juge français n’a pas à apprécier l’exactitude du siège social d’une société étrangère)646.

Section II – La condition des sociétés

2270 Après l’étape de la constitution qui a permis à la société d’acquérir la personnalité morale, il convient de s’interroger sur les droits attachés à cette personnalité juridique. Ces droits dépendent de la nationalité de la société. Or, le droit positif révèle une convergence des droits octroyés entre les sociétés françaises et les sociétés étrangères. Malgré cette tendance, les sociétés ne jouissent pas exactement des mêmes droits en fonction de leur nationalité. Par conséquent, étudions les règles d’attribution de la nationalité aux sociétés (§ I) et aux groupes (§ II), puis les conséquences attachées à la nationalité des sociétés (§ III).

§ I – Attribution de la nationalité aux sociétés

2271 Aujourd’hui, la légitimité et l’existence de la nationalité des sociétés ne sont plus contestées. Au début du xxe siècle, la controverse était cependant vive.

Si la nationalité doit être entendue comme « le lien qui unit une personne à un État »647, quels sont les critères qui permettent son attribution ?

La société est rattachée à un ordre juridique. Une fois constituée en application des règles d’un État, elle en acquiert la nationalité. Celle-ci diffère de la loi applicable à la société.

La nationalité des sociétés dépend principalement en France du critère de la localisation de leur siège social réel, présumé être le siège social statutaire.

La théorie du siège social impose que l’on distingue le siège social statutaire (A) du siège social réel (B).

A/ Le siège social statutaire

2272 Le siège social statutaire est le lieu indiqué dans les statuts. Celui-ci confirme le pays d’exécution des formalités. En pratique, il existe peu de différences avec la théorie de l’incorporation ci-avant étudiée. En effet, il existe une tendance pour les pays usant de la méthode de l’incorporation à imposer que la société établisse son siège social dans l’État de sa constitution. Le siège statutaire est normalement le siège réel, dans une telle hypothèse la société acquiert cette nationalité. En cas de discordance entre le siège statutaire et le siège réel, alors la nationalité de cette société devrait être celle de l’État où la société à son siège réel.

B/ Le siège social réel

2273 Le siège social réel est le lieu du principal établissement.

Parfois on le dénomme sous le terme «siège réel». Ce siège doit cumuler deux caractéristiques : il doit être réel (I) et sérieux (II).

I/ Caractère réel

2274 Plusieurs critères, dont ceux de la direction effective ou du contrôle, permettent à la jurisprudence française d’établir le caractère réel.

Le critère de la direction effective impose de prendre en considération le lieu où fonctionnent les organes dirigeants de la société (le lieu des conseils d’administration648ou du centre des décisions) et une éventuelle subordination économique à une autre personne morale.

La direction effective s’analyse au regard tant des secteurs de direction juridique, financière, administrative, technique que commerciale. En cas d’éclatement entre plusieurs pays et de convergence du lieu du siège statutaire avec des indices de direction vers ce même pays, cela caractérisera le siège social649.

Le critère du contrôle consiste à attribuer à la société la nationalité des détenteurs majoritaires du capital. Cette notion a été développée à la suite des deux guerres mondiales en distinguant le rattachement soit juridique, soit économique650. L’utilisation de ce critère de contrôle en période de guerre avait pour objectif de traverser le filtre de la personnalité morale de la société pour atteindre les individus qui la dirigeaient.

Exemple d’attribution de la nationalité par application du critère du siège réel

La société Council est immatriculée à Londres. Les associés sont les membres de la même famille, Vincent le père, François le fils et Paule la fille. Seule Paule habite Londres. Les autres ont leur résidence à Paris. Vincent est le président de la société. François tient la comptabilité. Les décisions d’assemblée ont toujours lieu à Paris, Paule se déplace à chaque fois. La société est de nationalité française651.

II/ Caractère sérieux

2275 Celui-ci permet de sanctionner la société constituée à l’étranger dans le but principal d’éviter la loi française.

Exemple de société ne remplissant pas le critère du caractère sérieux

M. Dumaire procède à la création d’une société à Chypre. Elle est soumise à la théorie de l’incorporation et constituée sous la forme d’une Private Limited Company. M. Dumaire signe une convention de domiciliation avec une société ayant son siège à Chypre. M. Dumaire réside à Lyon où il exerce son activité. L’administration fiscale française a la possibilité d’opposer le siège réel et sérieux à M. Dumaire. Elle peut soumettre la société à la loi française652.

