2163 La comparution à l’acte d’une personne physique étrangère conduit le notaire à devoir rester vigilant sur plusieurs points, selon les cas d’espèce : la personne physique est-elle majeure, capable ? Est-elle mineure ? Son représentant légal ou autre est-il régulièrement habilité pour la passation de l’acte au nom du représenté ? La partie comparante est-elle présente ou non présente ? Dans ce dernier cas, à quelles règles doit répondre le mandat en vertu duquel la partie est représentée ?
Autant de questions auxquelles il sera tenté de donner des réponses concrètes, en commençant par les personnes physiques.
2164 L’état des personnes et la capacité sont une branche du droit international privé où, contrairement à d’autres, il n’existe aucune hiérarchie de normes internationales. À l’exception de la Convention internationale de La Haye du 13 janvier 2000, dont la portée limitée aux seuls États contractants388ne régit que les situations à caractère international dans lesquelles est nécessaire la protection des adultes (qui, en raison d’une altération ou d’une insuffisance de leurs facultés personnelles, ne sont pas en état de pourvoir à leurs intérêts), il n’existe aucun texte international quant à la détermination de la loi applicable. Ce sont les règles de conflit internes qui seules régissent l’état et la capacité des personnes et déterminent la loi applicable à la matière389.
2165 Le statut personnel est une catégorie de rattachement du droit international privé français où la méthode savinienne a trouvé matière à s’appliquer. Pour Savigny, le droit est en effet le produit de l’histoire et d’un environnement économique390. Il faut donc trouver la loi la mieux adaptée au problème, celle-ci étant souvent le pays avec lequel la relation juridique présente les liens les plus étroits.
En droit international privé français et en matière de capacité et de majorité, la règle de conflit est basée sur le rattachement à la nationalité, ainsi qu’il sera développé dans ce qui suit.
Cependant, les règles européennes de droit international privé contenues dans les différents instruments régissant le droit patrimonial de la famille se développent progressivement sur le principe de la primauté de la loi de l’État de la résidence habituelle391.
D’autres systèmes juridiques peuvent établir leurs règles de conflit sur d’autres critères de rattachement que la nationalité, ainsi qu’il sera dit dans ce qui suit.
2166 En droit international privé, comme en droit interne, la matière de la capacité peut se diviser en deux catégories : la capacité de jouissance et la capacité d’exercice. La pleine capacité est la situation normale d’une personne physique392.
Seule la capacité d’exercice relève du statut personnel. Lorsque la capacité de jouissance est générale, son opposé, l’incapacité de jouissance, est spécial et ne relève pas de la règle de conflit du statut personnel, mais de la loi de l’institution visée393.
En effet, depuis l’abolition de la mort civile, une incapacité générale de jouissance serait contraire à l’ordre public394.
Les incapacités de jouissance ne relèvent pas du statut personnel, mais de la loi propre à l’institution :
l’incapacité du médecin de recevoir un legs du patient qu’il a soigné durant sa dernière maladie dépend de la loi successorale ;
l’incapacité du tuteur de contracter avec le mineur est soumise à la loi qui régit la tutelle ;
l’incapacité des époux à conclure entre eux certains contrats est soumise à la loi des effets du mariage ;
l’incapacité du mineur de moins de seize ans à disposer à titre gratuit relève de sa loi nationale, car son infirmité personnelle à tester renforce son incapacité générale d’exercice : elles doivent par conséquent être soumises à la même loi395.
2167 Généralement, la capacité légale est déterminée par la majorité de la personne physique. C’est le cas en droit international privé français.
Mais d’autres systèmes déterminent la capacité d’une personne en fonction d’autres critères que la majorité, comme par exemple le sexe, ou le statut confessionnel. Il en est ainsi des systèmes de droit musulman (dont les sources islamiques sont en réalité diversifiées)396. Les discriminations que les droits musulmans peuvent opérer en matière successorale, qu’elles soient d’ordre religieux (interdisant à un non-musulman de pouvoir hériter d’un musulman) ou sexuel (une fille héritant moins qu’un garçon)397peuvent être considérées comme contraires à l’ordre public français. Il en est de même pour la répudiation, qui heurte l’ordre public international français. La jurisprudence, depuis 2004398, considère en effet que la procédure de répudiation ne donne pas à l’épouse la possibilité de s’opposer à la décision de répudiation, ce qui est contraire au principe européen d’égalité des époux dans la dissolution du mariage399.
2168 La majorité en France est fixée à dix-huit ans depuis la loi n° 74-631 du 5 juillet 1974 qui a notamment réécrit l’article 414 du Code civil français400.
Dans le reste du monde, même si dans la grande majorité des États l’âge de la majorité est fixé à dix-huit ans, il peut varier de quinze à vingt-et-un ans401en fonction des pays.
2169 La règle de conflit française résulte des dispositions de l’article 3, alinéa 3 du Code civil qui prévoit que : «Les lois concernant l’état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger».
Le notaire qui instrumente un acte dans lequel comparaît une personne physique de nationalité étrangère doit rechercher si la loi nationale du client le reconnaît capable – donc majeur – pour contracter.
Un jeune couple, monsieur de nationalité française, âgé de vingt ans, et madame, de nationalité singapourienne, âgée de dix-neuf ans, ne pourra faire établir en France son contrat de mariage qu’avec le consentement des parents de madame, l’âge de la majorité à Singapour étant de vingt-et-un ans.
Le cas serait identique avec un des futurs époux de nationalité japonaise âgé de moins de vingt ans (qui est l’âge de la majorité au Japon).
Cette règle de conflit de loi française résultant de l’article 3 du Code civil a été bilatéralisée par la jurisprudence dès le xixe siècle402.
Un arrêt de principe, rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 18 janvier 2007 énonce, au visa de l’article 3 du Code civil, que : «Attendu que la loi applicable à l’état et la capacité des personnes est la loi nationale»403. Un commentateur de cet arrêt a pu écrire qu’il s’agit d’«un attendu de principe ciselé comme à la belle époque du droit international privé»404.
Du fait de cette règle de conflit, bilatérale, le principe du renvoi est admis en matière de capacité405.
Il a ainsi été jugé que pour une personne de nationalité canadienne, domiciliée en France, l’application de la règle de conflit de loi française étant rattachée à la nationalité, c’est la loi canadienne qui doit connaître de l’état et de la capacité de sa ressortissante.
Mais, comme il sera dit plus loin (V. supra, n° a2173), la règle de conflit canadienne rattache au domicile la loi compétente. La Cour de cassation, par renvoi selon la règle de conflit canadienne à la loi française, a donc reconnu la loi française matérielle compétente406.
2170 Dans les pays de common law, le critère de rattachement dans la catégorie du statut personnel n’est pas la loi nationale, mais la loi du domicile.
Une attention particulière est portée sur les règles de conflit britannique, américaine et canadienne.
2171 Le critère de rattachement, la loi du domicile, appelle quelques observations importantes pour bien appréhender la règle de conflit britannique.
En droit anglais, la notion de domicile est pensée en y intégrant le lieu de naissance, ainsi qu’une dimension psychologique fondamentale : l’esprit de retour au Royaume-Uni, composante subjective constituant l’animus manendi vel revertendi typique de la common law407.
Par exemple, même si une personne peut vivre physiquement dans un pays, pour le droit anglais elle reste toujours domiciliée au Royaume-Uni, dans la mesure où elle peut être animée d’une volonté un jour d’y retourner. Inversement, une personne peut être résidente au Royaume-Uni sans y être domiciliée, comme cela pourrait être le cas d’un certain nombre de ressortissants français expatriés pour raison personnelle et professionnelle.
En droit anglais, la notion de résidence est essentiellement attachée à la notion de résidence «fiscale», lieu des intérêts économiques et de vie, tandis que le domicile (les Anglais le prononcent «Domissaïyle») est un concept né de la création de l’Empire britannique et connu de tous les pays de common law408.
Quant à l’Écosse, bien que traditionnellement le système ait été attaché à la catégorie de pays de civil law, il est aujourd’hui devenu mixte en raison de la forte influence de l’Angleterre, et de l’unification des droits anglais et écossais résultant de la staturification (dès lors que le Parlement et le Gouvernement sont devenus uniques)409.
De ce fait, les lois adoptées par le Parlement de Westminster sont formulées selon les nomenclatures et catégories de la common law, et se trouvent par conséquent intégrées en Écosse410.
C’est ainsi que le critère de rattachement en matière de statut personnel (état et capacité) réside dans la loi du domicile également en Écosse.
Lorsqu’en Écosse l’âge de la majorité est à seize ans, dans le reste du Royaume-Uni (Angleterre, Pays de Galles et Irlande du Nord), la majorité est à dix-huit ans.
2172 Les États-Unis, État fédéral plurilégislatif, sont composés de cinquante États, chacun doté de ses propres pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires et organisé par sa propre Constitution411.
C’est ainsi qu’en matière d’état des personnes, et de majorité, il n’y a pas une règle de conflit, mais une par État412.
Cependant, d’une manière générale, les règles de conflit américaines rattachent la loi applicable au statut personnel à la loi du domicile.
2173 Selon l’article 3083 du Code civil du Québec, le facteur de rattachement du statut personnel est régi par la loi du domicile413.
Cette règle de rattachement s’applique pour l’ensemble des territoires du Canada. Pour l’application de ce critère de rattachement, le domicile est défini par l’existence d’un établissement principal accompagné de l’intention d’y demeurer de façon permanente. Même si cette notion est identique dans toutes les provinces, il convient toutefois de retenir que le domicile d’origine revit quand le domicile de choix n’est plus déterminé pour les provinces de common law, tandis qu’au Québec le domicile de choix persiste jusqu’à l’acquisition d’un nouveau domicile414.
Lorsque comparaît une personne physique de nationalité étrangère à un acte authentique, le notaire doit :
avoir vérifié les pièces d’état civil ;
vérifier que la personne a bien atteint la majorité requise par sa loi nationale (ou la loi de son domicile) pour contracter ;
demander une pièce d’identité dont une copie doit être conservée au dossier.
Ces vérifications et contrôles effectués, le notaire instrumentant peut alors considérer que la personne comparaissant à l’acte peut valablement le signer.
2174 La mobilité internationale des personnes peut entraîner des difficultés liées à l’administration de leur patrimoine lorsqu’elles deviennent vulnérables.
Comment résoudre une difficulté liée à la fragilité d’une personne âgée étrangère, installée en France, qui doit faire l’objet d’une mesure de protection ? Quelle autorité est compétente ? Quelle loi doit s’appliquer à cette situation ?
Peut-être plus qu’ailleurs, le notaire doit se montrer vigilant dans l’appréciation de la capacité des parties à son acte.
Le principe en la matière, rappelons-le, est défini à l’article 3, alinéa 3 du Code civil : la loi nationale de la personne régit sa capacité.
Dans ces conditions, il a été jugé qu’une personne de nationalité portugaise, demeurant en France et faisant l’objet d’une mesure de protection, doit faire l’objet d’une mesure d’interdiction du droit portugais, prononcée par le juge français415. Les juridictions du fond ont été sanctionnées pour avoir prononcé à l’encontre de la personne portugaise des mesures de protection de droit français, en violation de la règle de conflit de l’article 3 du Code civil.
Il est vrai que la mise en œuvre de la loi nationale de l’intéressé est source de difficultés pour le juge français, car même si des outils sont à sa disposition comme le site JaFBase, ou le Réseau judiciaire européen, instauré par la Convention de Londres du 7 juin 1968416, les difficultés subsistent compte tenu de la grande diversité des mesures pouvant être prononcées dans les différents États, d’une part, et des très nombreuses exceptions demeurant disparates en fonction des nationalités des personnes, d’autre part.
Dans une affaire plus récente417, où la responsabilité du notaire a tenté d’être recherchée, la Cour de cassation énonce le principe suivant : «Le notaire a l’obligation de vérifier la capacité juridique des contractants dont dépend la validité de l’acte qu’il reçoit et authentifie, spécialement lorsqu’une partie est représentée par un mandataire, et qu’en cas de doute, il doit prendre toutes les précautions nécessaires afin de conférer pleine efficacité audit acte».
La cour rappelle les devoirs du notaire en présence d’une personne vulnérable en énonçant un principe de vigilance ; elle en déduit les conséquences quant au comportement du notaire. Depuis plusieurs années, la jurisprudence intensifie le rôle du notaire et exige de lui qu’il procède à une étude approfondie de la capacité des parties418.
Cet arrêt est également intéressant, car un mandat de représentation était en œuvre, la mandante, devenue vulnérable depuis, ayant été représentée lors de la signature de l’avant-contrat : la cour a eu l’occasion de confirmer que le notaire doit exercer une vigilance accrue. Il doit vérifier que le mandat avait bien été donné dans des conditions ne devant laisser aucun doute sur la volonté et la capacité du mandant à disposer, et ce d’autant plus si le notaire est en relation d’affaires suivie avec son client419.
Dans un contexte international, en matière de capacité des adultes, il est aisé de réaliser à quel point la tâche pour le notaire d’honorer son devoir d’officier public peut relever d’une gageure, au regard de toutes ces difficultés énoncées, à la fois techniques et matérielles.
Même si, depuis le 1er janvier 2009, est entrée en application en France la Convention internationale de La Haye n° 35 du 13 janvier 2000 relative à la protection internationale des adultes.
2175 La Convention internationale de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes est entrée en vigueur en France le 1er janvier 2009, en même temps que la réforme de la protection juridique des majeurs issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007.
En vertu de l’article 1-1 : «La Convention s’applique, dans les situations à caractère international, à la protection des adultes qui, en raison d’une altération ou d’une insuffisance de leurs facultés personnelles, ne sont pas en état de pourvoir à leurs intérêts».
2176 L’apport principal de la convention concerne l’harmonisation des règles de conflit et de compétence.
Pour ce qui concerne la règle de compétence, l’article 5 de la convention prévoit que : «1. Les autorités, tant judiciaires qu’administratives, de l’État contractant de la résidence habituelle de l’adulte sont compétentes pour prendre des mesures tendant à la protection de sa personne ou de ses biens. 2. En cas de changement de la résidence habituelle de l’adulte dans un autre État contractant, sont compétentes les autorités de l’État de la nouvelle résidence habituelle.»
Pour ce qui concerne la règle de conflit, l’article 13 de la convention prévoit que : «1. Dans l’exercice de la compétence qui leur est attribuée par les dispositions du chapitre II, les autorités des États contractants appliquent leur loi. 2. Toutefois, dans la mesure où la protection de la personne ou des biens de l’adulte le requiert, elles peuvent exceptionnellement appliquer ou prendre en considération la loi d’un autre État avec lequel la situation présente un lien étroit».
L’harmonisation des compétences juridictionnelle et législative rend ainsi bien plus commode la mission du juge qui applique la loi qu’il connaît le mieux, étant la sienne, plutôt que celle d’un autre État.
La convention prévoit également d’autres dispositions visant à faciliter la circulation d’une décision prise dans un État contractant : elle organise la reconnaissance et l’exécution transfrontières.
2177 En vertu de l’article 22-1 de la convention : «Les mesures prises par les autorités d’un État contractant sont reconnues de plein droit dans les autres États contractants». Tel est le principe qui a pour conséquence que le représentant de l’adulte protégé peut passer dans un autre État contractant les actes qui requièrent la protection de la personne ou des biens du majeur vulnérable.
Comme à tout principe, la reconnaissance de plein droit connaît des exceptions énoncées à l’article 22-2. Il peut s’agir de décisions prises, savoir :
selon un chef de compétence non fondé en vertu des règles de compétence des articles 5 à 12 de la convention ;
sans avoir respecté des règles procédurales comme celle relative à l’audition préalable de l’adulte devant être protégé ;
mais qui demeurent contraires à l’ordre public de l’État requis ;
ou sont contraires à une disposition de la loi d’application immédiate de cet État ;
alors qu’elles sont incompatibles avec une mesure de protection prise postérieurement dans un État non contractant, qui aurait été compétent en vertu des articles 5 à 9 de la convention ;
sans avoir respecté la procédure de l’article 33 qui prévoit, dans le cas d’un placement de l’adulte dans un autre État contractant, une consultation préalable de l’autorité centrale ou une autre autorité compétente de l’État d’accueil.
Quant à l’exécution de la décision, si la mesure suppose un acte d’exécution, une déclaration d’exequatur demeure nécessaire en vertu de l’article 25-1 de la convention : «Si les mesures prises dans un État contractant et qui y sont exécutoires comportent des actes d’exécution dans un autre État contractant, elles sont dans cet autre État déclarées exécutoires ou enregistrées aux fins d’exécution, sur requête de toute partie intéressée, selon la procédure prévue par la loi de cet État».
Même si la procédure doit être simple et rapide420, elle doit être respectée, et ne peut être refusée que pour l’un des motifs prévus à l’article 22-2 énoncé ci-dessus421.
La convention internationale a instauré une convergence entre compétence de l’autorité du for et application de la loi du for, ainsi que les règles facilitant la reconnaissance des décisions prises entre les États contractants. Elle envisage en outre un nouvel outil d’anticipation pour le droit interne français, le mandat d’inaptitude, entré en vigueur en France le 1er janvier 2009, en même temps précisément que le mandat de protection future issu de la loi de 2007.
2178 Le mandat d’inaptitude est l’une des principales innovations de la Convention n° 35 du 13 janvier 2000422.
2179 Établi par l’adulte au moment où il est pleinement capable, en prévision de son incapacité future, ce mandat permet de consacrer plusieurs principes fondateurs du droit européen : l’autonomie de la volonté, la prévisibilité, la proximité.
En vertu de l’article 15-1 de la convention : «L’existence, l’étendue, la modification et l’extinction des pouvoirs de représentation conférés par un adulte, soit par un accord écrit, soit par un acte unilatéral, pour être exercés lorsque cet adulte sera hors d’état de pourvoir à ses intérêts, sont régies par la loi de l’État de la résidence habituelle de l’adulte au moment de l’accord ou de l’acte unilatéral, à moins qu’une des lois mentionnées au paragraphe 2 ait été désignée expressément par écrit».
Une mesure de simplification supplémentaire est consacrée : le mandat d’inaptitude est régi par la loi de la résidence habituelle de l’adulte au moment de sa conclusion, avec la possibilité pour le constituant, conformément à l’article 15-2, de choisir une autre loi que celle de sa résidence.
