CGV – CGU

Partie I – Préparation et rédaction de l’acte : enjeux et méthodologie
Titre 3 – Par-devant
Chapitre II – Évolution du principe : un peu de prospective

2087 Qu’on les appelle de ses vœux, ou qu’elles intimident, des perspectives d’évolution peuvent être déduites de l’état des lieux que l’on peut faire, en considérant la résolution du Parlement européen du 8 janvier 1994 ou encore la place que prend l’autonomie de la volonté dans le droit international privé contemporain, dont l’impact sur la pratique notariale est loin d’être neutre.

Section I – Résolution du Parlement européen du 8 janvier 1994

2088 Cette délégation de la souveraineté de l’État permettant l’office du notaire a été pleinement reconnue comme telle par le Parlement européen. En effet, aux termes de la résolution du 8 janvier 1994, il est indiqué ce qui suit :

« Le Parlement européen (…) conscient que l’activité du notaire se caractérise par une délégation partielle de souveraineté de l’État pour assurer en particulier le service public de l’établissement des conventions, de leur authenticité et l’égalité de leur force exécutoire et probante, ainsi que l’assistance préventive et impartiale prêtée aux parties intéressées pour décharger les tribunaux (…) :

1. constate que la réalisation du marché intérieur (…) est à l’origine d’un accroissement de la mobilité des sujets juridiques et d’une accélération des échanges de titres, actes et contrats, ce qui implique une croissance considérable de l’activité notariale à l’intérieur de tous les États membres de la Communauté dans le cadre du marché unique ;

2. prend note de ce fait de l’importance qu’acquiert le notariat (…) ;

3. tient à rappeler que la profession du notaire – tout en étant organisée de manière différente dans les douze États de la Communauté européenne (…) se caractérisent essentiellement par (…) :

une délégation partielle de souveraineté de l’État pour assurer notamment le servie public de l’authenticité des conventions et de la preuve ;

une activité indépendante exercée dans le cadre d’une charge publique sous la forme d’une profession libérale ;

une tarification réglementée et imposée dans l’intérêt des clients ;

une fonction préventive à celle du juge, en éliminant ou réduisant les risques du litige ;

un rôle de conseiller impartial ».

2089 Cette pleine reconnaissance par le Parlement de l’activité du notaire et de son statut, conjuguée à l’augmentation importante de l’application en France de lois matérielles étrangères, conduit à penser qu’il y a aujourd’hui nécessité d’adapter les méthodes de travail à l’international.

Section II – L’autonomie de la volonté en DIP : ses effets pour l’acte authentique international
Sous-section I – Nouvel état des lieux en droit patrimonial de la famille

2090 D’une manière générale, compte tenu du fait que l’autonomie de la volonté connaît un essor sans précédent dans les relations familiales internationales au fil des années et des instruments internationaux et européens, l’époque classique du droit international privé du xixe au xxe siècle est bien révolue. À cette époque, les modèles familiaux étaient conservateurs et le droit international les suivait en cela, « comme l’ombre suit le corps »216.

Une nouvelle période s’est ouverte, celle « de l’âge du libéralisme avancé en droit international privé de la famille »217.

Pour en être convaincu, il suffit de constater, dans les règlements européens, l’importance de la volonté dans les choix proposés.

§ I – En droit européen des successions

2091 Le règlement européen n° 650/2012, qui sera étudié par la troisième commission, prévoit dans ses articles 5 et 22 la possibilité pour les héritiers de trouver un accord pour choisir la juridiction compétente pour statuer sur la succession218, lorsque le défunt lui-même a choisi sa loi nationale pour régler sa succession219.

§ II – En droit européen des régimes matrimoniaux et des partenariats enregistrés

2092 De même, les règlements européens n° 2016/1103 (« Régimes matrimoniaux ») et n° 2016/1104 (« Partenariats enregistrés »), également étudiés par la troisième commission, prévoient dans leur article 7 que les parties peuvent choisir les juridictions compétentes pour régler tout litige220.

Ils prévoient également dans leurs articles 22 la possibilité pour les parties de désigner la loi applicable221.

§ III – En droit européen du divorce
A/ Rome III

2093 L’article 5 du règlement (UE) n° 1259/2010 (« Rome III »), prévoit que les époux peuvent convenir de désigner la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, dans le respect de l’une des quatre possibilités énumérées (loi de la résidence habituelle, ou de la dernière résidence habituelle des époux, ou de la nationalité de l’un des époux, ou encore la loi du for).

B/ Bruxelles II bis

2094 En matière de prorogation de compétence, les articles 12-1 b) et 12-3 b) du règlement (UE) n° 2201/2003 (« Bruxelles II bis ») prévoient la possibilité pour les parties, en matière de responsabilité parentale, d’accepter la compétence de la juridiction en matière de divorce ou séparation de corps et de la proroger à la responsabilité parentale222, ou même dans des procédures autres que celles relevant du divorce, de la séparation de corps ou de l’annulation du mariage223.