§ II – Attribution de la nationalité aux groupes

2276 En matière de nationalité des groupes de sociétés, l’idée d’une nationalité unique pour toutes les sociétés d’un même groupe a été émise653. Selon un auteur654, il est impossible de reconnaître aux groupes la nationalité, car c’est un attribut de la personnalité juridique. Les groupes n’ont pas de personnalité morale655.

§ III – Conséquences attachées à la nationalité des sociétés

2277 De la nationalité française ou étrangère d’une société dépend sa condition. Celle-ci peut entraîner des différences de traitement, tant en matière de protection diplomatique (A) que pour la reconnaissance et pour l’exercice des droits économiques (B).

A/ Protection diplomatique

2278 Une société ne peut jouir de la protection diplomatique que du seul État dont elle a la nationalité. Cette question a donné lieu à deux décisions de la Cour internationale de justice de La Haye656.

B/ Reconnaissance des attributs de la personnalité et exercice des droits économiques

2279 En France, les sociétés étrangères profitent presque des mêmes droits privés que les sociétés françaises. La jurisprudence a posé le principe selon lequel : «Les étrangers jouissent en France des droits qui ne leur sont pas spécialement refusés»657. Cette limitation ne s’impose pas si les sociétés bénéficient d’un traité international bilatéral ou multilatéral conclu entre leur État national et la France. Définir la nationalité d’une société permet de lister les traités internationaux qu’elles peuvent invoquer.

Attention en matière fiscale

Il y aura lieu d’appliquer la convention telle que déterminée par la notion de résident conventionnel. Cette notion de résident est souvent définie par le siège de direction effective de la société. En pratique, la nationalité de la société correspondra très souvent à l’État de résidence au sens conventionnel. Toutefois, il faudra rester très attentif et ne pas considérer qu’une société possédant telle nationalité peut revendiquer l’application d’une convention fiscale conclue entre l’État dont elle possède la nationalité et la France.

Le droit d’exercer une activité commerciale régulière sur le territoire français est de moins en moins lié à la nationalité de la société. Particulièrement en ce qui concerne les sociétés ressortissantes d’États membres de l’Union européenne qui sont assimilées aux sociétés nationales. L’évolution du droit positif va dans le sens d’une équivalence des droits civils et commerciaux entre les sociétés quelles que soient leurs nationalités.

Toutefois les sociétés étrangères, comme toutes les personnes étrangères, peuvent voir leur activité économique limitée ou réglementée sur le territoire. Par exemple, il existe des domaines d’activité qui nécessitent pour les sociétés étrangères l’obtention d’une autorisation préalable (tel est le cas en matière d’activités de sécurité privées).

Rappelons que dans le passé les sociétés étrangères ne pouvaient bénéficier, sauf cas de réciprocité entre États, au droit au renouvellement d’un bail commercial.

Les sociétés étrangères ne peuvent attraire un étranger, tant demandeur que défenseur, devant une juridiction française. Ce droit reste réservé aux personnes ayant la nationalité française au jour de l’introduction de l’instance en vertu des articles 14 et 15 du Code civil658.

On peut également indiquer que les sociétés étrangères ont l’obligation de respecter les lois de police de l’État de situation. À ce titre, en France, les sociétés étrangères se doivent de s’assujettir au régime français de la sécurité sociale, eu égard au lieu d’exercice de l’activité et à la perception d’une rémunération659.

Section III – Le fonctionnement des sociétés

2280 Qui peut agir pour une société et à quelles conditions ? On va essayer de répondre à cette question en étudiant le fonctionnement des sociétés et l’étendue des droits dans les différents pays où elles interviennent.

Si les sociétés étrangères reconnues sont assimilées aux sociétés françaises, elles sont alors aptes à jouir des mêmes droits que celles-ci. Attention toutefois, car elles ne peuvent avoir une capacité de jouissance plus large que celle qui leur est reconnue par leur loi organique dans leur pays d’origine.

Exemple

Une société étrangère ne peut recevoir à titre gratuit en France (si sa loi organique le refuse). Le fait que la loi française l’autorise ne sera pas suffisant.

Distinguons entre les sociétés in bonis(Sous-section I) et les sociétés en cessation de paiement (Sous-section II).

Sous-section I – La société in bonis
§ I – La lex societatis : loi applicable au fonctionnement des sociétés

2281 L’article 1837, alinéa 1er du Code civil dispose que : «Toute société dont le siège est situé sur le territoire français est soumise aux dispositions de la loi française». La jurisprudence a bilatéralisé cette règle de conflit : une société est soumise, quant à son fonctionnent, à la loi de son siège social ; or, la lex societatis est la loi du siège.