En vertu de l’article 15-2 : «Les États dont la loi peut être désignée sont les suivants :
a) un État dont l’adulte possède la nationalité ;
b) l’État de la résidence habituelle précédente de l’adulte ;
c) un État dans lequel sont situés des biens de l’adulte, pour ce qui concerne ces biens».
2180 L’article 18 de la Convention n° 35 du 13 janvier 2000 reconnaît à tout le chapitre 3 «Loi applicable», dans lequel figure le mandat d’inaptitude, une portée universelle puisque les dispositions de ce chapitre s’appliquent même si la loi désignée est une loi d’un État non contractant à la convention.
Ainsi, la généralisation du mandat d’inaptitude devrait permettre au notaire de recevoir cet instrument, dans le respect strict des contraintes évoquées ci-dessus (V. supra, n° a2174), et d’instrumenter son acte auquel intervient un adulte vulnérable représenté par son mandataire désigné par un mandat d’inaptitude activé au moment de la signature de l’acte.
Pour ce qui concerne le mandat de protection future, instauré depuis 2009, outil d’autodétermination français, le notaire ne devrait rencontrer aucun problème particulier, tant les conditions de sa mise en œuvre et de sa publicité sont prévues par la loi (registre des mandats, activation sous conditions…).
Mais, lorsque le mandat d’inaptitude a été conclu, conformément à la convention de La Haye, à l’étranger423, dans quelles conditions peut-il circuler, être accepté et respecté sur tous les territoires, à commencer par celui de l’Union européenne ?
Si, en France, la loi du 28 décembre 2015424a prévu que doit être créé un registre spécial des mandats, permettant alors aux autorités et aux tiers de connaître leur existence, au niveau européen, les difficultés relatives à l’absence de publicité restent entières.
Depuis le 1er janvier 2009, toute personne majeure et capable peut charger une ou plusieurs personnes, par un même mandat, de la représenter pour le cas où elle se retrouverait dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’altération de ses facultés. L’article 477 du Code civil instaure ainsi le mandat de protection future.
Le mandat de protection prend effet à compter du moment où le mandant n’est plus en mesure de pourvoir seul à ses intérêts. Cette situation est présentée par le mandataire au greffier du tribunal d’instance à qui sont communiqués le mandat ainsi qu’un certificat médical émanant d’un médecin choisi sur la liste prévue à l’article 431 du Code civil425.
Le greffier, après avoir effectué certaines vérifications prévues à l’article 1258-2 du Code de procédure civile (notamment si le mandant et le mandataire sont majeurs, et si des modalités de contrôle du mandataire sont prévues dans le mandat), paraphe chaque page du mandat et mentionne en fin d’acte que celui-ci prend effet à compter de la date de sa présentation au greffe, y appose son visa et le restitue au mandataire, accompagné des pièces produites.
En outre, selon l’article 477-1 du Code civil issu de la loi du 28 décembre 2015, le mandat de protection future est publié par une inscription sur un registre spécial, dont les modalités et l’accès doivent être réglés par un décret devant être pris en Conseil d’État.
À ce stade, deux remarques importantes doivent être soulignées :
1. L’absence de registre national
Le décret visé à l’article 477-1 et devant prévoir les modalités ainsi que l’accès au registre spécial des mandats de protection future tarde à paraître. Il en résulte plusieurs conséquences :
l’absence de publicité génère inévitablement des difficultés à l’égard des tiers et des proches qui peuvent ignorer l’existence du mandat ; par exemple, le juge saisi d’une requête d’ouverture d’une mesure de protection, qui ignore si le majeur concerné a déjà régularisé un mandat de protection ou pas ; dans ce cas, seul le mandataire serait en mesure de le signaler au juge qui n’a à ce jour aucun moyen de connaître l’existence ni la teneur du mandat426 ;
si déjà lors du 102e Congrès des notaires de France, en 2006, l’un des vœux de la troisième commission était «que le mandat de protection future fasse, dès sa mise en œuvre, l’objet d’une mesure de publicité au répertoire civil et que mention de cette inscription soit portée sur l’extrait d’acte de naissance de la personne concernée»427 ; si lors d’une question écrite au gouvernement le 28 juillet 2015428, il est évoqué le rapport du Conseil supérieur du notariat de 2014 dans lequel il était préconisé de considérer le mandat de protection future comme une véritable mesure de protection ; si dans ledit rapport, le Conseil supérieur du notariat préconisait d’instaurer une mesure de publicité du mandat de protection future, notamment par la création d’un registre spécifique et l’insertion d’une mention en marge de l’acte de naissance ou du registre d’état civil429 ; si la réponse du gouvernement a été de confirmer que «ces dispositions contribueront à assurer la sécurité juridique de ce dispositif, en permettant aux professionnels du droit d’avoir connaissance de l’expression de volonté du mandant et ainsi d’éviter le prononcé d’une mesure de protection judiciaire»430, le décret tant attendu était annoncé pour l’été 2016 ; si dans son rapport de 2016, le Défenseur des droits a pu relever «avec satisfaction la création, qu’il avait appelée de ses vœux», d’un répertoire des mandats à l’article 477-1 du Code civil. Il indiquait cependant demeurer «vigilant sur les modalités concrètes d’accès qui seront mises en œuvre par décret, préconisant que ce registre, dont la tenue devrait être confiée aux notaires, devrait pouvoir être accessible aux juges qui devront le consulter avant toute décision de mesure de protection»431 ; si, lors de son discours du 8 novembre 2017 aux Assises nationales de la protection juridique des personnes majeures, Mme la Ministre de la Justice, garde des Sceaux, reconnaît que «ce dispositif n’a cependant pas eu le succès escompté puisqu’environ 5 000 mandats seulement ont été mis en œuvre depuis 2009. L’une des explications de cet échec se trouve sans doute dans l’absence de publicité de la mesure, qui peut être inconnue du juge saisi d’une demande de protection du majeur»432, force est de constater que ces difficultés, liées à l’absence de visibilité et de prise de connaissance, seront résolues par les mesures de publicité attendues.
Pour illustrer en quelques chiffres le rayonnement attendu du mandat de protection future, les statistiques démontrent qu’en France et à proportion égale avec le Québec, dont le mandat d’inaptitude – dénommé «Mandat en prévision de l’inaptitude» – a pu inspirer le législateur français pour introduire en France le mandat de protection future, en 2014 il était enregistré dans le registre des mandats de la Chambre des notaires du Québec, un million de mandats sur une population totale de sept millions d’habitants. La France «pourrait s’attendre à voir émerger sept millions de contrats d’anticipation»433.
Ce dispositif conventionnel d’anticipation et de protection mériterait en effet de pouvoir prendre son essor programmé, bien qu’une étonnante particularité s’est fait jour à la suite d’une réponse ministérielle du 31 mai 2018, pour les Français établis à l’étranger.
Le mandat de protection future pour les Français établis à l’étranger
Une réponse ministérielle récente434 est venue apporter une précision sur le mandat de protection future pour les Français établis à l’étranger : selon le gouvernement, l’exigence de production d’un certificat médical circonstancié de l’article 431 du Code civil ne s’appliquerait qu’aux Français ayant établi leur résidence habituelle en France.
Dans cette réponse, il est en outre indiqué que pour les ressortissants français séjournant dans un État ayant adhéré à la convention de La Haye, «les modalités d’exercice du mandat de protection future sont régies par la loi du pays où le ressortissant a sa résidence habituelle». Si le ressortissant français est domicilié dans un État non contractant à la convention, «et en l’absence de convention bilatérale spéciale, la mise en œuvre et l’exécution du mandat de protection future sont soumises aux règles de droit international privé local».
Cette réponse paraît faire une mauvaise interprétation de la convention internationale, dans la mesure où si l’article 15-1 de la convention prévoit bien que l’existence, l’étendue, la modification et l’extinction des pouvoirs de représentation sont régies par la loi de l’État de la résidence habituelle de l’adulte, l’article 15-3 quant à lui prévoit que «les modalités d’exercice de ces pouvoirs de représentation sont régies par la loi de l’État où ils sont exercés», et non par la loi de la résidence habituelle du mandant.
Cette réponse, très tôt relevée et qualifiée de«curieuse» par un auteur435, vient compliquer la mise en œuvre du mandat à dimension internationale.
Pour le gouvernement, la production du certificat médical ainsi que la présentation au greffe du mandat relèvent des «modalités d’exercice» du mandat de protection. De ce fait, les conditions de mise en œuvre devraient être soumises à la loi applicable aux modalités d’exercice, c’est-à-dire à la loi de l’État où elles sont exercées436 et non à la loi de la résidence habituelle du mandant, comme pourtant indiqué dans la réponse ministérielle.
À moins que, pour comprendre le raisonnement adopté dans cette réponse ministérielle, il faille donner une signification différente des mêmes termes utilisés à la fois par le ministre et les rédacteurs de l’article 15-3 de la convention ; et que lorsque le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères évoque les modalités d’exercice, en italique de surcroît dans la réponse, il n’entend pas donner à cette expression la même signification que lui donne l’article 15-3 de la convention ?
Dans cette hypothèse, le gouvernement donnerait-il un autre sens à l’expression «modalités d’exercice», qui devrait être entendue plutôt comme «points de détails» ? Dans le rapport explicatif de la convention, M. le Professeur Paul Lagarde décrit les éléments pouvant figurer sous la notion «de points de détails»437 : la vérification par une procédure locale de l’existence et de l’étendue des pouvoirs, le dépôt de l’acte les conférant, ou encore la procédure de l’autorisation lorsque le mandat d’inaptitude prescrit une autorisation. Ni le certificat médical de l’article 431 du Code civil ni la présentation au greffe du mandat de l’article 1258 du Code de procédure civil ne semblent pouvoir être considérés comme points de détails.
Comment, dans ces conditions, faire relever de la loi de la résidence ces critères de déclenchement du mandat de protection future, pour les Français à l’étranger ?
À y regarder de près, cette réponse va générer inévitablement des situations «boiteuses» : en effet, si l’on accepte de retenir le principe du rattachement des modalités d’exercice à la loi de l’État de la résidence habituelle de l’adulte, il y aura effectivement convergence entre loi applicable au mandat et à ses modalités d’exercice, si le mandant laisse le principe de l’article 15-1 applicable à son mandat ; mais cette coïncidence prend fin dès l’instant où le mandant désigne lui-même une autre loi pour régir438 le mandat de protection future comme l’y autorise l’article 15-2.
Comme dans tous les instruments internationaux et européens récents, la convention du 13 janvier 2000 confère à l’autonomie de la volonté, qui s’inscrit dans un mouvement général de contractualisation de la sphère personnelle et familiale439 un rôle majeur. Si le mandant fait un choix de loi, tel que l’article 15-2 le lui permet, les «modalités d’exercice» du mandat de protection seraient rattachées à la loi du lieu de résidence, alors qu’une autre loi lui est applicable ? De plus, cette réponse semble méconnaître les dispositions de l’article 15-3 de la convention, qui prévoient précisément que les modalités d’exercice du mandat sont la loi de l’État où les pouvoirs sont exercés ?
Cette réponse risque de provoquer des incohérences dans l’application des règles de conflit, voire même des contradictions, provoquant de graves dysfonctionnements dans leur mise en œuvre. Comme a pu l’écrire un auteur : «Afin de prévenir de telles imperfections, l’intérêt de respecter au niveau du conflit de lois la cohérence des solutions qui existe à l’intérieur d’un ordre juridique mérite d’être rappelé»440. La Convention internationale de La Haye n° 35 du 13 janvier 2000 ne constitue-t-elle pas précisément un système cohérent par lui-même, sans qu’aucune interprétation gouvernementale ne vienne rajouter, modifier, voire perturber les règles établies ? Ces règles qui assurent de surcroît une grande cohérence, louée par les commentateurs441 ?
Surtout qu’à y regarder de plus près encore, cette vision ministérielle pourrait même engendrer d’autres situations encore plus dommageables que les situations boiteuses. En effet, et toujours selon cette réponse ministérielle, que se passe-t-il si le ressortissant français, après avoir établi un mandat de protection future au moment où il résidait dans un État qui le reconnaissait, est aujourd’hui résident dans un État qui ignore ce dispositif, alors que le mandat doit être activé : peut-il l’être, et si oui, dans quelles conditions ? Aucun éclaircissement sur ce point n’est donné par le ministre dans sa réponse.
Pourtant un grand nombre de ressortissants français vivent leur retraite dans des États non contractants à la convention442. Quelles sont les solutions à apporter à ce flot d’interrogations que soulève cette réponse ministérielle443 ?
Le mandat d’inaptitude, connu en France sous le terme de mandat de protection future, paraît être l’instrument adéquat pouvant concilier à la fois le respect de l’autonomie de la volonté, d’une part, et le «désengorgement» des juridictions à la protection, d’autre part, tout en continuant à exercer un contrôle dans le suivi, et le faire cesser s’il y a lieu444.
Dans un contexte international, le notaire confronté à la comparution d’un mandataire agissant en vertu d’un mandat d’inaptitude va rencontrer diverses difficultés : comment le notaire peut-il exercer un contrôle tant sur la loi applicable au mandat que sur sa validité formelle, puisque la convention reste muette sur les conditions de validité quant à la forme du mandat ?
Pour contrôler la loi applicable au mandat d’inaptitude, le notaire qui instrumente un acte dans lequel une personne devenue vulnérable est représentée par son mandataire doit accepter de nouveaux réflexes, et respecter en premier lieu les dispositions à portée universelle de l’article 15-1 de la convention : le mandat est soumis à la loi de la résidence habituelle de l’adulte au jour de la signature, sauf choix de loi arrêté par le mandant suivant la liste de l’article 15-2 (loi de sa nationalité, de sa résidence habituelle précédente, du lieu de situation des biens pour ces derniers exclusivement).
Par ailleurs, la convention ne prévoit aucune règle quant aux conditions de forme du mandat d’inaptitude : il peut être authentique ou sous seing privé. Il peut encore faire l’objet d’une déclaration judiciaire d’incapacité (Allemagne) ou décision judiciaire (Belgique).
Enfin, le site du Conseil des notariats de l’Union européenne (CNUE) propose un portail sur les personnes vulnérables en Europe, permettant d’avoir accès au contenu du droit matériel des vingt-deux États membres connaissant le notariat de type latin, et celui du l’Union internationale du notariat latin (UINL) complète l’accès au contenu du droit matériel des autres États membres du Conseil de l’Europe445.
Si les avancées permises par la Convention internationale de La Haye du 13 janvier 2000 sont indéniables, tant par la promotion de nouvelles règles de conflit convergeant avec les règles de compétence, que par la création de nouveaux outils d’autodétermination, cet instrument connaît cependant certaines limites, qui le rendent immanquablement insuffisant.
2181 La première limite dont il convient d’évoquer l’importance est la portée relative du champ d’application spatial de la Convention n° 35.
En effet, la convention n’est applicable qu’entre les États contractants, dont neuf seulement sont États membres de l’Union. Il s’agit de : l’Allemagne, l’Autriche, Chypre depuis le 1er novembre 2018, l’Estonie, la Finlande, la France, la Lettonie depuis le 1er mars 2018, le Portugal depuis le 1er juillet 2018, la République tchèque.
Neuf États membres seulement sur vingt-sept, qui peuvent entre eux appliquer les règles communes de droit international privé définies par la convention de La Haye. C’est dire que dans les rapports de droit entre les États contractants et les États non contractants, ce sont les règles de droit international privé de droit commun qui s’appliquent, avec toutes les difficultés tant techniques que matérielles déjà évoquées (V. supra, n° a2174).
Des solutions modernes, adaptées à l’internationalisation des phénomènes de mobilité des personnes et des familles, devraient se substituer à des principes plusieurs fois centenaires (la règle de rattachement à la loi nationale de l’article 3 du Code civil date de la création du Code civil des Français de 1804), qui s’avèrent, de façon pragmatique, bien détachés des réalités sociologiques actuelles, comme le montre le phénomène massif de l’accueil en établissements spécialisés situés en Belgique des adultes handicapés français446.
Rechercher correctement les règles de conflit, éparpillées dans les différents ordres juridiques, les considérer et les appliquer, cela rentre-t-il vraiment dans les attributions du notaire qui instrumente un acte ? La réponse semble être affirmative, sans tempérament possible, selon la doctrine447. Dans cette matière, comme en matière d’état civil déjà analysée plus haut (notion de force probante des actes d’état civil, V. supra, n° a2117), les difficultés dans les investigations pour connaître le droit étranger peuvent s’avérer insurmontables, longues et coûteuses de surcroît.
L’office du juge, comme celui du notaire, se trouverait bien mieux assuré si les règles européennes en matière de protection internationale pouvaient tendre vers une harmonisation, au même titre que le droit patrimonial européen, comme cela est déjà le cas avec les règlements «Divorce», «Successions», «Régimes matrimoniaux» ou encore «Partenariats enregistrés».
Outre la portée limitée de la ¨convention, une autre insuffisance doit être soulignée : l’absence de publicité du mandat d’inaptitude.
2182 Si la convention prévoit à l’article 38 la délivrance d’un certificat international à toute personne à qui est confiée la protection de la personne de l’adulte ou de ses biens, ce certificat reste non seulement facultatif, mais surtout ne peut remplacer l’absence de registres permettant aux personnes qui y ont intérêt d’avoir accès à l’information relative à la mise en œuvre et à l’exécution effective d’un mandat d’inaptitude.
Si cet outil d’anticipation patrimoniale, comme extra-patrimoniale, permet d’adapter les règles de protection des personnes vulnérables, son absence de publicité peut freiner considérablement son succès pourtant espéré par beaucoup de professionnels.
Le mandat d’inaptitude présente des solutions respectueuses du principe d’autodétermination ; il est à la disposition des personnes adultes, capables et prévoyantes, qui souhaitent organiser la gestion tant de leurs biens que de leur personne, pour le jour où elles pourront devenir vulnérables, arrivées au seuil des troisième, voire quatrième âges.
Le vieillissement de la population est en effet un phénomène de plus en plus majeur en Europe, que les politiques migratoires, qu’elles soient européennes ou nationales, ne permettront pas de réduire.
Mais en Europe (comme en France à l’heure présente), aucun registre transnational n’a été prévu, afin de faire circuler pour les personnes y ayant intérêt les informations relatives à l’existence d’un mandat d’inaptitude établi dans un État membre.
