CGV – CGU

Partie II – Les sources du droit international
Titre 3 – Le droit de l’Union européenne
Sous-titre 2 – La règle de droit européen
Chapitre III – Le droit subsidiaire

1619 Le droit de l’Union européenne est constitué non seulement par des sources écrites, mais également par des sources non écrites appelées « le droit subsidiaire ». Le droit subsidiaire est utilisé par le juge de l’Union au titre de normes juridiques. Avant d’étudier ses applications (Section II), sa création sera passée en revue (Section I).

Section I – La création jurisprudentielle

1620 La Cour de justice de l’Union européenne assure le respect du droit dans l’interprétation et l’application du droit de l’Union européenne. Cette mission s’étend au droit primaire, au droit dérivé, qu’il soit écrit ou non, et comprend également l’interprétation des accords internationaux conclus par l’Union ou la liant730.

Le juge de l’Union dispose en principe de trois compétences : compétences contentieuses, compétences préjudicielles, mais aussi consultatives.

Les compétences contentieuses comprennent le recours en annulation des actes adoptés par les organes communautaires (il permet un contrôle de légalité), le recours en manquement d’États qui vise à sanctionner la transgression par ces derniers des règles communautaires, et le recours en carence des institutions qui sanctionne leur inaction ou leur abstention de prendre une décision prévue par le traité ou dont le besoin se fait sentir.

Les compétences préjudicielles comprennent les questions d’interprétation posées par les juges nationaux.

Et les compétences consultatives comprennent les décisions obligatoires destinées notamment à vérifier la compatibilité d’un accord envisagé par la Communauté et des tiers, avec les traités CEE ou Euratom.

Aucun texte ne prévoit un pouvoir normatif du juge. Néanmoins, le juge, dans le cadre de la mission qui lui est confiée, se révèle créateur de droit731par ses méthodes d’interprétation des textes (Sous-section I) et par le recours aux principes généraux du droit (Sous-section II).

Sous-section I – Les méthodes d’interprétation

1621 Le juge doit interpréter le droit de l’Union européenne. Il dispose pour cela de quatre méthodes d’interprétation : une méthode subjective (§ I), une méthode textuelle (§ II), une méthode téléologique (§ III) et un raisonnement systémique (§ IV).

§ I – La méthode subjective

1622 Le juge va se référer à l’intention de l’auteur des textes. Pour ce faire, il analysera bien évidemment les textes eux-mêmes, mais également tous documents y afférents.

Pour interpréter les traités, le juge n’avait initialement pas accès aux travaux préparatoires qui étaient tenus secrets jusqu’en 1995. Le juge analysait l’intention sous le prisme des objectifs poursuivis, ce qui pouvait conduire à un dépassement des intentions. Les conférences préalables aux traités de révision sont également un outil d’interprétation pour le juge.

Pour interpréter les actes issus du droit dérivé, le juge se réfère, à défaut de documents préparatoires, à la portée du texte tel qu’il a été établi et lui donne le sens qui ressort de son interprétation logique732. Pour cela, le juge interprète l’acte à la lumière des motifs qui ont conduit à son adoption, et il incorpore à cette occasion les avis ayant servi de base à la motivation733.

La Cour a jugé de manière constante qu’une déclaration inscrite au procès-verbal du Conseil lors de l’adoption d’un texte ne saurait être retenue pour l’interprétation d’une disposition de droit dérivé lorsque le contenu de la déclaration ne trouve aucune expression dans le texte de la disposition en cause et n’a, dès lors, pas de portée juridique734.

Il en va de même des déclarations unilatérales d’un État membre735.

§ II – La méthode textuelle

1623 Le juge raisonne dans cette méthode sur l’utilité des textes. L’interprétation littérale du texte ne doit pas lui faire perdre son utilité736et le choix en cas de pluralités d’interprétation doit porter sur celle qui sauvegarde l’effet utile de la disposition737.

1624 Le juge a dû connaître également de très nombreux cas de divergences entre les versions linguistiques d’un texte communautaire. La Cour interprète la disposition non pas isolément dans l’une de ses versions, mais en fonction tant de la volonté réelle de son auteur que du but poursuivi par ce dernier, à la lumière notamment des versions établies dans toutes les langues de l’Union738.