Faut-il retenir la loi du siège statutaire ou du siège réel de la société ?

Les tiers peuvent se prévaloir du siège statutaire, mais celui-ci ne leur est pas opposable par la société si le siège réel est situé en un autre lieu. Dans ce cas les tiers peuvent se prévaloir, indifféremment, de la loi du lieu du siège statutaire ou de la loi du lieu du siège social réel.

§ II – Les tribunaux compétents à l’égard des sociétés pour connaître des litiges relatifs au fonctionnement des sociétés
A/ Compétence de principe

2282 Cette compétence relève exclusivement des juridictions de l’État sur le territoire duquel se trouve le siège social de la société concernée. Par conséquent, le demandeur doit en principe porter son action devant le tribunal du lieu du siège social de la société défenderesse.

Les règlements Bruxelles I (art. 22-2°) et Bruxelles I bis (art. 24-2°) n’ont pas tranché la question de savoir s’ il y a lieu de favoriser le siège statutaire ou le siège réel.

Il est fait renvoi par le juge aux règles de son droit international privé.

Dans le cas particulier où le siège statutaire serait dissocié du siège réel, c’est le siège réel qui est considéré. Ainsi a-t-il été tranché par la Cour de cassation660.

B/ Exception de la théorie des gares principales

2283 Cette théorie d’origine jurisprudentielle permet d’attraire une société défenderesse devant le tribunal du lieu de situation de l’un des établissements secondaires et s’applique également dans l’ordre international.

Pour être applicable, l’existence d’un lien entre le litige et cet établissement doit être démontré.

Exemple

La société Max a son siège au Gabon. Elle a ouvert un établissement en France. M. Dupond peut attraire la société Max devant les tribunaux français si les dommages qu’il a subis sont liés à une relation commerciale générée entre lui et l’établissement français.

Cette exception a été admise en droit international français, mais le droit de l’Union européenne fait également application de la théorie des «gares principales», permettant au demandeur d’attraire un défendeur domicilié sur le territoire d’un État membre devant le tribunal d’un autre État membre où se situe une succursale661.

§ III – L’application des règles pénales aux sociétés étrangères

2284 La Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur le point de trancher l’application de l’infraction d’abus de biens sociaux à l’encontre d’un dirigeant d’une société étrangère662.

Celle-ci considère que cette infraction n’est pas applicable aux sociétés de droits étrangers. En effet, cette infraction est envisagée par le Code de commerce. Or, les sociétés étrangères sont hors champ d’application de ce code.

Qu’en est-il de l’infraction d’abus de confiance ?

Contrairement à l’infraction d’abus de biens sociaux qui était restrictive, l’infraction d’abus de confiance est générale et s’applique quelle que soit la forme de la société. Par conséquent, un dirigeant d’une société étrangère pourrait être incriminé sur la base de cette infraction.

Sous-section II – La société en cessation de paiement

2285 L’organisation d’une société en cessation de paiement voit son fonctionnement perturbé par l’immixtion de la lex concursus.

Cette loi de faillite, qui est appelée à régir le fonctionnement de la société en cessation de paiement, opère une liaison entre compétence législative et compétence juridictionnelle. Cette loi est en principe celle de l’État où la procédure a été ouverte.

Cette loi a dès lors vocation à s’immiscer dans la détermination des règles de fonctionnement de la société.

Pour connaître et identifier les autorités compétentes et la loi applicable en matière de faillite internationale, il faut se reporter au règlement communautaire du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité. Précisons que ce dernier a été complété par le règlement du 20 mai 2015.

Depuis, la procédure principale peut être ouverte au lieu du centre des intérêts principaux du débiteur, qui est présumé être pour une société le lieu de son siège social.

Section IV – Process de comparution d’une société étrangère

2286 Lorsqu’une société intervenant à un acte authentique est une personne morale étrangère, certaines formalités doivent être accomplies par le notaire. Il doit s’assurer de la capacité de la personne morale et de la capacité de la personne physique qui la représente. Il doit également vérifier la conformité de l’opération à l’objet social ou de l’intérêt général. Enfin, il devra déterminer la loi applicable.

§ I – Vérifications quant à la société

2287 La première étape est de s’assurer que la société est effectivement reconnue en France et qu’elle est par conséquent titulaire de la personne morale.

La deuxième étape consistera à vérifier auprès de l’Association pour le développement du service notarial (ADSN) que cette personne morale n’a pas fait l’objet d’une interdiction d’acheter ou d’être usufruitière pendant une durée de dix ans663.