§ IV – En matière d’obligations alimentaires

2095 Que ce soit en matière d’élection de for ou de loi applicable, le règlement (CE) n° 4/2009 (« Aliments ») prévoit la possibilité pour les parties de choisir la juridiction qui sera compétente pour régler leur différend224 ; quant à la loi applicable, l’article 15 du règlement renvoie purement et simplement au Protocole de La Haye du 23 novembre 2007 pour les États membres liés par cet instrument, lequel prévoit dans son article 8 la possibilité de désigner la loi applicable pour régir une obligation alimentaire225.

Plusieurs conséquences nouvelles découlent de tous ces phénomènes récents dans l’activité du notaire, lorsqu’un dossier contient un élément d’extranéité.

Sous-section II – Nouvelles conséquences
§ I – Application croissante en France de droits matériels étrangers

2096 Lors de la rédaction de son acte, le notaire français se trouve de plus en plus obligé de devoir appliquer des droits matériels étrangers, principalement pour deux raisons :

A/ Du fait de l’exercice de la loi d’autonomie

2097 Ainsi qu’il vient d’être dit, le principe de l’autonomie de la volonté qui irrigue progressivement le droit international privé contraint le notaire d’avoir à respecter le droit désigné par le justiciable, sans qu’il puisse décider de cantonner ou refuser son application pour instrumenter son acte226.

B/ Du fait de l’application du principe unitaire des lois applicables instauré dans tous les règlements

2098 À ce premier phénomène, l’augmentation des droits matériels étrangers est accentuée par la généralisation du principe unitaire régissant les différents instruments de droit international.

En effet, par application de ce nouveau principe, de plus en plus de droits substantiels étrangers devront être respectés par le notaire pour exercer ses fonctions.

Par exemple, l’article 21 du règlement européen « Successions » prévoit que la loi applicable à l’ensemble d’une succession est celle de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment du décès.

Ou encore les articles 21 des règlements européens « Régimes matrimoniaux » ou « Partenariats enregistrés » énoncent que la loi applicable au régime matrimonial ou aux effets patrimoniaux du partenariat s’applique pour l’ensemble des biens, quel que soit le lieu où les biens se trouvent.

C’est dire à quel point le travail du notaire instrumentant un acte à l’international se voit considérablement impacté par l’accès et la connaissance du droit étranger indispensable pour la validité et l’efficacité de l’acte.

§ II – De nouvelles solutions à inventer

2099 Pour résoudre cette difficulté majeure d’avoir accès et connaissance au droit étranger et recevoir un acte contenant des éléments d’extranéité, lui assurant une pleine efficacité, le notaire ne pourrait-il pas être assisté d’un autre professionnel du droit, juriste reconnu dans son État d’origine, choisi dans un réseau qui aurait exigé préalablement un certain nombre de prérequis pour pouvoir participer à un acte instrumenté par un notaire français ? Un notaire belge, italien, néerlandais ou allemand ?

2100 La réalité d’une coopération internationale existe déjà bel et bien : par exemple, la Convention de coopération signée le 3 février 2016 entre le Conseil supérieur du notariat et la Chambre des notaires du Québec prévoit dans son chapitre 1 qu’en vue d’atteindre « l’objectif de faciliter la coopération pratique entre les notaires de France et du Québec, au bénéfice des citoyens, notamment par l’échange de connaissances et de compétences, ainsi que le développement d’initiatives afin de faciliter la pratique notariale dans les deux juridictions (…) les notaires puissent recevoir toute procuration authentique pour les Français vivant au Québec dans le cadre d’un acte reçu par un notaire français ».

De ce principe simple de coopération entre les deux notariats, sont développées les modalités de collaboration notariale transfrontalière, avec notamment la répartition des tâches entre les notaires français et québécois, mais également le partage des responsabilités et des rémunérations entre les notaires, ainsi que l’accès à des formations communes par cyberapprentissage depuis le site internet de la Chambre des notaires du Québec227.

Dans un communiqué de presse commun du 3 février 2016, le président du Conseil supérieur du notariat précisait que : « Grâce aux outils technologiques, aux échanges d’informations et à la confiance mutuelle, le particulier pourra bénéficier de toute l’ampleur des conseils donnés par le notaire français tout en signant l’acte chez un confrère québécois ».

2101 Autre exemple de coopération : la Convention franco-allemande signée le 7 octobre 2014 entre le Conseil supérieur du notariat et la Bundesnotarkammer ayant pour objectif de faciliter la coopération pratique entre les notaires de la République de France et la République fédérale allemande.

Dans ces conditions, pourquoi à titre prospectif ne pas envisager un renforcement de ces coopérations, jusqu’à pouvoir recevoir en participation l’acte authentique international avec un confrère étranger ? Les partages de responsabilité pourraient faire l’objet d’études sérieuses, tout comme le partage des émoluments.