1625 Le juge doit interpréter le texte, dans la mesure du possible, dans le sens de sa conformité avec les dispositions du traité et les principes généraux du droit de l’Union. Ainsi le juge refuse d’interpréter une disposition dont le sens est clair et dépourvu d’ambiguïté739.

§ III – La méthode téléologique

1626 Le juge doit interpréter un texte à la lumière du but qu’il vise ou qu’on lui assigne. Cette méthode complète la méthode littérale quand celle-ci ne suffit pas, ou vient la confirmer, ou s’y substitue dès que nécessaire.

Le juge a considéré que : « Dès lors que les interprétations littérale et historique d’un règlement, et en particulier de l’une de ses dispositions, ne permettent pas d’en apprécier la portée exacte, il y a lieu d’interpréter la réglementation en cause en se fondant tant sur sa finalité que sur son économie générale »740.

§ IV – La méthode systémique

1627 Le juge interprète un texte de l’Union à la lumière de son concept, pour retenir l’interprétation la plus cohérente. Des objectifs des traités comme l’intégration, la Cour a dégagé des principes de libre circulation, de non-discrimination et d’unité. Du système institutionnel prévu dans les traités, la Cour a dégagé des principes, présentés comme des conséquences dudit système, à savoir l’effet direct du droit communautaire741, la primauté du droit de l’Union742, l’alignement des compétences externes sur les compétences internes de l’union743. La Cour a par ailleurs créé le principe de coopération loyale entre les États et les institutions en se fondant, d’une part, sur l’article 10 TCE et, d’autre part, sur la règle imposant aux États et aux institutions un devoir réciproque de coopération et d’assistance loyale.

Elle a admis des recours non prévus par les textes en s’appuyant sur la notion de communauté de droit ou au nom de la sauvegarde de l’équilibre institutionnel.

La Cour est allée jusqu’à l’interprétation contra legem à plusieurs reprises. Dans un arrêt Rosneft rendu le 28 mars 2017744, du nom de l’entreprise russe à l’encontre de laquelle certaines mesures restrictives ont été adoptées par l’Union européenne, la Cour reconnaît sa propre compétence pour apprécier la validité de dispositions de la décision 2014/512 dans le cadre d’un renvoi préjudiciel en appréciation de validité alors que ni le TUE ni le TFUE ne prévoient explicitement cette compétence. La Cour avait déjà pris cette position dans un arrêt Foto Frost plus ancien745.

1628 Le juge interprète les accords internationaux en fonction des termes dans lesquels il est rédigé ainsi qu’à la lumière de ses objectifs. La Cour rappelle la règle exprimée par les articles 31 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités et de la Convention de Vienne du 21 mars 1986 sur le droit des traités entre États et organisations internationales ou entre organisations internationales, selon lesquels : « Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but ».

Le juge doit également interpréter de manière conforme à un accord international une règle européenne qui est comprise dans un domaine concerné par celui-ci746.

Sous-section II – Le recours aux principes généraux du droit

1629 Le juge de l’Union doit appliquer le droit de l’Union européenne. Il recherche à ce titre les principes généraux qui colorent le droit de l’Union et en constituent ses règles tellement essentielles qu’elles s’appliqueraient même en l’absence d’écrit. Ces principes sont au sommet de la hiérarchie au même titre que les traités, et tout manquement à ces principes par des actes des institutions devient illégal. Ces principes peuvent, dès lors qu’ils sont précis et inconditionnels, être invoqués pour écarter une disposition nationale contraire devant le juge national et le juge de l’Union et pour des litiges entre particuliers. Ces principes généraux, dont les sources sont variées (§ I), ont servi à protéger les droits fondamentaux des personnes dans le droit de l’Union (§ II).

§ I – Les sources des principes généraux du droit

1630 Le juge envisage trois sources aux principes généraux : les traités (A), l’ordre juridique international (B) et les droits des États membres (C).