Ce formalisme consiste à demander un bulletin n° 2 du casier judiciaire au Casier judiciaire national.

Le représentant de la société est tenu de respecter l’objet social de la société. Parfois il existe des limites statutaires : le notaire se doit de vérifier que l’acte qu’il va passer est conforme à l’objet social et que les exigences statutaires et légales ont bien été respectées664.

Cette vérification ne peut s’opérer que si le notaire a préalablement exigé la production des statuts accompagnés de leur traduction665. À la lecture des statuts, le notaire sera en mesure de connaître la loi applicable à la société. Éventuellement le notaire devra, en cas de difficulté, demander à un juriste local un certificat de coutume. La valeur de ce certificat dépendra de la compétence de son rédacteur666.

Ce dernier sera nécessaire si les statuts de la société sont imprécis et que le notaire a un doute, notamment quant aux pouvoirs des représentants ou à la forme de la société, ou en présence d’une convention qui serait réglementée selon notre droit local, mais également pour avoir l’assurance que la société a été constituée dans le respect des règles locales.

Un juriste local peut également être amené à produire un certificat d’identité et de capacité. Tel sera le cas si le siège social ne correspond pas au siège réel.

§ II – Vérifications quant à l’état de la personne physique qui doit représenter la personne morale

2288 La société agissant par l’intermédiaire de son représentant qui est une personne physique, il y aura lieu de vérifier sa capacité.

Pour le formalisme de cette vérification, on renvoie le lecteur aux développements ci-avant à propos de la comparution des personnes physiques et de leurs capacités.

Rappelons que le notaire devra faire traduire les actes d’état civil, que cette traduction est obligatoire et qu’elle ne peut être faite que par des personnes limitativement énumérées, figurant sur la liste des experts judiciaires des cours d’appel et de la Cour de cassation667, au consul de France dans le pays d’origine de l’acte668ou au consul étranger en poste en France.

Le notaire doit être en possession tant de l’acte étranger que de sa traduction. Dans certains cas, l’acte d’état civil devra soit être légalisé, soit apostillé, en fonction des textes applicables.

Pratique de la legal opinion

En pratique, le notaire français pourra rencontrer des difficultés parfois insurmontables pour connaître le droit étranger applicable à la comparution d’une société de droit étranger dans son acte.

À cet égard, la pratique de la legal opinion ne peut qu’être recommandée. Elle consiste à solliciter d’un juriste expert du système juridique considéré d’effectuer l’analyse que le notaire français n’est pas capable de faire lui-même.

Le notaire doit néanmoins veiller à ce que la legal opinion soit rédigée avec le sérieux et la précision requis : en sollicitant le juriste étranger, il sous-traite en quelque sorte le travail n’analyse qui est habituellement le sien. Par suite, il ne peut sereinement confier ce rôle à un correspondant insuffisamment compétent, ni se contenter d’une analyse trop rapide.

Il convient en particulier de veiller à ce que la legal opinion traite bien les points de contrôle suivants :

la société X existe bien au sens du droit… qui lui est applicable ;

elle est régulièrement immatriculée/enregistrée au registre… ainsi qu’il résulte du certificat ci-annexé ;

elle a la personnalité juridique ;

elle est régulièrement constituée ;

elle a la forme d’une société de personnes/de capitaux ;

elle a la capacité juridique selon le droit… d’effectuer l’opération envisagée (qu’il convient de décrire de façon suffisamment explicite), sans empêchement particulier prévu par ce même droit ;

elle est valablement représentée par M. Y en vertu de la loi/des statuts/des résolutions de l’organe de la société compétent à cet effet de par la loi et les statuts, ayant valablement délibéré à cet effet (si le pouvoir est donné au président ou au gérant ès qualités, on précisera de la même façon qu’il a été régulièrement nommé aux termes de…), qui par conséquent a les pouvoirs réguliers et suffisants pour valablement engager ladite société par sa signature à l’acte authentique qui doit être reçu…


