CGV – CGU

Partie II – Les sources du droit international
Titre 2 – Les sources internationales
Sous-titre 2 – Une source à consolider : la pratique notariale
Chapitre I – Le rôle du notaire
Section I – La pratique notariale en droit interne

1441 Le notaire, de par son activité quotidienne, contribue à ce que l’on appelle la pratique notariale. Cette notion a été très largement évoquée par Mme Sarah Torricelli-Chrifi, dans son ouvrage La pratique notariale, source du droit600.

Les usages et une certaine standardisation des actes donnent naissance à la pratique notariale. Elle trouve son origine dans la formation notariale initiale et continue, mais aussi dans « une inspiration identique, issue de préoccupations communes »601.

Ce terme peut être critiqué, car l’idée de standardisation est parfois rejetée. Cependant, il a le mérite d’induire une certaine consolidation, une cohérence et une sécurité juridique. Cette notion doit être distinguée de la rédaction, qui est un travail de précision apporté par chaque notaire sur le dossier qu’il gère. La pratique notariale est diffusée, portée par les instances de la profession et plus particulièrement par le Conseil supérieur du notariat, et aujourd’hui au niveau international par l’Union internationale du notariat (UINL), organisation non gouvernementale qui a pour but de « promouvoir, coordonner et développer la fonction et l’activité notariale dans le monde ». Elle sera présentée plus en détail dans la partie III602.

La pratique notariale a une influence certaine sur la loi. Elle figure au rang des « forces créatrices du droit »603.

Elle bénéficie de ces propres vecteurs, tels que le Congrès des notaires de France, pour faire remonter les propositions de la profession au législateur. Cette instance permet de produire une réflexion annuelle d’intérêt général issue de la pratique notariale, en contact quotidien avec les citoyens. Après approbation des notaires congressistes, les propositions sont relayées aux pouvoirs publics et nombre d’entre elles sont adoptées par le législateur604.

D’autres encore encouragent la profession à une meilleure homogénéité dans sa pratique quotidienne. À titre d’exemple, l’acte de notoriété est souvent mis en avant. Dès la fin du XIXe siècle, la pratique notariale a mis en place des actes destinés à identifier les successeurs et à préserver la preuve des qualités d’héritier pour une meilleure sécurité juridique. À l’origine, les notaires les dressaient en l’absence d’intitulé d’inventaire. Puis la jurisprudence relaya cette pratique. La Cour de cassation605imposa systématiquement l’acte de notoriété, même en présence d’intitulé d’inventaire. Cette pratique a été consolidée par la loi et les articles 730-1 et suivants du Code civil qui permettent au notaire d’établir cet acte à la demande d’un ou plusieurs héritiers. Enfin, la loi du 20 décembre 2007606réserve aujourd’hui aux seuls notaires la compétence pour dresser cet acte.

Une autre illustration significative est celle de la copropriété. Face au développement de l’urbanisme, il a fallu trouver une nouvelle technique juridique pour sécuriser le droit de propriété. Le notariat a mis en place le règlement de copropriété, fruit de la concertation, de la mise en commun et de l’uniformisation par les instances notariales. Les techniques ont été évoquées lors du 55e Congrès des notaires de France à Bordeaux, en 1957. La loi qui consacra cette pratique a été adoptée le 10 juillet 1965607. De nombreux exemples pourraient être cités, comme la consécration de la clause alsacienne, la mise en place de la vente en l’état futur d’achèvement608ou la modification législative intervenue en 2007 sur le pacte civil de solidarité.

Le notaire a une obligation d’instrumenter, une obligation d’efficacité. Il doit proposer une solution et la bâtir face au silence de la loi. Cette obligation a une influence certaine sur la pratique notariale. Face aux demandes des parties, aux textes de droit parfois ambigus ou sujets à interprétation, le praticien a l’obligation de prendre parti. Il doit s’adapter aux besoins juridiques demandés par le client, en lui proposant une réponse juridique claire et sécurisante. Il utilise le pouvoir issu de la liberté contractuelle pour innover. Sa seule limite est l’ordre public.

Le notaire doit également faire face aux lois nouvelles en les interprétant si nécessaire. L’inflation législative et la multiplication exponentielle des textes de loi s’accompagnent souvent d’un manque de lisibilité et d’accessibilité. Le destinataire et le praticien sont parfois confrontés à leurs lots d’incertitudes. Il revient alors au notaire, et par l’uniformisation possible à travers les instances – à la pratique notariale – de trouver des solutions afin d’assurer l’efficacité et l’effectivité de la norme. Bruno Oppetit affirme dans son ouvrage sur la philosophie du droit que « l’enjeu ne réside pas dans un modèle idéal à réaliser, mais plutôt un ordre convenable à établir, de nature à régir le plus correctement possible les relations entre les hommes »609.

La pratique notariale a une influence sur l’élaboration du droit, par sa collaboration avec le législateur et par l’obligation qu’il a d’appliquer au quotidien des dispositions législatives. Elle va parfois plus loin en palliant les textes lacunaires. Elle peut améliorer le droit existant afin d’apporter aux clients une réponse plus adaptée à leurs aspirations, le tout dans les limites de l’ordre public.

Section II – La pratique notariale : une source en droit international privé ?

1442 La pratique notariale internationale peut-elle devenir source de droit ? Un parallèle peut être fait avec une autre source de droit international, la lex mercatoria610.

La lex mercatoria est définie par B. Goldman611par les « règles transnationales que les partenaires des échanges économiques internationaux se donneraient progressivement à eux-mêmes, notamment dans le cadre de leurs organismes professionnels, et que les arbitres, contractuellement désignés pour résoudre leurs litiges, constatent et, par là même précisent, voire élaborent à leur intention ».