A/ Les traités, source des principes généraux du droit

1631 Les traités fondateurs ne précisaient pas les droits applicables à l’Union. Seul l’article 215, alinéa 2 TCE liait le régime de la responsabilité non contractuelle applicable à la Communauté aux « principes généraux communs aux droits des États membres ». L’article 6, § 3 TFUE consacre désormais les principes généraux du droit communautaire.

Mais les traités fondateurs ne comprennent pas de dispositions entérinant les droits fondamentaux de la personne que protègent les principes généraux du droit. De leur côté, les traités entérinant ces droits fondamentaux leur reconnaissent une portée très large de sorte que cela rend inutile le recours aux principes généraux. Ainsi le juge peut se référer, dans tout le domaine d’application du TFUE, à l’article 12, alinéa 1er pour condamner toute discrimination fondée sur la nationalité747. Les libertés de circulation et d’établissement, de protection des services constituent aujourd’hui des principes fondamentaux du droit de l’Union au même titre que les principes généraux du droit, et pourront être invoquées en tant que principes généraux748. Le nombre des principes généraux du droit communautaire s’est accru. En atteste le principe de l’équilibre institutionnel, de coopération loyale, de primauté, d’effet direct…

B/ L’ordre juridique international, source des principes généraux du droit

1632 Le droit de l’Union étant fondé sur les traités, il est également attaché au droit international. La Cour fait donc appel aux principes généraux du droit international lorsque l’affaire concerne les relations internationales de l’Union et des États membres. Ainsi, dans un arrêt Racke en date du 16 juin 1998749, le juge rappelle que les parties doivent respecter le principe Pacta sunt serva, principe qui oblige les parties à un traité à l’exécuter de bonne foi.

Lorsque l’affaire concerne des relations entre l’Union et les États membres ou le juge et les États membres, la Cour opère une distinction en acceptant les principes généraux du droit international qui favorisent l’intégration ou qui sécurisent la protection des droits fondamentaux et rejette ceux qui affaiblissent l’unité au sein de l’Union. À titre d’exemple, le juge a accepté le principe du droit international selon lequel « la caducité des traités ne se présume pas » comme principe général du droit communautaire750et a rejeté à de maintes reprises l’exception d’inexécution751en refusant d’intégrer en droit communautaire le principe de droit international de recours possible à des contre-mesures par un État en cas inexécution d’une obligation par l’autre partie. La Cour a refusé également de reconnaître comme principe général du droit communautaire le principe de bien-être des animaux, dans une affaire à propos de la validité des actes adoptés par la Communauté pour lutter contre la fièvre aphteuse752.

C/ Les droits des États membres, source des principes généraux du droit

1633 Dans sa mission d’éviter tout non liquet, le juge va chercher des principes généraux du droit dans les différents systèmes juridiques des États membres753. Dans un arrêt Algera754, la Cour de justice explique le raisonnement à adopter : « La Cour est donc obligée de le résoudre en s’inspirant des règles reconnues par les lois, la doctrine et la jurisprudence des États membres ». En l’espèce, il s’agissait du régime de retrait de décisions irrégulières. La Cour reconnaît par cette méthode l’importance des principes reconnus par les États membres dans le droit de l’Union, mais affirme son autonomie par rapport au droit interne.

Le juge doit rechercher des « principes communs » ou « traditions juridiques communes » entre les États pour dégager des principes généraux du droit de l’Union. Ces principes ne doivent pas nécessairement être communs à l’ensemble des États membres, dès lors que les autres États ne s’y opposent pas. Tel a été le cas du principe de proportionnalité et de confiance légitime transposé du droit allemand. Les principes communs une fois établis ont permis au juge de les élever et d’unifier la protection des droits fondamentaux à un niveau européen.

§ II – Les droits fondamentaux de la personne

1634 Les traités fondateurs ne mentionnaient pas les « droits fondamentaux » ou « droits de l’homme ». Dans le cadre de la construction du marché commun, seuls les droits nécessaires à celui-ci sont protégés : la liberté de circulation (biens, capitaux, services, personnes) et l’interdiction de la discrimination fondée sur la nationalité et le sexe. Aussi la Cour, pour combler le silence des traités et protéger d’une manière plus large ces droits, s’est référée aux principes généraux du droit, système qui perdure (A). Aujourd’hui tant les traités que la Charte des droits fondamentaux de l’Union qui les complète leur attribuent de nombreuses dispositions ; la Cour les élève au niveau des principes constitutionnels (B).