À titre liminaire, pour répondre à cette question, il y a lieu d’indiquer que la notion de partage de responsabilité entre les notaires qui instrumenteraient se traduirait en fait par une addition des responsabilités, et non par un partage.

L’intervention de deux notaires instrumentant dans un cadre international ne devrait pas bouleverser les règles professionnelles de responsabilité in solidum.

Concernant les modalités de rémunération, le processus est déjà enclenché très concrètement aujourd’hui, par la publication de l’arrêté du 17 août 2017 relatif à l’émolument prévu pour la réalisation d’une procuration sur le territoire national, applicable lorsqu’un notaire français prépare un projet de procuration qui sera signé en dehors du territoire national par un notaire étranger, en engageant sa responsabilité sur le contenu de l’acte, étant chargé de sa transmission au confrère étranger.

Ce début, bien que modeste, démontre que les pouvoirs publics ont pris conscience de l’existence d’un volet international. L’arrêté du 17 août 2017 prévoit la rémunération du notaire pour ce type de prestation228, sans l’avoir pour autant limité à la convention franco-québécoise.

2102 Au-delà de ces coopérations formalisées, et sans parler de toutes les autres (nombreuses, puisqu’il existe actuellement trente-neuf jumelages et vingt-deux conventions internationales de coopération entre notariat français et institutions étrangères – ministères de gouvernements étrangers ou représentants nationaux du notariat – V. supra, travaux de la première commission, nos a1646 et s.), d’autres actions témoignent d’une coopération transfrontière comme les programmes EUFides ou Bartolus.

La réception de l’acte authentique électronique à distance, qui serait internationale, pourrait ainsi être assurée.

Indiquer à l’acte la présence d’un confrère étranger ne limiterait pas forcément la responsabilité du notaire français, mais son concours apporterait un éclairage sur le droit substantiel étranger, tant civil que fiscal229, que le confrère en participation sécurise en engageant également sa responsabilité.

De nouveaux horizons pourraient alors poindre et s’élargir au profit du justiciable, au service duquel l’expertise notariale, dans la matière internationale, serait toujours plus performante et sécurisée.

En matière de droit comparé, et plus particulièrement en matière de fiscalité étrangère applicable, le notaire français se doit d’être très prudent pour délivrer une consultation de droit comparé : il doit au préalable solliciter la délivrance d’une legal opinion230par un juriste local reconnu, afin d’assurer l’actualisation.


216) P. Kinsch, Les fondements de l’autonomie de la volonté en droit national et en droit européen, in L’autonomie de la volonté dans les relations internationales, ss dir. A. Panet, H. Fulchiron et P. Wautelet, Bruylant, sept. 2017, p. 15, n° 3.
217) Ibid.
218) Règl. (UE) n° 650/2012, art. 5, 1er al.
219) Ibid., art. 22-1, 1er al.
220) Règl. (UE) n° 2016/1103 (« Régimes matrimoniaux »), art. 7-1, et Règl. (UE) n° 2016/1104 (« Partenariats enregistrés »), art. 7-1.
221) Règl. (UE) n° 2016/1103 (« Régimes matrimoniaux »), art. 22-1, et Règl. (UE) n° 2016/1104 (« Partenariats enregistrés »), art. 22-1.
222) Règl. Bruxelles II bis, art. 12-1 b).
223) Règl. Bruxelles II bis, art. 12-3 b).
224) Règl. (CE) n° 4/2009, art. 4-1.
225) Prot. La Haye 23 nov. 2007, art. 8-1.
226) À l’exception toutefois des dispositions de l’article 11-5 du règlement Rome I qui prévoit que tout contrat ayant pour objet un droit réel immobilier ou un bail d’immeuble est soumis aux règles de forme de la loi du pays où l’immeuble est situé, pour autant que, selon cette loi, ces règles s’appliquent quels que soient le lieu de conclusion du contrat et la loi le régissant au fond ; et qu’il ne peut être dérogé à ces règles par accord.
227) Conv. 3 févr. 2016, Chapitre 2, § 1, 2, 3 et 4.
228) Le tarif prévoit une rémunération de 26,92 € HT, conformément à l’article A. 444-167 du Code de commerce. Il est regrettable de constater la modicité de cette rémunération, sachant que dans un cadre international, il existe un travail préalable et complémentaire eu égard à sa technicité qui parfois nécessite de passer plus de huit heures de travail pour la rédaction de ce type d’acte. Les notaires pragmatiques risquent de ne pas se saisir de cette matière pour des raisons économiques, alors qu’il existe pourtant une véritable demande qui nécessite d’être sécurisée par des professionnels.
229) Attention : la compétence notariale de la matière fiscale n’est pas la même dans tous les pays. Par exemple, les notaires allemands ne traitent pas l’aspect fiscal de leur opération, qui relève des attributions des avocats spécialisés en cette matière.
230) Pour une analyse comparative d’un certificat de coutume et d’une legal opinion, V. infra, Partie III, « La circulation internationale de l’acte », nos a2409 et s.

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