CGV – CGU

Partie I – Préparation et rédaction de l’acte : enjeux et méthodologie
Titre 2 – Le lieu de signature
Chapitre II – Évolutions et émergence de nouveaux besoins

2076 Les évolutions, tant sociologiques que technologiques, ont amené inéluctablement le notariat à s’adapter pour satisfaire de nouveaux besoins. De plus, les spécificités à l’international – peut-être plus qu’ailleurs – ont conduit le notariat soit à développer de nouvelles solutions, soit à améliorer certaines solutions existantes, pour composer avec les distances et autres obstacles techniques, culturels, ou logistiques rencontrés par le notaire en charge d’une clientèle internationale.

Section I – Évolutions sociologiques et technologiques
§ I – Évolutions sociologiques

2077 Pour des raisons liées aux études universitaires ou autres, aux obligations professionnelles, ou simplement dans l’espoir de passer paisiblement une retraite dans une région plus ensoleillée, la mobilité internationale des populations est sans cesse croissante.

Les citoyens, installés dans leur nouveau lieu de vie, ont naturellement des besoins d’ordre juridique, à la fois selon leur lieu d’installation et selon les lieux de situation de leurs biens, qu’ils souhaitent vendre, acquérir, donner, ou qu’ils partagent dans le cadre de divorces ou de successions.

C’est ainsi que se développent, pour renseigner ces candidats à l’expatriation, des salons nationaux.

2078 Ce phénomène d’expatriation est en pleine expansion. Selon un sondage en 2016, un salarié du privé sur deux serait prêt à s’expatrier200, et le taux d’expatriation de 4,16 % a dépassé la moyenne de 3 % par an201.

Selon un sondage Ipsos de mai 2018, deux Français sur trois aimeraient changer de vie, et 68 % en envisageant de partir à l’étranger202.

La revue en ligne « Le petit journal.com » permet de diffuser l’actualité locale et internationale à la communauté des Français expatriés et des francophones. Le notariat français contribue activement à cette revue numérique en rédigeant des articles périodiques sur les matières de droit relevant de son domaine, en conférant une dimension internationale aux thèmes abordés.

§ II – Évolutions technologiques

2079 Parallèlement, la révolution numérique est en marche forcée, et le notaire, au cœur des mutations de la société203, se trouve être non seulement spectateur de ces évolutions, mais se doit surtout d’en rester un acteur majeur.

Le notariat n’a pas attendu la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique pour anticiper le passage à cette nouvelle ère : l’acte notarié dématérialisé existe depuis la loi n° 2000-230 du 13 mars 2000 relative à l’adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et signature électronique, et le décret n° 2006-973 du 10 août 2005 relatif aux actes établis par les notaires a modifié le décret du 26 novembre 1971 pour intégrer l’acte notarié électronique.

L’article 20 du décret précité prévoit même que : « Lorsqu’une partie ou toute autre personne concourant à un acte n’est ni présente, ni représentée devant le notaire instrumentaire, son consentement ou sa déclaration est recueilli par un autre notaire devant lequel elle comparait, et qui participe à l’établissement de l’acte, cet acte porte la mention de ce qu’il a été ainsi établi ».

2080 L’ordonnance n° 2016-131 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a modifié la définition de l’acte notarié.

Sans revenir sur la définition que le Code civil donne, déjà étudiée dans la partie préliminaire et à laquelle il est ici renvoyé (V. supra, nos a2005 et a2006 et s.), il est cependant intéressant d’observer le toilettage opéré depuis le 1er octobre 2016.

Avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée, l’acte authentique était défini par l’article 1317 du Code civil qui édictait, dans son premier alinéa : « L’acte authentique est celui qui a été reçu par officiers publics ayant le droit d’instrumenter dans le lieu où l’acte a été rédigé, et avec les solennités requises ».

Depuis le 1er octobre 2016, l’article 1369 définit l’acte authentique comme suit : « L’acte authentique est celui qui a été reçu, avec les solennités requises, par un officier public ayant compétence et qualité pour instrumenter ».

L’évolution est remarquable : l’acte notarié n’est plus obligatoirement reçu dans le lieu où il a été rédigé, ce qui ouvre véritablement de nouvelles perspectives lorsque l’on est amené à penser l’acte notarié à l’international, malgré les règles relatives à la compétence territoriale à laquelle est rattaché le lieu d’instrumentation.