A/ Les principes généraux du droit, source des droits fondamentaux

1635 En l’absence de dispositions dans les traités fondateurs, le juge a fait appel aux principes généraux du droit pour protéger les droits fondamentaux. La Cour s’est prononcée suite à des décisions rendues par les juridictions allemandes, et notamment l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle allemande le 18 octobre 1967 par lequel la Cour consacrait la possibilité de contrôler des actes communautaires qui risqueraient de porter atteinte aux droits fondamentaux reconnus par la Constitution allemande755.

La Cour avait déjà à de maintes reprises affirmé la primauté du droit communautaire sur le droit des États membres. Dans un arrêt Stauder du 12 novembre 1969, la Cour affirme pour la première fois qu’elle assure le respect des droits fondamentaux de la personne compris dans les principes généraux du droit communautaire et, allant plus loin, dans l’arrêt Internationale Handelsgesellschaft du 17 décembre 1970, elle déclare que le droit né des traités communautaires ne peut se voir opposer par les cours nationales des règles de droit interne, quelle que soit leur nature. Le droit communautaire prévaut par conséquent même sur les constitutions des États membres. La Cour décline le contrôle de la validité d’un acte communautaire par les juridictions nationales et se reconnaît compétente pour assurer le respect des droits fondamentaux. Elle précise que le respect de ces droits fait partie intégrante des principes généraux du droit dont elle assume le respect, et la sauvegarde de ces droits doit être inspirée par les traditions constitutionnelles communes aux États membres et assurée par la Communauté et eu égard aux objectifs de celle-ci.

1636 Dans l’arrêt Nold rendu le 14 mai 1974756, le juge complète les sources des principes généraux par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré, notamment la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950.

Les droits fondamentaux garantis par la Convention sont protégés par les principes généraux du droit de l’Union757. Ce principe avait été posé par le traité de Maastricht (art. F, § 2) qui stipule que l’Union européenne « respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu’ils résultent des traditions communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire ».

B/ Les droits fondamentaux consacrés principes généraux du droit par le traité de Lisbonne

1637 Le Parlement européen, le Conseil et la Commission ont proclamé, en décembre 2000 à Nice, la Charte des droits fondamentaux qui a vocation à regrouper et consacrer tous les droits fondamentaux.

Le traité de Lisbonne reconnaît à la Charte des droits fondamentaux une valeur de droit primaire par les dispositions prévues à l’article 6, § 1 : « L’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu’adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités ». La Charte énonce, d’une part, des droits et libertés et, d’autre part, des principes qui doivent être mis en œuvre pour produire des effets devant une juridiction, conformément à l’article 52, § 5, de la Charte.

Par ailleurs, l’article 6, § 2 et § 3 du traité de Lisbonne précise que : « L’Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales… Les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux ».

L’article 6 du Traité sur l’Union européenne ne précise pas quelle est la valeur des droits fondamentaux consacrés en tant que principes généraux.

Dans deux arrêts Schmidberger758et Omega759, la Cour met en balance les libertés fondamentales de circulation reconnues par les traités constitutifs et les droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit, les mettant ainsi au même niveau. Puis, dans l’arrêt Kadi760, elle rattache explicitement les « principes généraux dont font partie les droits fondamentaux » au « droit primaire », leur consacrant de facto une valeur constitutionnelle.

Principes généraux et Charte ont la même valeur, aucune hiérarchie n’est prévue. Mais « il n’en demeure pas moins qu’une certaine prééminence fonctionnelle de la Charte apparaît progressivement. Se traduisant par une substitution progressive de la Charte aux principes généraux du droit et par une référence accrue au cadre d’interprétation fixé par les dispositions finales de la Charte, ce phénomène ne devrait toutefois pas empêcher les principes généraux du droit de continuer à jouer un rôle dans la jurisprudence de la Cour »761.