De là à penser que la reconnaissance des instruments de protection internationale pour les personnes vulnérables et mobiles en Europe ne figure pas parmi les priorités…
Comment, dans ces conditions, envisager un espace de liberté, de justice et de sécurité, fondements de l’Espace européen448, si la volonté d’autodétermination des personnes devenues vulnérables risque d’être ignorée au moment où il sera précisément le plus utile de le savoir ? N’est-ce pas là une entrave à leur liberté que d’ignorer leur volonté exprimée au moment où elles en avaient l’aptitude, alors que ces personnes, aujourd’hui fragiles, mènent elles aussi, comme tout adulte capable, une vie juridique, possédant un patrimoine qui ne peut être laissé sans direction ?
Le plus grand danger dans cette matière serait de constater que le vieillissement de la population et sa conséquence directe, la vulnérabilité des adultes, pourraient constituer réellement une entrave à la libre circulation des citoyens européens.
2183 L’acte authentique est reçu par le notaire en la présence des clients qui comparaissent devant lui. Si les modalités de réception ont pu déjà être étudiées dans les parties précédentes de la présente commission, tant pour ce qui concerne la fin des clercs habilités (V. supra, nos a2074 et a2075, le renforcement d’une coopération entre notariats (V. supra, n° a2100, ou encore l’évocation d’une instrumentation à distance internationale (V. supra, n° a2102), les propos qui suivent porteront sur un sujet complémentaire et fondateur : la présence du client lors de la cérémonie de signature.
À côté de la présence traditionnelle, la présence physique (§ I), qui a toujours été la règle en la matière – l’exception étant la représentation dont il sera parlé plus loin –, une nouvelle forme de présence apparaît avec l’évolution technologique du métier : la présence dématérialisée du client à la signature (§ II).
2184 Les principes relatifs à la solennité de l’acte authentique ont été rappelés au titre III (V. supra, n° a2086), auquel il est ici renvoyé. De même, au titre II, où est abordé le thème du lieu de signature, l’importance de la présence physique du notaire a été précisée lors de la cérémonie de signature (V. supra, n° a2075). En définitive, la présence physique d’une personne majeure de nationalité étrangère n’appelle pas d’observation supplémentaire à celles déjà détaillées et évoquées dans les règles d’état civil générales (V. supra, n° a2117) ou les règles européennes (V. supra, n° a2119), lorsqu’il est nécessaire d’avoir à l’esprit la particularité de l’état des personnes étrangères ; tout comme les règles relatives au contrôle d’identité (V. supra, n° a2154) que le notaire doit effectuer à l’égard de son client physique étranger présent face à lui lors de la signature.
Seront simplement repris, sous forme de récapitulatif, les points de vigilance que le notaire doit respecter en présence d’un client majeur, de nationalité étrangère, qui comparaît à l’acte.
SON ÉTAT CIVIL :
Règles générales de droit commun : les actes d’état civil bénéficient d’une présomption de force probante, résultant de l’article 47 du Code civil (V. supra, n° a2117). Cependant, les actes établis à l’étranger en langue étrangère doivent être présentés au notaire qui doit exiger l’original accompagné de sa traduction jurée : cf. Instr. gén. relative à l’état civil, 11 mai 1999, § 586-1 (visée en note de bas de page supra , sous n° a2117), le tout conformément apostillé, sauf exceptions (V. infra, n° a2351).
Nouvelles règles européennes depuis le 16 février 2019 : les actes d’état civil concernant des ressortissants d’un État membre devant comparaître à un acte notarié n’ont plus à faire l’objet d’aucune traduction ni de légalisation (par apostille ou autre) : dans la mesure où les documents présentés au notaire sont des copies certifiées simplement par l’autorité locale qui les délivre, ils suffisent désormais pour justifier de la situation personnelle du client présent physiquement devant le notaire lors de la signature de l’acte : V. supra, n° a2119.
SA CAPACITÉ – MAJORITÉ
La capacité du client est généralement acquise quand il atteint la majorité. L’âge de la majorité diffère selon les États, et la règle de conflit en matière de capacité est soit rattachée à la nationalité (loi française issue de l’article 3 du Code civil (V. supra, n° a2169), soit à son domicile (règle de conflit de common law : V. supra, n° a2170).
SON IDENTITÉ
Les obligations d’identification ajoutées aux obligations de vigilance dans la lutte contre le blanchiment imposent au notaire de conserver une copie d’une pièce officielle d’identité, peu importe qu’elle ait été délivrée à l’étranger, dans la mesure où toutes les indications réglementaires y figurent (V. supra, n° a2155).
SA COMPRÉHENSION DE L’ACTE
Le notaire doit s’assurer que le client étranger comprend bien le français. Au moindre doute, si le client ne maîtrise pas, peu ou mal la langue française, le notaire doit l’inviter à recourir à un interprète. Sa responsabilité peut être engagée s’il n’est pas en mesure d’apporter la preuve qu’il a bien averti les parties des conséquences de l’acte (V. supra, n° a2110).
Sur ce point, la caisse de garantie collective préconise le modus operandi suivant (V. supra, n° a2110).
1. adresser d’office, et préalablement à la signature de l’acte notarié, un projet de l’acte aux parties (sans nécessité de traduction), surtout si elles ne maîtrisent pas la langue ;
2. le notaire doit se ménager la preuve d’avoir invité le client à se faire assister par un interprète ;
3. la faute commise par le client de ne pas se faire assister n’exonère pas le notaire de sa responsabilité d’avoir à l’inviter à le faire ;
4. l’intervention d’un interprète assermenté permet d’avoir l’assurance de la fidélité de la traduction, mais aussi de sa neutralité ;
5. l’intervention de l’interprète sera mentionnée au pied de l’acte.
Tous ces points vérifiés et respectés, la présence physique du client étranger à l’acte permet au notaire de recevoir son acte dans les meilleures conditions possibles de comparution.
En plus de la présence physique, traditionnelle, une autre forme de présence va apparaître dans les années à venir : au regard de l’évolution technologique et des besoins des clients qui ne souhaitent plus perdre de temps en déplacements et voyages, la présence de la personne physique sera bientôt dématérialisée.
Au moyen d’écrans interposés, via une transmission par visioconférence sécurisée, la cérémonie de signature de l’acte authentique, au cours de laquelle le notaire reste physiquement présent, deviendra un nouveau standard.
2185 L’évolution technologique fulgurante qu’entraîne la révolution numérique en marche est à l’origine de la loi du 7 octobre 2016 (V. supra, n° a2079), «Loi pour une République numérique».
Le notariat n’est pas en reste, ainsi qu’il a pu être démontré précédemment (V. supra, n° a2081). Il devient même sujet de recherche pour la Mission de recherche Droit et Justice du ministère de la Justice, qui a demandé à une équipe d’experts (composée d’universitaires et de praticiens – juristes et développeurs d’outils numériques) de mener sur le notariat et le numérique des travaux de recherche pluridisciplinaire et collaborative, à la fois fondamentale et appliquée.
Le thème de cette mission de recherche est intitulé : «Le cybernotaire au cœur de la République numérique».
Le gouvernement a lancé ces travaux scientifiques non seulement parce que le numérique est au cœur du notariat dans la production de ses actes, mais aussi parce que le notariat est lui-même un acteur de la révolution numérique, dans toutes les composantes de son métier.
De plus, son utilité sociale, par la sécurité juridique qu’il apporte – participant de la sorte activement à la justice préventive – démontre la légitimité de la confiance publique que lui accorde l’État français, et d’une façon plus générale et européenne, le Parlement européen449et les juridictions européennes450.
Les attentes du gouvernement reposent sur l’accompagnement et la compréhension de la mutation numérique de la profession, étroitement liée aux citoyens et à l’État, dans un seul but : «conforter la République numérique»451.
Dans cette perspective, le projet est prévu sur deux années, devant se terminer avec la parution des travaux en août 2020.
En collaboration avec la Chambre des notaires des Hauts-de-Seine et l’Université de Paris-Nanterre, cette équipe pluridisciplinaire étudie en profondeur les divers aspects de la numérisation du notariat, pour mieux en mesurer les avantages, autant que les risques et les dangers, afin de renforcer dans cette République numérique française, «l’ancrage du notariat»452.
2186 Par ailleurs, le 6 octobre 2017, le Premier ministre et la garde des Sceaux ont présenté, au tribunal de grande instance de Nantes, les cinq grands chantiers de la justice. Ces cinq chantiers conduiront à une transformation du secteur en collaboration avec les acteurs du terrain. Le premier chantier intitulé «Transformation numérique» retient ici l’attention, dans la mesure où un premier rapport a été mis en ligne dès le mois de janvier 2018453.
Une des mesures phares proposées par les rapporteurs référents454fait écho avec la cérémonie de signature de l’acte notarié : il s’agit, pour les rapporteurs de ce premier chantier, de penser «une audience civile, facilitée, interactive et intelligente»455.
Ces travaux tendant à assurer la transition numérique de la justice ne sont pas les seuls en réflexion : la Conférence internationale de La Haye a également ouvert un chantier, en 2008, achevé en 2016, par l’édition du Guide d’utilisation des liaisons vidéos pour les audiences judiciaires et les commissions rogatoires internationales, ce guide constituant l’annexe 6 de la Convention n° 20 du 18 mars 1970 visant à adapter ladite convention internationale à la nécessité de moderniser l’approche de la preuve.
2187 Dans le cadre de cette réflexion portant sur la nécessité d’adapter la Convention «Preuves» aux nouvelles technologies, le Bureau permanent de la Conférence internationale de La Haye a établi un rapport en 2009456dans lequel l’utilisation de la visioconférence est reconnue comme permettant à des parties géographiquement très éloignées l’une de l’autre de communiquer instantanément et de disposer de l’image et du son en temps réel via un écran457.
Ce rapport a donné suite à plusieurs réunions de travail du groupe d’experts internationaux458, qui a édité en avril 2016 le Guide d’utilisation des liaisons vidéo, constituant à ce jour l’annexe VI de la Convention «Preuve» ci-dessus visée.
Ce guide indique qu’une liaison vidéo offre par conséquent la possibilité à des personnes se trouvant physiquement dans un État d’entendre un témoin situé dans un autre État.
Il est également indiqué dans le rapport de 2009 que la visioconférence offre les mêmes activités et les mêmes avantages que la présence physique à l’audience459. En outre, la comparution par liaison vidéo offre une alternative utile et économique à la présence physique, épargnant aux parties les coûts et difficultés engendrés par des déplacements à l’étranger460.
Le rapport conclut qu’un État qui dispose des installations nécessaires à la visioconférence dans ses salles d’audience est tenu, en vertu de la convention, d’exécuter une commission rogatoire visant à obtenir des preuves par liaison vidéo, sous réserve des disponibilités des équipements de liaison vidéo et sous réserve de la compatibilité des technologies utilisées par l’État requis et l’État requérant 461.
Le Guide d’utilisation des liaisons vidéo énonce dans son introduction, en reprenant les avantages de l’emploi de ces nouvelles technologies, qu’«en abolissant la distance entre le tribunal, les parties, leurs représentants et le témoin, les liaisons vidéo permettent de réduire les délais, les frais, les dérangements, l’incapacité de se rendre au tribunal et l’impact environnemental des déplacements et donc d’améliorer l’efficacité des procédures judiciaires».
2188 La volonté de développer la visioconférence, au cœur de laquelle se loge l’interactivité de la cérémonie de signature, est déjà inscrite pour le notariat.
Le 16 janvier 2018, en assemblée générale (V. supra , n° a2082), conformément à la consolidation d’une République numérique dans laquelle est ancrée son institution, le Conseil supérieur du notariat a adopté une résolution tendant à développer la réception des actes authentiques électroniques à distance, dont les limites administratives des frontières ne constitueront plus de difficultés matérielles et techniques462.
La réception et la signature de l’acte authentique par écrans interposés, dans la mesure où les protocoles de sécurisation des données et des flux seront respectés463, pourront s’appliquer au-delà des frontières, dans un strict respect de la souveraineté nationale des États. Le respect de la souveraineté nationale des États est d’ailleurs une question essentielle intégrée dans l’objet des recherches et développements de la Mission Droit et Justice sur les travaux du «cybernotaire au cœur de la République numérique»464.
Cette dématérialisation, en abolissant la distance entre les parties, leurs représentants et le notaire, permet de réduire en outre les délais, les frais, les dérangements, ainsi que l’impact environnemental de l’empreinte carbone grâce aux déplacements évités.
Au point que dans le guide d’utilisation pour l’application de la Convention «Preuves», il est indiqué que : «la possibilité d’accomplir un acte d’instruction par liaison vidéo est une bonne pratique mondiale»465.
2189 La représentation internationale qui retiendra ici l’attention ne sera ni la représentation légale ni la représentation judiciaire, mais la représentation conventionnelle. C’est celle que le notaire est amené au quotidien à utiliser pour la signature de l’acte, lorsque l’une des parties ne peut être présente.
En effet, la procuration (autrement dénommée «mandat») est l’acte par lequel une personne (dénommée «le mandant») donne à une autre personne (dénommée «le mandataire»), le pouvoir de faire quelque chose pour le compte et au nom du mandant466.
Son usage pour le notariat est quotidien, tout comme sont quotidiens les éléments d’extranéité qui feront rentrer dans le champ d’application des instruments internationaux la procuration : la nationalité étrangère d’une des parties, son domicile, ou encore le lieu d’établissement ou d’exécution du mandat.
Un paradoxe doit être souligné : l’importance du mandat et son usage quotidien pourraient donner à penser que les règles internationales de son établissement, de sa validité, de son application et de son exécution relèvent de mécanismes d’une grande simplicité et d’une grande clarté de fonctionnement.
Au fil des développements qui vont suivre, il sera démontré qu’il n’en est rien, tant le contrat de mandat est singulier.
Le contrat d’intermédiaire est singulier parce qu’il crée une relation juridique triangulaire entre : le mandant, son mandataire et le tiers.
Mais cette singularité ne se limite pas au caractère triangulaire de la relation juridique : il existe en outre deux autres spécificités qui concernent, d’une part, l’intermédiaire (que l’on nommera indifféremment «intermédiaire», «représentant», ou «mandataire»), qui se trouve être le seul contractant connu à la fois du mandant (qui sera dénommé dans ce qui suit indifféremment «mandant», «représenté» ou «constituant») et du tiers467(qui sera dénommé «le tiers», ou «l’acquéreur») ; d’autre part, le tiers, qui n’étant pas contractant au contrat de mandat, se trouve pourtant être contractant au contrat principal.
Il sera démontré, au moyen de l’analyse d’un cas concret rencontré au quotidien par chaque notaire, que rien n’est plus singulier qu’une procuration établie dans un contexte international.
L’exemple concret qui servira de fil rouge pour la démonstration dans les prochaines lignes est le suivant :
Me Dupond, notaire à Cannes, est chargé d’établir l’avant-contrat puis l’acte de vente d’une propriété située à Antibes, quartier du cap, moyennant un prix de 3,5 millions d’euros. Il s’agit d’une résidence secondaire appartenant à un ressortissant de nationalité néerlandaise.
Le vendeur, M. Cornélius Van Morgen, est un riche industriel hollandais, demeurant à Amsterdam. Accaparé par ses obligations, il n’est pas disponible pour venir signer l’avant-contrat, ni l’acte de vente. Son conseiller, Me Droit, un avocat parisien, demeurant rue de la Paix, accepte de le représenter lors de la signature des actes.
L’acquéreur, M. Peter Smith, est de nationalité anglaise, et demeure à Ashford, dans le Kent (sud de Londres). Il envisage dans un premier temps de faire cette acquisition sans prêt, puis pour les besoins de la cause, il préférera finalement solliciter un prêt, par «confort», d’un montant de 1,5 million d’euros, auprès de sa banque habituelle, la Barclay’s Bank située à Londres468.
Il est demandé au notaire de préparer la procuration pour vendre et de l’adresser au mandant pour signature.
Si cette procuration, préparée en France, régularisée à l’étranger, doit respecter certaines conditions au regard des règles d’authenticité, cela ne pose aucune difficulté particulière si sa régularisation est faite dans un pays connaissant le notariat latin (V. infra, n° a2218). Mais dans un pays ne connaissant pas le notariat de «type latin», des difficultés à la fois techniques et juridiques apparaissent (V. infra, n° a2219).
Le mandat de représentation est en effet une matière où tous les notaires, sans aucune exception, appliquent les règles de droit international privé.
Bien que faisant partie à l’origine de cette catégorie de contrat appelée «petits contrats» par la doctrine469, le mandat revêt pour la pratique notariale «une importance si considérable, d’une utilisation fréquente»470, que certains auteurs n’hésitent plus à le qualifier de «grand, (…) ! mieux (…), de super grand» contrat471, eu égard notamment au nombre de mandats dont l’utilisation avait doublé en l’espace de vingt ans, entre les années 1970 et 1990472.
Le contrat de mandat, véritable «couteau suisse»du notaire, sert de support à de nombreux instruments juridiques, pour leur conclusion ou leur exécution : tous les jours des procurations pour recueillir une succession, pour vendre, ou acheter, sont établies par tous les notaires de France ; tous les jours ces contrats spéciaux, «contrats à tout faire», sont utilisés «pour leur souplesse et leur efficacité»473.
Pour cette raison, il est apparu naturel d’étudier ici les différents instruments internationaux qui le régissent, car ce contrat spécial, pratiqué dans un contexte international, répond à une série de règles spécifiques, issues à la fois de la Convention internationale de La Haye du 14 mars 1978 et des règlements Rome I et Rome II.
Ce sont ces règles qu’il est proposé d’analyser, de manière pratique, en commençant par la détermination de la loi applicable quant au fond du mandat (A), pour aborder dans un second temps les règles de validité formelle du mandat (B).
2190 Rappel du cas : M. Cornélius Van Morgen, domicilié à Amsterdam, demande à Me Dupond l’établissement d’une procuration à l’effet d’être représenté par son «homme d’affaires», avocat, Me Droit, demeurant à Paris, pour vendre à M. Smith, domicilié à Ashford, un bien situé au cap d’Antibes.
Il convient, dans un premier temps, de rechercher la loi applicable au mandat, quant au fond, dans le rapport de droit liant le mandant (M. Van Morgen) et son mandataire (Me Droit) (I), avant de rechercher la loi applicable dans le rapport de droit résultant du contrat avec le tiers (M. Smith) (II). Une fois ces développements posés, il conviendra alors de se pencher sur l’articulation existant entre les différents instruments internationaux gouvernant la matière (III).
