CGV – CGU

Partie II – Les sources du droit international
Titre 2 – Les sources internationales
Sous-titre 2 – Une source à consolider : la pratique notariale
Chapitre II – Des réalisations notariales
Section I – Une source directe : le règlement « Successions »

1443 L’action de la Commission européenne vise à rendre plus tangibles pour les citoyens les bénéfices de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. En matière de successions internationales, l’objectif a été de conférer plus de prévisibilité aux citoyens européens, face à la diversité des règles applicables lors du règlement d’une succession comportant un élément d’extranéité. Le premier considérant du règlement rappelle cet objectif : « L’Union s’est donné pour objectif de maintenir et de développer un espace de liberté, de sécurité et de justice au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes ». L’Union européenne a souhaité adopter des mesures relevant du domaine de la coopération judiciaire dans les matières civiles transfrontalières.

Le processus de décision a été long. Le Conseil européen réuni à Tampere les 15 et 16 octobre 1999 a d’abord invité le Conseil et la Commission à adopter des mesures destinées à développer la coopération judiciaire. La Commission européenne a ensuite mis à jour son tableau de bord pour l’examen des progrès réalisés en vue de la création d’un espace de liberté, de sécurité et de justice dans l’Union européenne le 30 novembre 2000 en souhaitant : – « faire en sorte que le principe de reconnaissance mutuelle devienne la pierre angulaire de la coopération judiciaire en matière tant civile que pénale au sein de l’Union » ; – « prévoir une convergence accrue dans le domaine du droit civil afin de faciliter la coopération judiciaire et d’améliorer l’accès au droit ».

Puis le Conseil européen a pris une série de mesures dans son programme de La Haye des 4 et 5 novembre 2004, couvrant la période 2005-2010. Il a demandé la mise en place d’un livre vert sur le règlement des conflits de lois en matière de successions, traitant notamment de la question de la compétence judiciaire, de la reconnaissance mutuelle et de l’exécution des décisions dans ce domaine, et d’un certificat d’hérédité européen. Enfin, le Conseil européen réuni à Bruxelles les 10 et 11 décembre 2009 a adopté un programme pluriannuel, appelé « programme de Stockhom », qui prévoit de « renforcer la coopération entre les professionnels de la justice, améliorer leur formation et mobiliser des moyens pour supprimer les obstacles à la reconnaissance des décisions juridiques dans d’autres États membres ». Ainsi que l’explique Me Edmond Jacobi, qui faisait partie du groupe d’experts chargé de travailler sur le projet de règlement européen616, les travaux préparatoires conduits par le Deutsches Notariat Institut à Würzburg sous la direction des professeurs Paul Lagarde et Heinrich Dörner, sous l’influence des notariats allemand, italien617et français qui connaissaient déjà le certificat d’hérédité (en France dans les départements d’Alsace et de la Moselle) ont été instigateurs de la réflexion politique.

Sans aborder le fonctionnement de ce certificat, qui est étudié par la troisième commission618, il s’agit d’analyser comment le règlement donne aux notaires un rôle central en matière successorale.

Sous-section I – Faciliter la circulation des décisions judiciaires en matière successorale

1444 L’acte de notoriété est déjà reconnu très largement dans l’Espace européen lorsqu’il a été établi dans des conditions proches du droit du for. C’est le cas pour les actes belges, allemands, autrichiens suisses, luxembourgeois619.

Cependant, le règlement renforce la circulation des actes authentiques dans la mesure où il supprime toute procédure de légalisation en matière successorale. Par ailleurs, les articles 59 et 60 du règlement précisent que les actes authentiques établis dans un État membre ont la même force probante dans un autre État membre que dans l’État membre d’origine ou y produisent les effets les plus comparables. Enfin, un acte authentique qui est exécutoire dans l’État membre d’origine est déclaré exécutoire dans un autre État membre, à la demande de toute partie intéressée. Le règlement, en prévoyant que l’acte authentique relevant de la matière successorale circule librement, le place au centre de la construction européenne et démontre ainsi la confiance donnée par les institutions dans la pratique notariale.

Sous-section II – Le certificat successoral européen

1445 Le règlement a adopté le certificat successoral européen. Innovation capitale, il permet de prouver sa qualité d’héritier ou de légataire dans un autre pays de l’Union européenne partie au règlement et d’exercer ses droits dans tous les pays de l’Union européenne. Il permet d’accélérer et d’uniformiser le règlement d’une succession au niveau européen.