Section II – Les applications jurisprudentielles

1638 Le droit de l’Union est ainsi forgé par des principes, issus du droit primaire, du droit dérivé ou de la jurisprudence, qui n’ont pas tous la même valeur. Ces divers principes feront l’objet d’une présentation fonctionnelle762en distinguant les principes fondateurs qui sont les valeurs fondatrices de l’Union, les principes et droits protecteurs et les principes constitutionnels.

§ I – Les valeurs fondatrices de l’Union

1639 L’article 2 du Traité sur l’Union européenne affirme que : « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes ».

1640 La dignité humaine est la première valeur citée par le traité. Pour autant, la Convention européenne des droits de l’homme ne la mentionnait pas en tant que valeur fondamentale. Cette situation n’a pas empêché la Cour européenne des droits de l’homme de s’en prévaloir.

La Cour a confirmé à de multiples reprises que la dignité humaine était bien un droit fondamental lorsqu’elle rappelle qu’il lui incombe de veiller au droit fondamental de la dignité humaine dans l’affaire concernant la directive sur la brevetabilité du vivant « pour que le corps humain demeure indisponible et inaliénable et qu’ainsi la dignité humaine soit sauvegardée »763, ou encore lorsqu’elle se positionne pour l’interdiction des jeux lasers qui impliquent la simulation d’actes de violence contre les personnes et en particulier lorsque les personnes « jouent à tuer », car cette interdiction protège la dignité humaine764.

1641 La liberté était inscrite dans les traités fondateurs pour permettre la circulation des marchandises, des capitaux, des services et des personnes. Ces libertés étaient fondamentales pour créer l’Espace économique européen, et étaient interprétées d’une manière extensive par la Cour. Celle-ci admet comme valeur fondamentale de l’Union la liberté de pensée et de religion, la liberté d’expression, la liberté d’association, la liberté syndicale, la protection de la vie privée, familiale, du domicile et du secret de la correspondance, la liberté d’exercer une activité économique et le droit de propriété.

1642 La démocratie n’est pas une valeur nouvelle. Le Traité sur l’Union européenne reconnaissait déjà le droit de vote aux élections locales et l’éligibilité des citoyens européens résidant dans un autre État que le leur, manifestations du pouvoir du peuple dans l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct. Le traité de Lisbonne introduit également un titre II au traité (art. 9 à 12) consacré aux principes démocratiques : égalité des citoyens, démocratie représentative, démocratie participative, rôle des parlements nationaux. Désormais un million de citoyens émanant de sept États membres peuvent inviter la Commission à présenter une proposition d’acte législatif qu’ils jugent nécessaire pour mettre en œuvre les traités de l’Union.

La Cour a, notamment dans le cadre d’une affaire relative au pouvoir d’auto-organisation du Parlement européen, fait référence au principe démocratique comme élément fondateur765.

1643 L’égalité et le principe de non-discrimination qui en découle et le complète sont des valeurs essentielles et très largement consacrées par les textes.

L’égalité, celle entre les hommes et les femmes, était l’une des missions assignées à la Communauté européenne766. Dans toutes les actions qui lui sont confiées par ledit traité, la Communauté cherche à éliminer les inégalités et à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes767. Les hommes et les femmes doivent avoir les mêmes chances sur le marché du travail, le même traitement dans le travail768, le même salaire pour un même travail et de même valeur769.

L’article 13 TCE permet au Conseil de prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.

Le traité de Lisbonne a élargi le champ de la non-discrimination en se référant à la Charte des droits fondamentaux, laquelle dans son article 21 ajoute comme critères de discrimination : l’origine sociale, les caractéristiques génétiques, la langue, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune et la naissance, et interdit explicitement toute discrimination fondée sur la nationalité.

