CGV – CGU

Partie I – Les grands principes du droit international privé
Titre 2 – Les conflits de lois et de juridictions
Sous-titre 2 – Les conflits de juridictions
Chapitre III – Les conflits de procédures et de décisions

1406 Lorsque plusieurs procédures sont engagées devant des juridictions de différents États, cela engendre un conflit entre elles. En droit international privé commun, les règles unilatérales édictées par chaque pays engendrent des conflits, conflits qui sont négatifs quand aucun État ne se reconnaît compétent, et positifs quand à l’inverse plusieurs États se reconnaissent compétents. Ces saisines multiples peuvent aussi être stratégiques en vue d’obtenir la décision la plus favorable au litige, stratégie appelée forum shopping. Les juges de common law ont créé des outils pour enrayer les comportements abusifs, comme les injonctions anti-suit.

Mais ces possibilités de saisines multiples peuvent aussi être tout à fait normales parce que permises par un règlement. Ainsi le règlement Bruxelles I bis offre plusieurs choix de saisines possibles, et lorsque des choix différents sont pris par les parties, il y a un conflit de procédures ou de décisions en fonction de l’état d’avancement du traitement du litige.

Section I – Litispendance

1407 En droit interne, si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l’autre si l’une des parties le demande. À défaut, elle peut le faire d’office532.

En droit international, cela obligerait donc le juge français à se dessaisir au bénéfice d’un juge étranger compétent déjà saisi. La Cour de cassation a admis l’exception de litispendance internationale, par extension du droit commun, dans un arrêt du 26 novembre 1974, Société Miniera di Fragne533à la condition que la décision à intervenir à l’étranger soit susceptible d’être reconnue en France. Il revient donc au juge français de contrôler a priori la future décision qui doit intervenir à l’étranger pour déterminer si elle va pouvoir s’appliquer en France. Cette analyse renvoie donc aux conditions d’exequatur des décisions étrangères, en premier lieu européennes puis internationales.

1408 Deux situations peuvent se présenter :

soit les deux juridictions compétentes saisies sont compétentes et sont de même degré : la deuxième juridiction doit se dessaisir conformément à l’article 100, alinéa 2 ;

soit les deux juridictions compétentes saisies sont compétentes et ne sont pas de même degré : l’exception de litispendance doit être soulevée devant la juridiction inférieure même si elle a été saisie en premier conformément à l’article 102 du Code de procédure civile.

§ I – La litispendance européenne

1409 Au niveau européen, l’exception de litispendance est largement admise. Il résulte de l’article 29 du règlement Bruxelles I bis que lorsque les demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes demandeur et défendeur, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de juridiction première saisie soit établie.

Deux points sont importants :

la question de la juridiction première saisie ;

la preuve de la chronologie des saisines et la nature de l’information.

1410 La question de la juridiction première saisie dépend de la loi de chaque pays. La Cour de justice a, dans un arrêt du 27 février 2014, précisé que la compétence est établie si ce tribunal n’a pas décliné sa compétence et si aucune partie n’a contesté sa compétence. Dès que cette compétence est établie, la juridiction saisie en second doit se dessaisir au profit de la première, et il n’y a pas de question de reconnaissance à se poser puisque toutes les décisions au niveau européen sont reconnues par principe.

1411 S’agissant de la question de la date de la saisine, l’article 32.1 du règlement Bruxelles I bis énonce une règle uniforme. Une juridiction est réputée saisie à la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction. Il faut que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qui lui incombaient pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur. Si l’acte doit être notifié ou signifié avant d’être déposé auprès de la juridiction, celle-ci est réputée saisie à la date à laquelle il est reçu par l’autorité chargée de la notification ou de la signification, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qui lui incombaient pour que l’acte soit déposé auprès de la juridiction. L’autorité chargée de la notification ou de la signification est la première autorité ayant reçu les actes à notifier ou à signifier. La juridiction ou l’autorité chargée de la notification ou de la signification visée ci-dessus consigne respectivement la date du dépôt de l’acte introductif d’instance ou de l’acte équivalent ou la date de la réception des actes à notifier ou à signifier.