2191 La première difficulté qui apparaît est de nature conflictuelle, se situant au niveau des sources de droit.
En effet, la matière du contrat de mandat est régie à la fois par la Convention internationale de La Haye n° 27 du 14 mars 1978 et par le règlement Rome I, pour ce qui concerne les obligations contractuelles, ainsi qu’il va être dit dans ce qui suit.
2192 Le contrat de mandat est d’abord régi par la Convention internationale de La Haye n° 27 sur la loi applicable aux contrats d’intermédiaire et à la représentation du 14 mars 1978, entrée en vigueur en France au 1er mai 1992474.
Le chapitre premier de la convention prévoit dans son article 1475qu’elle ne s’applique qu’aux mandats relevant de situations exclusivement «internationales», que le mandataire, appelé intermédiaire, agisse à titre habituel ou occasionnel476.
L’article 2 prévoit que la convention ne s’applique pas : à la capacité des parties, la forme des actes, la représentation légale dans le droit de la famille, des régimes matrimoniaux et des successions, ni à une représentation liée à une procédure de caractère judiciaire.
L’article 3 exclut également du champ d’application de la convention : les mandataires sociaux, qui représentent l’entité (société, association…) en vertu des pouvoirs conférés par la loi ou les actes constitutifs de l’entité légale ; et le trustee, qui n’est pas considéré comme un intermédiaire agissant pour le compte du trust, du constituant, ou du bénéficiaire.
Comme la plupart des conventions internationales de La Haye, l’article 4 de la convention lui reconnaît un caractère universel, de sorte que même si la loi désignée est celle d’un État non contractant, celle-ci doit s’appliquer.
Par ailleurs, la convention régit également le cas de l’intermédiaire qui a le pouvoir d’agir, mais qui n’agit pas ou qui agit sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs477.
Une dernière observation avant de conclure en reprenant notre cas pratique : la convention internationale ne désigne comme loi que la loi substantielle de l’État, de sorte que le renvoi n’est pas admis (art. 5). Autrement dit, la loi désignée est directement celle matérielle de l’État, dont les règles de droit international privé ne trouvent pas matière à s’appliquer en l’espèce.
Il résulte de ce qui précède que la procuration préparée à Cannes par Me Dupond, rédigée en langue française478, régularisée et signée par M. Van Morgen à Amsterdam où il réside, et en vertu de laquelle ce dernier nomme, à titre occasionnel, pour son mandataire, Me Droit, installé professionnellement et personnellement à Paris, rentre bien dans le champ d’application de la convention.
Après l’analyse du champ d’application, et vérification faite que la procuration se trouve bien régie par la convention, il est proposé de passer à l’analyse de la loi applicable.
2193 La convention internationale laisse la primauté à l’autonomie de la volonté, de sorte que les parties au mandat choisissent la loi interne applicable à leur relation. Dans l’hypothèse où les parties n’ont pas expressément désigné la loi applicable à leur relation, ce qui est généralement le cas, en pratique, l’article 5 prévoit que la désignation résulte avec une certitude raisonnable des dispositions du contrat et des circonstances de la cause479.
Si les parties n’ont pas choisi la loi applicable à leur relation résultant du mandat de représentation, l’article 6 prévoit que la loi applicable est la loi interne de l’État dans lequel, au moment de la formation du rapport de représentation, l’intermédiaire a son établissement professionnel, ou à défaut, sa résidence habituelle480.
Dans le cas sous examen, Me Dupond, qui n’a pas été sollicité par les parties, n’a pas prévu de désignation expresse de la loi applicable au mandat par M. Van Morgen au profit de Me Droit481. En conséquence, l’article 6 trouve matière à s’appliquer : la loi française régit de ce fait les rapports entre représenté et intermédiaire, dans la mesure où Me Droit, avocat, est domicilié à Paris, d’une part, où il y exerce son activité d’avocat, d’autre part.
Une observation ici peut être faite concernant l’expression «certitude raisonnable des dispositions du contrat et des circonstances de la cause» indiquée à l’article 5, 2e alinéa : en effet, si la détermination de la loi est laissée au libre choix des parties, l’article 5 prévoit qu’à défaut, la loi est celle avec laquelle le contrat présente les liens les plus étroits. Or en l’espèce, la procuration étant rédigée en langue française, pour réaliser un acte de vente par un notaire français, concernant un bien immobilier situé en France, il semble possible de se prévaloir des dispositions de l’article 5 in fine.
Il résulte de ce qui précède que le mandat de représentation sera en tout état de cause soumis à la loi française, soit par application des dispositions de l’article 5 in fine – circonstances de la cause, liens les plus étroits –, soit de l’article 6 de la convention – établissement ou domicile de l’intermédiaire.
Au regard de ces variantes possibles, un auteur a fait part de ses craintes : «Il faut souhaiter qu’une interprétation trop souple de cette formule déjà peu ferme [certitude raisonnable des dispositions du contrat et des circonstances de la cause] ne vienne pas ôter toute portée pratique au rattachement subsidiaire prévu à l’article 6»482.
La Convention internationale de La Haye n° 27 n’est pas le seul instrument régissant le rapport de droit entre représenté et intermédiaire : depuis le 17 décembre 2009, est entré en application le règlement Rome I.
2194 À titre liminaire, il est ici rappelé que les développements qui suivent n’ont aucunement la prétention d’analyser le règlement n° 593/2008 du Parlement et du Conseil de l’Europe du 17 juin 2008, étudié de manière approfondie par la quatrième commission dans le cadre du contrat de vente internationale (V. infra, n° a4040).
Les propos sont limités à la seule mise en lumière des incidences du règlement Rome I dans les relations entre représenté et intermédiaire, puisque le contrat de mandat se trouve également soumis audit règlement qui détermine la loi applicable aux obligations contractuelles.
2195 Comme il est de tradition dans les instruments européens, le chapitre 1 du règlement définit son champ d’application, et son article 1-1 en définit le périmètre : le règlement s’applique dans des situations comportant un conflit de lois, aux obligations contractuelles relevant de la matière civile et commerciale.
Par ailleurs, l’article 1-2 exclut de nombreuses matières (l’état et la capacité, les relations découlant des relations de famille, des régimes matrimoniaux, des successions, comme la Convention internationale n° 27 ; V. supra, n° a2192), dont une particulière qui retient ici l’attention : il s’agit des dispositions du paragraphe g) qui prévoit l’exclusion des conséquences de l’engagement par le représentant envers les tiers de la personne pour le compte de laquelle il prétend agir.
Il doit être conclu de cette exclusion de Rome I aux relations avec les tiers, qu’«a contrario, les relations entre le représenté et l’intermédiaire relèvent du règlement de Rome I»483.
De plus, à l’instar de la Convention internationale de La Haye n° 27 (V. supra, n° a2192), le règlement prévoit dans son article 2 un caractère universel, de sorte que la loi désignée par le règlement est applicable même si ce n’est pas la loi d’un État membre.
Enfin, avant de conclure en reprenant le cas pratique servant de fil rouge, l’article 20 du règlement exclut le renvoi, car la loi désignée s’entend de la loi interne, celle définissant les règles de droit matériel en vigueur, «à l’exclusion des règles de droit international privé».
Il résulte de ce qui précède que la procuration préparée à Cannes par Me Dupond, rédigée en langue française484et régularisée à Amsterdam, en vertu de laquelle M. Van Morgen constitue pour mandataire, à titre occasionnel, Me Droit, rentre bien dans le champ d’application du règlement Rome I, s’agissant d’obligations contractuelles en matière civile souscrites directement entre représenté et intermédiaire, étant précisé que les engagements pris par Me Droit à l’égard de M. Smith sont exclus du champ d’application du règlement.
Après l’analyse du champ d’application, et vérification faite que la procuration se trouve bien régie par Rome I pour les relations entre le mandant, M. Van Morgen, et l’intermédiaire, Me Droit, il est proposé de passer à l’analyse de la loi applicable.
2196 À l’instar de la Convention internationale sur la loi applicable aux contrats d’intermédiaire et à la représentation, le règlement Rome I laisse la primauté à l’autonomie de la volonté, en vertu de l’article 3-1485.
Il revient aux parties au mandat de choisir la loi interne applicable à leur relation. Dans l’hypothèse où les parties ne l’ont pas fait, ce qui est généralement le cas en pratique, l’article 3-1 prévoit que la désignation résulte alors de façon certaine des dispositions du contrat et des circonstances de la cause.
Par ailleurs, il résulte de l’article 4-2 du règlement que la loi applicable, à défaut de choix exprès des parties, est celle du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle.
Comme il n’a pas été prévu de désignation expresse de la loi applicable au mandat, il y a lieu de faire application de l’article 3-1 in fine, en vertu duquel la loi française est applicable pour régir les rapports entre représenté et intermédiaire : en effet, les dispositions du contrat et les circonstances de la cause sont les suivantes : la procuration est rédigée en langue française ; les effets de la procuration établie à Amsterdam vont se produire en France ; l’acte de vente est reçu par un notaire français ; l’acte de vente a pour objet un bien immobilier situé en France ; enfin, Me Droit est domicilié à Paris, où il exerce son activité d’avocat.
Il est ici fait observer que le mandat de représentation sera en tout état de cause soumis à la loi française, soit par application des dispositions de l’article 3-1 – façon certaine, circonstances de la cause –, soit de celles de l’article 4-2 du règlement – résidence habituelle de l’intermédiaire qui fournit la prestation caractéristique.
Il résulte de ce qui précède qu’un conflit de sources existe entre la Convention internationale de La Haye du 14 mars 1978 et le règlement Rome I du 17 juin 2009, en matière de mandat de représentation pour le rapport de droit entre mandant et mandataire.
Les auteurs relativisent cette concurrence, du fait que les solutions envisagées sont identiques dans les deux instruments486.
Afin de contourner cette difficulté, il doit être proposé aux parties d’inclure expressément dans le mandat une clause de désignation de loi, ainsi qu’il sera rappelé plus loin.
Cette désignation de loi assurera aux relations entre représenté et intermédiaire une meilleure sécurité juridique, la compétence concurrente constatée entre les deux instruments pouvant s’avérer être source de confusion.
Cette désignation s’imposera au juge qui aurait à connaître d’un litige.
Cette désignation sera surtout opposable au tiers, qui est directement concerné par l’exécution du mandat, sans pour autant être partie à ce contrat.
À ce titre, un dernier point reste à approfondir, celui justement concernant le rapport de droit résultant du contrat de représentation à l’égard du tiers.
2197 Comme il a été indiqué plus haut (V. supra, n° a2189), le contrat de mandat est singulier en ce qu’il crée une relation juridique triangulaire : le mandant, son mandataire et le tiers, même si ce dernier n’est pas contractant.
Pour cette raison, l’analyse juridique se répartit selon que les engagements souscrits résultent :
soit directement des obligations de nature contractuelle, pour ce qui concerne les relations «représenté-représentant»;
soit des obligations de nature extracontractuelle, pour ce qui concerne les relations avec le tiers.
Le rapport de droit avec le tiers rencontre lui aussi un conflit de sources de droit : il rentre à la fois dans le champ d’application de la Convention internationale n° 27 et dans celui de Rome II.
2198 Le chapitre III de la Convention n° 27 est entièrement consacré aux relations avec le tiers. Lorsque son article 11 érige deux principes, le principe d’établissement de l’intermédiaire et le principe d’exécution du contrat d’intermédiaire (ii), son article 14 prévoit, au regard du principe fondamental de l’autonomie de la volonté, la possibilité pour les parties de désigner la loi applicable à leur relation juridique (i). C’est ce qu’il est proposé d’aborder maintenant dans ce qui suit.
2199 La convention prévoit la possibilité, entre le tiers et l’intermédiaire, de désigner la loi qui sera applicable à leur relation juridique en vertu de l’article 14487.
Le choix de loi ainsi exprimé évite l’application des principes de rattachement selon le lieu d’établissement ou d’agissement de l’intermédiaire, à défaut de choix, ainsi qu’il sera dit ci-après (V. supra, nos a2200 et s.).
Toutefois, dans l’hypothèse où le tiers prend l’initiative de proposer la désignation de loi à l’intermédiaire, dans quelle mesure ce dernier peut-il expressément accepter pour le compte de la personne qu’il représente ? Le mandataire ne doit-il pas être autorisé par le mandant pour accepter la désignation de loi proposée par le tiers ?
La rédaction de l’article 14 le laisse à penser, par l’utilisation qui est faite du terme «par» l’autre partie, et non «par ou pour le compte» de cette partie.
Cette interprétation protège le représenté du risque de se retrouver lié par l’application d’une loi qu’il ne pouvait pas prévoir lors de la conclusion du mandat avec son mandataire488.
À défaut de choix de loi, la convention prévoit plusieurs critères de rattachement pour désigner la loi applicable à la relation juridique existant avec le tiers, qu’il convient d’étudier.
2200 Si les parties ne conviennent pas de choisir expressément une loi applicable à leur rapport de droit, la convention organise les modalités de rattachement de la loi applicable autour de deux principes : le principe du lieu d’établissement de l’intermédiaire, d’une part, et celui du lieu d’exécution (ou d’action) du mandat par l’intermédiaire, d’autre part.
2201 Le rapport de droit entre le mandant et le tiers, ainsi que l’existence et l’étendue des pouvoirs du représentant et les effets de ses actes, sont régis par la loi interne de l’État dans lequel le représentant avait son établissement professionnel au moment où il a agi489.
Le rattachement au lieu d’établissement du représentant permet de prendre en considération la préservation des intérêts à la fois du représenté et du tiers, lorsque le représentant agit en ignorant, ou en outrepassant ses pouvoirs de représentation.
En effet, ce critère de rattachement permet de concilier les priorités données par certaines législations qui sont orientées d’abord vers la protection du tiers, comme cela est par exemple le cas en droit allemand, ou en droit suisse490, tandis qu’en droit français, la priorité est surtout donnée à la protection du représenté, lorsque le représentant agit sans pouvoirs, en abuse ou les outrepasse491.
Définir ainsi comme critère de rattachement le lieu d’établissement de l’intermédiaire permet d’éviter de trop favoriser le représenté492ou le tiers493.
Mais le critère de rattachement du lieu d’établissement cède la place à un autre critère : le critère de rattachement du lieu d’exécution, lorsque plusieurs conditions sont remplies. Il convient de les exposer.
2202 Le deuxième alinéa de l’article 11 de la convention prévoit de rattacher le rapport de droit entre le mandant et le tiers, ainsi que l’existence et l’étendue des pouvoirs du représentant et les effets de ses actes, à la loi interne de l’État dans lequel le représentant a agi, selon un regroupement des points de contact, qu’illustrent les conditions alternatives suivantes :
1. le représenté réside habituellement (ou est établi professionnellement) dans le même État où l’intermédiaire a agi en son nom ; ou
2. le tiers réside habituellement (ou est établi professionnellement) dans le même État où l’intermédiaire a agi ; ou
3. l’intermédiaire a agi en bourse ou pris part à une vente aux enchères ; ou
4. l’intermédiaire n’a pas d’établissement professionnel.
De ces principes découle une conséquence particulière concernant la portée des pouvoirs du représentant : lorsque l’intermédiaire ignore, abuse, ou outrepasse les pouvoirs à lui conférés par le mandat, la relation juridique liant le représenté au tiers ne peut alors se former ; l’article 15494prévoit dans ce cas la possibilité pour le tiers d’exercer une voie de recours selon la loi qui régit les effets de la représentation, puisque c’est précisément cette dernière qui se trouve être à l’origine de cette situation dommageable pour le tiers495.
Ces principes énoncés, ils doivent maintenant être concrètement appliqués au cas «Van Morgen».
Rappelons que le vendeur, M. Van Morgen est domicilié à Amsterdam, où il a signé la procuration au profit de son avocat qui a accepté d’être son mandataire, Me Droit, demeurant et officiant à Paris. La vente de la propriété secondaire de M. Van Morgen située au cap d’Antibes doit avoir lieu chez Me Dupond, notaire à Cannes, au profit de M. Smith, demeurant à Ahsford en Angleterre.
Cependant, pour les besoins de l’espèce, il convient ici d’ajouter au cas initial l’indication suivante :
Cette maison est entièrement meublée, et notamment figurent parmi les objets décoratifs quelques tableaux accrochés aux murs, dont un particulièrement, issu de l’École hollandaise, signé d’un élève direct de Rubens, Theodoor Van Tulden.
Pensant bien faire, Me Droit, qui ne connaît pas l’École hollandaise, accède à la demande de M. Smith, et lui confirme finalement par échange de mails que la maison sera bien vendue avec ce tableau, objet décoratif comme tant d’autres, que M. Van Morgen n’aura pas le temps de récupérer de toutes les façons, puisqu’il a encore une fois délégué à son mandataire le soin de débarrasser la maison pour la vente.
Naturellement, Me Droit confirme que le prix de vente ne change pas, ignorant totalement la valeur de ce tableau, pensant ainsi que seront évitées des formalités complémentaires tant au notaire qu’à son mandant qu’il n’a pas encore tenu informé de ces échanges mineurs.
Rendant compte par téléphone quelques jours avant la signature de la vente à M. Van Morgen, Me Droit réalise son erreur et finalement refuse la vente de la maison garnie du tableau, contrairement à ce qu’il s’était engagé de faire vis-à-vis de M. Smith. Ce dernier, qui compte sur l’effet obligatoire de l’accord conclu de bonne foi avec Me Droit, n’entend pas laisser les choses en l’état, estimant avoir subi un préjudice.
À quelle loi sera soumise la difficulté : la loi anglaise, néerlandaise ou française ?
Pour déterminer la loi applicable dans les rapports entre le vendeur (M. Van Morgen) et l’acquéreur (M. Smith), il convient de définir lequel des critères de rattachement indiqués ci-dessus est applicable au mandat donné par M. Van Morgen à son mandataire, Me Droit.
En vertu de l’article 11-1, la relation juridique entre vendeur (M. Van Morgen) et acquéreur (M. Smith), ainsi que l’existence et l’étendue des pouvoirs de l’intermédiaire (Me Droit) et les effets de ses actes, sont régis par la loi interne de l’État dans lequel l’intermédiaire est établi au moment où il agit, soit en l’espèce, la France.