Afin de mettre en œuvre ce principe d’égalité et de non-discrimination, l’Union européenne s’est dotée de quatre directives :

la directive 2000/43/CE du 29 juin 2000, dite « directive anti-racisme », qui exige des États qu’ils luttent contre toute discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique dans les domaines de l’accès à l’emploi et au travail, de la formation, de la sécurité sociale et des soins de santé, ainsi que dans les domaines de l’accès aux biens et services et de la fourniture de biens et services, y compris en matière de logement ;

la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000, directive-cadre en matière d’emploi qui exige des États qu’ils luttent contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle dans les domaines de l’emploi et du travail ;

la directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006, directive sur le genre qui interdit toute discrimination fondée sur le sexe dans les domaines de l’emploi et du travail ainsi que dans le domaine de la sécurité sociale ;

la directive 2004/113/CE du 13 décembre 2004, directive sur « l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes en dehors du monde du travail », qui vise les discriminations fondées sur le sexe dans les domaines de l’accès aux biens et services et de la fourniture de biens et services.

La Cour a une jurisprudence abondante sur ces discriminations770.

§ II – Les principes et droits protecteurs

1644 La Cour a consacré en tant que principes généraux de nombreux droits et libertés :

– la protection de la vie privée et des données personnelles ;

– la liberté de pensée, de conscience et de religion ;

– la liberté d’expression ;

– la liberté d’association ;

– le libre exercice d’une activité professionnelle ;

– la liberté d’exercer une activité économique et commerciale ;

– le droit de propriété ;

– la liberté syndicale, le droit de grève ;

– la sécurité juridique ;

– le droit à une bonne administration ;

– le droit d’accès aux documents ;

– le droit de défense et des garanties procédurales ;

– le droit à un recours juridictionnel effectif ;

– le principe ne bis in idem ;

– le principe de précaution ;

– le refus ou l’absence de reconnaissance de principes protecteurs.

§ III – Les principes constitutionnels

1645 Certains principes ont une valeur constitutionnelle. Tel est le cas des principes de cohérence, d’équilibre institutionnel, de coopération interinstitutionnelle, de continuité du service public européen, de respect de l’acquis de l’Union européenne, de proportionnalité, de coopération loyale, de subsidiarité, d’autonomie institutionnelle, de respect de l’identité nationale des États membres, de primauté, d’effet direct, de responsabilité des États membres pour violation du droit de l’Union européenne.