L’acte authentique n’étant ni automatiquement ni systématiquement reçu de façon simultanée (sauf exceptions, bien sûr comme par exemple les contrats de mariage, ou encore les testaments authentiques ou mystiques), il peut être reçu à deux endroits et à deux dates différentes204, le tout, naturellement dans le respect des dispositions du décret n° 71-941 du 26 novembre 1971205.

2081 Évolution majeure du métier, l’acte notarié électronique a permis en outre au notariat de s’adapter, dès le début, à la révolution numérique que connaît le monde actuel.

La mobilité transfrontière croissante, d’une part, les nouvelles technologies, d’autre part, plongent l’office du notaire dans « cette profonde mutation [qui] se traduit par une mise en réseau du monde, une décentralisation dans la circulation des idées, et une refonte des modèles traditionnels »206.

2082 Après avoir franchi l’ère informatique et celle du numérique, voilà que l’acte notarié, devenu aujourd’hui électronique, vient de franchir une nouvelle étape : il devient un acte authentique électronique signé à distance (AAED) : « Gagner du temps, optimiser les déplacements et faciliter les séances de signature. L’acte authentique électronique à distance (AAED) révolutionne le quotidien »207.

Cet acte authentique électronique à distance est avant tout un nouveau confort pour les clients, qui leur procure notamment un gain de temps et crée une nouvelle interactivité.

Cette révolution en cours208a fait l’objet d’un vote en assemblée générale du Conseil supérieur du notariat le 16 janvier 2018, qui a emporté les suffrages. La question posée était : « Dans un avenir proche, les notaires pourront-ils instrumenter à distance, en communiquant avec leur client par écrans interposés ? ». Le « oui » qui l’a emporté a été qualifié d’historique pour la profession par le président Didier Coiffard209.

Cette résolution démontre une volonté du notariat d’envisager une signature à distance en France. Mais si l’une des parties se trouve à l’étranger, le droit positif ne permet pas actuellement cette hypothèse.

Faut-il souhaiter cette évolution, sachant, comme il est indiqué ci-après (V. infra, n° a2084), que les attributions notariales des agents consulaires sont supprimées depuis le 1er janvier 2019 ?

Illustration

M. Durand, de nationalité française et résident français, est propriétaire d’un appartement à Paris. Pourquoi le notaire français ne pourrait-il pas se rendre à Rome où M. Durand possède sa résidence secondaire pour recueillir, à l’aide de son ordinateur portable couplé à la fonction « Ballade » sa signature sur la procuration authentique, ou régulariser la vente depuis l’étranger, en connexion avec le notaire des acquéreurs, lui-même installé à Paris ?

Pour aller plus loin : le notaire de M. Durand, seul à instrumenter, ne pourrait-il pas, en son étude française, au moyen de l’acte authentique électronique, recevoir le consentement de son client, installé dans sa résidence secondaire à Rome, par écrans interposés ?

Quelques arguments pourraient plaider pour cette idée innovante. Ils apparaissent en même temps que de nouveaux besoins.

Section II – Émergence de nouveaux besoins

2083 À ces phénomènes nouveaux, d’autres, à caractère institutionnel, viennent s’ajouter. Ils impactent directement le travail du notaire lorsqu’il rédige un acte international.

Ils sont de deux natures : un désengagement complet du corps diplomatique et consulaire de l’État français dans les fonctions notariales, et le développement par le notariat français de nombreuses actions internationales.

Ces deux phénomènes corrélés pourraient contribuer à la recherche de solutions nouvelles permettant au notaire de recevoir son acte international, à l’international.

2084 Depuis le 1er janvier 2019, le domaine spatial des attributions notariales des agents diplomatiques et consulaires est supprimé210.

Pour rappel, jusqu’au 1er janvier 2019, il existait quarante-trois postes diplomatiques et consulaires dans lesquels étaient exercées les attributions notariales. Le réseau diplomatique et consulaire français est composé de cent soixante ambassades et quatre-vingt-neuf consulats211, outre les agences consulaires. Au total, « le réseau consulaire français reste l’un des plus denses au monde, avec près de 510 agences consulaires réparties dans 103 pays »212. Le désengagement de l’État sur cette question entraîne la disparition pure et simple d’un service apporté aux ressortissants français expatriés213, alors même que les besoins du service notarial consulaire croissaient de façon exponentielle, eu égard à l’augmentation importante d’expatriés français.