Il entre dans les objectifs de l’action européenne de faire en sorte que les héritiers puissent faire valoir leurs droits partout en Europe. L’article 64 du règlement édicte que : « Le certificat est délivré dans l’État membre dont les juridictions sont compétentes en vertu de l’article 4, 7, 10 ou 11 ». L’autorité émettrice est :

« a) Une juridiction (…)

b) Une autre autorité qui, en vertu du droit national, est compétente pour régler les successions ».

Le décret n° 2015-1395 du 2 novembre 2015 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière de successions transfrontalières a ajouté une section VIII au Code de procédure civile en édictant que « le certificat successoral européen (…) est délivré à la demande de tout héritier, (…) par un notaire conformément à la procédure définie par les articles 5 à 67 de ce règlement ».

Cette nouvelle compétence attribuée au notaire français s’apparente à une juridiction gracieuse. S’il est saisi, le notaire a un rôle actif d’investigation : enquêtes, citations, accès aux juridictions compétentes des autres États avec la mise en place d’une coopération judiciaire réciproque. Il peut, s’il le juge utile et suffisant, se baser uniquement sur une affirmation sacramentelle des héritiers. Il a également compétence pour rectifier ou retirer un certificat successoral européen, soit d’office, soit sur requête d’une personne ayant un intérêt légitime. Il a une obligation de motiver sa décision puisque l’article 72 du règlement prévoit également que toute personne habilitée peut former un recours contre toute décision rendue par l’autorité émettrice.

L’interconnexion des registres des dernières volontés mise en place par l’Association du réseau européen des registres testamentaires (ARERT), décrite dans la partie III620, permet aux notaires européens de connaître le nom de l’autorité ayant délivré le certificat successoral européen.

Le droit de l’Union européenne confère une mission aux notaires. Le règlement « Successions » permet de renforcer son rôle. Il met aujourd’hui en œuvre les nouvelles règles européennes. Sa fonction se diversifie dans le cadre de la construction de l’espace judiciaire européen. Il ne reste plus aux notaires qu’à développer cette pratique.

Section II – Une source indirecte : le sceau notarial sécurisé et le titre européen exécutoire
Sous-section I – La création du sceau notarial sécurisé (SNS)

1446 Le SNS est une création purement notariale de l’Union internationale du notariat (UINL). L’objectif de départ était de faciliter la circulation des actes authentiques tout en garantissant la sécurité sur l’origine de l’acte et de faire face aux phénomènes de circulation de faux actes ou de fausses copies authentiques d’actes liés à la mondialisation des marchés, à la croissante mobilité des personnes et à la suppression progressive de toute forme de légalisation ou d’apostille qui pourraient nuire à la sécurité juridique. Une résolution a été adoptée par l’Assemblée des notariats membres tenue à Alger le 18 octobre 2012 par onze pays pilotes : l’Argentine, la Belgique, la Colombie, l’Espagne, la France, l’Italie, le Mali, la République de Macédoine du Nord, le Portugal, le Sénégal, la Turquie. Aujourd’hui, le projet SNS est ouvert aux quatre-vingt-huit notariats membres de l’UINL. Le système est basé sur la libre participation des notariats membres de l’UINL, signataires d’une charte d’adhésion, et est valable pour les actes destinés à l’étranger et dans le pays dans lequel ils ont été établis. Les notaires intéressés doivent être validés par leur notariat national qui communique avec l’UINL. Afin de garantir l’intégrité matérielle des actes, a été créé un sceau spécial, autoadhésif et non falsifiable, de haute sécurité, qui se colle sur chaque feuille de chaque page de l’acte ou de la copie. Le système est conçu pour empêcher le décollage et la réutilisation frauduleuse du sceau. Le sceau est fabriqué avec un papier de sécurité conçu avec des mesures de haute sécurité qui contiennent une numérotation séquentielle, composée de chiffres ou de lettres, qui identifie le notaire rédacteur. Le destinataire de l’acte a la possibilité de consulter une base621et de vérifier ainsi si le sceau apposé est bien attribué au notaire rédacteur de l’acte. Il pourra obtenir les données d’identification des notaires (prénom et nom de famille, notariat national, siège social, adresse, code postal, téléphone, fax, e-mail). Il peut aussi lire le code QR (code carré sur le côté droit de la garniture) avec un smartphone ou une tablette munis d’une application. Le coût du sceau notarial sécurisé est modique. À noter que ce système est destiné à identifier le notaire rédacteur et ne remplace en aucun cas la légalisation ou l’apostille. Ce système est peu développé en France. La généralisation de l’acte authentique électronique en est une des raisons. Plus particulièrement, la question de la circulation de faux actes ne se pose guère. Cependant, ce système est utile pour beaucoup de notariats qui l’utilisent pour offrir aux citoyens une garantie de sécurité, mise en place par le notariat lui-même, sans intervention des gouvernements nationaux.