730) TUE, art. 19, § 1.
731) M. Bettati, Le Law-making power de la Cour : Pouvoirs 1989, n° 49, p. 56.
732) CJCE, 1er juin 1961, aff. Simon c/ Cour de Justice : Rec. CJCE 1961, I, p. 225.
733) Trib. UE, 13 déc. 2013, aff. T-240/10, Hongrie c/ Commission, pts 90 et 91.
734) CJCE, 26 févr. 1991, aff. C-292/89, Antonissen : Rec. CJCE 1991, I, p. 745, pt 18. – CJCE, 6 mai 2003, aff. C-104/01, Libertel : Rec. CJCE 2003, I, p. 3793, pt 25. – CJCE, 10 janv. 2006, aff. C-402/03, Skov et Bilka : Rec. CJCE 2003, I, p. 199, pt 42, ainsi que CJCE, 19 avr. 2007, aff. C-356/05, Farrell : Rec. CJCE 2007, I, p. 3067, pt 31. – Trib. UE, 20 sept. 2012, aff. T-333/09, Pologne c/ Commission, pt 53 et CJCE, 19 déc. 2012, aff. C-149/11, Leno Merken, pt 46.
735) CJCE, 30 janv. 1985, aff. C 143/83, Commission c/ Danemark, pt 13.
736) CJCE, 15 juill. 1960, aff. C 20/69, Fédéchar c/ Haute Autorité CECA.
737) CJCE, 24 févr. 2000, aff. C-434/97, Commission c/ France.
738) Trib. UE, 28 sept. 2011, aff. F-23/10, Allen c/ Commission, pt 57. – Trib. UE, 8 nov. 2012, aff. T-268/11, Commission c/ Strack, pt 58.
739) Trib. UE, 13 juill. 2018, aff. T-733/16, Banque postale c/ BCE, pts 34 et 35. – Trib. UE, 13 juill. 2018, aff. T-751/16, Confédération nationale du Crédit mutuel c/ BCE, pts 33 et 34
740) Trib. UE, 20 juill. 2016, aff. T-483/13, Oikonomopoulos c/ Commission, pts 140-142. – Trib. UE, 16 mai 2017, aff. T-122/15, Landeskreditbank Baden-Württemberg c/ BCE, pts 40 et 41.
741) CJCE, 5 févr. 1963, aff. 26/62, Van Gend en Loos.
742) CJCE, 15 juill. 1964, aff. 6/64, Costa.
743) CJCE, 31 mars 1971, aff. 22/70, Commission c/ Conseil.
744) CJUE, 28 mars 2017, aff. C-72/15, Rosneft.
745) CJCE, 22 oct. 1987, aff. C-314/85, Foto Frost.
746) Trib. UE, 5 févr. 2018, aff. T-729/15, MSD Animal Health Innovation et Intervet international c/ EMA, pt 48.
747) CJCE, 3 oct. 2000, aff. C-411/98, Ferlini : Rec. CJCE 2000, I, p. 8081, pt 62.
748) CJCE, 27 oct. 2009, aff. C-115/08, Cez.
749) CJCE, 16 juin 1998, aff. C-162/96, Racke : Rec. CJCE 1998, I, 3688.
750) CJCE, 14 déc. 1971, aff. 7/71, Commission c/ France.
751) CJCE, 13 nov. 1964, Commission c/ Belgique et Luxembourg : Rec. CJCE 1964, I, p. 1217. – CJCE, 25 sept. 1979, aff. 232/78, Commission c/ France : Rec. CJCE 1979, I, p. 2729. – CJCE, 7 janv. 1973, aff. 39/72, Commission c/ Italie : Rec. CJCE 1973, I, p. 101.
752) CJCE, 12 juill. 2001, aff. C-189/01, Jippes : Rec. CJCE 2001, I, p. 5689.
753) G. Protière, Les principes généraux dans la jurisprudence internationale : éléments d’une différenciation fonctionnelle : RDP 2008, p. 259-292.
754) CJCE, 12 juill. 1957, aff. C -7/56, Algera : Rec. CJCE 2001, I, p. 81.
755) RTDE 1968, p. 203.
756) CJCE, 14 mai 1974, aff. C-4/73, Nold : Rec. CJCE 1974, I, p. 491.
757) CJCE, 15 oct. 2002, aff. C-238/99, LVM : Rec. CJCE 2002, I, p. 8375.
758) CJCE, 12 juin 2003, aff. C-112/00, Schmidberger : Rec. CJCE 2003, I, p. 5659.
759) CJCE, 14 oct. 2004, aff. C-36/02, Omega : Rec. CJCE 2004, I, p. 9609.
760) CJCE, 3 sept. 2008, aff. C-402/05, Kadi : Rec. CJCE 2008, I, p. 6351.
761) F. Picod, Charte des droits fondamentaux et principes généraux du droit : RDLF 2015, chron. 2.
762) C. Flaesch-Mougin, Typologie des principes de l’Union européenne, Liber Amicorum J. Raux, éd. Apogée, 2006. – J. Rideau, Ordre juridique de l’Union européenne – Sources non écrites : JCl. Droit international, Fasc. 161-55, p. 44, pt 94.
763) CJCE, 9 oct. 2001, aff. C-377/98, Pays-Bas c/ Parlement européen et Conseil : Rec. CJCE 2001, I, p. 7079.
764) CJCE, 14 oct. 2004, aff. C-36/02, Omega.
765) CJCE, 11 nov. 2003, aff. C-488/01, Martinez c/ Parlement : Rec. CJCE 2003, I, p. 13335.
766) TCE, art. 2.
767) TCE, art. 3, § 2.
768) TCE, art. 137.
769) TCE, art. 141.
770) CJUE, 17 déc. 2015, aff. C-407/14, Camacho (discrimination en raison du sexe). – CJUE, 27 nov. 2012, aff. C-566/10P, Italie c/ Commission européenne (discrimination en raison de la langue appliquée aux concours de la fonction publique de l’Union européenne). – CJUE, 14 nov. 2017, aff. C-165/16, Lounes (discrimination en raison de la non-citoyenneté par naissance). – CJUE, 18 janv. 2018, aff. C-270/16, Conejero (discrimination en raison du handicap).
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