Par conséquent, en vertu de l’article 11-1 de la convention, les relations entre M. Van Morgen et M. Smith se trouvent soumises à la loi matérielle française, loi d’établissement de l’intermédiaire. Sont également soumises à la loi française les conditions d’existence, d’exercice, et les conséquences pouvant découler d’un abus par Me Droit des pouvoirs à lui conférés par M. Van Morgen.
Cependant, Me Droit, avocat de métier, qui a accepté à titre occasionnel de représenter son client, M. Van Morgen, dans le cadre de cette vente (qui représente un caractère privé pour ce dernier, le bien vendu constituant sa résidence secondaire), ne semble pas être un professionnel de l’entremise à caractère commercial. C’est pourquoi la question peut se poser de savoir si l’article 11-2 serait applicable plutôt que l’article 11-1.
L’article 11-2 d) désigne en effet comme loi applicable celle de l’État dans lequel l’intermédiaire a agi, si l’intermédiaire n’a pas d’établissement professionnel, cette expression devant être entendue comme un établissement dans lequel siège l’intermédiaire, prestataire de services en qualité de professionnel de l’entremise.
Si Me Droit, avocat de métier, n’est pas considéré comme professionnel de la représentation commerciale (ou civile), la loi applicable à la relation entre M. Van Morgen et M. Smith est celle de l’État dans lequel Me Droit a agi pour le compte de M. Van Morgen, soit en l’occurrence la France.
Il résulte de ce qui précède que quelle que soit la loi applicable, la loi d’établissement de l’intermédiaire (art. 11-1), ou la loi des agissements de l’intermédiaire (art. 11-2), en l’espèce il y a identité de solutions, puisque la loi applicable est la loi française.
2203 La Convention internationale de La Haye régit les relations entre le mandant et le tiers, selon la loi d’établissement ou d’agissement de l’intermédiaire.
La convention connaît toutes les situations possibles, que l’intermédiaire agisse dans le cadre de son mandat, comme en dehors, selon l’article 15 de la convention.
Mais si le mandataire ignore, abuse ou outrepasse ses pouvoirs, la relation avec le tiers peut également entrer dans le champ d’application d’un autre instrument, européen celui-là : le règlement Rome II, ainsi qu’il va être dit dans ce qui suit.
2204 Le règlement n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (dit règlement «Rome II») peut avoir à s’appliquer, en cas d’abus de droit ou de préjudice causé par l’intermédiaire au tiers, ces éléments relevant de la matière délictuelle à plusieurs titres.
D’abord, parce que le concept d’obligation non contractuelle est une notion autonome au droit de l’Union496. Ensuite, selon le considérant 12, parce que le règlement s’applique également à la responsabilité délictuelle.
Pour ces raisons, il est apparu utile d’analyser la relation juridique résultant du contrat de représentation avec le tiers en contemplation du règlement Rome II, en commençant par la détermination de son champ d’application.
2205 Construit selon la même architecture que Rome I (V. supra, n° a2195), le chapitre 1 de Rome II définit son champ d’application, et son article 1-1 en délimite le périmètre : le règlement s’applique dans des situations comportant un conflit de lois ainsi qu’aux obligations non contractuelles relevant de la matière civile et commerciale.
Par ailleurs, l’article 1-2 exclut de nombreuses matières telles que les obligations non contractuelles découlant des relations de famille, des régimes matrimoniaux, patrimoniaux, des successions, du droit des sociétés, des trusts, auxquelles s’ajoutent les obligations non contractuelles nées des lettres de change, de chèques, ou encore des dommages nucléaires…
En tout état de cause, parmi toutes les exclusions visées, ne figure pas la responsabilité du représentant en cas d’abus de pouvoirs. Il en résulte que le règlement Rome II s’applique en cas d’abus de pouvoirs portant préjudice au tiers par le représentant497.
De plus, comme la Convention internationale de La Haye n° 27 (V. supra, n° a2192), le règlement prévoit dans son article 3 un caractère universel, de sorte que la loi désignée est applicable, même si ce n’est pas la loi d’un État membre.
Enfin, avant de conclure en reprenant le cas pratique servant de fil rouge, l’article 24 du règlement exclut le renvoi, car la loi désignée s’entend de la loi interne, celle définissant les règles de droit matériel en vigueur, «à l’exclusion des règles de droit international privé»498.
En reprenant à l’identique le cas «Van Morgen» selon les dernières indications portées ci-dessus (V. supra, n° a2202), il résulte de ce qui précède que la procuration préparée et rédigée en langue française499, régularisée à Amsterdam par le mandant y demeurant, qui donne pouvoir à Me Droit de vendre exclusivement à M. Smith, demeurant à Ashford, la maison située au cap d’Antibes, alors que Me Droit a accédé à la demande de l’acquéreur – bien qu’il n’en avait pas le pouvoir – de vendre la maison garnie du tableau de maître, rentre bien dans le champ d’application de Rome II, puisque les obligations relatives au tableau, de nature civile, souscrites par le mandataire à l’égard du tiers sont bien de nature non contractuelle.
Après l’analyse du champ d’application, et vérification faite que la relation juridique dans le cadre du mandat de représentation à l’égard de M. Smith entre bien dans le champ d’application de Rome II, il est proposé de passer à l’analyse de la loi applicable.
2206 À l’instar de la Convention de La Haye n° 27, le règlement Rome II prévoit deux possibilités : la première, selon laquelle les parties désignent la loi applicable, dans le respect du principe essentiel de l’autonomie de la volonté, en vertu de l’article 14 (§ 1). La seconde, à défaut de choix exprimé par les parties, repose sur l’application d’un critère de rattachement objectif, en vertu de l’article 4 (§ 2). C’est dans cet ordre qu’il est proposé de poursuivre les développements.
2207 En cas de choix de loi. L’article 14 du règlement Rome II prévoit la possibilité pour les parties de choisir la loi applicable à l’obligation non contractuelle. En matière civile, cet accord de choix de loi doit être postérieur à la survenance du fait générateur du dommage.
En matière commerciale, il peut être antérieur ou postérieur à l’événement, pourvu qu’il ait été librement négocié.
À la différence de l’article 14 de la Convention de La Haye n° 27 qui ne prévoit qu’un choix exprès, le choix de l’article 14 de Rome II peut être soit exprès, soit tacite500.
À défaut de choix de loi, le règlement prévoit un seul critère de rattachement pour désigner la loi applicable, ce qui constitue une importante différence par rapport à la Convention internationale n° 27 de La Haye. C’est ce qu’il convient maintenant d’aborder.
2208 À défaut de choix de loi par les parties. À défaut de choix exprimé par les parties, Rome II prévoit dans son article 4 une règle générale de détermination du critère de rattachement en matière de fait dommageable. Cette règle générale repose sur un principe de rattachement qui connaît deux exceptions.
2209 En vertu de l’article 4-1 du règlement Rome II : «Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels les conséquences indirectes de ce fait surviennent».
Le principe ainsi érigé est à la fois d’une grande simplicité et d’une grande clarté : la loi applicable est celle du pays où survient le fait dommageable qui va engager la responsabilité délictuelle à l’égard du tiers.
Ce principe s’applique, même en cas de délits complexes501.
Par contre, il ne s’applique pas aux mandats apparents, que cette catégorie de mandat relève des contrats ou des quasi-contrats, selon la position des auteurs502.
2210 En vertu de l’article 4-2 du règlement Rome II : «Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s’applique».
À partir du moment où une coïncidence est constatée entre les résidences habituelles du responsable du dommage et de la victime, alors c’est la loi du pays où ils résident qui s’applique.
En outre, et en vertu de l’article 4-3 du règlement : «S’il résulte de l’ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s’applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu’un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question».
Ces principe et exceptions étant énoncés, lequel d’entre eux est applicable au cas «Van Morgen»?
Le mandat liant M. Van Morgen à Me Droit ne prévoit aucun choix de loi.
Dans la mesure où aucun choix de loi n’est fait pour désigner la loi applicable à la responsabilité délictuelle encourue du fait de l’engagement souscrit par Me Droit vis-à-vis de M. Smith concernant le tableau du peintre Van Tulden, l’article 14 de Rome II ne peut s’appliquer.
En conséquence, l’un des critères de rattachement énoncés à l’article 4 doit s’appliquer à l’espèce. L’analyse de la situation peut être la suivante :
L’ensemble des circonstances de l’espèce ne paraît pas présenter de liens manifestement plus étroits que soit la France (où réside et agit l’intermédiaire), soit le Royaume-Uni (où est domicilié le tiers). En conséquence l’article 4-3 de Rome II ne s’applique pas au cas pratique.
Dans la mesure où l’intermédiaire et le tiers ne résident pas dans le même pays, l’article 4-2 de Rome II ne peut trouver matière à s’appliquer.
En conséquence, si aucune des exceptions prévues par le règlement ne peut s’appliquer, les obligations non contractuelles liant Me Droit à M. Smith seront soumises à la loi française, loi du pays où survient le dommage, même si en l’espèce le préjudice que considère avoir subi M. Smith est de nature psychologique et (ou) financier et qu’il n’est pas localisable dans l’espace503.
Une dernière précision doit être portée avant de conclure : il s’agit de définir les relations que peut entretenir la convention internationale avec Rome I et Rome II.
2211 Selon l’article 22 de la Convention internationale n° 27 du 14 mars 1978 : «La Convention ne déroge pas aux instruments internationaux auprès desquels un État contractant est ou sera Partie et qui contiennent des dispositions sur les matières réglées par la présente Convention».
Par ailleurs, l’article 25-1 de Rome I énonce que : «Le présent règlement n’affecte pas l’application des conventions internationales auxquelles un ou plusieurs États membres sont parties lors de l’adoption du présent règlement et qui règlent les conflits de loi en matière d’obligations contractuelles».
Il en résulte que ces deux instruments prévoient la possibilité de laisser l’autre s’appliquer. Cela permet aux parties de choisir celui des deux qui sera applicable pour régir leurs relations.
Au-delà du débat doctrinal quant à savoir lequel des instruments est plus élevé dans la hiérarchie des normes, la matière étant contractuelle, elle relève par conséquent des droits disponibles504.
2212 Lorsque l’article 22 de la convention prévoit qu’elle ne déroge pas aux autres instruments ainsi qu’il vient d’être dit (V. supra, n° a2211), l’article 28-1 de Rome II prévoit : «Le présent règlement n’affecte pas l’application des conventions internationales auxquelles un ou plusieurs États membres sont parties lors de l’adoption du présent règlement et qui règlent les conflits de lois en matière d’obligations non contractuelles».
En cas d’abus de pouvoir par le mandataire, les deux instruments ont alors vocation à s’appliquer, mais chacun édicte des règles de conflit différentes (V. supra, nos a2201 et a2202 pour la convention ; et nos a2209 et a2210 pour Rome II).
Ces deux instruments permettant aux parties de choisir la loi applicable à leur relation non contractuelle, d’une part, et la matière non contractuelle relevant des droits disponibles, d’autre part, les parties ont donc la possibilité de choisir celui des deux qui sera applicable pour régir leurs relations extracontractuelles505.
Malheureusement, à défaut de choix (qui doit être postérieur à la survenance du dommage pour Rome II, alors qu’il est possible d’anticiper l’événement pour la convention), une partie de la doctrine considère que la convention doit s’appliquer et non Rome II506.
Au-delà du débat doctrinal pouvant avoir lieu, il est du devoir du praticien d’assurer avec efficacité son instrumentation de l’acte, de sa préparation à sa conclusion.
Rien ne sera plus efficace que de suggérer aux parties, dès connaissance prise de la nécessité d’avoir à établir une procuration dans un dossier, d’exercer un choix de loi et d’insérer une clause de désignation de loi, comme il sera répété à plusieurs occasions lors de ces travaux.
Cette pratique évitera ainsi que la responsabilité du notaire ne soit recherchée quant à un possible défaut de conseil sur l’étendue des droits que la loi lato sensu accorde aux parties.
À la lumière de ces nombreuses particularités qui gouvernent les relations dans la procuration à dimension internationale, il est essentiel :
1. de choisir, par l’exercice de l’autonomie de la volonté, une seule loi applicable pour l’ensemble du mandat ;
2. ce choix se fait de manière expresse ;
3. les avantages de ce choix sont les suivants :
la loi ainsi désignée s’imposera dans tous les rapports de droit que crée la procuration,
la loi ainsi désignée s’imposera au juge qui ne pourra pas le remettre en cause,
la loi ainsi désignée apportera une sécurité juridique certaine puisque ce choix est opposable au tiers,
la loi ainsi désignée permet d’assurer une parfaite prévisibilité de la loi applicable.
Au moyen du cas pratique «Van Morgen», viennent d’être détaillées les règles de fond régissant les conditions de validité et d’exécution du mandat relevant du droit international privé.
M. Van Morgen a établi une procuration pour donner pouvoir à son mandataire, Me Droit domicilié à Paris, à l’effet de vendre sa résidence secondaire située en France.
Une autre série de règles et de pratiques restent à détailler : les conditions de forme de la procuration établie et d’exécution du mandat dans un contexte international.
2213 La concurrence rencontrée dans les conditions de fond entre les instruments n’existe pas, pour les conditions de forme entre la convention et les règlements européens : l’article 2-b) de la Convention de La Haye n ° 27 exclut expressément du domaine d’application la forme des actes.
Par ailleurs, la forme de l’acte, qui est un contrat avant tout, ne relève pas non plus du règlement (CE) n° 864/2007 du 11 juillet 2007 définissant la règle de conflit pour ce qui concerne exclusivement les obligations non contractuelles.
En conséquence, le seul instrument européen applicable à la forme de la procuration est le règlement n° 593/2008 du 17 juin 2008 (dit «Rome I»).
2214 Les dispositions de l’article 11 de Rome I prévoient que :
«1. Un contrat conclu entre des personnes ou leurs représentants, qui se trouvent dans le même pays au moment de sa conclusion, est valable quant à la forme s’il satisfait aux conditions de forme de la loi qui régit le fond en vertu du présent règlement ou de la loi du pays dans lequel il a été conclu».
«2. Un contrat conclu entre des personnes ou leurs représentants, qui se trouvent dans des pays différents au moment de sa conclusion, est valable quant à la forme s’il satisfait aux conditions de forme de la loi qui le régit au fond en vertu du présent règlement ou de la loi d’un des pays dans lequel se trouve l’une ou l’autre des parties ou son représentant au moment de sa conclusion ou de la loi du pays dans lequel l’une ou l’autre des parties avait sa résidence habituelle à ce moment-là».
Une difficulté survient lorsque la forme est imposée par la loi française pour assurer la validité de l’acte authentique ad validitatem507.
Car même si l’article 18 du règlement renvoie à la loi applicable à la forme ou à la loi du for pour la charge de la preuve508, c’est également la loi applicable à la forme qui exigera un instrumentum à titre de validité pour les actes solennels509.
2215 Certains actes authentiques requièrent, lorsque des procurations doivent être établies, que celles-ci soient nécessairement reçues en la forme authentique510.
Une jurisprudence ancienne souligne l’indivisibilité du mandat avec l’acte principal : «L’hypothèque conventionnelle ne peut être consentie que par acte passé en forme authentique. Il suit de cette disposition que le mandat donné pour hypothéquer doit être également en forme authentique, la procuration dans laquelle le débiteur exprime lui-même son consentement à l’hypothèque devant, comme le contrat lui-même présenter la garantie de l’authenticité»511.
S’agit-il d’une question de fond ou d’une question de forme, dans la mesure où cette exigence est contraire au principe de droit international privé repris par l’adage locus regit actum ? La question mérite d’être posée, dans la mesure où le Code civil impose pour plusieurs matières le principe du parallélisme des formes.
Il en est ainsi, par exemple, de la procuration pour accepter une donation512, constituer une hypothèque513, ou encore acquérir un bien en l’état futur d’achèvement.
D’autres fois, la procuration devra contenir des mentions particulières514.
Afin de verser au dossier en toute sécurité juridique une procuration en provenance de l’étranger, le respect des formalités exigées doit être vérifié. Car selon les pays, les mots similaires ne revêtiront pas nécessairement la même signification.
2216 En matière de procurations sous seing privé (qui sont par défaut les plus utilisées lorsque la loi française ne les impose pas en la forme authentique), les pratiques au quotidien des notaires ne sont pas les mêmes selon les pays.
Ainsi le notaire italien qui est chargé de procéder à la certification de la signature du mandant sur une procuration sous seing privé pour vendre – devant produire ses effets en France – exercera un contrôle de légalité, en vérifiant entièrement le contenu de l’acte ; tandis le notaire français, chargé de certifier la signature du client portée sur la procuration sous seing privé, contrôlera seulement la correspondance entre la comparution civile portée dans la procuration et le document d’identité à lui présenté par le client515.
Une autre différence selon les pays réside dans le fait qu’une procuration peut être passée sous seing privé en France, alors qu’elle doit obligatoirement être reçue en la forme authentique dans un autre pays.
Par exemple, alors qu’une procuration sous seing privé est suffisante pour vendre un bien immobilier en France – dans le cadre d’une vente ordinaire, en dehors d’une vente en l’état futur d’achèvement (VEFA) ou d’une vente d’immeuble à rénover (VIR) – elle doit obligatoirement être passée en la forme authentique si elle doit s’exécuter sur le territoire espagnol. Il en est de même pour une procuration donnée dans le cadre de l’acceptation d’une succession ouverte en Espagne516.
Par ailleurs, des mentions spécifiques peuvent devoir figurer sur les procurations, selon les pays de destination.
Il en est ainsi d’une procuration établie en France pour régler une succession en Italie : reçue à l’étranger, elle sera reconnue en Italie si elle respecte la forme du pays d’origine517, à condition que le notaire (qui a reçu la procuration authentique, ou qui a certifié la signature du mandant en cas de procuration sous seing privé) indique expressément dans le corps de la procuration les textes applicables à sa propre législation et relatifs à la forme d’une telle procuration518.
Enfin, il convient de rester prudent quant à l’acception que les juristes peuvent avoir d’un même terme qui définit l’accomplissement du contrôle et de la certification de signature dans le cadre d’une procuration sous seing privé évoluant dans un contexte international.