Sous-section II – Le titre européen exécutoire

1447 Le règlement n° 805/2004 du Parlement et du Conseil du 21 avril 2004622portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées est entré en vigueur le 21 octobre 2005. Il a pour objectif de créer un titre exécutoire européen pour les créances incontestées en vue d’assurer la libre circulation des décisions, des transactions judiciaires et des actes authentiques dans tous les États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à une procédure intermédiaire dans l’État membre d’exécution préalablement à la reconnaissance et à l’exécution.

Il vise uniquement les matières civiles et commerciales (art. 2), à l’exclusion du droit des personnes, de la famille, des régimes matrimoniaux, des testaments et successions, des faillites et procédures assimilées, de la sécurité sociale, de l’arbitrage et des matières fiscale, administrative ou douanière. Il s’applique seulement pour les créances pécuniaires, incontestées et exécutoires dans l’État d’origine, contenues dans une décision de justice, une transaction judiciaire ou un acte authentique.

L’article 4 précise la notion d’acte authentique. L’authenticité doit porter sur la signature et le contenu de l’acte authentique. Il doit avoir été établi par une autorité publique ou toute autre autorité habilitée par l’État membre d’origine, ce qui est bien entendu le cas pour le notaire français.

La délivrance du titre exécutoire européen dans l’État membre d’origine supprime l’obligation d’exequatur. L’acte est reconnu et exécuté dans tous les autres États membres. Cette suppression du contrôle dans l’État d’exécution est remplacée par un contrôle dans l’État membre d’origine.

Le règlement a laissé le soin aux États membres de désigner l’autorité compétente pour délivrer le titre exécutoire européen. Le décret n° 2008-484 du 22 mai 2008 a confié cette mission au notaire. Il a modifié l’article 509 du Code de procédure civile qui prévoit que : « Par dérogation à l’article 509-1, les requêtes aux fins de certification des actes authentiques notariés en vue de leur exécution à l’étranger en application du règlement (CE) n° 805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées sont présentées au notaire ou à la personne morale titulaire de l’office notarial conservant la minute de l’acte reçu ».

Le site « www.justice.europa.eu » donne accès à un outil nommé « Atlas judiciaire européen en matière civile », qui prodigue des informations pratiques et un accès aux formulaires nécessaires pour la délivrance du titre exécutoire européen. L’établissement de ce certificat à l’aide du formulaire prérempli est simple et rapide.

Les mises en œuvre de ce certificat dans le domaine notarial sont nombreuses. On peut par exemple citer la signature d’un bail commercial et le versement de loyers sur sa durée légale. Par anticipation – comme cela est d’ailleurs pratiqué avec la délivrance de la copie exécutoire –, le notaire précise dans l’acte authentique que les parties le requièrent de délivrer un titre exécutoire européen, et il en leur fait préciser le montant de la créance. Dans le cadre d’un bail commercial, il pourrait s’agir du montant cumulé des loyers sur neuf ans. Cette réquisition et sa délivrance peuvent également être envisagées lors de la signature d’une promesse unilatérale de vente, afin de garantir au promettant le versement par le bénéficiaire de l’indemnité d’occupation lorsque ce dernier n’est pas domicilié en France. Le titre exécutoire européen portera alors sur le montant de l’indemnité. Ce passeport européen de l’acte authentique est remis au créancier avec la copie exécutoire ; le créancier qui ira allant ensuite trouver l’agent en charge de l’exécution dans le pays concerné. En effet, les procédures d’exécution restent nationales.

Le titre exécutoire européen est un véritable sésame pour l’acte authentique sur tout le territoire de l’Union européenne. En donnant compétence au notaire lui-même pour délivrer ce titre, le législateur a accordé sa confiance au notariat français. Il a renforcé sa mission au niveau international. Le notaire français doit aujourd’hui adapter sa pratique et conforter le rôle qu’a souhaité donner le législateur à l’acte authentique.


616) E. Jacobi, Le certificat successoral européen et le rôle du notaire : JCP N 6 mai 2016, n° 18, 1137.
617) Notamment sous l’influence de Me Damacelli.
618) V. infra, n° a3440.
619) M. Revillard, Droit international privé et européen : pratique notariale, Defrénois, 9e éd. 2014, n° 968.
620) V. la description de l’ARERT infra, n° a1678.
621) www.uinlsns.com
622) www.eur-lex.europa.eu
Aller au contenu principal