§ II – La litispendance internationale

1412 L’article 33 du règlement Bruxelles I bis énonce que lorsque la compétence de la juridiction saisie est fondée sur les articles 4, 7 et 8 et qu’une procédure est pendante devant une juridiction d’un État tiers, au moment où une juridiction d’un État membre est saisie d’une demande entre les mêmes parties ayant le même objet et la même cause que la demande portée devant la juridiction de l’État tiers, la juridiction de l’État membre peut surseoir à statuer.

La juridiction saisie en second sursoit à statuer lorsqu’elle pense que la juridiction de l’État tiers va rendre une décision susceptible d’être reconnue et exécutée dans ledit État membre, ou lorsqu’elle est convaincue que le sursis à statuer est nécessaire pour une bonne administration de la justice. Dans la négative, cette juridiction pourra poursuivre sa décision. Cette situation oblige le juge français à analyser la future décision.

Le délai de traitement du litige pourra être un élément de réflexion sur le critère de bonne administration de la justice.

Section II – La connexité

1413 En droit interne, s’il existe entre des affaires portées devant deux juridictions distinctes un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble, il peut être demandé à l’une de ces juridictions de se dessaisir et de renvoyer en l’état la connaissance de l’affaire à l’autre juridiction534.

En droit international, la Cour de cassation a admis, dans un arrêt du 22 juin 1999, l’exception de connexité « aux seules conditions que deux juridictions relevant de deux États différents soient également et compétemment saisies de deux instances en cours, faisant ressortir un lien de nature à créer une contrariété »535.

Sous-section I – La connexité européenne

1414 Il résulte de l’article 30 du règlement Bruxelles I bis, que lorsque des demandes connexes sont pendantes devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu peut surseoir à statuer.

Lorsque la demande devant la juridiction première saisie est pendante au premier degré, toute autre juridiction peut également se dessaisir, à la demande de l’une des parties, à condition que la juridiction première saisie soit compétente pour connaître des demandes en question et que sa loi permette leur jonction.

Ce n’est qu’une possibilité et non une obligation de surseoir.

L’article 30.3 précise la notion de connexité : sont connexes les demandes liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément. Ce lien est apprécié d’une manière large par la Cour de justice.

Sous-section II – La connexité internationale

1415 De la même manière que pour la litispendance internationale, lorsque la compétence est fondée sur l’article 4 ou sur les articles 7, 8 ou 9 et qu’une procédure est pendante devant une juridiction d’un État tiers au moment où une juridiction d’un État membre est saisie d’une demande entre les mêmes parties ayant le même objet et la même cause que la demande portée devant la juridiction de l’État tiers, la juridiction de l’État membre peut surseoir à statuer536.

La juridiction saisie en second pourra de la même manière surseoir à statuer lorsqu’elle pense que la juridiction de l’État tiers va rendre une décision susceptible d’être reconnue et d’être exécutée dans ledit État membre ou lorsqu’elle est convaincue que le sursis à statuer est nécessaire pour une bonne administration de la justice. Dans la négative, cette juridiction pourra poursuivre sa décision.

1416 Le juge saisi en second pourra également poursuivre sa décision si la juridiction saisie en premier a elle-même sursis à statuer ou s’est désistée, si la juridiction de l’État membre estime que la procédure devant la juridiction de l’État tiers ne pourra vraisemblablement pas être conclue dans un délai raisonnable, ou encore si la poursuite de l’instance est indispensable à une bonne administration de la justice.

1417 Dès lors que la juridiction saisie en premier a rendu sa décision et qu’elle est susceptible d’être reconnue et exécutée, la juridiction de l’État membre saisi doit mettre fin à l’instance.

L’exception de connexité peut être prononcée à la demande d’une partie ou prononcée d’office si la loi nationale le permet537.


532) CPC, art. 100.
533) GAJFDIP, n° 54.
534) CPC, art. 102.
535) Rev. crit. DIP 2000, p. 42.
536) Règl. Bruxelles I bis, art. 34.
537) Règl. Bruxelles I bis, art. 34.4.
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