D’après cette analyse, la lex mercatoria est issue d’un fonds commun propre au milieu du commerce international et non de tel ou tel droit étatique ou interétatique. Elle accède à la « dignité » de règles de droit612. Elle est parfois contestée par une partie de la doctrine, telle que M. Paul Lagarde qui ne voit dans ces « clauses » ou ces « combinaisons contractuelles » que « le simple usage par les parties de leur liberté contractuelle »613.

Pour trancher cette question, il faut définir si la contrainte du milieu est forte. C’est le cas pour la lex mercatoria. Il faut aussi noter qu’elle a fait l’objet d’une reconnaissance prétorienne, notamment par l’arrêt Valenciana614.

La pratique notariale internationale, comme la lex mercatoria, peut également être considérée comme une source. Ainsi, une généralisation des bonnes pratiques, uniformisées et diffusées par les instances notariales permet de constituer un « fonds commun propre au milieu notarial ». Elle répond à un besoin lié à la mondialisation de notre société et des échanges internationaux. Elle doit répondre aux besoins de nos clients, sans nécessiter l’intervention de l’ordre étatique ou interétatique. La pratique notariale est un formidable outil pour mettre en place des mécanismes facilitant l’accès des personnes à la justice. C’est aussi un des objectifs de la Commission européenne615.

L’européanisation est un véritable défi pour la pratique notariale et le notaire doit être au centre de la relation entre la justice et le citoyen européen. Il doit développer une pratique notariale internationale. Il doit apprivoiser le droit de l’Union et le droit international et prendre sa place dans cet espace juridique. C’est non seulement une obligation, c’est aussi une véritable opportunité. Il a la possibilité de faire fonctionner les règles de l’Union comme il l’a fait depuis toujours pour les règles nationales.

Certains règlements européens mettent d’ores et déjà le notaire au centre de la relation et demandent son accompagnement. C’est le cas pour le règlement « Successions » du 4 juillet 2012, pour le règlement du 14 juin 2016 sur les régimes matrimoniaux ou encore pour le règlement Rome III sur les divorces, qui permettent aux parties de retrouver une certaine liberté contractuelle.

Le notaire est un atout pour l’Union, par sa faculté de divulguer auprès des citoyens des textes européens et mondiaux, par la mise en œuvre et la diffusion d’une pratique notariale au niveau européen et mondial, par sa façon de proposer une application concrète des textes, tout en tenant compte du principe de proximité. Le développement des réseaux entre notaires de différents pays favorisera la généralisation de la bonne pratique. Les instances pourront l’encourager. Ce sera surtout le cas lorsque le notaire devra s’adapter devant des pratiques ou des législations inconnues de lui. Le droit international privé est un droit d’adaptation. Les bonnes pratiques devront être partagées entre notaires et divulguées au niveau international afin de mettre en place une pratique qui, comme la lex mercatoria, pourra prendre une place stratégique dans les sources de droit.

Le développement d’une pratique notariale internationale est donc une véritable opportunité pour renforcer le rôle du notaire. La détermination de chacun est nécessaire, à titre individuel, par son implication dans la formation puis dans la mise en œuvre au quotidien des règles de droit international privé.

Cette perspective est confortée par des réalisations notariales qui ont d’ores et déjà abouti. En effet, le règlement « Successions » du 4 juillet 2012, et plus particulièrement le certificat successoral européen, met en avant le rôle du notaire au niveau international. Par ailleurs, la réglementation sur le titre exécutoire européen et la mise en place du sceau notarial sécurisé démontrent la capacité du notariat à apporter des solutions concrètes et pratiques pour appuyer et sécuriser la réglementation européenne.


600) Defrénois, coll. « Doctorat et Notariat », 2015, collection de thèses dirigée par B. Beignier.
601) J. Audinet, Réflexion sur la pratique notariale : JCP 1957, n° 1361, spéc. n° 8.
602) V. infra, n° a1648.
603) Formule de G. Ripert, Les forces créatrices du droit, LGDJ, 2e éd.
604) Les suites législatives et réglementaires des propositions du Congrès des notaires de France de 1953 à 2014 sont consultables sur le site de l’ACNF : www.congresdesnotaires.fr.
605) Cass. 1re civ, 18 févr. 1964 : JCP N 1964, II, 1391, note Espagne.
606) L. n° 2007-1787 : JO 21 déc. 2007.
607) L. n° 65-557, 10 juill. 1965.
608) 63e Congrès des notaires de France, Clermont-Ferrand, 1965, L’accession à la propriété dans la construction moderne.
609) B. Oppetit, Philosophie du droit, Dalloz, 1999, p. 142.
610) Analyse effectuée par C. Nourissat, Traité du droit du commerce international, Introduction générale, LexisNexis, 3e éd. 2019.
611) B. Goldman, Frontières du droit et lex mercatoria : Arch. phil. dr. 1964, p. 177 ; La lex mercatoria dans les contrats et les arbitrages internationaux, réalité et perspectives : JDI 1979, p. 475. – V. égal. : B. Goldman, Nouvelles réflexions sur la lex mercatoria, in études P. Lalive, Helbing & Lichtenhehn, 1993, p. 241.
612) B. Goldman, La lex mercatoria dans les contrats et les arbitrages internationaux : JDI 1979, p. 502.
613) P. Lagarde, Approche critique de la lex mercatoria, in Études Goldman, Litec, 1982, p. 129.
614) Cass. 1re civ., 22 oct. 1991 : Rev. arb. 1992, note P. Lagarde.
615) Communications du président de la Commission José Manuel Barroso du 10 juin 2009, dans lesquelles figurent les priorités du programme de Stockholm qui fait suite à celui de La Haye.
Aller au contenu principal