Le notariat se doit de trouver une solution pérenne, afin de maintenir une sécurité juridique indispensable. En effet, la réponse apportée par la circulaire n° 2018-8 du 18 décembre 2018 du Conseil supérieur du notariat indiquant qu’il n’existe pour l’instant pas de solution alternative dans un grand nombre d’États autre que de contraindre le client à se déplacer en France pour venir signer l’acte ne paraît pas satisfaisante.

2085 En effet les Français expatriés, ainsi que les ressortissants étrangers ayant besoin de services notariaux à l’étranger pour leurs affaires en France, ne peuvent pâtir des arbitrages des autorités publiques françaises, surtout si désormais, comme on l’a vu, le notariat peut explorer des pistes pour apporter des solutions à ce désengagement étatique devenu définitif, ce que le Conseil supérieur du notariat a indiqué dans la circulaire du 18 décembre 2018 précitée.

La cérémonie de signature de l’acte authentique électronique international à distance par écrans interposés ne serait-elle pas la solution ?


200) Sondage cité par R. Crône et L. Perreau-Saussine, Expatriation : quelle organisation patrimoniale ? : JCP N 1er déc. 2017, n° 48, art. 1321, p. 35, n° 2.
201) Au 31 décembre 2016, 1 782 188 de nos compatriotes étaient inscrits au registre mondial des Français établis hors de France, soit une hausse de 4,16 % par rapport à l’année précédente. Cette augmentation, supérieure à celle observée en 2015 (le nombre d’inscrits avait alors seulement progressé de 1,8 %), est également supérieure à la tendance moyenne d’accroissement de la communauté française à l’étranger au cours des dix dernières années, à savoir une croissance annuelle moyenne de 3,4 %. C’est la deuxième fois depuis 2010 que l’on observe une augmentation de plus de 2,3 %, après la hausse de 6 % en 2011 (in Rapport 2017 du Gouvernement sur la situation des Français établis hors de France, Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, p. 5).
202) Sondage Ipsos publié en mai 2018, repris dans la Revue Conseils des notaires juill. 2018, n° 468, « Changer de vie ».
203) Cette expression est le sous-titre du 113e Congrès des notaires, Lille, 2017, #Familles#Solidarités#Numérique.
204) D. Montoux : JCl. Notarial Formulaire, V° Acte notarié, fasc. 32, nos 114 et 124.
205) Notamment les articles 6 et 8 dudit décret.
206) 113e Congrès des Notaires de France, Lille, 2017, #Familles#Solidarités#Numérique, p. 704, n° 3043.
207) NVP (Notaires, vie professionnelle) nov.-déc. 2017, n° 327, Cahier pratique, p. 5.
208) J.-F. Humbert, Compte à rebours pour l’acte à distance : CSN-Actu (Newsletter du CSN) mai 2017, n° 20, p. 1.
209) J.-F. Humbert, Acte à distance et blockchain : deux votes qui feront date : CSN-Actu janv. 2018, n° 27, p. 2.
210) A. 28 sept. 2018 : JO 9 oct. 2018.
211) Il existe tout au mieux une ambassade de France dans les pays avec lesquels la France entretient des relations diplomatiques. Cependant, il peut exister plusieurs consulats dans ces mêmes pays. Site internet du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères : www.diplomatie.gouv.fr/fr/le-ministere-et-son-reseau/missions-et-organisation-62169/le-ministere-en-chiffres/, mise à jour févr. 2017, consulté le 15 avr. 2018.
212) Question au gouvernement, Assemblée des Français à l’étranger, réponse du secrétaire d’État du 19 octobre 2017 : www.assemblee-afe.fr/question-au-gouvernement-adressee-au-secretaire-d-etat-jean-baptiste-lemoyne.html, publié le 19 oct. 2017, consulté le 15 avr. 2018.
213) Étant précisé que les ressortissants étrangers ayant besoin de services consulaires français pour des actes dont les effets doivent être produits en France fréquentaient, eux aussi, massivement les services consulaires français.
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