Il en est ainsi de la notion de légalisation : même si cette formalité (qui fait l’objet d’une étude complète dans la troisième partie de la présente commission, V. infra, n° a2321) répond à une définition pourtant précise et contenue dans nombre d’instruments internationaux, dans le langage courant des juristes belges et français par exemple, cette notion ne revêt pas le même sens : le contrôle par le notaire belge de la concordance entre la signature et la personne qui l’a apposée et qu’il lui est demandé d’effectuer sera dénommé «légalisation de signature», alors que pour le notaire français ce même processus de vérification de l’identité entre la signature et la personne qui l’appose relèvera d’une «certification de signature»519.
La matière des procurations sous seing privé est finalement délicate à manier, dans la mesure où le document qui circule au-delà des frontières rencontrera bien des diversités de pratique et de vocabulaire.
L’autre catégorie de procuration qu’il reste à évoquer, après la forme sous seing privé, est la procuration reçue à l’étranger en la forme authentique et devant avoir effet en France.
2217 Ainsi qu’il a déjà été dit (V. supra, n° a2010), l’authenticité inhérente à l’acte notarié résulte du respect par le notaire, lors de la rédaction et la réception de son acte, d’un certain nombre d’exigences de forme et de fond. Celles-ci sont définies notamment par les dispositions du décret n° 71-941 du 26 novembre 1971.
Ces conditions de solennité sont essentielles pour permettre, par l’application de la théorie de l’équivalence, de considérer une procuration établie à l’étranger comme ayant un caractère authentique.
En droit positif, il est rappelé que la définition de l’acte authentique520est la suivante : un acte est authentique lorsqu’il s’agit d’un acte instrumentaire, dressé, vérifié et conservé par le notaire, autorité publique. Cette définition complète celle donnée par l’article 1369 du Code civil (V. supra, n° a2005).
Il est également rappelé que le droit de l’Union européenne, par la jurisprudence Unibank ainsi que par les règlements européens521, définit l’acte authentique comme étant dressé ou enregistré formellement en tant qu’acte authentique et dont l’authenticité porte sur la signature et le contenu de l’acte établi par une autorité publique ou toute autre autorité habilitée à ce faire.
Ces règles rappelées, il s’agit de déterminer maintenant si elles seront reconnues ou pas, selon que l’acte sera établi dans un État connaissant le notariat latin (ii), ou bien dans un autre État (iii).
2218 Lorsque la procuration en la forme authentique provient d’un État connaissant le notariat de «type latin», il n’y aura pas de difficulté particulière à accepter le caractère authentique, l’intervention de l’officier public étranger ayant un statut équivalent au notaire français522, malgré la diversité possible de ses fonctions selon les États dans lesquels les notaires sont nommés (V. supra, n° a2026).
Dans ce cas, la procuration peut être établie devant un notaire étranger puisque les règles de l’authenticité de l’acte notarié correspondent à celles du droit français au sens du notariat latin523.
Cette situation repose sur la théorie de l’équivalence, qui fera l’objet d’une étude dans la troisième partie (V. infra, n° a2401).
Lorsque la procuration doit être reçue en la forme authentique dans un pays connaissant le notariat latin, il est de bonne pratique que :
le notaire français, chargé de recevoir l’acte principal, adresse un modèle de procuration au confrère étranger524(ce modèle de procuration pourra être rédigé en deux langues avec une traduction à mi-marge)525 ;
le notaire étranger authentifie son acte sur le modèle reçu du notaire français. Cette authentification doit remplir toutes les conditions de solennité requises (authenticité de la signature de l’acte, de son contenu, par une autorité publique habilitée pour ce faire) qui ont été récemment à nouveau confirmées par la Haute Cour ;
la procuration ainsi régularisée doit ensuite faire l’objet soit de la légalisation consulaire, soit de la formalité de l’apostille, ou bien peut être dispensée de toute formalité analogue selon les cas526.
Par un arrêt récent du 14 avril 2016, la Cour de cassation a donné d’importantes précisions sur la notion d’authenticité qui ne se retrouve pas dans l’établissement de procurations devant des autorités locales dans des pays relevant du Commonwealth.
Ces précisions sont essentielles pour mieux cerner les règles d’équivalence lorsque la procuration doit être signée dans des pays de common law ou situés dans le nord de l’Europe.
2219 Lorsque la procuration doit être reçue en la forme authentique dans ces pays, les difficultés les plus importantes consistent principalement à reconnaître le caractère authentique de l’acte établi, puisque dans les pays du Commonwealth et ceux du nord de l’Europe (Suède, Norvège, Finlande, Danemark), le notariat latin n’est pas instauré.
Dans ces États, même établi par une autorité locale pleinement reconnue dans son pays (notary public, scrivener notary en Grande-Bretagne ou notarius publicus ou fonctionnaire des services fiscaux au Danemark ou en Finlande), l’acte ne remplit pas forcément tous les critères de solennité requis pour équivaloir un acte notarié.
En effet, depuis l’arrêt Unibank et les règlements européens donnant une définition de l’acte authentique527, l’acte est authentique lorsqu’il a été dressé ou enregistré formellement en tant qu’acte authentique et dont l’authenticité porte à la fois sur la signature et le contenu. De plus, l’acte doit être établi par une autorité publique ou toute autre autorité habilitée à ce faire.
La Haute Cour estime, dans un arrêt du 14 avril 2016, que la forme locale d’un mandat établi dans un pays ne connaissant pas le notariat latin est considérée comme authentique528si toutes les conditions de solennité sont remplies. Pour être remplies, les conditions de solennité doivent porter sur tous les éléments inhérents à l’authenticité.
L’analyse de l’espèce sera éclairante pour cerner exactement les enjeux, indépendamment des considérations attachées au débat doctrinal sur la question de savoir si ces conditions de validité relèvent des conditions de forme ou de fond du mandat529.
L’affaire concerne la régularisation d’une procuration en Australie devant un notary public australien pour consentir une affectation hypothécaire en qualité de caution sur un immeuble situé en France.
Le notary public, qui ne parle pas le français, s’est limité seulement à recevoir la mandante, et certifier sa signature au pied de la procuration établie en langue française. Il a ensuite fait diligence pour l’accomplissement de la formalité de l’apostille.
Mais il n’a pas procédé à la lecture de l’acte ; il ne s’est pas non plus enquis de savoir si la mandante avait conscience de la pleine portée de son engagement, ni en lui lisant l’acte, ni même en l’interrogeant sur les conséquences bien comprises de l’engagement ainsi donné.
Or, parmi les critères de solennité attachés à l’acte authentique, figurent, d’une part, celui selon lequel le notaire doit attirer l’attention de ses clients sur l’importance de leurs engagements et la gravité que peuvent parfois avoir certains accords (comme celui précisément d’une affectation hypothécaire) et, d’autre part, celui précisant l’obligation qu’a le notaire de donner toutes les explications utiles qui relèvent de l’obligation de conseil, consubstantielle à l’authentification du notaire des actes qu’il reçoit530.
La Haute Cour considère qu’en l’espèce, les conditions de solennité ne sont pas requises pour un acte authentique : la simple certification de signature même revêtue de l’apostille, diligentée par le notary public australien qui ne parlait pas le français et qui n’a pas pris préalablement la peine de lire l’acte au mandant, ne suffit pas à conférer l’authenticité à la procuration régularisée dans ces conditions.
Cette méthode n’est pas équivalente aux règles d’authenticité définies par le droit français, qu’un notaire français est amené à respecter lorsqu’il instrumente.
C’est en effet par le respect des règles énoncées à l’article 1369 (V. supra, n° a2005) que l’officier public compétent «va permettre de conférer à l’acte sa force probante, sa force exécutoire et sa date certaine. Cependant, l’octroi de l’authenticité à un acte ne saurait se réduire à l’accomplissement de solennités. Le devoir de conseil constitue un prolongement de l’authenticité, qui bien que non inscrit dans les textes régissant le notariat, participe à la mission d’authentificateur de l’officier public»531.
L’équivalence, permet donc, par l’application d’une règle étrangère, que des résultats équivalents soient obtenus532.
L’équivalence repose ainsi tant sur la nature de l’acte que sur les fonctions de l’autorité qui instrumente. Quant à la nature, «il importe de s’assurer que l’autorité étrangère qui a reçu l’acte l’a bien reçu dans le cadre des missions ou de la délégation d’autorité qui lui ont été octroyées par la lex auctoris. Quant à la fonction, il convient de comparer les démarches accomplies par l’autorité étrangère avec celles qui sont requises pour établir un acte authentique par les autorités françaises»533.
Il s’ensuit que la forme n’était pas équivalente à celle du droit français quant à la protection de la caution hypothécaire.
De ce constat découlent plusieurs conséquences liées à la qualité de l’autorité locale pouvant être considérée équivalente à celle du notaire français, qui sont étudiées plus loin dans la troisième partie consacrée à la circulation internationale de l’acte authentique (V. infra, n° a2383).
2220 Le statut du mineur recouvre un grand nombre de domaines. Aussi, l’ambition de cette partie sera limitée aux modalités de représentation du mineur et à la gestion de ses biens, périmètres relevant essentiellement de l’activité notariale, à la différence d’autres (comme par exemple les enlèvements internationaux, ou la protection de l’enfance, le droit de visite, la pension alimentaire, ou encore les mineurs réfugiés ou apatrides).
La présente partie n’a pas non plus l’ambition de concurrencer des ouvrages de référence comme celui de Mme Mariel Revillard534, ou celui de Mme Hélène Péroz et M. Éric Fongaro535, ouvrages auxquels il sera fait régulièrement référence pour le lecteur en quête d’approfondissement du thème.
À la différence des règles de protection internationale des adultes vulnérables (V. supra, n° a2174), l’état de minorité en droit international privé fait l’objet de plusieurs conventions internationales, tant bilatérales que multilatérales, outre un règlement européen concernant la responsabilité parentale (qui est synonyme de l’autorité parentale de l’ordre interne).
Cette concurrence de sources internationales pour les mineurs rend la tâche moins aisée qu’en matière de protection des majeurs vulnérables, où une seule convention internationale gouverne la matière536.
Seront énumérées dans un premier paragraphe les règles de droit commun qui intègrent des éléments d’atténuation propres à la minorité, avant d’aborder les règles de droit conventionnel (§ II) et de droit de l’Union européenne (§ III).
2221 La question de la capacité, qui relève de l’état des personnes, est exclue de l’ensemble des conventions internationales ainsi que des règlements européens537.
Selon la règle de conflit française, ainsi qu’il a été vu plus haut (V. supra, nos a2169 et s.), énoncée à l’article 3, alinéa 3 du Code civil, les lois françaises concernant l’état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger, tel qu’interprété par la jurisprudence.
De cette règle générale, les tribunaux ont pu énoncer les principes suivants :
la capacité du mineur à conclure un contrat de mariage relève de sa loi nationale (jurisprudence Patino) : pour justifier leur décision, les juges considèrent en effet que les règles habilitant un mineur à conclure un contrat constituent «une simple modalité de son incapacité générale de contracter édictée comme celle-ci dans son intérêt et ressortissant de sa loi personnelle (…) à la date du contrat»538 ;
la validité d’un contrat n’est pas remise en cause en cas d’ignorance excusable de la loi étrangère, désignée en tant que loi personnelle d’une des parties, par le contractant qui ne savait pas qu’il contractait avec un incapable (jurisprudence Lizardi) : les hauts magistrats considèrent en effet que «le Français ne peut être tenu de connaître les lois des diverses nations de leurs dispositions concernant notamment la minorité, la majorité et l’étendue des engagements qui peuvent être pris par les étrangers dans la mesure de leur capacité civile ; qu’il suffit alors, pour la validité du contrat, que le Français ait traité sans légèreté, sans imprudence et avec bonne foi»539.
Ces principes issus de la jurisprudence se retrouvent dans les dispositions de l’article 1-2 a) du règlement Rome I540qui prévoit que : «Dans un contrat conclu entre personnes se trouvant dans un même pays, une personne physique qui serait capable selon la loi de ce pays ne peut invoquer son incapacité résultant de la loi d’un autre pays que si, au moment de la conclusion du contrat, le cocontractant a connu cette incapacité ou ne l’a ignorée qu’en raison d’une imprudence de sa part».
Attention cependant, car l’erreur excusable retenue par les juges pour le cocontractant français qui ignore la loi nationale de l’autre partie ne devrait pas pouvoir être transposée dans le cadre de l’exercice par le notaire de ses fonctions de notaire instrumentaire.
En effet, ainsi qu’il a été vu dans la partie consacrée à l’état civil (V. supra, nos a2117 et s.) et au devoir de contrôle et d’identification incombant au notaire (V. supra, n° a2115), ces obligationsprofessionnelles ne rendent pas compatible l’application de cette théorie afin d’exonérer le notaire de son devoir de contrôle. Le manquement à cette obligation engagerait la responsabilité civile professionnelle de l’officier public541.
2222 La loi applicable à la minorité ou la capacité de la personne est sa loi nationale, quels que soient la nationalité ou le lieu de résidence habituelle de son représentant542.
La loi nationale ou de résidence du représentant n’importe aucunement en la matière : l’organisation du régime de protection ou de représentation ainsi que l’étendue des pouvoirs du représentant, en ce compris les formalités habilitantes, sont déterminées par la loi nationale du mineur incapable543selon les règles de droit commun.
2223 À la différence de la filiation qui bénéficie, depuis l’ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005, d’une section II dans le Code civil français intitulée «Du conflit des lois relatives à la filiation»544, la loi applicable à l’autorité parentale (ou plutôt la responsabilité parentale, terme consacré en droit international privé pour qualifier cette question) semble être déterminée par la doctrine et la jurisprudence qui font une distinction selon que la filiation est légitime ou naturelle545.
La loi nationale du mineur détermine en fait «les sources de l’incapacité, ainsi que les règles de protection organique du mineur»546.
Pour autant, cette règle de droit commun est véritablement d’exception, compte tenu du fait, d’une part, que la France a d’abord signé et ratifié la Convention internationale de La Haye n° 10 du 5 octobre 1961 concernant la compétence des autorités et la loi applicable en matière de protection des mineurs, à portée universelle ; d’autre part que depuis le 1er mars 2005 est entré en application le règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 23 novembre 2003 au sein de l’Union européenne, et qu’enfin, depuis le 1er février 2011 est entrée en application en France la Convention internationale de La Haye n° 34 du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants.
Avant d’étudier le règlement Bruxelles II bis (§ III), les développements porteront d’abord dans le paragraphe suivant sur le droit conventionnel (§ II).
2224 Plusieurs instruments internationaux régissent la matière complexe de l’enfance et de la minorité.
Des «conventions universalistes» portent sur les droits de l’individu en général et de l’enfant en particulier547.
À côté de ces instruments internationaux à valeur universelle, d’autres conventions bilatérales ou multilatérales ont été signées par la France pour la protection de l’enfance548.
Parmi ces dernières, seules les conventions de la Conférence internationale de La Haye nos 10 du 5 octobre 1961 et 34 du 19 octobre 1996 retiendront ici l’attention, sous le seul et unique angle de la pratique notariale.
2225 L’objet de la convention est tout entier contenu dans son intitulé, car curieusement, aucun article ne prévoit d’en donner une définition précise549.
Par ailleurs, l’article premier énonce que les autorités tant judiciaires qu’administratives de l’État de la résidence habituelle du mineur sont «compétentes pour prendre des mesures tendant à la protection de sa personne ou de ses biens».
La convention ne s’applique pas pour les mesures relevant du droit pénal, ou du droit du travail. Elle ne s’applique pas non plus pour la fixation de l’âge de la majorité, ni pour les règles gouvernant l’émancipation550.
Cette convention porte sur l’autorité parentale551, l’administration légale, ainsi que la tutelle légale ou dative, et l’assistance éducative552.
L’article 12 de la convention donne une définition du mineur : est mineure «toute personne qui a cette qualité tant selon la loi interne de l’État dont elle est ressortissante que selon la loi interne de sa résidence habituelle».
Ainsi, la personne protégée doit être «doublement mineure»553.
Un mineur tunisien, âgé de dix-huit ans et résidant habituellement en France sera réputé mineur selon la loi tunisienne (majorité à vingt ans), mais majeur selon la loi française : la convention ne s’appliquera pas554.
À l’inverse, un mineur âgé de seize ans révolus, ressortissant écossais et résidant habituellement en France sera réputé majeur selon la loi écossaise, mais mineur selon la loi française : la convention ne s’appliquera pas en l’espèce555.
Pour une liste générale de l’âge de la majorité en droit comparé : V. M. Revillard, op. cit., p. 472, n° 827.
S’agissant des autorités compétentes, la convention détermine les autorités chargées de la protection du mineur. Par conséquent, seule «la protection organique du mineur» est organisée par la convention : il s’agit de celles de la résidence habituelle du mineur556.
Plusieurs observations peuvent être ici faites :
la première concerne la représentation de plein droit de l’enfant. L’article 3 prévoit qu’un «rapport d’autorité résultant de plein droit de la loi interne de l’État dont le mineur est ressortissant est reconnu dans tous les États contractants». Dit autrement, lorsqu’aucune autorité judiciaire ou administrative n’intervient pour la création ou la mise en œuvre du rapport d’autorité, c’est la loi nationale du mineur qui gouverne la question de l’autorité parentale557 ;
la deuxième concerne la formalité habilitante pouvant être nécessaire pour le représentant légal qui accomplit un acte pour le compte du mineur : les autorités tant judiciaires qu’administratives de l’État de la résidence habituelle d’un mineur sont compétentes pour prendre les mesures tendant à la protection de sa personne ou de ses biens558 ;
la troisième concerne les compétences des autorités : la convention ne reconnaît les compétences qui y sont définies qu’aux autorités de l’État du mineur qui est contractant à la convention559 ;
la quatrième concerne les relations de la convention avec celles déjà signées par l’État contractant : la convention ne porte pas atteinte aux dispositions des autres conventions liant les États contractants au moment de son entrée en vigueur560.
S’agissant de l’autorité parentale
La loi nationale de l’enfant régit la représentation de plein droit par son titulaire561.
En conséquence, il appartient au notaire français qui doit faire intervenir à un acte pour le compte d’un mineur étranger son représentant légal, de faire établir un certificat de coutume ou une legal opinion562afin d’avoir connaissance de l’étendue des pouvoirs de représentation de la personne ayant autorité sur l’enfant563.
S’agissant de la formalité habilitante
Le notaire français chargé de procéder à la vente du bien d’un mineur domicilié en France devra indiquer à son représentant légal la nécessité d’obtenir du juge de la protection des mineurs du domicile de l’enfant l’autorisation de vendre, quelle que soit la loi applicable à l’exercice de la représentation de plein droit564.