636) Ne seront pas traitées les sociétés ne pouvant jouir de la personnalité morale, comme la société en participation en droit français et les sociétés créées de fait, la question de la loi applicable à ces groupements sans personnalité morale relevant de la lex contractus.
637) P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, Montchrestien, 2007, nos 1053 et s.
638) Il existe toutefois certaines restrictions : notamment une obligation de déclaration si l’investissement dépasse un seuil ou d’autorisation préalable si l’activité est sensible (type jeux d’argent).
639) En vertu de l’article R. 123-35 du Code de commerce, la société dont le siège est situé à l’étranger doit demander son immatriculation au registre du commerce et des sociétés au greffe du tribunal dans le ressort duquel est ouvert son premier établissement en France (à ne pas confondre avec la notion de principal établissement).
640) Cass. com., 8 juill. 2003, n° 00-21.591 : JurisData n° 2003-019940 ; D. 2004, p. 692, note G. Khairallah.
641) C’est le mode d’acquisition de la personnalité morale fondée sur la seule exigence d’un enregistrement par l’autorité publique conformément aux prescriptions de la lex auctoris (aucune condition relative à la compétence internationale de cette autorité n’est posée) : définition proposée par S. Clavel, Droit international privé, Dalloz, 4e éd. 2016, p. 542.
642) Il faut parfois, en sus, un rattachement économique pour que cette incorporation soit possible : tel est le cas de l’Angleterre et la Suisse. En ce sens T.H. Tröeger, Choice of jurisdiction in european Corporate Law. Perspectives of European Corporate Governance, EBOR, 6 : 1, 2005, p. 3 et s. ; cité par T. Mastrullo in Le droit international des sociétés dans l’espace régional européen, PUF, 2009, p. 459, n° 1049.
643) Exemple cité par J. Gaste et X. Ricard : JCP G 6 juin 2014, n° 23, p. 54.
644) CJCE, 9 nov. 1999, Centros : Rev. sociétés 1999, 386, note G. Parléani ; JDI 2000, 482, note M. Luby.
645) CJCE, 16 déc. 2008, Cartésio : Rev. crit. DIP 2009, 548, note J. Heymann.
646) Cass. com., 21 oct. 2014, n° 13-11.805 : RTD com. 2015, n° 103, chron. A. Constantin.
647) L. Mazeaud, La nationalité des sociétés : JDI 1928, p. 30.
648) En cas de réalisation de réunion des conseils d’administration dans des lieux différents, la jurisprudence recourt à la méthode du faisceau d’indices : en ce sens CA Paris, 19 mars 1992 : Bull. Joly Sociétés 1992, § 245, p. 759, note Y. Reboul.
649) Cass. com., 24 nov. 1982 : JCP G 1983, IV, 50.
650) En ce sens Cass. req., 20 juill. 1915, Lenzbourg : DP 1916, p. 144.
651) Exemple cité par J. Gaste et X. Ricard : JCP G 6 juin 2014, n° 23, p. 54.
652) Exemple cité par J. Gasté et X. Ricard : JCP G 6 juin 2014, n° 23, p. 56.
653) B. Goldman, La nationalité des sociétés dans la Communauté économique européenne, Travaux comité fr. DIP 1996-1969, p. 240 et s.
654) M. Menjucq : JCl. Droit international, Fasc. Synthèse-commerce international : société.
655) En ce sens Cass. com., 2 avr. 1996, n° 94-16.380 : JurisData n° 1996-001319.
656) CIJ, 5 févr. 1970, aff. Barcelona Traction : Rec. CIJ 1970, p. 3 et CIJ, 20 juill. 1989, Electtronica Sicula : Rec. CIJ 1989, p. 15.
657) Cass. civ., 27 juill. 1948 : D. 1948, p. 535 ; Rev. crit. DIP 1949, p. 75.
658) Cass. 1re civ., 21 mars 1966 : Rev. crit. DIP 1966, p. 670, note M. Ponsard.
659) Cass. soc., 18 mars 1999, n° 97-18.829 : JurisData n° 1999-001084.
660) Cass. 2e civ., 24 janv. 1958, n° 189 : Bull. civ. 1958, II, n° 77.
661) Rec. CJCE 1978, I, p. 2183 ; JDI 1979, 672, note A. Huet.
662) Cass. crim., 3 juin 2004, n° 03-80.593 : JurisData n° 2004-024246 ; JCP G 2004, II, 10151, note M. Raimon.
663) C. pén., art. 225-26 ; C. santé publ., art. L. 1337-4.
664) En ce sens Cass. 1re civ., 27 avr. 1978, II, 19079, note M. Dagot.
665) La production des statuts et de la traduction est indispensable pour la certification d’identité prévue par l’article 6 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955.
666) V. sur ce point P. Tarrade, La comparution d’une personne étrangère dans un acte notarié : Defrénois 2009, p. 1251 et s., spéc. p. 1254.
667) Instr. gén. relative à l’état civil, § 586-1.
668) D. n° 46-2390, 23 oct. 1946, relatif aux attributions des consuls en matière de procédure.
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