2225-1 Cette convention est entrée en vigueur en France le 10 novembre 1972. À ce jour, quatorze États l’ont ratifié565, mais compte tenu de son caractère universel, selon l’article 13, elle s’applique «à tous les mineurs qui ont leur résidence habituelle dans un État contractant», même si les États contractants peuvent décider de ne l’appliquer qu’aux mineurs des autres États contractants seulement566.
Cette convention n° 10 du 5 octobre 1961 aurait dû être entièrement remplacée à compter du 1er février 2011 par la Convention n° 34 du 16 octobre 1996. Mais tel n’a pas été le cas. La substitution ne semble avoir été que partielle, à lire les dispositions de l’article 53 de la Convention de 1996 dont il sera parlé dans ce qui suit.
De ce fait, une difficulté importante demeure quant à l’application de ces deux conventions.
En effet, si la Convention n° 34 de 1996 concerne à la fois les mesures de protection prises en matière de responsabilité parentale ainsi que la responsabilité parentale de plein droit, son article 53 n’en prévoit l’application que pour les mesures de protection uniquement ; il reste muet quant à l’autorité parentale (ou la responsabilité parentale) de plein droit, et aucun autre article de cette convention ne prévoit l’application de cette convention pour l’autorité parentale.
Ce silence entraîne d’importantes conséquences : en effet, si le principe de la Convention de 1961 prévoit comme règle de conflit la loi nationale (pour rappel l’enfant doit être doublement mineur, V. supra, n° a2225), celui de la Convention de 1996 prévoit pour la même question la loi du lieu de résidence du mineur (V. infra, n° a2226).
Dit autrement, pour tous les enfants nés avant le 1er février 2011, l’exercice de la responsabilité parentale de plein droit (i.e. notre autorité parentale de droit interne), restera soumis à l’application de la Convention de 1961 – soit la loi nationale de l’enfant –, alors même que l’article 16 de la Convention de 1996 est applicable depuis le 1er février 2011 – et envisage comme règle de conflit la loi du lieu de résidence de l’enfant .
Cette difficulté trouve son origine dans l’absence de droit transitoire en matière de responsabilité parentale de plein droit, contrairement aux mesures de protection prises.
Dans ces conditions, certains auteurs considèrent que l’application de ces conventions doit se faire de manière distributive, de telle sorte que pour l’attribution de l’autorité parentale opérée avant le 1er février 2011, la Convention de 1961 demeure applicable567.
Un couple de ressortissants italiens veut acquérir en 2019, au nom de leur enfant mineur, né en 2010, un bien situé en France. Les modalités d’attribution de la responsabilité parentale (i.e. de l’autorité parentale) relèveront de la Convention de 1961, compte tenu du fait de la naissance de l’enfant antérieure à l’entrée en application de la Convention n° 34 de 1996, d’une part, et de l’absence de droit transitoire pour l’application distributive de la Convention de 1996 en matière de responsabilité parentale de plein droit, d’autre part.
En revanche, l’acquisition étant projetée en 2019, les titulaires de l’autorité parentale l’exercent après l’entrée en application de la convention : les modalités d’exercice de leur autorité parentale sont par contre régies par la Convention de 1996.
Cette difficulté d’application temporelle soulignée, il convient dès lors d’aborder les dispositions de la Convention n° 34 de la Conférence internationale de La Haye en date du 16 octobre 1996 afin de bien en comprendre les enjeux.
2226 Cette convention a pour objet de remédier aux «imperfections révélées par l’application de la convention sur la protection des mineurs du 5 octobre 1961»568. Comme son intitulé l’indique, elle porte sur la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants.
Elle a pour objet de :
déterminer les autorités compétentes pour prendre des mesures de protection de la personne et des biens de l’enfant ;
déterminer la loi applicable à ces autorités ;
déterminer la loi applicable à la responsabilité parentale ;
assurer la reconnaissance et l’exécution des mesures de protection dans tous les États contractants ;
établir entre les autorités des États contractants la coopération nécessaire à la réalisation des objectifs de la convention.
En conséquence, en vertu de l’article 3, la convention porte sur les matières suivantes :
l’attribution, l’exercice, le retrait total ou partiel, la délégation et l’extinction de la responsabilité parentale ;
la tutelle, curatelle, et les institutions analogues ;
le placement de l’enfant dans une famille d’accueil, ou dans un établissement, ou son recueil par kafala ou une institution analogue ;
l’administration, la conservation ou la disposition des biens de l’enfant.
Par contre, sont exclues de son champ d’application, les matières suivantes selon l’article 4 :
la filiation (établissement ou contestation) même par adoption ;
le nom et prénom de l’enfant ;
l’émancipation ;
les trusts et successions ;
la sécurité sociale.
2227 La Convention n° 34 du 19 octobre 1996 concerne l’enfant, de sa naissance jusqu’à ce que l’âge de dix-huit ans soit atteint. Selon le rapport explicatif, cela ne signifie pas que la convention fixe à dix-huit ans, «par une règle matérielle, l’âge de la majorité dans tous les États contractants. Le texte signifie simplement que les règles conventionnelles de compétence, de conflit de lois, etc. s’appliquent aux enfants jusqu’à cet âge, même dans le cas où, avant cet âge, ils seraient devenus capables d’après leur loi personnelle»569.
Dit autrement, la convention s’applique à toutes les personnes âgées de moins de dix-huit ans, même si leur loi personnelle prévoit la majorité à un âge différent, et même si l’enfant a été émancipé selon sa loi nationale en dessous de dix-huit ans.
Au-delà de dix-huit ans, et si la situation de l’enfant exige qu’une protection soit organisée, la Convention de La Haye n° 35 du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes vulnérables s’appliquera alors ( étudiée ci-dessus, V. supra, n° a2175).
2228 La convention a pour objet de déterminer les autorités compétentes pour prendre des mesures concernant la protection de la personne et des biens de l’enfant570.
Le principe retenu à l’article 5-1 de la convention est le suivant : sont compétentes les autorités judiciaires et administratives de la résidence habituelle de l’enfant, que la mesure de protection doive être prise pour la personne de l’enfant comme pour ses biens.
Par dérogation, l’autorité compétente peut toutefois considérer que les autorités d’un autre État peuvent être plus compétentes au regard de la nationalité de l’enfant, du lieu de situation des biens de l’enfant, ou de celles d’un autre État avec lequel l’enfant peut avoir des liens plus étroits. Dans ce cas, une concertation est prévue entre ces autorités571.
2229 S’agissant de la loi applicable, le chapitre III de la Convention du 19 octobre 1996 prend soin de distinguer la loi applicable aux mesures de protection, et la loi applicable à la responsabilité parentale.
À cette occasion, la convention améliore les notions par rapport à la Convention n° 10 de 1961. Alors que la seconde évoquait un rapport d’autorité de plein droit pour parler de l’autorité parentale de notre droit positif, la première utilise la notion de responsabilité et lui donne la définition suivante : «Autorité parentale ou tout autre rapport d’autorité analogue déterminant les droits, les pouvoirs et les obligations des parents, d’un tuteur ou autre représentant légal à l’égard de la personne ou des biens de l’enfant»572.
L’article 15 constitue l’un des apports majeurs de cette convention, en énonçant comme nouveau principe que les autorités des États contractants appliquent leur propre loi pour prendre des mesures concernant la protection de la personne de l’enfant ou de ses biens, à moins que la loi d’un autre État avec lequel la situation présente un lien étroit s’avère plus pertinente573.
Le principe de la Convention n° 10 de 1961 selon lequel le rattachement était la nationalité de l’enfant n’a pas été repris. Il est vrai qu’assurer une convergence entre l’autorité compétente qui applique la loi qu’elle connaît le mieux, soit sa propre loi, est un facteur de simplification et d’efficacité.
Un notaire est chargé d’établir la vente d’un bien situé en France appartenant à un mineur orphelin de père résidant en Angleterre. Pour parvenir à cette vente, la mère, représentant légal de son enfant, devra être autorisée par le juge de la protection des mineurs pour pouvoir réaliser cette vente, conformément aux dispositions de l’article 387-1 du Code civil. Alors qu’en Angleterre une telle autorisation n’est pas obligatoire, le juge anglais pourrait cependant habiliter la mère à la réalisation de cette opération en vertu de l’article 15-2 de la convention à laquelle le Royaume-Uni est un État contractant.
2230 L’attribution ou l’extinction de la responsabilité parentale est prévue par la convention dans deux cas de figure : soit l’événement intervient sans aucune intervention d’une autorité, soit un accord, un acte, ou une autorité compétente attribue ou prononce l’extinction de la responsabilité parentale.
2231 Lorsque l’attribution ou l’extinction de la responsabilité intervient sans qu’il y ait eu besoin d’une quelconque intervention ou d’un quelconque accord, l’attribution ou l’extinction dans ce cas est alors régie par la loi de la résidence habituelle de l’enfant574.
Succession
Pour savoir qui devra représenter un mineur de nationalité étrangère résidant en France, dans le cadre du règlement d’une succession soumis à la loi successorale française, la loi française sera donc applicable (Conv. La Haye 1996, art. 16). C’est par conséquent la loi française qui fixe les modalités d’exercice de la responsabilité parentale, et le notaire en charge de la succession devra indiquer au représentant légal de l’enfant la nécessité d’une autorisation judiciaire à solliciter auprès du juge français pour l’acceptation pure et simple ou la renonciation à la succession soumise à la loi française575.
Vente
Pour déterminer la représentation d’un enfant de nationalité américaine ayant sa résidence habituelle en France pour la vente d’un immeuble lui appartenant, la loi française est compétente576pour déterminer les modalités de représentation de l’enfant : le titulaire de l’autorité parentale devra par conséquent être autorisé par justice en vertu de l’article 387-1 du Code civil.
2232 Si l’attribution ou l’extinction de la responsabilité parentale fait suite à un accord ou un acte unilatéral, sans aucune intervention d’une autorité, l’événement est alors soumis à l’application de la loi de la résidence habituelle de l’enfant au moment de la survenance577.
Accord dans une convention de divorce
Dans le cas d’un accord intervenu entre les parents pour les modalités de garde ou de droit de visite de l’enfant mineur à la suite de la procédure de divorce, la responsabilité parentale de l’enfant est soumise à la loi de la résidence habituelle de l’enfant au moment où l’accord est intervenu entre les parents.
Acte unilatéral comme un testament
Dans le cadre d’une disposition à cause de mort désignant un tuteur à l’enfant, la responsabilité parentale est régie par la loi de la résidence habituelle de l’enfant au moment du décès578.
2233 Une autorité étatique peut intervenir soit dans l’attribution de la responsabilité parentale, soit dans l’exercice de l’autorité parentale. Dans cette hypothèse, la question de la loi applicable se pose après celle de la question de la compétence de l’autorité. C’est la loi de la résidence habituelle de l’enfant qui indiquera si l’acte en question peut être reçu avec ou sans l’intervention de l’autorité579.
Tutelle
En matière de tutelle des mineurs, le juge de la protection des mineurs doit nécessairement intervenir pour désigner le tuteur de l’enfant mineur en vertu de l’article 391 du Code civil.
Par contre, le tuteur n’a pas besoin d’autorisation du juge des tutelles pour accomplir les actes d’administration580.
Administration légale
Les deux parents, cotitulaires de l’exercice conjoint de l’autorité parentale, exercent par conséquent seuls la responsabilité parentale581.
Cependant, si les parents envisagent de faire renoncer leur enfant à une succession, ils ne peuvent agir qu’avec l’autorisation du juge582.
2234 L’exercice de la responsabilité parentale est régi par la loi de l’État de la résidence habituelle de l’enfant, selon l’article 17 de la convention.
En cas de changement de résidence, l’exercice de la responsabilité parentale est soumis à mutabilité, et peut ne pas être soumis aux mêmes conditions que dans l’État quitté583.
Dans le cadre de l’application de la Convention n° 34 du 19 octobre 1996, le renvoi est exclu de la matière584.
2235 Les mesures prises dans un État contractant sont reconnues de plein droit dans les autres États en vertu de l’article 23-1 de la convention.
Des cas de refus de cette reconnaissance sont visés au deuxième paragraphe de l’article 23 (notamment si les règles de compétence prévues par la convention n’ont pas été respectées, ou si l’enfant n’a pas été entendu).
Quant à la reconnaissance des situations, l’article 40 de la convention prévoit que : «Les autorités de l’État de résidence habituelle de l’enfant où une mesure a été prise peuvent délivrer au titulaire de la responsabilité parentale ou à toute personne à qui est confiée la protection de l’enfant ou de ses biens, à sa demande, un certificat indiquant sa qualité et les pouvoirs qui lui sont conférés».
2236 La Convention n° 34 de La Haye du 16 octobre 1996, ratifiée par la France le 15 octobre 2010, est entrée en vigueur le 1er février 2011 en France. Elle est également entrée en vigueur dans quarante-neuf États, dont quatre ne sont pas membres de la Conférence internationale de La Haye. Il est remarquable qu’à ce jour cette convention ne soit pas encore en vigueur en Argentine, ni au Canada, ni aux États-Unis d’Amérique585.
Cependant, en vertu de son article 20, la convention revêt un caractère universaliste, compte tenu du fait que pour ce qui concerne la responsabilité parentale de plein droit, elle s’applique même si la loi de la résidence habituelle n’est pas celle d’un État contractant.
La règle de conflit de loi prévue par la Convention (résidence habituelle de l’enfant) s’applique pour la protection de l’enfant et la responsabilité parentale à tous les enfants, quelle que soit leur nationalité, et quel que soit l’État où est située leur résidence habituelle.
Autrement dit, la convention s’applique à tous les mineurs qui ont leur résidence habituelle dans un État contractant, même si la loi désignée n’est pas celle d’un État contractant586.
2237 Dans les relations avec la Convention n° 34 du 19 octobre 1996, l’article 61 du règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 prévoit que le règlement prime la convention lorsque l’enfant concerné a sa résidence habituelle sur le territoire d’un État membre ; le règlement prime également pour la reconnaissance et l’exécution des mesures de protection rendues par une juridiction compétente d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre, même si l’enfant concerné a sa résidence habituelle sur le territoire d’un État non membre qui est partie contractante à ladite convention.
2238 Le règlement (CE) n° 2201/2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, est un règlement européen qui ne porte que sur les règles de compétence.
Cet instrument, autrement intitulé «Bruxelles II bis», ne comporte aucune règle de conflit de loi.
C’est précisément pour cette raison qu’au sein de l’Union européenne, l’autorité compétente en matière de responsabilité parentale déterminée en vertu de Bruxelles II bis devra appliquer la loi déterminée par application soit de la Convention n° 10 de 1961, soit par la Convention n° 34 de 1996, soit encore par application des règles établies par la jurisprudence587.
L’orientation donnée à ces travaux étant entièrement tournée vers la pratique notariale, seront seulement abordés dans les développements qui suivent les points de ce règlement impactant l’activité du notaire, soit dans l’ordre suivant : les champs d’application de Bruxelles II bis, les règles de compétence générales et leur prorogation possible pour l’exercice de l’autorité parentale en matière de gestion, administration et disposition des biens appartenant au mineur.
2239 Rationae materiae, le règlement a pour objet l’attribution, l’exercice, la délégation, le retrait total ou partiel de la responsabilité parentale588. Ces matières concernent notamment la désignation et les fonctions de toute personne ou organisme chargé de s’occuper de la personne ou des biens de l’enfant, de le représenter ou de l’assister589.
Le règlement détermine les autorités compétentes pour prendre des mesures de protection par ces autorités étatiques, notamment quant à la désignation et aux fonctions de toute personne ou organisme chargé de s’occuper de la personne ou des biens de l’enfant, de le représenter ou de l’assister590, et à l’administration, à la conservation ou à la disposition de ses biens591.
Il résulte de cette définition que les dispositifs concernant la tutelle ou toute autre institution analogue relèvent de la responsabilité parentale selon Bruxelles II bis592.
Par ailleurs, les conventions internationales de La Haye nos 10 et 34 continuent à produire leurs effets dans toutes les matières non traitées par Bruxelles II bis entre les États membres, d’une part593, et à l’égard des pays tiers à l’Union594, d’autre part.
2240 Rationae personae, le règlement s’applique à tous les enfants légitimes, naturels, adoptifs ou même sans filiation établie, puisque Bruxelles II bis ne fait plus référence aux enfants communs, d’une part, et ne subordonne pas son champ d’application à l’existence d’une action en divorce, séparation de corps ou d’annulation de mariage, d’autre part (ce que faisait Bruxelles II avant son abrogation)595.
Il s’applique par conséquent aussi bien pour un ressortissant mineur d’un État membre que pour un ressortissant mineur d’un État tiers qui a sa résidence habituelle sur le territoire d’un État membre596.
Par ailleurs, la définition de la responsabilité parentale que donne l’article 2-7 est plus large que la notion d’autorité parentale de droit interne. En effet, la responsabilité parentale est définie comme étant «l’ensemble des droits et obligations conférés à une personne physique ou une personne morale sur la base d’une décision judiciaire, d’une attribution de plein droit ou d’un accord en vigueur, à l’égard de la personne ou des biens d’un enfant. Il comprend notamment le droit de garde et le droit de visite»597.
2241 Ratione temporis, Bruxelles II bis est entré en vigueur le 1er mars 2005 en abrogeant purement et simplement à cette date Bruxelles II. Des dispositions de droit transitoire sont toutefois prévues pour tenir compte notamment des actes authentiques reçus postérieurement à la date de sa mise en application, en vertu de l’article 64.
2242 Ratione loci, Bruxelles II bis s’applique à l’ensemble de l’Union européenne, à l’exception du Danemark qui n’a pas participé à son adoption, ainsi qu’à la Finlande et la Suède qui, conformément à l’article 59, § 2, pt a), ont déclaré que la Convention du 6 février 1931 entre le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède comprenant des dispositions de droit international privé sur le mariage, l’adoption et la garde des enfants, ainsi que son protocole final, s’appliqueront intégralement dans les relations entre la Suède et la Finlande en lieu et place des règles du règlement.
2243 Comme indiqué supra (n° a2237), pour déterminer la compétence de l’autorité de la juridiction, Bruxelles II bis prévaut sur les conventions n° 10 et 34 de La Haye : Bruxelles II bis attribue la compétence de l’autorité à l’État membre dans lequel le mineur a sa résidence habituelle598, en vertu de l’article 8 du règlement. Cette compétence du lieu de résidence de l’enfant est fondée sur le principe de proximité pour la protection de l’enfance599.
La notion de résidence habituelle se distingue de celle de domicile. En effet, en droit interne français, le domicile est avant tout une notion de droit, composée de deux éléments, matériel (lieu d’établissement principal) et intentionnel (la volonté d’établir de façon stable et permanente ses centres d’intérêts patrimoniaux, sociaux et affectifs)600.
Maintien encore possible de l’application de la Convention de La Haye n° 10 du 5 octobre 1961
Dans les relations entre un État membre et un État non membre de l’Union, la Convention de La Haye n° 10 du 5 octobre 1961 continue à s’appliquer pour les décisions relatives à la responsabilité parentale prises avant le 1er février 2011.
Maintien encore possible de l’application de la Convention de La Haye n° 34 du 19 octobre 1996
De même, dès lors que l’enfant ne réside pas dans un État membre, la Convention de La Haye n° 34 du 19 octobre 1996 continue à s’appliquer pour toutes les décisions relatives à la responsabilité parentale prises (ou devant être prises) après le 1er février 2011601.
Ces règles de compétence générale énoncées602, une autre série de règles attirera plus particulièrement l’attention du praticien, confronté à une situation internationale de représentation et de protection de l’enfant : le renvoi possible à une juridiction mieux placée, mais surtout la prorogation volontaire de compétence. Il est proposé d’étudier ces deux questions.
2244 Les principes subsidiaires au principe général de compétence sus-énoncé sont de trois ordres : En premier lieu, il s’agira de certains cas de changement de résidence de l’enfant, pour lesquels une juridiction pourrait décliner sa compétence au profit de celle d’un autre État membre ; en deuxième lieu, d’un accord conclu entre les titulaires de la responsabilité (illustrant une fois encore, s’il en était besoin, l’importance grandissante de l’autonomie de la volonté dans les instruments européens) ; en troisième lieu, d’une reconnaissance unilatérale de l’application du règlement européen par un État membre pourtant en rapport avec un État tiers.
Dans cette dernière hypothèse, et compte tenu du fait que parmi ces États tiers concernés figurent à ce jour notamment le Canada et les États-Unis (deux pays où la population française expatriée est importante), il est apparu intéressant de l’évoquer.
Il sera par conséquent proposé, dans un premier temps, d’aborder les conditions du renvoi à une autre juridiction (I), d’étudier dans un deuxième temps la prorogation volontaire de compétence (II), avant de conclure ces développements par la reconnaissance unilatérale du règlement européen applicable dans une relation entre un État membre et un État pourtant tiers (III), le tout illustré de cas tirés directement de dossiers rencontrés.
2245 L’article 15 de Bruxelles II bis, particulièrement dense et long603, envisage la possibilité pour une juridiction d’un État membre de renvoyer à une juridiction d’un autre État membre qu’elle considère mieux placée pour connaître de l’affaire à traiter.
Ce renvoi juridictionnel repose sur un mécanisme (a), une procédure (b) et la notion de lien particulier (c) qu’il convient d’aborder pour en saisir le maniement.
2246 L’article 15 de Bruxelles II bis envisage la possibilité, si cela sert l’intérêt supérieur de l’enfant, pour une juridiction d’un État membre compétente pour connaître de la demande – en vertu de l’article 8 du règlement –, qui considère qu’une juridiction d’un autre État membre se trouve mieux placée pour connaître de l’affaire (ou une partie spécifique de l’affaire), de surseoir à statuer sur l’affaire, ou sur la partie en question.
2247 Cette juridiction, qui décline sa compétence, invite alors les parties à saisir d’une demande la juridiction de cet État membre (dans les conditions de l’article 4 dudit règlement)604.
Cette juridiction peut également demander directement à la juridiction qu’elle considère mieux placée de l’autre État membre d’exercer sa compétence, dans le respect des conditions de l’article 5 du règlement605.
La saisine de la juridiction de l’autre État membre mieux placée peut être faite sur requête des parties606, à l’initiative de la juridiction première qui décline sa compétence607, ou encore à la demande de la juridiction de l’autre État membre qui accepte de considérer que cet autre État membre a un lien particulier avec l’enfant608.
Toutefois, ce renvoi vers une juridiction vers un autre État membre ne peut se faire d’office : il n’est possible que si l’une au moins des parties l’a accepté609.
2248 La notion de «lien particulier avec l’enfant» qui permet ce renvoi relève de plusieurs critères alternatifs, dont la résidence habituelle postérieure à la saisine initiale610, la résidence d’une manière habituelle antérieurement à la saisine611, la nationalité de l’enfant de cet autre État membre612, la résidence habituelle de l’un des titulaires de la responsabilité parentale613 ; un dernier critère qui retiendra plus particulièrement l’attention du praticien figure au dernier paragraphe de cet article 15-3. Il s’agit de celui relatif aux mesures de protection de l’enfant liées à l’administration, la conservation ou la disposition des biens détenus par l’enfant et qui se trouvent sur le territoire de cet autre État membre614.
Après le renvoi à une juridiction d’un autre État membre, la deuxième exception au principe général de compétence repose sur la prorogation volontaire de compétence615.
2250 L’article 12-1 du règlement Bruxelles II bis prévoit que la juridiction de l’autre État membre qui est compétente pour les questions relatives au divorce, à la séparation de corps ou l’annulation du mariage, est également compétente pour toute question relative à la responsabilité parentale.
Les dispositions de l’article 12-3 du règlement prévoient en outre que les juridictions compétentes d’un État membre sont également compétentes pour toutes les autres procédures que celles visées à l’article 12-1.
Autrement dit, quand l’article 12-1 du règlement prévoit la compétence des juridictions pour les questions de divorce, séparation de corps, ou annulation de mariage, celles de l’article 12-3 attribuent à ces mêmes juridictions la compétence pour toutes les autres procédures dans lesquelles la question de la responsabilité parentale est concernée, comme en matière d’exercice de la responsabilité parentale dans le domaine des successions ou des ventes.
Par ailleurs, cette prorogation volontaire de compétence est même envisageable en l’absence de procédure initiale dans l’État de la résidence habituelle de l’enfant, la Cour de justice de l’Union européenne ayant analysé cette disposition de l’article 12-3 comme étant une règle de prorogation volontaire de compétence purement territoriale616.
2251 Afin de permettre à une juridiction d’un autre État membre d’exercer sa compétence prorogée, plusieurs conditions doivent être remplies. Ces conditions concernent les parties à l’instance (i), l’enfant dont les intérêts sont à protéger (ii), le tout naturellement dans le respect absolu du pouvoir souverain du juge saisi à qui cette compétence de juger a été prorogée et qui accepte ou pas cette prorogation (iii).
2252 La juridiction d’un autre État membre que celui de la résidence habituelle de l’enfant peut être compétente dans le cadre de l’application de l’article 12-3 du règlement Bruxelles II bis sous les deux conditions cumulatives suivantes :
au moins l’un des parents doit exercer la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant ;
la compétence de cette juridiction doit en outre être acceptée par tout moyen (de façon expresse comme par toute autre manière non équivoque) par les époux et les titulaires de la responsabilité parentale à la date de la saisine de cette juridiction de l’autre État membre.
2253 De plus, pour que cette prorogation volontaire de compétence soit effective, l’enfant doit avoir un lien étroit avec l’État membre dans lequel la juridiction exerce cette compétence prorogée.
Ce lien est caractérisé comme étant étroit avec cet autre État membre dans les cas suivants :
lorsque l’un des titulaires de la responsabilité parentale y a sa résidence ;
lorsque l’enfant a la nationalité de cet État membre ;
ou encore lorsqu’il existe la présence de biens appartenant à l’enfant, et situés dans cet autre État membre.
En effet, si les deux premiers cas d’espèce sont expressément visés à l’article 12-3, le même article utilise l’expression «en particulier», et non pas «exclusivement» pour les énoncer617.
C’est ainsi que la Cour de justice de l’Union européenne a pu confirmer l’application de cette règle pour fonder la compétence de la juridiction grecque du lieu d’ouverture de la succession (aux lieu et place du juge italien du lieu de résidence du mineur) pour autoriser la renonciation à une succession au nom du mineur, tout en précisant les notions d’intérêt de l’enfant et de liens plus étroits618.
De ces éléments étudiés, il peut être déduit a contrario que si l’enfant ne possède pas la nationalité de l’État dont on envisage de saisir la juridiction, ou encore si les parents ne résident pas dans l’État dont on envisage de saisir la juridiction619, alors «c’est l’intérêt supérieur de l’enfant qui permettra au cas par cas de savoir si les juridictions de l’État du lieu d’ouverture de la succession ont un lien étroit avec l’enfant»620.
Un auteur a pu s’interroger : «Ne pourrait-on alors considérer que le lieu d’ouverture de la succession, dès lors que des biens s’y trouvent, présente un lien étroit et qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’accepter la prorogation de compétence»621 ?
À cette question, une réponse claire ne peut être donnée que dans le cadre du respect de l’exercice souverain par les juges du fond de leur pouvoir d’interprétation, ce qui parfois créera des situations inattendues.
2254 Une décision rendue par le juge chargé de la protection des mineurs français illustre de manière frappante le contraste pouvant exister entre l’édiction des principes résultant des instruments européens, d’une part, et la réalité des dossiers, d’autre part.
En effet, usant de son pouvoir souverain d’interprétation, cette juridiction française de premier ressort a pu considérer que : «attendu que si l’enfant est titulaire de droits indivis sur des biens immobiliers situés dans le Tarn et présente de ce fait un lien avec la France, il n’apparaît pas que la compétence du juge français respecte l’intérêt supérieur de l’enfant dès lors d’une part que le juge des tutelles français ne dispose pas des éléments d’actifs de la succession de la défunte au Royaume-Uni [il disposait toutefois d’une attestation sur l’honneur du conjoint survivant, qui se trouvait également être le représentant légal du mineur que la masse successorale anglaise ne contenait aucun élément de passif ] et d’autre part que la mission de surveillance de l’administration légale dévolue au juge des tutelles en vertu de l’article 388-3 du Code civil pourra être difficilement exercée dès lors que le père habite au Royaume-Uni ; Qu’il convient dès lors de se déclarer incompétent…»622.
Pourtant en doctrine, il est indiqué que «la présence de biens appartenant à l’enfant peut aussi être considérée comme créant un lien étroit entre cet État et l’enfant, s’il s’agit de prendre des mesures de protection liées au patrimoine de l’enfant»623.
Le renvoi à une juridiction d’un autre État membre, ainsi que la prorogation volontaire de compétence évoqués, il reste une dernière exception au principe général de la compétence du juge de la résidence habituelle de l’enfant à aborder : les cas d’application de Bruxelles II bis même dans des rapports entre un État membre et un État tiers.
2255 Lorsque le mineur a sa résidence habituelle dans un État tiers à l’Union européenne, non lié par Bruxelles II bis ni par aucune des conventions internationales de La Haye n° 10 du 5 octobre 1961 et n° 34 du 19 octobre 1996, cet instrument européen doit alors s’appliquer de manière unilatérale (certains pourraient dire «de manière radicale»).
L’article 12-4 du règlement Bruxelles II bis prévoit en effet que : «Lorsque l’enfant à sa résidence habituelle sur le territoire d’un État tiers qui n’est pas partie contractante à la convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, la compétence fondée sur le présent article est présumée être dans l’intérêt de l’enfant notamment lorsqu’une procédure s’avère impossible dans l’État tiers concerné».
Les raisons de cette disposition sont données au considérant 33, qui précise que le règlement reconnaît les droits fondamentaux et observe les principes consacrés par la Charte des droits fondamentaux de l’Union, et notamment le respect des droits fondamentaux de l’enfant énoncés à l’article 24 de la Charte.
Cette disposition fait l’objet à part entière d’une illustration au moyen du cas pratique suivant retiré d’un dossier.
Mme E., de nationalité française, résidente habituelle à White Plains, dans l’État du New Jersey, y est décédée le 6 février 2018, laissant à sa survivance :
son conjoint, de nationalité russe, domicilié à White Plains (New Jersey), avec lequel elle était mariée depuis le 25 février 2002, sans contrat préalable ni prenupts, dans l’État du New Jersey, où le couple a toujours séjourné ;
un enfant unique issu de cette union, mineur de seize ans au jour du décès, de nationalité franco-américaine (possédant une carte nationale d’identité française).
Dans le patrimoine successoral, figure notamment un bien immobilier situé en France, qui appartient en indivision à la de cujus avec son frère, à la suite d’une donation que leur père leur avait consentie en nue-propriété le 24 mai 2002.
Dans ce dossier, deux problèmes principaux sont à soulever : le premier concerne le règlement de la succession, pour lequel le deuxième problème doit être réglé, s’agissant de la minorité de l’héritier.
Avant d’étudier les règles devant être appliquées compte tenu du fait de la minorité de l’enfant, il convient d’abord de comprendre en quoi cette question doit être réglée au regard de la succession.
Concernant la succession
Il ne sera ici abordé que de manière succincte les règles applicables au regard du règlement européen n° 650, étudié de façon approfondie par la troisième commission (V. infra, nos a3386 et s.).
À défaut de professio juris624, la loi applicable à la succession est celle du lieu de la dernière résidence habituelle de la défunte625. L’État du New Jersey est un État tiers, appliquant en matière de succession le principe scissionniste (V. infra, commission 3, n° a3360), d’une part, et l’article 34 du règlement (UE) n° 650/2012 «Succession» acceptant alors le renvoi à la loi française, d’autre part, il résulte de tout ce qui précède que la loi successorale applicable au dossier pour le patrimoine immobilier français est la loi française.
L’option successorale relevant par ailleurs de la loi successorale626, c’est par conséquent en vertu de la loi française que les héritiers – déterminés selon la loi française, soit le conjoint et l’enfant unique – doivent lever leur option successorale telle que prévue par la loi française, tandis que parmi les héritiers figure l’enfant mineur.
Concernant la minorité
Quant à l’autorité compétente
En France, depuis le 1er mars 2005, est entré en application le règlement Bruxelles II bis. En vertu de son article 8, la juridiction compétente pour connaître des questions de la responsabilité parentale est la juridiction de l’État membre de la résidence habituelle de l’enfant. Cependant dans ce dossier, le mineur est domicilié aux États-Unis.
Comment, dans ces conditions, déterminer l’autorité compétente pour connaître de l’autorisation habilitante indispensable au regard du droit français régissant l’option successorale dans ce dossier ?
Comment engager devant une juridiction américaine une procédure pour obtenir l’autorisation du juge à accepter la succession pour le compte de l’enfant mineur, lorsque, avant toute chose, le concept même d’option successorale est inconnu dans le New Jersey ?
Si l’article 8 est inapplicable à l’espèce (résidence habituelle dans un État tiers, non lié à Bruxelles II bis), il résulte cependant de l’article 12-4 de Bruxelles II bis que cet instrument s’applique lorsque l’État tiers avec lequel un État membre est en rapport n’est pas contractant à la Convention internationale de La Haye du 19 octobre 1996.
Si les États-Unis ont signé la Convention n° 34 de La Haye du 19 octobre 1996, ils ne l’ont pas actuellement encore ratifiée. Il en résulte que cet État tiers ne doit pas être considéré comme contractant à ladite convention.
Appliqué au dossier, le juge français, en tant que juge de l’une des nationalités que possède le mineur, d’une part, et en qualité de juge de l’État de situation des biens immobiliers, d’autre part (sous réserve de son pouvoir souverain d’interprétation, comme vu ci-dessus (V. supra, n° a2254) devrait par conséquent se reconnaître compétent.
Bien qu’il n’existe aucune règle de droit interne déterminant le ressort territorial de la juridiction compétente en matière internationale, mais en toute logique, le juge français compétent serait soit celui du lieu de l’office notarial (dans le Tarn), soit celui du lieu de situation des immeubles (Alpes-Maritimes).
Eu égard aux décisions ayant déjà pu être rendues par la juridiction tarnaise, il sera plus prudent de solliciter la juridiction de lieu de situation des biens immobiliers, soit le tribunal de grande instance de Grasse.
Quant à la loi applicable
Bien que cette question ne semble pas tranchée en doctrine, il semble pertinent de voir appliquer le principe de coïncidence des compétences législatives et juridictionnelles sur lequel repose la Convention de La Haye du 19 octobre 1996, et espérer ainsi que le juge français, qui accepte de se reconnaître compétent, accepte de rendre sa décision au vu du droit français, par analogie avec les dispositions des articles 15-1 et 15-2 de la convention de La Haye étudiés plus haut (V. supra, nos a2229 et s.).
Il résulte de tout ce qui précède que :
le juge compétent est le juge français627 ;
le juge applique la loi française (principe de convergence entre autorité judiciaire et loi applicable de la Convention de La Haye n° 34) ;
le notaire en charge du dossier de succession franco-américain en présence d’un enfant mineur résidant avec son père aux États-Unis pourra voir versée au dossier, conformément à la loi successorale française, loi applicable à ce dossier, l’autorisation d’accepter la succession pour le compte du mineur conformément à l’article 387-1-5° du Code civil.
391) L’article 26-1 du règlement n° 2016/1103 du 24 juin 2016 «Régimes matrimoniaux» prévoit que la loi applicable au régime matrimonial des époux, à défaut de choix, est la première résidence habituelle commune après le mariage.
L’article 21-1 du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 «Successions» prévoit que la loi applicable à l’ensemble de la succession est celle de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment du décès.
416) Convention européenne dans le domaine de l’information sur le droit étranger, signée le 7 juin 1968, et dont le but est de faciliter l’obtention par les autorités judiciaires d’informations sur le droit étranger, et de réaliser un système d’entraide internationale dans l’accès au droit étranger.
Le notariat n’est pas en reste, avec la création dès 2007 du Réseau notarial européen et les différentes informations alimentant le site du Conseil des notariats de l’Union européenne (CNUE) ainsi que les outils de droit comparé sur : «Les couples en Europe», «Acheter un bien immobilier en Europe», «Successions en Europe», «Personnes vulnérables en Europe», «Actes authentiques en Europe» (www.notaries-of-europe.eu/index.php?pageID=15978, consulté le 23 juill. 2018).